Discours prononcé par Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats Réunion informelle EPSCO

Président,

 

Merci pour votre invitation.

 

Nous allons parler du dialogue social et de la contribution que ce dialogue peut apporter à la construction d'une Europe meilleure pour ses habitants. C'est l'objectif du traité : une Europe qui améliore les conditions de vie et de travail des européens.

 

Pour que le dialogue social puisse remplir cette fonction il faut qu'il soit pris au sérieux. Et le président Juncker semble vouloir le prendre au sérieux. Et vous, ministres du travail de l'Union européenne vous voulez aussi, je n'en doute pas, le prendre au sérieux.

 

Pourtant nous avons des doutes.

 

Si le dialogue social est pris au sérieux, les accords signés entre les partenaires sociaux européens doit avoir un impact sur la vie des travailleurs concernés.

 

Or la Commission semble vouloir se désintéresser des accords signés au niveau européen. Ou tout du moins refuser de prendre les mesures pour que les accords signés par les deux parties, employeurs et syndicats aient un effet sur les travailleurs concernés.

 

Lorsque un accord est signé pour un secteur, et un exemple est l'accord signé par les partenaires sociaux du secteur de la coiffure, un accord maintenant revu est en conformité avec les traités.  Il a comme objectif précis de protéger la santé des travailleurs, pourquoi la Commission oppose-t-elle une fin de non-recevoir et refuse-t-elle l'extension de cet accord à tous les travailleurs -en l'occurrence souvent  des travailleuses concernés?  Au nom de quoi? Certainement pas au nom de l'importance accordée au dialogue social. L'article 155 du traité doit être respecté dans son esprit. On ne peut pas mettre en avant l'importance du dialogue social et, en même temps, faire ce qu'il faut pour que les résultats de ces dialogues soient marginalisés.

 

Si la Commission prend le dialogue social au sérieux pourquoi a-t-elle l'intention de soumettre les accords des partenaires sociaux à une consultation publique ?  Nous savons qu'une telle évaluation d'impact est prévue par la prochaine communication de la Commission sur Refit.

 

Est-ce que l'un de vous, mesdames et messieurs les ministres pourriez envisager sérieusement de soumettre une convention collective à une évaluation dans votre propre pays?

 

Nous sommes choqués et fondamentalement opposés au traitement que la Commission envisage de mettre en place pour les accords, sectoriels ou non.

 

Mesdames et messieurs les ministres. Demandez à la Commission de revoir sa copie. C'est essentiel si vous voulez que nous continuions à vous croire lorsque vous soulignez l'importance du dialogue social.

 

Encore une précision sur le dialogue social. Et une précision d'importance.

 

Pour nous les partenaires sociaux sont les organisations syndicales représentatives et les organisations d’employeurs représentatives qui ont la capacité de signer des conventions collectives.

 

C'est la condition pour qu'on puisse parler de dialogue social.

 

La société civile est, bien entendu, représentée de plusieurs autres manières, notamment par des organisations non gouvernementales.  Leur travail est d’alerter sur des situations ou des politiques, mais les ONG ne sont pas des partenaires sociaux qui peuvent négocier.

 

C’est important de le préciser.

 

La représentation des travailleurs et des employeurs par des organisations syndicales et la négociation est essentielle à la vie démocratique d’un pays.  Et seules les organisations syndicales et patronales sont en prise directe avec la vie et les conditions de travail des gens.

 

Vous nous demandez si  les partenaires sociaux ont un rôle à jouer pour faire que le marché du travail soit favorable à l’emploi et à l’emploi de qualité.

 

La réponse est oui, bien entendu.

 

Cela dépasse la négociation en entreprise.  Jouer ce rôle exige une structuration nationale sectorielle et interprofessionnelle.

 

Cette structuration nationale interprofessionnelle et sectorielle a été activement affaiblie par les politiques européennes au cours de ces dernières années.

 

Ces dernières années ont vu l'augmentation de la précarisation de l’emploi, une augmentation du temps partiel, des faux indépendants, des pauvres au travail.  C’est ce que l’on appelle souvent la segmentation du marché du travail. 

 

Nous n’acceptons pas qu’il y ait des travailleurs de première classe et des travailleurs de troisième classe.  Nous voulons que chaque personne qui travaille puisse avoir un travail décent, suffisamment rémunéré pour lui permettre de vivre de son travail. 

 

Nous sommes pour l’égalité des conditions de travail. 

 

Surmonter la segmentation des conditions de travail cela ne veut pas dire que l’égalisation sur le marché du travail doive se faire vers le bas.   Car, évidemment, si on voulait supprimer la segmentation du marché du travail on pourrait décider que la précarité universelle est la solution.

 

Et, bien sûr, ce n’est pas la solution.  Pour plusieurs raisons :

 

La précarité et les bas salaires ne sont pas la solution car ils ne participent ni de la croissance ni de la compétitivité des entreprises.   Ai-je besoin de développer cette idée?  Est-ce que chef d'entreprise peut motiver un travailleur dont le contrat est plus qu'incertain et qui gagne un salaire qui ne lui permet pas de vivre dignement? La réponse est non.

