Promouvoir la négociation collective et l'adéquation des salaires minimums dans l'UE après l'arrêt de la CJUE sur la directive AMWD
Adoptée lors de la réunion du Comité exécutif des 19 et 20 novembre 2025
Contexte
La négociation collective est un moteur essentiel de l'amélioration des conditions de travail. Grâce au dialogue social, elle garantit des salaires équitables, des horaires de travail raisonnables et des lieux de travail sûrs, tout en contribuant à l'adaptation des normes à la société et à l'économie. Elle profite non seulement aux travailleurs, mais aussi aux employeurs et à la communauté dans son ensemble, en stimulant la productivité et la stabilité.
Pour que ces avantages soient accessibles à tous, il est essentiel de promouvoir activement la négociation collective par le biais de politiques, de dialogues et de mesures incitatives. Parallèlement à la directive sur un salaire minimum adéquat (AMWD), il s'agit déjà d'une attente juridique et politique inscrite dans l'acquis de l'UE, du socle européen des droits sociaux à la directive sur la transparence salariale et à de nombreuses recommandations du Conseil, qui établissent une obligation de facto pour les États membres de renforcer les systèmes de négociation collective.
L'arrêt rendu par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans l'affaire C-19/23 (Danemark c. Parlement et Conseil) a confirmé la validité et l'importance de l'article 4 de la directive (UE) 2022/2041. La confirmation par la CJUE de l'article 4 de la directive indique clairement que l'UE et ses États membres ont le droit et le devoir de promouvoir la négociation collective comme moyen d'améliorer les conditions de travail.
Cela renforce le mandat de l'UE visant à promouvoir la négociation collective en tant qu'objectif légitime. La CES exhorte les institutions de l'UE à tirer parti de cette dynamique.
La Cour a confirmé que les États membres doivent mettre en place des cadres favorables et, lorsque la couverture est inférieure à 80 %, adopter des plans d'action qui n'interfèrent pas avec l'autonomie nationale en matière de fixation des salaires et qui sont pleinement compatibles avec les traités. Les États membres sont donc tenus de mettre en œuvre et de renforcer activement les cadres favorables et d'élaborer les plans d'action décrits à l'article 4, paragraphe 2, en étroite coopération avec les partenaires sociaux.
Dans le même temps, les institutions européennes doivent compléter ces efforts nationaux par des politiques cohérentes qui soutiennent le dialogue social et la négociation collective en utilisant les fonds européens, les marchés publics et les outils de coordination socio-économique. Elles doivent le faire sans empiéter sur les compétences nationales, mais en exerçant pleinement le rôle de l'UE dans la promotion de la négociation collective et du progrès social dans toute l'Union.
C'est pourquoi la CES appelle à la mise en place d'un nouveau cadre européen visant à soutenir et à élargir la négociation collective.
Ce cadre devrait inclure des mesures juridiques, institutionnelles et financières concrètes ainsi que des outils pratiques visant à renforcer les systèmes de négociation et à étendre leur couverture aux niveaux sectoriel et national. Il devrait garantir la cohérence des politiques, des mécanismes de financement et des structures de gouvernance de l'UE afin de faire de la négociation collective un pilier essentiel des salaires équitables, du progrès social et du développement économique durable dans toute l'Europe.
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Renforcer la négociation collective dans la prochaine feuille de route pour des emplois de qualité. La CES appelle à la création d'emplois de qualité (Revendications de la CES pour la feuille de route visant à des emplois de qualité) par le biais d'initiatives législatives et d'investissements financiers. L'UE doit créer des emplois de qualité et inclure des mesures visant à renforcer la négociation collective au sein de l'UE.
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Intégrer la promotion des négociations collectives (sectorielles) dans la coordination et la surveillance socio-économiques de l'UE en l'intégrant dans le processus du Semestre européen, étant donné que la mise en œuvre de la directive AMWD se fera également dans le cadre du Semestre européen.
Le rapport conjoint sur l'emploi et les rapports par pays comprendront des aperçus et des analyses de la couverture des négociations collectives, de la formation des salaires et de la qualité des relations industrielles.
Les recommandations spécifiques par pays pour les pays situés en dessous d'un seuil défini comprendront des mesures recommandées pour renforcer le dialogue social et les négociations collectives. Elles seront accompagnées d'une mise à jour du tableau de bord social, qui ajoutera un nouvel indicateur permettant de suivre la couverture des négociations collectives et les progrès réalisés dans le cadre des plans d'action nationaux (éventuels).
Enfin, le processus d'évaluation par les pairs au sein du Comité de l'emploi (EMCO) et du Comité de la protection sociale (SPC) du Conseil EPSCO doit être mis en place afin d'évaluer les progrès réalisés au niveau national. Cela devrait être complété par une participation plus importante des partenaires sociaux aux niveaux national et européen, à toutes les étapes du processus du Semestre européen.
