Congrès ordinaire de l'OEGB-L - Discours de Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la CES

[Le texte prononcé fait foi]

 

 

Président,

Cher(e)s collègues,

 

Merci pour cette invitation à participer à votre Congrès.

 

Je vous apporte le soutien chaleureux et amical des membres de la Confédération européenne des syndicats.

 

Les dernières années ont été des années très dures pour nos affiliés, des années de crise. Plus de 25 millions de chômeurs, augmentation des inégalités et de la pauvreté, diminution de la protection sociale.  La crise n'a pas touché tous les pays européens de manière égale. Nous sommes tous conscients des difficultés auxquelles sont confrontés nos collègues syndicalistes d’Europe méridionale.

 

En Grèce, les revenus ont, en moyenne, baissé de 30%. Au Portugal, alors qu’avant la crise, 1.500.000 travailleurs étaient couverts par des conventions collectives, ils ne sont plus que 300.000 aujourd'hui. En Espagne, plus de 50% des jeunes sont au chômage et cherchent à quitter leur pays.

 

Partout où l'austérité a régné, la précarité, les inégalités et la pauvreté ont augmenté. 

Dans de nombreux pays, les syndicats et la négociation collective ont été attaqués et affaiblis.

 

Nous devons le répéter: sans syndicalisme libre, il n'y a pas de démocratie.

 

Les meilleurs sociétés, les sociétés les moins inégalitaires, les sociétés les plus stables sont les sociétés où les syndicats sont les plus forts. 

 

Ces pays sont aussi ceux qui sont les plus compétitifs. 

 

Et le Luxembourg et l'OEGLB en fait partie.

 

Je félicite l'OEGBL pour ses succès dans la négociation, succès sur le salaire minimum, sur la protection des frontaliers, sur la couverture des chômeurs, et la protection sociale.

 

L'OEGBL est un laboratoire syndical.  Vous avez prouvé que l'intégration culturelle et sociale est possible.

 

Je suis une femme à la tête de la Confédération européenne des syndicats, et je le dis ici, un syndicat fort fait une juste place aux femmes dans ses politiques, dans ses structures et dans son leadership.

 

Président, chers amis,

 

Il faut le rappeler, la crise n'a pas été causée par les travailleurs.

 

La crise a été causée par un capitalisme casino et la spéculation, par les banques et leur insatiable appétit pour le risque, l’affairisme et le profit. Et pourtant, ce sont les travailleurs qui font tourner l’économie réelle qui en ont payé le prix comme l’a exigé une irresponsable « troïka » de décideurs dépourvus de toute légitimité démocratique.

 

Dans aucun cas, ce n'est le capitalisme casino qui a payé les pots cassés.

 

Ceux et celles qui les ont payés, ce sont les hommes et les femmes que nous représentons, les citoyens ordinaires.

 

Cette troïka, c'est-à-dire la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et la Commission européenne, ont imposés des politiques économiques et sociales néfastes et rigides, les politiques d'austérité.

 

Mais il faut bien reconnaître que cette troïka était – et est d'ailleurs toujours – porteuse de l'idéologie et des politiques néolibérales que les gouvernements de l'Union européenne voulaient voir appliquées, même quand, comme chez vous, la situation ne le justifie pas du tout !

 

Pour eux, les libertés économiques, c'est-à-dire le libre marché, doivent pouvoir s'exercer sans entrave. 

 

Cela veut dire que la concurrence doit s’appliquer à toutes les composantes de la vie économique, y compris les salaires, y compris les services publics, y compris la santé, y compris la protection sociale.

 

Et nous comme vous, syndicats, disons non !

 

Non, le véritable avenir de nos pays, l'avenir de l'Europe, n'est pas de détruire toutes les choses positives qui ont été accomplies au cours des 60 dernières années.

 

Se faire concurrence sur tout, c'est créer du dumping social, provoquant un cercle vicieux vers le bas. Le dumping social divise les travailleurs et alimente mécontentement et désespoir – la sorte de mécontentement et de désespoir qui minent actuellement l’avenir de l’Europe.

