Discours de Bernadette Ségol au Congrès de la FSESP (Uniquement en français)

Source: EPSU

Discours de Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES)

[Le texte prononcé fait foi]

 

Chère Anne-Marie, chère présidente, chère Carola,

Chers et chères camarades,

 

Je suis heureuse d'être parmi vous aujourd'hui dans une ville que je connais bien, dans laquelle j'ai passé cinq années de ma vie.  Je suis née dans cette région à Cahors, à 120 kilomètres d'ici.

 

Les événements en Ukraine et la guerre dans l'ancienne Yougoslavie doivent nous remettre les choses en mémoire.  L'Europe que nous connaissons est le résultat de deux guerres terribles, d'un nationalisme aveugle, d'un fascisme et d'un totalitarisme barbare.

 

L'Europe est plus que simplement l'Union européenne (UE).

La Paix et la coopération dans l'Europe toute entière est ce que nous voulons.

 

Aux va-t-en-guerre nous disons:

Vos tanks, mettez-les au garage.

Détruisez vos kalachnikovs,

Trouvez des tables et des chaises, asseyez-vous et négociez.

 

Les frontières entre les pays de l'UE ne sont pas des lignes de démarcation.  Ce sont des frontières ouvertes.

 

C'est devenu une banalité pour nous, dans notre quotidien, quelque chose à quoi nous sommes habitués.  Comme d'ailleurs nous nous sommes habitués à beaucoup d'autres choses que l'Europe nous a données.

 

Pourtant l'UE apparaît de plus en plus souvent comme une construction institutionnelle, de plus en plus éloignée des citoyens.

 

L'Europe a besoin d'une piqûre de rappel, d'un nouvel élan et d'une autre politique.

 

Alors, qu'est-ce qu'il faut faire?

 

La démocratie, la solidarité, le progrès social sont les fondations de l'Europe.

 

La cure drastique de néo libéralisme, et le cri de ralliement: "austérité", ne vont pas guérir le patient. 

 

Depuis que les politiques d'austérité ont été mises en œuvre, c'est d'abord vos membres qui ont payé la note. C'est vous qui étiez en première ligne.

 

Quand il a fallu faire baisser le déficit public, on a supprimé des postes dans la fonction publique et baissé les salaires des fonctionnaires ou des agents de l'état.

 

Les pays en crise ne s'en sortent pas.

 

Le chômage, la précarité, la pauvreté au travail sont en augmentation.

 

Les systèmes de protection sociale sont affaiblis.

 

Un nombre de plus en plus grand d'hommes et de femmes ont un accès limité aux soins de santé.

 

De plus en plus de jeunes quittent les bancs de l'école pour s'assoir sur les bancs publics.

 

Vingt-six millions d'hommes et de femmes sont au chômage; c'est dix millions de plus qu'en 2008.  Si le chômage était un état, ce serait le septième état de l'UE.

 

La précarité s'est développée.  Au Royaume-Uni, dans le secteur du soin, trois cent mille personnes ont des contrats zéro heure. 

 

En Allemagne, les mini jobs ont fait sept millions de pauvres au travail.

 

Il faut que les politiques, les financiers, les économistes qui dirigent arrêtent de considérer le chômage et la précarité comme un sous-produit nécessaire de la crise financière.

 

C'est malheureusement ce qui est en train de se passer.

 

Non, nous, syndicats, nous ne nous satisferons jamais du chômage, de la précarité, de la pauvreté au travail.

 

Nous ne sommes pas naïfs ou stupides: nous ne disons pas que dette et déficits sont des vertus.

 

Nous disons que l'avenir de l'Europe, la réduction de la dette et des déficits dépend d'investissements pour créer la croissance et l'emploi.

 

Des investissements dans les infrastructures, la recherche et le développement,

 

Dans l'éducation, la formation, les hautes technologies et l'environnement,

 

Dans les soins de santé et les services publics.

 

De là viendront les emplois et la stabilité.  C'est cela qui remettra le modèle social européen sur les rails.

