Congrès de l'EFFAT - Discours de Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la CES

Source : ETUC

Discours de Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la CES, lors du congrès de l'EFFAT.

 

[Le texte prononcé fait foi]

 

 

Président,

Cher Harald,

Cher(e)s collègues,

 

C'est un plaisir de partager avec vous ce moment important dans la vie de votre organisation. Votre congrès.

 

Je vous apporte le soutien chaleureux et amical des membres de la confédération européenne des syndicats.

 

Vous organisez des travailleurs dans des secteurs où l'exploitation est malheureusement monnaie commune.  Et le slogan de votre congrès touche au cœur des difficultés des hommes et des femmes que vous représentez, à l'EFFAT.  Il touche aussi au cœur des exigences de la CES.

 

Oui, la CES est là, avec vous, pour être la voix de celles et de ceux qui veulent un travail décent et un salaire juste.

 

Depuis cinq ans vous avez sans cesse travaillé avec la CES dans cet objectif. Contre la précarité, contre le dumping social, pour la démocratie et les droits des travailleurs et pour un développement soutenable. 

 

Les dernières années ont été des années très dures; des années de crise.  Surtout dans certains pays.  La crise n'a pas touché également tous les pays européens.

 

En Grèce, en moyenne, les revenus ont baissé de 30 pour cent.  Au Portugal, alors que, avant la crise, 1 500 000 travailleurs étaient couverts par des conventions collectives, ils ne sont plus que 300 000 aujourd'hui. En Espagne plus de 50% des jeunes sont au chômage et cherchent à partir de leur pays. 

 

Partout où l'austérité a régné la précarité, les inégalités, la pauvreté ont augmenté. 

Dans de nombreux pays, on a affaibli les syndicats et la négociation collective.

 

Mais qui est ce "on"

Ce "on" c'est la troïka, c'est-à-dire la banque centrale européenne, le fonds monétaire international et la Commission européenne.

Mais il faut bien reconnaître que cette troïka était - et est toujours d'ailleurs - porteuse de la politique que les gouvernements de l'Union européenne voulaient voir appliquée.

 

La troïka n'est pas une pieuvre indépendante.

 

Elle reflète l'idéologie et les politiques néolibérales qui prétendent, par l'austérité, trouver des remèdes à la crise.

 

Ces politiques sont défendues par les dirigeants de nombreux pays européens. Pour eux les libertés économiques, c'est-à-dire le libre marché, doit pouvoir s'exercer sans entrave. 

 

Cela veut dire que la concurrence doit exercer ses effets sur tous les éléments de la vie économique, y compris les salaires, y compris les services publics, y compris la santé, y compris la protection sociale.

 

Et nous, syndicats, nous refusons cela.

Non, on ne peut pas se faire concurrence sur tout.

Se faire concurrence sur tout, c'est faire du dumping social.

C'est dérouler un cercle vicieux vers le bas.

Non, l'avenir de nos pays, l'avenir de l'Europe n'est pas de détruire tout le positif qui a été créé dans les 60 dernières années.

La concurrence doit se voir imposer des limites.

Et la CES, avec vous, dit non au dumping social, non à la concurrence salariale vers le bas, non au travail précaire,

et oui au travail décent et à une juste rémunération.

 

Président, chers amis,

 

Il faut le rappeler, la crise n'a pas été causée par les travailleurs et leurs familles.

La crise a été causée par un capitalisme casino et la spéculation.

Ce ne sont pas les travailleurs qui ont créé les bulles immobilières en Espagne, en Irlande, au Portugal.

Non, c'est ce capitalisme casino et la spéculation qui en sont la cause.

En Grèce, c'est Goldman Sachs, institution spéculative par excellence, qui a aidé le gouvernement à falsifier ses comptes, et c'est ce même Goldman Sachs qui, peu après, a profité de la débâcle financière et s'est fait des millions sur le dos de ce pays. 

 

C'est parce qu'elle a été obligée par Jean-Claude Trichet, alors Président de la BCE, de sauver ses banques que l'Irlande a vu tripler sa dette publique.

 

Et je vous le demande comment se fait-il que  le président de la BCE, qui n'a aucune légitimité démocratique, puisse ainsi donner un ultimatum au gouvernement d'un pays?

 

Où est notre démocratie?

 

Dans aucun cas ce n'est le capitalisme casino qui a payé les pots cassés.

 

Ceux et celles qui ont payé les pots cassés, ce sont les hommes et les femmes que nous représentons, les citoyens ordinaires.

 

Mais ce n'est pas tout.

Aujourd'hui commence à se révéler une partie de l'étendue de l'évitement et de l'évasion fiscale.

Starbucks, Google, Amazon, et bien d'autres sont sur la sellette.

Les pays comme le Luxembourg et les pays bas ont encouragé cet évitement et cette évasion fiscale.  Ils ont permis aux entreprises de trouver les bons filons pour ne pas payer d'impôts. Mais ils ne sont pas les seuls.  Il y en a d'autres.

 

Alors nous sommes en colère. 

Comment peut-on demander aux travailleurs de payer alors que Google, Amazon, et Starbucks ne paient pas?

Nous ne pouvons pas comprendre quand on nous dit qu'il n'y a plus d'argent public pour la protection sociale ou pour le financement des services publics. Quand, au même moment, les caisses des pays de l'Union européenne ont 1000 milliards de manque à gagner à cause de la fraude ou de l'évitement fiscal?

 

Heureusement qu'il y a des syndicats qui, à tous les échelons, refusent cette injustice et essaient de changer les choses.

 

Président, chers amis,

 

Les politiques d'austérité ont échoué.

