Position de la CES sur les conseils nationaux de la compétitivité

Position de la CES sur les conseils nationaux de la compétitivité

Adoptée par le Comité exécutif de la CES les 28 et 29 octobre 2015

Introduction

Le 21 octobre, la Commission a adopté une recommandation pour une Recommandation du Conseil demandant aux États membres de la zone euro de créer des conseils nationaux de la compétitivité. Au niveau de chacun des États membres, ces conseils ont pour but de :

a)    contrôler l’évolution de la compétitivité par rapport aux concurrents mondiaux (y compris les coûts de la main-d’œuvre) ;

b)    alimenter le processus de fixation des salaires en communiquant les informations pertinentes ;

c)    contrôler les politiques et formuler des conseils en matière de politique de compétitivité ;

d)    dispenser des conseils pour la mise en œuvre des recommandations par pays.

La recommandation de la Commission fait suite à ce qu’on appelle le Rapport des cinq Présidents de juin 2015 dans lequel le Président Juncker et les quatre présidents d’autres institutions européennes[1] plaidaient pour la création d’un système d’« autorités de la compétitivité » dans l’ensemble de la zone euro. Des experts indépendants auraient pour mission de systématiquement « déterminer si les salaires évoluent en accord avec la productivité, par comparaison avec l’évolution dans d’autres pays de la zone euro et chez les principaux partenaires commerciaux comparables ». De plus, ils interviendraient également dans la négociation collective puisque « les partenaires sociaux devraient tenir compte de l’avis des autorités de la compétitivité lors des négociations sur les salaires ».

La CES note que la recommandation de la Commission ne va pas aussi loin que les propositions présentées dans le rapport des cinq Présidents. Le mandat de ces « conseils de la compétitivité » (et non plus « autorités de la compétitivité ») est maintenant  «d 'informer » et  « de fournir » des informations pertinentes pour les processus de fixation des salaires. Ils seraient néanmoins habilités à formuler des conseils en matière de politique en tenant compte de la dimension plus large de la zone euro et de l’Union.

Un autre changement sensible est que les comparaisons (des coûts de la main-d’œuvre) concernent les concurrents « mondiaux » (à court terme) et non les autres pays de la zone euro.

Il reste toutefois de sérieuses objections.

Principales objections de la CES

Les Conseils de la compétitivité constituent une solution dangereuse qui s’attaque au mauvais problème. Ses exportations dépassant ses importations à hauteur de 3% du PIB, la zone euro ne souffre pas d’un manque de compétitivité. Le principal problème de la zone euro est le poids excessif de la dette (privée) héritée d’une bulle des marchés financiers qui a ensuite éclaté.

Celui-ci ne peut se régler en essayant d’exporter nos difficultés dans le reste du monde. Réduire les salaires ne fera qu’empirer les choses en sapant la demande interne et en provoquant une déflation. Entre-temps, les bénéfices à l’exportation finiront par être neutralisés par une réévaluation monétaire ou par un affaiblissement des économies des partenaires commerciaux de la zone euro.

La CES insiste pour que les responsables politiques européens renoncent à leur discours sur la compétitivité (des coûts). Ils devraient plutôt se mobiliser en faveur d’une politique monétaire expansionniste et non conventionnelle pour financer un effort budgétaire important et assurer une relance sérieuse et solide malgré la persistance d’une dette importante.

Déséquilibrer davantage encore un système de gouvernance déséquilibré. Le pilier de la gouvernance économique a été sérieusement renforcé au cours des dernières années. Il dispose aujourd’hui d’une multitude d’instruments allant du pacte budgétaire pour le contrôle des projets de plans budgétaires à la procédure des déséquilibres macroéconomiques excessifs. Parallèlement, le pilier social se fait toujours attendre. Cela se traduit par une sérieuse régression des résultats sociaux comme l’augmentation du niveau de pauvreté et d’inégalités. La mise en place d’un système de conseils de la compétitivité provoquera un déséquilibre accru du Semestre européen au détriment de la cohésion sociale.

Le dialogue social n’a pas besoin d’un autre contrôleur officiel. Quoique la Commission dise n’avoir pas l’intention d’intervenir dans les systèmes de fixation des salaires, sa recommandation constitue pourtant une base possible pour le faire de toute façon dans un avenir proche.

Par exemple, son insistance quant au fait que les conseils de la compétitivité doivent être obligatoires et inscrits dans le droit national est significative en ce qu’elle dénote une approche légaliste de la compétitivité salariale. Dès lors, nous ne sommes plus qu’à un cheveu d’une fixation de normes salariales maximales juridiquement contraignantes pour la négociation collective ou d’une remise en question de la validité d’actions de grève relatives à des négociations en dehors des normes salariales fixées par le conseil de la compétitivité. Dans la même veine, l’annonce antérieure de la Commission selon laquelle son futur rapport d’avancement a pour but de déterminer « si l’adoption de modalités contraignantes s’avère nécessaire » est également ambiguë. Cette ambiguïté devient inquiétante lorsqu’on lit dans la communication de la Commission (« relative aux mesures à prendre pour compléter l'Union économique et monétaire ») qui l’accompagne que « si cela s'avère nécessaire au cours de la phase 2 (…) des principes communs à l'aide d'un instrument contraignant seront présentés ».