 

Nous avons fait des propositions.  Il faut les faire progresser à tous les niveaux: européen, national sectoriel, régional et des entreprises.

 

Nous exigeons que le secteur financier contribue à rétablir les finances publiques.

 

La taxe sur les transactions financières doit devenir une réalité.

 

Ça, ça améliorerait les finances publiques.

Ça serait un plus pour la justice sociale et un moins pour la spéculation financière.

 

Il faut stopper la spéculation financière et remettre la finance à sa place: au service de l'économie réelle, au service des gens.

 

Aujourd'hui, ce qui est sur la table de 10 gouvernements de la zone euro est une sorte de taxe sur les échanges d'actions, mais ce n'est pas une taxe sur les transactions financières.

 

On n'est pas arrivés à nos fins avec cette taxe-là.

 

Quand nous disons que le coût de la crise est placé sur les épaules de ceux qui ne l'ont pas causée, nous, syndicats, n'utilisons pas un argument populiste.

 

Si tu es au chômage, tu as tiré la mauvaise carte.  Mais, et c'est un comble, si tu es une mauvaise banque, alors tu as tiré la bonne carte, puisque alors on va te sortir d'affaire.

 

Aujourd'hui encore, le système financier tire ses marrons du feu et se fait de l'argent sur la crise.

 

Plutôt que de relancer l'industrie financière, il faudrait mieux relancer la politique sociale en Europe.

 

La fraude fiscale, l'évasion et l'évitement fiscal sont inacceptables. Et bien trop peu a été fait contre cela.  1000 milliards d'euros sont perdus chaque année pour les caisses de l'état.  Le rapport récemment présenté par la commission économique du Parlement européen mérite d'être utilisé pour réaligner les politiques européennes.

 

Les prochaines élections auront lieu le 25 mai. 

L'UE se veut démocratique; mais cette démocratie doit se mesurer à l'aune des compétences données au Parlement européen.

 

Et cela inclut la décision de savoir qui sera Président de la Commission européenne.  Ce sont les citoyens européens qui doivent faire ce choix.  Pas les chefs d'Etat et de gouvernement dans leurs discussions de corridors.

 

Des progrès ont été faits;  mais il y a beaucoup de marge pour donner au Parlement sa vraie place.

 

Ce que nous voulons, c'est une Europe des citoyens, et c'est beaucoup plus qu'une Europe des gouvernements.

 

Pour arriver à cela, nous avons besoin d'un syndicat européen, d'une Confédération européenne des syndicats forte et intégrée. 

 

On ne fait pas ça du jour au lendemain. Il faut du temps.  Mais attention que le temps ne coure pas plus vite que nous.

 

Les chefs d'état et les ministres doivent sortir du bunker dans lequel ils prennent leurs décisions.

 

Les négociations sur l'accord commercial avec les USA - le "TTIP"- doivent être suivies dans la transparence et soumises à une décision parlementaire.

 

Des points tels que l'exclusion des services publics de cet accord, le respect des normes sociales, et des droits sociaux et de la propriété intellectuelle ne sont tout simplement pas négociables.

 

C'est un dossier prioritaire pour la CES qui doit coordonner les positions syndicales.

 

Les résultats des élections récentes et les tendances dans certains Etats membres sont alarmants.

 

De plus en plus d'hommes et de femmes se laissent entraîner par des idéologies du passé.

 

Ces idéologies veulent revenir en arrière, et à nouveau séparer l'Europe en pays divisés par des frontières difficiles à franchir.

 

Des idéologies racistes et xénophobes envahissent l'espace public.

 

Le Front national en France demande que la France quitte la zone euro et rétablisse des frontières.  Le parti de l'indépendance au Royaume uni demande que ce pays quitte l'Union européenne.

 

D'autres, à droite de l'échiquier politique, veulent éliminer la liberté de circulation des travailleurs.

 

Chers amis et chers et chères camarades

 

Que serions-nous sans vous?

Sans infirmières, sans éboueurs, sans pompiers, sans services fiscaux, sans inspecteurs du travail, sans administrations locales?