La croissance est inexistante, même en Allemagne.

26 millions d'hommes et de femmes sont au chômage.

Les inégalités, la pauvreté ont augmenté.

 

Et quand on me dit que la crise est derrière nous, je réponds que, pour nous, il n'y aura de sortie de crise que lorsque nous aurons une croissance soutenable, créatrice d'emplois de qualité, quand les inégalités et la pauvreté diminueront, pour, espérons-le disparaître.

 

Ça, c'est le vrai critère de sortie de crise.

 

Président, chers amis,

 

Mais il ne suffit pas de dénoncer et de s'opposer.

Nous avons, nous devons faire des propositions.

 

Et nous les avons faites:

Nous avons mis sur la table un plan d'investissement ambitieux, de 2% par an pendant dix ans.

Avec ce plan quelque 11 millions d'emplois pourraient être créés.

Nous avons proposé un contrat social pour l'Europe, fait de bonne gouvernance économique, de dialogue et de négociation et d'un droit social européen.

Nous avons une autre vision de l'intégration européenne et nous nous battons pour la faire valoir.

 

Le nouveau président de la Commission, Jean-Claude Juncker, nous promet un plan de 300 milliards d'euros en trois ans.  Ce n'est pas à la hauteur de la demande de la CES.

 

Mais il me semble que nous pouvons décerner un changement dans l'orientation des politiques.  En effet, on nous promet un plan d'investissement, une Europe sociale triple A et du travail décent.

 

Mais promettre n'est pas suffisant.  Il faut agir. Nous allons mettre cette nouvelle commission devant ses responsabilités.

 

On nous promet des investissements: nous allons voir ce qui va être fait.

 

La Commission nous promet qu'elle va développer ce dialogue.

Nous allons voir.

Nous allons voir si un dialogue sur la gouvernance économique s'installe avec nous.

Nous allons voir aussi si ce dialogue s'installe avec vous, partenaires sociaux nationaux, avant que la Commission ne vienne avec ses recommandations sur les priorités de chacun des pays. 

 

C'est le message que je porte et que je porterai au Président de la Commission, et aux Commissaires en charge de l'Euro et du dialogue social, de la croissance et de l'emploi, et des affaires sociales.

 

Président, chers amis,

 

Je voudrais vous dire quelques mots des discussions qui ont lieu en ce moment, entre les négociateurs de l'Union européenne et ceux des Etats-Unis pour arriver à un accord commercial.  Plus connu sous le nom de TTIP.

 

La CES a pris des positions très claires et s'est démenée pour que ces positions soient connues par les négociateurs.

 

La CES n'est pas contre le commerce, mais pour un commerce qui s'exerce sur les bases justes.

 

Notre jugement sur le TTIP se basera sur trois critères:

Est-ce que les droits sociaux fondamentaux, tels que définis par l'Organisation internationale du travail, font partie du deal, et est-ce qu'une procédure de mise en œuvre est prévue.

Est-ce que les services publics sont clairement exclus de l'accord.

Et enfin, troisièmement, est-ce que le système de règlement des conflits est exclu de cet accord.  En effet, nous nous opposons à ce que les investisseurs étrangers puissent faire appel à une cour commerciale parallèle aux juridictions nationales habituelles. C'est anti-démocratique et dans ce cas encore, ce serait la population qui, le cas échéant, paierait les pots cassés;

 

L'accord avec le Canada ne répond pas à tous ces critères; dans l'état, la CES doit s'y opposer.

 

Et ce sera la même chose avec le TTIP.

 

Président, chers amis,

 

Finalement je voudrais vous dire un mot sur un thème important pour le présent mais surtout pour l'avenir.

Le changement climatique est une menace réelle pour les emplois et l'activité économique dans la production agricole et le tourisme.  L'impact du changement climatique ne sera pas le même selon les régions.  Il pourrait, éventuellement, provoquer des migrations de population à large échelle.

 

Nous savons qu'une économie verte pourrait créer des emplois.

Vous avez fait des recherches et ces recherches concluent que dans le seul secteur de l'agriculture de l'UE deux million de nouveaux emplois pourraient être crées.

 

Le mois dernier, le Comité exécutif de la CES a approuvé une résolution très importante, qui demande que la conférence des Nations Unies qui se tiendra à Paris l'an prochain, adopte des mesures ambitieuses qui permettent de limiter le réchauffement climatique à deux degrés Celsius.

 

Nous sommes bien conscients que la transformation vers une économie à bas carbone constituera une transition difficile pour certains secteurs et certaines régions.

 

C'est pour cela que nous faisons campagne pour que des plans soient mis en place pour que les travailleurs concernés soient pris en charge.

 

C'est pour cela que nous demandons que les engagements sur le changement climatique aillent de pair avec des engagements sur la transition juste.

 

Président, chers amis,

 

J'étais la semaine dernière à Brisbane au G20-L20.  Avec d'autres leaders syndicaux nous avons essayé de promouvoir un agenda plus social dans le monde.

 

Je pense que l'Union européenne a une grande responsabilité.  Je pense que les syndicats dans l'Union européenne ont une grande responsabilité pour empêcher que ne s'imposent partout l'idéologie néolibérale, le libre marché et la concurrence vers le bas.

 

Le syndicat est une force organisée, responsable et démocratique.  Malgré toutes les difficultés, nous ne baissons et ne baisserons pas la garde.

 

Merci à vous tous et toutes, merci à Harald pour son amical soutien.

Bravo pour le travail que vous faites au quotidien.

Je vous souhaite dynamisme, force et courage.

 

Et plein de succès pour les cinq années à venir.