 

Et la CES, avec vous, dit non au dumping social, non à la concurrence salariale vers le bas, non au travail précaire,

 

et oui au travail décent et à une juste rémunération.

 

Nous continuerons à exiger des mesures fortes dans toute l’Europe pour bannir le dumping social et assurer que les droits fondamentaux passent avant les libertés économiques.

 

Président, chers amis,

 

Comme tu l’as déjà dit, cher Jean-Claude, il est économiquement faux et socialement injuste de vouloir renforcer la pression fiscale sur les ménages à petits et moyens revenus. C'est exactement l'inverse qu'il faudrait faire.

 

Les perspectives économiques ne sont pas bonnes : la croissance est en berne, y compris en Allemagne.  La déflation menace.  Les politiques menées n'ont pas fonctionné.  L'austérité n'a pas fonctionné.  Les réformes du marché du travail ont affaibli la protection des travailleurs, mais elles n'ont pas fonctionné.  Pourquoi s'obstine-t-on à continuer les mêmes politiques? 

 

Pourquoi?  Sinon parce qu'il y a derrière une idéologie mercantiliste, néolibérale, qui a eu pour résultat ce que nous connaissons, la catastrophe financière de 2008, et les menaces sur le modèle social européen.

 

Et en fait, aujourd'hui, on commence à prendre la mesure de l'évitement fiscal et de l'évasion fiscale pratiqués par les sociétés multinationales !

 

Des enquêtes ont révélé que Pepsi, IKEA, Coach, Amazon et quelque 340 autres entreprises internationales ont conclu des accords secrets avec le gouvernement luxembourgeois leur permettant de radicalement réduire le montant total de leurs impôts.

 

Des centaines de lettres dites « de confort » qui, en réalité, sont des accords privés préalablement négociés par de grands groupes internationaux d’audit financier, ont permis aux entreprises de soustraire aux autorités fiscales des milliards d’euros d’impôts en faisant transiter leurs bénéfices par le Luxembourg.

 

Certaines d’entre elles ont ainsi bénéficié de taux d’imposition de moins d’1% !

 

De tels accords ont été de très peu d’utilité pour les travailleurs et les emplois locaux ! Dans de nombreux cas, des filiales luxembourgeoises gérant des centaines de millions d’euros n’ont pratiquement aucune activité économique au Luxembourg. On a ainsi trouvé une seule adresse regroupant plus de 1.600 entreprises !

 

Il est temps de mettre fin aux paradis fiscaux !

La répression de l’évitement fiscal pratiqué par les sociétés multinationales se fait attendre depuis longtemps. Chaque année, l’Europe perd quelque 1.000 milliards d’euros de recettes fiscales qui devraient être investies dans des emplois de qualité et les services publics.

 

Les inégalités augmentent partout dans le monde et toute la richesse est concentrée dans les mains d’une toute petite minorité.

 

Comment peut-on demander aux travailleurs de payer alors que Google, Amazon, et Starbucks ne paient rien ou presque ?  Les multinationales doivent payer leur juste part et leurs impôts là où elles font leurs bénéfices.

 

Et ce ne sera pas non plus un pays enchanté pour les gens ordinaires si le nouveau programme d’austérité de votre gouvernement entre en vigueur.

 

Mais le Luxembourg n’est pas le seul à encourager cette évasion fiscale. Il y en a d'autres.

 

Alors nous sommes en colère. 

 

Les syndicats, à tous les échelons, refusent cette injustice et essaient de changer les choses.

 

Président, chers amis,

 

Il ne suffit pas de dénoncer et de s'opposer.

 

Nous avons, nous devons faire des propositions.

 

Et nous les avons faites.

 

Nous avons mis sur la table un plan d'investissement ambitieux, de 2% du PIB par an pendant dix ans.

Avec ce plan, nous pourrions revitaliser l'industrie européenne, avoir un développement soutenable, devenir le fer de lance d'une nouvelle croissance.

 

Avec ce plan quelque 11 millions d'emplois pourraient être créés.

 

Nous avons proposé un contrat social pour l'Europe, fait de bonne gouvernance économique, de dialogue et de négociation et d'un droit social européen.