 

Sans services publics il ne fait pas bon vivre.

 

Sans services publics, pas d'égalité.  Permettez-moi  une remarque personnelle.

Sans services publics - dans mon cas les services publics belges - je ne serais pas ici à vous parler aujourd'hui.  Pour pouvoir travailler et assumer un rôle dans  le mouvement syndical européen, avec mes quatre enfants, j'ai eu besoin de crèches où je laissais mes enfants en confiance, d'hôpitaux, de services d'urgences.

 

Merci donc aux syndicats des services publics belges, et à vous tous qui travaillez pour une société plus juste, et plus digne.

 

Avec la protection sociale, et avec les relations industrielles, les services publics sont une pierre angulaire du modèle social européen. 

 

Nous devons être fiers de ce modèle. Il n'est pas un modèle du passé; il est, au contraire, un modèle progressiste que beaucoup nous envient.

 

Les sociétés les plus prospères et les moins inégalitaires en Europe ont les meilleurs services publics.

 

Un certain nombre de préjugés ont la vie dure. Non: la privatisation n'assure pas l'efficacité.

 

Pourtant la Commission européenne continue à s'accrocher à l'illusion que le privé c'est mieux.

 

Non: privatiser l'eau n'est pas la solution. Oui: l'eau est un bien public.

 

Félicitations à vous pour votre initiative citoyenne magnifiquement réussie.  Je déplore la réponse réticente de la Commission. Mais votre succès est réel et mérite d'être salué.

 

Une autre idée dangereuse veut que les services publics soient un luxe, un luxe coûteux, que nous ne pouvons plus nous permettre. C'est faux.

 

Les services publics sont partie intégrante d'une bonne société, d'une société compétitive et juste.

 

Vous défendez la bonne société, la société de l'avenir.

 

Chers amis, chères amies,

 

Permettez-moi, à la fin de mon intervention d'adresser quelques mots à Carola.

 

Nous nous connaissons depuis tellement de temps que je me refuse à compter les années. Il me semble, Carola, mais tu dois confirmer les images que j'ai dans ma tête, que lorsque nous nous somme rencontrées, tu avais les cheveux longs.

 

Vrai? (Non, fait-elle signe).  Mes souvenirs m'ont donc trompée.

 

Nous avons suivi des chemins parallèles, mais qui allaient dans la même direction. 

 

Par tous les temps, nous avons battu le pavé de villes européennes dans des euromanifs.

 

Ces euromanifs ont sans doute contribué à renforcer le mouvement syndical européen;  en tous cas, elles ont certainement renforcé notre bonne santé.

 

Je voudrais dire ici que j'ai eu avec toi une relation de confiance.  Ce n'est pas un mince compliment, Carola. 

 

Je suis convaincue que, sans confiance, rien ne se construit, rien n'avance.

 

C'est vrai au sein du mouvement syndical, comme dans la vie personnelle.

 

Merci pour la confiance que tu m'as accordée.

 

Tu as contribué à renforcer la CES.  Tu l'as critiquée, parfois même sévèrement, mais tu ne l'as jamais négligée, ou ignorée.  Les services publics font partie intégrante du syndicalisme européen, certainement aussi grâce à toi.

 

Merci aussi pour le travail de fond, le travail de longue haleine que tu as fait pour conduire ton organisation là où elle est aujourd'hui.  Tu peux, tu dois, en être fière.

 

Je te souhaite bon vent. 

 

Et à vous tous et toutes un très bon congrès.

23.05.2014
Discours
Vingt-six millions d'hommes et de femmes sont au chômage; c'est dix millions de plus qu'en 2008. Si le chômage était un état, ce serait le septième état de l'UE.
La précarité s'est développée. Au Royaume-Uni, dans le secteur du soin, trois cent mille personnes ont des contrats zéro heure.
En Allemagne, les mini jobs ont fait sept millions de pauvres au travail.





C'est un dossier prioritaire pour la CES qui doit coordonner les positions syndicales.