 

Baisser la protection du travail n’est pas la solution car moins le travail est protégé, plus on crée d’inégalités, de pauvreté, de ressentiment social;  plus la cohésion sociale est affectée.  Et sans cohésion sociale, sans stabilité, il n’y a pas de compétitivité possible.

 

Baisser la protection sociale c’est aussi attiser le sentiment que tout est fait pour une certaine catégorie de citoyens, que tout se passe dans l’intérêt du « business », du succès des entreprises et non dans l’intérêt de ceux et celles qui y participent. 

 

Cela est, et est perçu comme une injustice fondamentale qui mène à des réactions non moins fondamentales.

 

Je n’ai pas besoin de vous donner d’exemple.  Regardez vers la Grèce, vers l’Espagne et voyez comment une politique qui a fait porter tout le poids de l’effondrement du secteur financier sur les gens normaux a suscité d’antagonismes et de ressentiments envers l’Union européenne. 

 

Pour éviter la segmentation du marché du travail il faut garantir le droit à un travail décent et de qualité pour tous.  Au contraire, la Commission européenne propose de supprimer l'objectif de la qualité de l'emploi des lignes directrices (intégrées). Pour nous les recommandations spécifiques par pays devraient prendre en compte la qualité du dialogue social.

 

Je ne vois pas de programme de la Commission qui permette de me rassurer sur les moyens mis en œuvre pour atteindre cet objectif.

 

Ces dernières années nous avons vécu des réformes structurelles intenses à plus ou moins grande échelle selon les pays.  Ces réformes étaient censées faire diminuer le chômage et faire redémarrer l’économie.  Le résultat est plus qu’incertain.  La reprise de l’emploi est très hésitante, quand elle existe, et elle va de pair avec une baisse des revenus du travail.

 

L’argument qui est mis en avant est que, pour être compétitif, nous devons nous faire concurrence entre nous, et avec le monde entier, et nous faire concurrence sur tout.  Sur les salaires, sur les règles de santé et de sécurité, sur la protection de l’emploi, sur la représentation des travailleurs, sur les règlements des conflits.

 

Dit autrement il faudrait baisser les salaires, assouplir la protection de l'emploi et les règles de santé et sécurité, toucher aux règles d'information et de consultation des travailleurs pour être plus compétitif. 

 

Est-ce le message des ministres du travail? Je ne le pense pas. Mais alors il est essentiel de faire entendre votre voix et cela très clairement.

 

En même temps on nous dit – avec raison – que la compétitivité va de pair avec un haut niveau de qualification et de formation, avec une orientation vers les hautes technologies, avec des services publics performants, avec des infrastructures de communications et de transport efficaces, avec une utilisation soutenable des ressources naturelles.

 

Comment faire tout cela si on réduit les salaires, la protection de l'emploi, la confiance que les travailleurs ont dans leur avenir?

 

Nous pensons que construire la compétitivité sur une course vers le bas est un cul de sac, une impasse.  Ce n’est pas ainsi que nous nous sortirons de nos problèmes. 

 

Il y des contradictions flagrantes dans la rhétorique communautaire. Il y a la rhétorique qui reconnaît qu'une amélioration des qualifications et des compétences sont essentiels à la compétitivité et la cohésion sociale et d'autre part les recommandations par pays, prônent  une réduction de la protection du travail et des salaires, d’autre part elles appellent à plus de formation pour plus de compétence.

 

Vous nous demandez s'il doit y avoir un arbitrage entre cohésion sociale et compétitivité. Je n'en vois aucun.  La cohésion sociale est une condition essentielle de la compétitivité. 

 

Est-ce à dire qu’il n’y ait rien à négocier, et que toutes les conditions de travail doivent rester ce qu’elles étaient avant?

 

Non.  Le monde change, les technologies de l’information changent la façon de travailler, les femmes veulent et doivent être intégrées au monde du travail, tous, hommes et femmes veulent un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie familiale, chacun reconnaît que les restructurations exigent plus de formation.  La crise économique réclame des solutions justes et négociées.  Donc, nous ne sommes pas pour le status quo, mais pour des négociations qui n’ont pas pour prémices que le travail coûte trop cher, qu’il est trop protégé. 

 

Nous sommes pour des négociations thématiques dont le résultat soit clairement juste pour les deux parties, mais, en ce qui me concerne, bien sûr, pour les travailleurs.  Et cette justice a complètement fait défaut dans les années précédentes. 

 

Les conventions collectives sont un facteur redistributif important, un facteur de cohésion sociale. Ce n'est pas seulement moi qui le dis, mais le fonds monétaire international.

 

Je pense que nous devons tous bien réfléchir à la société que nous construisons pour aujourd'hui et demain. Notre responsabilité n'est pas technique. Elle est politique. Pour qui agissons-nous? Croyons-nous que servir les intérêts commerciaux ou les intérêts du business serve per se les intérêts de tous? Nous ne le croyons pas.

 

Il est grand temps de reprendre la main et de remettre les choses à leur place. C'est le politique qui doit commander. Pas la finance.

 

C'est le message de la CES à celles et ceux qui ont pour tâche de poser les jalons d'une société juste et égalitaire aujourd'hui et demain.

 

 

22.04.2015
Discours