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Lier l'accès à certains fonds de l'UE (par exemple, l'actuel FSE+, la transition juste, le Fonds social pour le climat, la PAC, le futur PNR) à des mesures concrètes et mesurables favorisant la négociation collective (telles que l'élaboration de plans nationaux, de clauses sociales, l'extension sectorielle) ou offrir un « accès préférentiel/des primes » aux projets qui favorisent la négociation collective.
Le cadre devrait identifier l'obligation pour les pays dont le taux de couverture des négociations collectives est inférieur à 80 % de présenter des plans d'action nationaux visant à renforcer les négociations collectives afin d'accéder aux fonds de l'UE.
Le contenu des plans d'action nationaux, tel que requis par la directive AMWD, serait laissé à la discrétion des États membres, conformément aux traditions et pratiques nationales, et dans le respect de l'autonomie des partenaires sociaux. Toutefois, ils devraient répondre à certaines exigences minimales, à savoir inclure un calendrier clair et des mesures concrètes pour garantir que le taux de couverture des négociations collectives augmente progressivement, après consultation des partenaires sociaux nationaux ou en accord avec eux ; enfin, les plans nationaux doivent être accessibles au public, réexaminés au moins tous les cinq ans et révisés si nécessaire.
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Garantir le soutien au renforcement des capacités des partenaires sociaux dans le CFP 2028-2034. Chaque État membre devrait allouer aux partenaires sociaux, dans le cadre de son plan national et régional (PNR), un montant approprié de dépenses sociales pour le renforcement des capacités, au moins équivalent au montant actuellement prévu dans le FSE+ actuel. Le renforcement des capacités implique une utilisation efficace des fonds de l'UE pour renforcer les capacités des partenaires sociaux, ce qui peut inclure l'amélioration du dialogue social, la formation, la facilitation de la mise en réseau, l'offre d'un soutien juridique et la conduite de recherches sectorielles.
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Introduire des clauses de négociation collective dans les marchés publics : avec la révision prochaine des directives sur les marchés publics, l'UE doit veiller à ce que les fonds publics soient alloués à des organisations (et sous-traitants) qui respectent les droits des travailleurs et des syndicats, qui négocient avec les syndicats et dont les travailleurs sont couverts par des conventions collectives. Il convient donc d'établir des critères pour privilégier les fournisseurs qui appliquent des conventions collectives et de fournir des modèles ou des listes de contrôle aux pouvoirs adjudicateurs.
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Mesurer et surveiller la couverture des négociations collectives à l'aide d'un tableau de bord européen qui inclut la couverture des négociations, la densité syndicale et l'application, conformément à la base de données ICTWSS de l'OCDE/AIAS (mise à jour chaque année ou tous les deux ans). Combiner cela avec des rapports réguliers et une pression sur la réputation des États membres, ce qui encouragera les gouvernements à agir et permettra aux citoyens de leur demander des comptes.
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Inclure un objectif global de 80 % de couverture des négociations collectives dans le futur plan d'action pour le Socle européen des droits sociaux, en plus des objectifs de Porto pour l'UE à l'horizon 2030, car le principe 8 du SEDS encourage les partenaires sociaux à négocier et à conclure des conventions collectives.
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Veiller à ce que la « Déclaration de Val Duchesse » (2024) et la mise en œuvre du Pacte pour le dialogue social européen (2025) fassent l'objet d'un suivi rapide et adéquat. Veiller en particulier au bon fonctionnement du rôle d'envoyé européen pour le dialogue social, qui consiste à recueillir les alertes lorsque le dialogue social ou les négociations collectives sont menacés et à déclencher des mesures correctives.
Le cadre européen pour la promotion de la négociation collective ne vise pas à uniformiser les salaires ni à imposer une approche unique. Il vise à garantir que chaque État membre, en collaboration avec ses partenaires sociaux, assume la responsabilité de renforcer la négociation collective en tant que pierre angulaire de l'économie sociale de marché européenne.
L'arrêt de la CJUE dans l'affaire C-19/23 a confirmé que l'action menée au niveau de l'UE pour promouvoir la négociation collective est une disposition valide et essentielle du droit de l'UE, pleinement compatible avec l'autonomie nationale et l'indépendance des partenaires sociaux. L'UE doit désormais utiliser tous les outils à sa disposition, notamment le Semestre européen, les mécanismes de financement, la feuille de route pour des emplois de qualité et les futures initiatives législatives et non législatives, afin de garantir que chaque travailleur en Europe puisse bénéficier de la protection et de la stabilité offertes par les conventions collectives.
Si les mesures peuvent varier en fonction du contexte national, l'objectif reste le même :
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renforcer les systèmes de négociation sectorielle existants là où ils fonctionnent déjà efficacement ;
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soutenir le développement de structures sectorielles et interentreprises lorsque la négociation est fragmentée ou limitée ; et
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faire de la négociation collective un pilier essentiel de la convergence sociale ascendante à travers l'Europe.