 

Nous ne sommes pas contre le projet d'Union européenne, mais nous avons une autre vision de l'intégration européenne et nous nous battons pour la faire valoir.

 

La semaine passée, le nouveau Président de la Commission, Jean-Claude Juncker, a annoncé son programme d’investissement avec un plan de 315 milliards d'euros sur trois ans. Mais ce n'est pas à la hauteur de la demande de la CES, et nous restons sceptiques.

 

Je me réjouis de toute tentative d’accroître les investissements qui favoriseraient la création d’emplois, mais je doute que les 21 milliards d’euros de M. Juncker suffissent à lever les 315 milliards d’euros espérés. 

 

La Commission européenne semble compter sur un miracle financier comme celui de la multiplication des pains.

 

Il est inutile de retenir son souffle et de s’attendre à un impact significatif sur la croissance ou le chômage. Il faudra en faire bien davantage pour relancer l’économie en Europe. J’appelle avec insistance les gouvernements européens à accentuer leurs efforts d’investissement.

 

Néanmoins, il me semble que nous pouvons discerner un changement dans l'orientation des politiques européennes. Mais promettre les investissements n'est pas suffisant. Il faut agir. Nous allons mettre cette nouvelle Commission devant ses responsabilités.

 

La Commission nous promet qu'elle va développer le dialogue social.

 

Nous allons voir.

 

Nous allons voir si un dialogue sur la gouvernance économique s'installe avec nous.

 

Le Luxembourg peut donner l'exemple d'un bon dialogue social.  Jean Claude m'a expliqué le deal que vous avez concernant votre participation au semestre européen, à toutes ses étapes.  C'est un bon deal qui pourrait être un modèle pour beaucoup.

 

Président, chers amis,

 

Je voudrais vous dire quelques mots des discussions qui ont lieu en ce moment, entre les négociateurs de l'Union européenne et ceux des États-Unis, pour arriver à un accord commercial, plus connu sous le nom de TTIP.

 

La CES a pris des positions très claires et s'est démenée pour que ces positions soient connues des négociateurs.

 

La CES n'est pas contre le commerce, mais pour un commerce qui s'exerce sur des bases justes.

 

Notre jugement sur le TTIP reposera sur trois critères:

 

Est-ce que les droits sociaux fondamentaux, tels que définis par l'Organisation internationale du travail, font partie du deal, et est-ce qu'une procédure de mise en œuvre est prévue ?

 

Est-ce que les services publics sont clairement exclus de l'accord ?

 

Et enfin, est-ce que le système de règlement des conflits est exclu de cet accord ? En effet, nous nous opposons à ce que les investisseurs étrangers puissent faire appel à une cour commerciale parallèle aux juridictions nationales habituelles. C'est anti-démocratique et, dans ce cas encore, ce serait la population qui, le cas échéant, paierait les pots cassés.

 

L'accord avec le Canada ne répond pas à tous ces critères. Dans l'état, la CES doit s'y opposer.

 

Et ce sera la même chose avec le TTIP.

 

Président, chers amis,

 

Je pense que l'Union européenne a une grande responsabilité. Je pense que les syndicats dans l'Union européenne ont une grande responsabilité pour empêcher que ne s'imposent partout l'idéologie néolibérale, le libre marché et la concurrence vers le bas.

 

Le syndicat est une force organisée, responsable et démocratique. Malgré toutes les difficultés, nous ne baissons pas et ne baisserons pas la garde.

 

Pour terminer, j’aimerais dire quelques mots à votre Président sortant.

 

Cher Jean-Claude,

 

Nous nous connaissons depuis bien longtemps;  lorsque tu représentais le secteur des services dans l'organisation que je servais auparavant.  Je tiens à te remercier pour le travail accompli au sein de l’OEGB-L et aussi pour le soutien constant et constructif que tu as apporté à la CES et à moi-même. Ce soutien est précieux.

 

Chers amis,

 

Bravo pour le travail que vous faites au quotidien. 

 

Je vous souhaite dynamisme, force et courage dans le futur, et beaucoup de succès dans toutes vos campagnes.