Déclaration de la CES sur le nouveau pacte sur la migration et l’asile

ETUC Secretariat 2019

Déclaration de la CES sur le nouveau pacte sur la migration et l’asile

Adoptée lors du Comité Exécutif extraordinaire du 9 février 2021

Le 23 septembre 2020, la Commission européenne a présenté le nouveau pacte européen sur les migrations et l’asile. Malheureusement, le Pacte n’a pas apporté de « nouveau départ » mais perpétue plutôt l’approche précédente axée sur la sécurité, en mettant l’accent sur le contrôle des frontières, la dissuasion, la détention et les expulsions, tout en laissant très peu de place ou en reportant des propositions dans le domaine de l’immigration régulière. Tout en reconnaissant que « la migration a été une constante dans l’histoire de l’humanité » et en affirmant l’engagement d’adopter une « approche plus humaine » de la migration, les propositions ne reflètent pas pleinement cette réalité.

La CES défend les droits de tous les migrants, y compris les demandeurs d’asile, les réfugiés et les migrants sans papiers. Elle demande à tous les États membres de respecter leurs obligations au titre de la Convention de Genève des Nations unies de 1951 et du protocole de 1967, de fournir une protection juridique aux demandeurs d’asile, et de ne pas renvoyer les demandeurs d’asile ou les réfugiés dans un pays où leur vie ou leur liberté sont gravement menacées. La CES exige également le respect de la Convention sur la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille ; de la Convention 143 de l’OIT sur les travailleurs migrants et de la Convention 97 de l’OIT sur les migrations pour l’emploi ainsi que du Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières (PMM).

La CES condamne ce Pacte car il permet aux États membres de violer ces conventions internationales. Il leur permet de soutenir des expulsions comme alternative à l’acceptation de leur responsabilité en matière de droits de l’homme par laquelle ces migrants pourraient demander l’asile dans leur pays. C’est une grossière perversion de langage que de qualifier ce système d’approche de « solidarité ».

La CES condamne les États membres qui cherchent à attiser la haine et la xénophobie à l’encontre des demandeurs d’asile, des réfugiés et des migrants en général, et condamne également ceux qui mettent en œuvre des politiques les privant de leurs droits. Cela a entraîné une discrimination, en particulier à l’encontre des personnes d’origine noire et des minorités ethniques, ce qui a encore renforcé le racisme structurel.

La CES estime qu’il est essentiel que le nouveau Pacte promeuve les droits de l’Homme universels et prévienne la souffrance et l’exploitation de tous les migrants, demandeurs d’asile, réfugiés et autres groupes vulnérables dans tous les pays, ainsi que la montée de la xénophobie et du racisme dans toute l’UE.

La CES est préoccupée par les éléments suivants :

