Revendications de la CES pour la feuille de route visant à des emplois de qualité

Revendications de la CES pour la feuille de route visant à des emplois de qualité 

Adoptée à la réunion du Comité exécutif extraordinaire du 18 juin 2025

La Commission européenne a annoncé qu'elle présenterait une feuille de route pour des emplois de qualité, élaborée après consultation des partenaires sociaux. Lors des premières auditions tenues en avril et mai 2025, il a été annoncé que la feuille de route soutiendrait, par des mesures législatives et non législatives, la négociation collective, des salaires équitables, de bonnes conditions de travail, la formation et des transitions professionnelles équitables.

Cette résolution présente les demandes de la CES pour ce paquet et sera soumise comme position syndicale à la consultation des partenaires sociaux lancée par la Commission et dont la date limite est le 1er juillet 2025.

Le paquet sur les emplois de qualité doit comprendre les initiatives législatives, les investissements et les programmes d'action nécessaires pour garantir des emplois de qualité dans tous les secteurs et toutes les régions. Il convient également d'ajouter des indicateurs pour les emplois de qualité afin de suivre l'évolution et l'efficacité des mesures déployées.

Ces mesures devraient être présentées le plus rapidement possible. Il est inacceptable que la Commission ait rapidement lancé une série d'initiatives omnibus pour satisfaire les organisations patronales par le biais de la déréglementation, alors que les mesures visant à améliorer les conditions de travail sont reportées à 2026.

La CES souhaite réaffirmer sa position sur les éléments essentiels que doit inclure une définition des emplois de qualité : la négociation collective ; le plein respect des droits des travailleurs et des syndicats ; des salaires équitables ; la sécurité de l'emploi et la progression de carrière ; la protection sociale ; la formation gratuite et pendant les heures de travail ; de bonnes conditions de travail ; la santé et la sécurité sur le lieu de travail ; l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée ; l'égalité et la non-discrimination.

Le paquet "emplois de qualité" doit comprendre, entre autres, les initiatives législatives clés suivantes :

a) Une directive sur la transition juste dans le monde du travail, par l'anticipation et la gestion du changement, basée sur les principes de l'implication syndicale et de la négociation collective, garantissant le droit à la formation gratuite pendant les heures de travail - soutenue par un mécanisme SURE 2.0.

b) Réglementation des intermédiaires du travail et introduction d'un cadre juridique à l'échelle de l'UE pour limiter la sous-traitance et garantir une responsabilité conjointe et solidaire tout au long de la chaîne de sous-traitance.

c) Une directive européenne pour la prévention des risques psychosociaux, du harcèlement en ligne et de la honte au travail.

d) Une réglementation efficace de l'IA, intégrant le principe de "l'humain aux commandes" dans le droit européen par le biais d'une directive sur l'IA sur le lieu de travail.

e) Une directive sur le télétravail et le droit à la déconnexion.

f) Renforcer la démocratie au travail en premier lieu en renforçant la négociation collective, en introduisant un cadre européen complet en matière d'information, de consultation et de participation pour les formes de sociétés européennes et pour les entreprises qui recourent aux instruments du droit européen des sociétés facilitant la mobilité des entreprises, et en préservant pleinement le bon fonctionnement des systèmes de négociation collective.

g) Veiller à ce que la révision des directives sur les marchés publics garantisse que les fonds publics aillent à des organisations qui respectent les droits des travailleurs et des syndicats, qui s'engagent dans des négociations collectives et dont les travailleurs sont couverts par des conventions collectives.

h) Mettre fin au travail précaire en garantissant les droits légaux à des contrats permanents et à un emploi à temps plein, en interdisant les contrats zéro heure grâce à une législation contraignante garantissant un temps de travail minimum, et en empêchant les stages non rémunérés.

Ces demandes doivent être traitées par le biais d'une nouvelle législation, et pas seulement par des amendements aux directives ou règlements existants, afin d'éviter de mettre en péril, à la lumière du contexte politique actuel, les droits et protections existants pour les travailleurs.