L'arrêt de la CJUE a clarifié l'espace juridique dans lequel l'UE peut agir, et il est désormais temps pour les institutions européennes, en collaboration avec les partenaires sociaux, de transformer cet espace en un cadre européen cohérent qui aboutisse à une législation européenne forte, assortie de normes minimales contraignantes, afin de mieux protéger les travailleurs dans la future loi sur les emplois de qualité, avec des négociations collectives plus fortes, des salaires plus équitables et un véritable progrès social et une convergence sociale ascendante dans tous les États membres.
Adéquation des salaires minimums
Enfin, garantir l'adéquation des salaires minimums par le biais de la négociation collective et des salaires minimums légaux, lorsqu'ils existent, reste une priorité essentielle pour la CES.
Si la CJUE a annulé l'article 5, paragraphe 2, qui définissait des critères détaillés pour évaluer l'adéquation des salaires minimums légaux, elle a confirmé les autres dispositions de la directive. L'un des principaux éléments retenus est certainement l'article 5, paragraphe 1, qui stipule que la fixation et la mise à jour des salaires minimums légaux doivent être guidées par des critères visant à garantir leur adéquation, dans le but d'atteindre un niveau de vie décent, de réduire la pauvreté au travail, de promouvoir la cohésion sociale, de favoriser la convergence sociale vers le haut et de réduire l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes.
Les salaires minimums sont considérés comme adéquats s'ils sont équitables par rapport à la répartition des salaires dans l'État membre concerné et s'ils garantissent un niveau de vie décent aux travailleurs.
Cela signifie que, comme indiqué à l'article 5, paragraphe 4, les États membres doivent utiliser des valeurs de référence indicatives couramment utilisées au niveau international, telles que le salaire minimum fixé à 60 % du salaire brut médian et/ou à 50 % du salaire brut moyen (ce que l'on appelle le « double seuil de décence »). Ces critères de référence restent des outils analytiques précieux pour orienter la fixation d'un salaire minimum légal équitable et garantir que les salaires minimums protègent les travailleurs contre la pauvreté au travail, ce qui est désormais renforcé par un arrêt de la Cour reconnaissant leur importance politique.
Toutefois, pour remédier à la suppression de l'article 5, paragraphe 2, il est désormais essentiel et approprié de clarifier et de fournir des orientations aux États membres afin de garantir des salaires minimums légaux adéquats qui assurent un niveau de vie décent et favorisent la convergence vers le haut des salaires dans toute l'Europe. Par conséquent, la CES invite instamment la Commission européenne à formuler des recommandations assorties de critères éventuels afin de guider les États membres dans la mise en place de salaires minimums légaux adéquats. L'arrêt de la CJUE confirme que l'UE reste compétente pour agir en matière d'adéquation du salaire minimum, à condition de ne pas imposer d'exigences obligatoires aux États membres. Les recommandations et les lignes directrices, qui ne sont pas juridiquement contraignantes, constituent donc des instruments appropriés pour établir des critères indicatifs d'adéquation. De telles mesures respecteraient pleinement les compétences nationales tout en complétant efficacement la directive sur le salaire minimum.
Une approche utile pour évaluer l'adéquation consiste à examiner la garantie d'un niveau de vie décent, ce qui pourrait être réalisé en établissant un panier de biens et de services afin de déterminer le coût de la vie dans les États membres et de le comparer aux niveaux de salaire minimum.
Le panier de biens et services devrait, à terme, être établi au niveau national, en pleine participation des syndicats et des organisations patronales. Outre les éléments essentiels tels que l'alimentation, l'habillement, les transports et le logement, il convient également de tenir compte de la nécessité de participer à des activités culturelles, éducatives et sociales.
Cette approche pourrait être utilisée pour garantir que les salaires minimums, fixés au moins au double du seuil de décence, soient réellement suffisants pour permettre l'achat du panier de biens et services nécessaires pour garantir un niveau de vie décent. Elle ouvre la voie au concept de salaire minimum vital, tel qu'il a été défini dans l'accord conclu lors d'une réunion d'experts sur les politiques salariales à l'OIT en février 2024 et approuvé par le Conseil d'administration de l'OIT en mars 2024.
Le salaire minimum légal ne doit pas se contenter de garantir le niveau de subsistance de base, car cela le réduirait à un simple filet de sécurité plutôt qu'à un fondement pour une vie décente. Les salaires minimums doivent être de véritables salaires décents, permettant de satisfaire les besoins essentiels, d'offrir un niveau de vie décent, de faciliter la participation à la société et d'assurer une résilience face aux chocs imprévus. Il est essentiel d'ancrer les salaires minimums dans les principes du salaire décent, en particulier après la suppression des critères macroéconomiques par la CJUE, afin d'éviter que les salaires minimums ne tombent en dessous du seuil de dignité et d'adéquation.