La CES rejette dès lors ces conseils de la compétitivité. De nombreuses institutions, telles que le FMI, l’OCDE, la Commission européenne et la Banque centrale européenne, existent déjà et fournissent les habituelles recommandations officielles en matière de politique salariale aux États membres. Nous n'acceptons pas une autre institution qui interfère avec l’autonomie des partenaires sociaux.

Définir correctement la notion de compétitivité. Salaires et coûts de la main-d’œuvre ne sont que deux éléments – et certainement pas les plus importants – d’une longue liste de facteurs influençant la compétitivité. Comme l’a montré une récente étude du FMI[2], ce qui alimente la compétitivité, ce sont l’innovation, les produits et services de qualité, la recherche-développement, l’éducation et la formation et la disponibilité de bonnes infrastructures et de bons réseaux publics. En outre, il peut être démontré que compétitivité et productivité augmentent dans les pays où existent un dialogue social fort ainsi que des relations économiques et sociales et une protection et une cohésion sociale solides.

Cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de concurrence mondiale comme c’est le cas dans la recommandation de la Commission (voir point 3 ci-dessus). Il est illusoire de penser que les États membres peuvent concurrencer des pays à bas salaires et des économies émergentes telles que la Chine en réduisant les salaires. Il est encore plus illusoire d’utiliser la politique salariale en lieu et place d’une politique de change pour compenser l’appréciation de l’euro. Cela ne fait que déprimer la demande interne et augmenter le risque de déflation.

La CES est inquiète que la recommandation affectera les organes existants disposant des mêmes tâches. Certains pays disposent d'institutions, parfois tripartites, avec un mandat plus large, et qui sont par exemple chargées de donner des analyses économiques. Il serait inacceptable que ces institutions soient réformées pour répondre à ces nouvelles conditions.

La CES s'oppose également à l'approche généralement technocratique de la Commission par rapport à la prise de décisions politiques, en d'autres mots au fait qu'il soit permis à de soi-disant experts indépendants d'être responsables de questions hautement politiques (également dans d'autres domaines comme "mieux légiférer"). Les employeurs et les travailleurs sont les premiers à être exposés à la compétition. Toute discussion sur la compétitivité devrait dès lors inclure les partenaires sociaux.

Exigences et propositions de la CES

Empêcher un élargissement de la mission par voie détournée en amendant le projet de recommandation. Ces conseils ne doivent en aucun cas être utilisés comme moyens d’affaiblir ou d’entraver la négociation collective, la fixation des salaires et le droit de grève. Pour empêcher que les conseils de la compétitivité ne soient transformés en « grands patrons » des salaires, le texte de la recommandation de la Commission doit être significativement amélioré et clarifié. La CES rédigera une liste restreinte d’amendements clés ayant pour but de modifier la recommandation. Ces amendements viseront à :

  • introduire une clause de sauvegarde des salaires solide et effective[3] dans le corps du texte pour tenter de prévenir les interférences dans la négociation collective, la fixation des salaires et le droit de grève ;
  • déplacer l’accent mis sur les salaires et les coûts de la main-d’œuvre en faveur d’une approche plus complète de la compétitivité, y compris les produits et services de qualité, l’innovation, la recherche-développement, l’éducation, les compétences, le climat social, les services, infrastructures et réseaux publics ainsi qu’un dialogue social fort, des relations économiques et sociales et une protection et une cohésion sociales solides ;
  •  retirer aux conseils leurs prérogatives juridiques et leurs fonctions consultatives pour ne garder que leur fonction d’analyse et d’information.

 


[1] Les présidents de la BCE, de l’Eurogroupe, du Conseil et du Parlement européen

[2] Les perspectives économiques mondiales du FMI d’avril 2015 indiquent que la déréglementation des marchés du travail n’a aucun impact sur les performances en matière de productivité tandis qu’investir dans la recherche-développement et l’éducation stimule la productivité.

[3] La notion de “clause de sauvegarde des salaires » inclut la nécessité de protéger la fixation du salaire minimum au niveau national et sectoriel ainsi que la négociation collective et se réfère à la réglementation européenne de 2011 sur les « déséquilibres macroéconomiques excessifs ». Dans cette réglementation, il est précisé que celle-ci doit être conforme à l’article 152 du Traité et tenir compte de la pratique et des institutions nationales en matière de fixation des salaires. Elle mentionne également (sur base de l’article 28 de la Charte des droits fondamentaux) que leur fonctionnement ne doit pas affecter le droit des travailleurs (…) à négocier et à conclure des conventions collectives au niveau approprié ou de mener des actions collectives en conformité avec la législation et les pratiques nationales. Un troisième élément d’une telle clause serait de faire référence à l’article 153-5 qui stipule que l’Europe n’a aucune compétence en termes de rémunérations. Ce troisième élément n’est toutefois pas explicitement repris dans la réglementation sur les déséquilibres macroéconomiques excessifs. Les deux premiers éléments de la clause de sauvegarde des salaires sont mentionnés dans le projet de communication mais uniquement au niveau des considérants et non dans le corps du texte, ce qui implique qu’ils ont peu voire aucune valeur juridique.