Investissements pour des emplois de qualité

La CES souligne depuis longtemps les conséquences du sous-investissement chronique dans les emplois de qualité, la politique industrielle, les services publics, le progrès social et la transition équitable pour les travailleurs. Mario Draghi a récemment reconnu dans son rapport sur l'avenir de la compétitivité européenne la nécessité d'investissements supplémentaires dépassant 800 milliards d'euros par an.

Les politiques d'austérité doivent être rejetées. Elles se sont en outre révélées être un échec tant sur le plan social qu'économique. L'UE doit plutôt développer des outils d'investissement communs ambitieux, mettre en œuvre des politiques fiscales progressives et fournir aux États membres la marge de manœuvre budgétaire nécessaire pour financer des investissements dans des emplois de qualité, la politique industrielle, les services publics et des transitions justes. Il est essentiel de mettre en place une nouvelle capacité budgétaire d'investissement, un mécanisme d'investissement de l'UE pour une transition socio-économique juste et les biens communs, en veillant à ce que personne et aucune région ne soient laissés pour compte.

Il est essentiel que l'investissement public et le soutien aux entreprises soient assortis de conditions sociales afin de garantir la création d'emplois de qualité. Celles-ci devraient s'appuyer sur les recommandations des rapports Letta et Draghi et introduire des conditionnalités sociales pour les fonds européens, les instruments de soutien aux entreprises et les aides d'État, ainsi que des conditionnalités environnementales et fiscales.

La CES demande une facilité d'investissement financée par l'UE pour des emplois de qualité et des transitions justes, ainsi qu'une politique industrielle européenne axée sur l'emploi de qualité.

Pour ce faire, il convient d'utiliser les moyens suivants

  • Sauvegarder et augmenter le budget du FSE+ et de la cohésion sociale dans le contexte du nouveau cadre financier pluriannuel.

  • Garantir un soutien continu et renforcé aux syndicats, au dialogue social, à la négociation collective et au renforcement des capacités des partenaires sociaux, tant au niveau de l'UE qu'au niveau national, y compris en leur allouant des ressources supplémentaires.

  • Mettre en place un programme SURE 2.0 - similaire à celui qui a préservé les emplois pendant la pandémie - pour prévenir les pertes d'emplois et les pertes de capacité économique pendant les crises temporaires telles que celles causées par les coûts élevés de l'énergie, les tarifs et pour soutenir les transitions justes ainsi que l'anticipation et la gestion du changement.

  • Veiller à ce que le processus du Semestre européen soit aligné sur la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux, notamment par le biais du cadre de convergence sociale ascendante, et n'exerce pas de pression à la baisse sur les salaires et la négociation collective.

Contre la déréglementation

Toute initiative visant à "mieux légiférer" doit être compatible avec l'objectif de création d'emplois de qualité et y contribuer.

Le compas de compétitivité, la stratégie du marché unique et la stratégie de l'UE en faveur des start-ups et des scale-ups n'offrent pas les garanties nécessaires pour que les droits, les salaires et les conditions des travailleurs ne soient pas affectés par le programme de déréglementation et de simplification. Nous nous opposons fermement à toute tentative de déréglementation qui porterait atteinte aux droits et aux normes en matière d'emploi, en particulier la proposition relative à un 28e régime des sociétés. Cette proposition, qui permettrait à certaines entreprises d'opérer en dehors des législations nationales du travail, risque de compromettre la législation de l'emploi et les négociations collectives à travers l'Europe.