  • La CES regrette que la Commission européenne n’ait pas été en mesure de faire preuve de leadership politique à travers ce Pacte. Elle aurait pu élaborer une approche commune et contraignante en matière d’asile et de migration qui garantisse que tous les États membres respectent le droit international des droits de l’Homme.
  • La CES regrette que le Pacte ne parvienne pas à créer une politique commune à l’échelle de l’UE, fondée sur les droits. Une politique qui garantisse que les États membres assument la responsabilité des demandeurs d’asile et qui réponde aux besoins des migrants. Au lieu de cela, il a succombé aux mouvements politiques anti-immigrants et aux États membres qui souhaitent traiter la migration et l’asile comme une question exclusivement nationale afin de continuer à restreindre l’accès à ceux qui demandent une protection internationale dans leur pays et de refuser les droits fondamentaux des migrants.
  • Le Pacte ne remédie pas à la principale lacune de l’actuel règlement de Dublin, qui permet aux États membres de refuser la responsabilité de la protection des demandeurs d’asile entrés dans l’UE dans un autre pays. Il ne fait qu’exprimer un intérêt de pure forme pour les États membres situés aux frontières de l’UE qui doivent assumer une responsabilité disproportionnée en termes d’accueil et de prise en charge des nouveaux arrivants.   
  • Refuser la protection internationale et leurs droits aux demandeurs d’asile, et plus généralement aux travailleurs migrants, ne fait qu’encourager les mauvais employeurs qui utilisent les demandeurs d’asile et les réfugiés, ainsi que les travailleurs sans-papiers et autres travailleurs précaires, comme main-d’œuvre bon marché — ce qui à son tour crée et fixe une division entre les travailleurs, et nuit aux conditions de travail et aux salaires de tous les travailleurs.
  • Refuser la protection des enfants, définis comme toute personne de moins de 18 ans (et non de 12 ans comme le propose la Commission européenne) et le droit au regroupement familial conformément au droit international contraignant et aux orientations qui s’y rapportent.
  • La CES craint que l’instrument de présélection et les procédures révisées aux frontières dans le Pacte n’entraînent la détention systématique d’un plus grand nombre de personnes dans des « hotspots » de l’UE et de la Turquie et dans des pays de transit tels que la Libye et le Niger, où leurs droits fondamentaux ne seront pas respectés. Le manque de ressources humaines et matérielles dans les services de traitement des demandes d’asile et les centres d’accueil, notamment dans les États membres frontaliers de l’UE, signifie également que les deux procédures accélérées ne seront pas respectées ou qu’elles empêcheront l’obligation internationale de traiter les demandes d’asile et les décisions de retour sur une base individuelle et équitable.
  • La CES condamne le fait que le Pacte cherche à renforcer la « forteresse Europe » par un renforcement massif de FRONTEX, l’Agence européenne des frontières et des garde-côtes, et par la création d’un poste de coordinateur général de l’UE pour les retours. Ces mesures empêcheront les demandeurs d’asile de se rendre dans les pays de l’UE pour y demander l’asile, elles obligeront les gens à emprunter des itinéraires encore plus dangereux et à compter davantage sur les passeurs pour obtenir une protection. Ces mesures légitimeront davantage le retour des demandeurs d’asile vers les pays où ils ont été persécutés.
  • La CES craint que le Pacte n’augmente la collecte invasive de données biométriques des demandeurs d’asile et des migrants, y compris les empreintes digitales, par le biais de la base de données EURODAC, ce qui augmentera le risque que des personnes soient victimes et persécutées.
  • Le Pacte menace d’empêcher la société civile de mener des opérations de recherche et de sauvetage, ce qui laisse entendre que la Commission travaillera avec les États membres pour veiller à ce que les navires privés ne nuisent pas à la « gestion des migrations ». Cela est contraire au droit maritime international et à la tradition maritime de longue date, qui stipulent que tout capitaine de navire a le devoir de sauver les personnes en détresse en mer.  
  • Il n’y a pas de nouvelles propositions sur la migration régulière. La CES regrette que la migration de main-d’œuvre ait été placée dans le contexte de la nécessité pour l’UE d’« attirer les talents et les compétences ». Néanmoins, la reconnaissance de la nécessité de mieux protéger les travailleurs migrants contre toute exploitation est la bienvenue.
  • La CES est préoccupée par la proposition d’une réserve de talents de l’UE pour les travailleurs qualifiés de pays tiers souhaitant venir dans l’UE, qui servirait de plate-forme à l’échelle de l’UE pour le recrutement international. Notamment, parce que la fuite des cerveaux ne peut être qualifiée de bonne coopération avec les pays d’origine.
  • La CES s’inquiète du manque d’attention de l’UE pour le PMM, qui n’est même pas mentionné une seule fois dans le texte du pacte. Le PMM est la première tentative d’aborder la gestion efficace des migrations dans une perspective multilatérale. La CES considère le Pacte mondial comme un cadre utile pour explorer les mécanismes de gouvernance des migrations internationales impliquant les pays d’origine, de transit et de destination et mettant l’accent sur le respect des droits de l’homme et le travail décent.
  • Les propositions ne proposent pas de mesures ciblées pour refléter pleinement la dimension de genre de la migration et la position vulnérable des mineurs non accompagnés et des enfants avec leur famille.

La CES exige une approche universelle des droits de l’Homme avec les éléments suivants :