Une meilleure réglementation devrait se concentrer sur une meilleure application et davantage de contrôles. Des emplois de qualité, de bonnes conditions de travail, le dialogue social et les négociations collectives doivent être au cœur de l'approche européenne en matière de compétitivité. Le rapport Draghi a reconnu à juste titre la valeur du modèle social européen et souligné que la promotion de la compétitivité ne doit pas reposer sur « la répression salariale pour réduire les coûts relatifs ». La CES rappelle que l'approche commune des partenaires sociaux en matière de durabilité, de croissance et de compétitivité de l'économie sociale de marché de l'UE repose sur des institutions démocratiques solides, la durabilité environnementale, des communautés inclusives, la justice sociale, des emplois et des services de qualité, des entreprises florissantes de toutes tailles, des services d'intérêt général, des services publics de haute qualité et des systèmes de protection sociale solides

S'attaquer à la situation des groupes vulnérables sur le marché du travail

La feuille de route pour des emplois de qualité doit comporter des mesures ciblées pour faciliter l'intégration des groupes vulnérables sur le marché du travail. Il est essentiel de veiller à ce que tous les travailleurs, quelle que soit leur origine, ne soient pas confinés dans des formes d'emploi précaires ou de faible qualité. 

Les travailleurs migrants doivent bénéficier d'une égalité de traitement totale et de conditions équitables et décentes pour accéder à l'emploi, afin de prévenir toute forme de discrimination. En outre, la feuille de route devrait promouvoir une mobilité intra-UE accrue pour les personnes qui possèdent déjà un titre de séjour ou un permis de travail valide. Elle devrait également inclure des mesures concrètes visant à régulariser la situation des travailleurs migrants sans papiers, en veillant à ce que leur intégration sur le marché du travail s'accompagne d'un accès à des emplois de qualité. Les droits des travailleurs détachés devraient être renforcés, notamment par le renforcement de l'Autorité européenne du travail et la création d'un réseau de conseil pour les travailleurs mobiles et migrants.

Une approche sensible au genre doit être intégrée dans les mesures législatives et non législatives prévues dans la feuille de route. Cela comprend la promotion de la négociation collective dans les secteurs atypiques tels que le travail domestique et les soins. Il convient de s'attaquer à la persistance de l'écart de rémunération entre les hommes et les femmes au moyen de mesures contraignantes qui favorisent la transparence salariale et garantissent la mise en œuvre effective du principe de l'égalité de rémunération pour un travail de valeur égale, en favorisant l'accès et la promotion des femmes, en particulier dans les secteurs où elles sont sous-représentées, ainsi que par des mesures visant à lutter contre les écarts en matière d'emploi et de rémunération.

Les jeunes sont employés de manière disproportionnée dans des secteurs caractérisés par le travail à temps partiel, les contrats saisonniers et précaires, et le travail non déclaré. La garantie pour la jeunesse reste un outil doté d'un potentiel important pour promouvoir l'emploi des jeunes. Toutefois, son succès dépend de l'implication significative des partenaires sociaux sectoriels, nationaux et européens dans sa conception, sa mise en œuvre et son suivi. De plus, les offres faites dans le cadre de la Garantie pour la jeunesse doivent être ancrées dans des critères de qualité. L'adoption d'une directive sur les stages établissant des normes pour des stages de qualité et interdisant les stages non rémunérés est d'une importance capitale.

La situation des personnes handicapées sur le marché du travail européen reste critique. Les mesures décrites dans la stratégie européenne pour les droits des personnes handicapées doivent être rendues contraignantes, faute de quoi elles risquent de rester lettre morte. Il s'agit notamment de l'obligation de fournir des aménagements raisonnables sur le lieu de travail, de la mise en place de programmes de maintien dans l'emploi, de l'élimination de la pratique consistant à payer les travailleurs handicapés en dessous du salaire minimum et du renforcement des directives européennes existantes en matière de non-discrimination dans l'emploi.

Enfin, la feuille de route pour des emplois de qualité devrait consacrer le concept d'une Garantie européenne pour l'emploi. Un tel mécanisme offrirait des possibilités d'emploi aux chômeurs de longue durée grâce à des programmes financés par des fonds publics, ciblant spécifiquement les demandeurs d'emploi qui ne parviennent pas à trouver un emploi sur le marché du travail ouvert.