  • La CES demande à tous les États membres de respecter leurs obligations en vertu des conventions internationales sur les droits de l’Homme et du travail.
  • Une augmentation significative des canaux sûrs et réguliers pour les demandeurs d’asile grâce à un système d’asile européen commun basé sur des services publics chargés de l’asile suffisamment nombreux et formés, notamment dans les États membres frontaliers de l’UE.
  • Une véritable révision du règlement de Dublin — l’UE devrait être reconnue comme un territoire unique, conformément au droit international, aux fins de la protection des demandeurs d’asile.
  • Un engagement contraignant des États membres en faveur d’une répartition équitable des demandeurs d’asile.
  • Tous les États membres doivent soutenir l’assistance aux personnes en détresse en mer et respecter pleinement le droit international à cet égard. La Commission doit lancer des procédures d’infraction contre les États membres qui ne respectent pas leurs obligations juridiques internationales en matière de soutien et d’assistance aux personnes en détresse en mer. Les États membres doivent veiller à ce que les services de recherche et de sauvetage (publics ou privés) disposent de moyens et de ressources suffisants pour garantir l’assistance et la sécurité de toutes les personnes en détresse ainsi que la protection des sauveteurs.
  • Une régularisation des personnes en situation précaire ou irrégulière.
  • Les demandeurs d’asile doivent se voir accorder le droit de travailler dans tous les États membres. Il faut s’assurer — avec la participation des employeurs et des syndicats — que tous les demandeurs d’asile, réfugiés et travailleurs migrants reçoivent un traitement décent au travail. Cela est essentiel pour renforcer la solidarité entre les travailleurs et garantir un traitement égal et des opportunités égales pour tous les travailleurs. La CES a démontré que l’accès au travail à des conditions égales et la possibilité de faire valoir ses droits au travail sont essentiels pour parvenir à une pleine reconnaissance des droits de l’Homme universels, y compris le droit à la citoyenneté.
  • Un engagement clair des États membres à garantir que les droits de l’Homme fondamentaux des demandeurs d’asile et des migrants soient appliqués et protégés à tout moment, y compris l’accès à un logement sûr, à l’information (dans une langue qu’ils peuvent comprendre), aux services sociaux et de santé et à la justice.
  • Une transparence totale, une supervision démocratique et un contrôle de l’agence européenne FRONTEX pour empêcher les violations des droits fondamentaux et les rétorsions illégales.
  • Une coopération entre les gouvernements et les partenaires sociaux de l’UE et des pays tiers, en particulier dans les pays méditerranéens, les pays voisins de l’Est et les pays subsahariens, pour lutter contre les causes structurelles de la migration forcée.
  • Développer des voies de migration régulière de la main-d’œuvre pour entrer dans l’UE.
  • Renforcer la coopération (politique et économique) avec les pays d’origine afin de consolider l’économie nationale, fournir une assistance en matière d’éducation et de formation (professionnelle), d’administration des États, etc.

Les actions de la CES

  • La CES appelle les députés européens à soutenir ces principes et à faire pression pour une approche de l’asile et de la migration qui soit fondée sur les droits de l’Homme, la solidarité et l’accès aux services publics, tels que les administrations chargées de l’asile, les soins de santé, le logement décent et l’éducation.
  • La CES soutiendra les activités de ses membres visant à syndicaliser tous les travailleurs migrants — y compris les demandeurs d’asile, les réfugiés et les sans-papiers — et à leur donner les moyens de participer aux négociations collectives au sein des syndicats. Ainsi, elle veillera à ce que tous les travailleurs, quel que soit leur statut d’immigration ou leur nationalité, soient traités sur un pied d’égalité et que les droits de l’Homme universels soient respectés.
  • La CES travaillera avec les principales parties prenantes de la société civile sur des stratégies communes à moyen et long terme.
  • En ce qui concerne la migration de la main-d’œuvre, la CES suivra attentivement le développement des « partenariats pour les talents » dans le voisinage de l’UE, dans les Balkans occidentaux et en Afrique et contribuera à la consultation publique sur l’avenir de la politique de migration régulière de l’UE, qui doit être fondée sur les droits syndicaux et le recrutement éthique.
  • La CES suivra l’évaluation de la Directive sur les sanctions à l’encontre des employeurs et le rôle éventuel de l’Autorité européenne du travail pour assurer sa mise en œuvre efficace, comme le prévoit le Pacte, afin de s’assurer que celle-ci se concentre sur le développement de mécanismes de plainte efficaces.
  • La CES suivra le nouveau Plan d’Action sur l’intégration et l’inclusion pour 2021-2024 et continuera à défendre le droit au travail, la négociation collective, l’intégration au marché de travail et l’accès à la protection sociale des migrants et réfugiés. La Commission a reconnu dans le Pacte le rôle clé que jouent les syndicats dans l’intégration des migrants sur le marché du travail, suite au renouvellement du Partenariat européen pour l’intégration.