50ème Congrès de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)

Strabourg, 30/10/2008

Discours de John Monks, Secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats (CES)

M. le Président, M. le Président par intérim,

C'est en 1945, année historique, que Winston Churchill s’adressa à une foule immense sur la place centrale de Strasbourg, deux semaines seulement après la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Il débuta son discours par ces mots : « Prenez garde, un anglais commence à parler français. Prenez garde, mes braves ». Aujourd’hui, nos routes se croisent une fois encore à Strasbourg en cette année toute aussi historique.

Qui aurait pu prédire il y a un an, qu’un président des Etats-Unis, républicain de plus, aurait injecté tant de fonds publics dans des sociétés privées? Par le passé, le Président américain considérait les soins de santé publics comme une pratique communiste. Aujourd'hui, il est à l’origine de la création d’un état-providence pour les banques.

Qui aurait pensé qu’après toutes ces années de rejet du multilatéralisme, notamment marqué par l’invasion de l’Irak sans l’appui des Nations Unies, ce Président serait à la tête d’un mouvement mondial de refonte du système international de régulation. L’inconcevable s’est produit.

Ce que nous vivons est une récession venue de l’Occident, pas d’Amérique Latine, pas du Moyen-Orient ou d'Afrique, mais une récession provoquée à Wall Street, à la City de Londres et dans les autres places boursières européennes. La France a jusque-là été relativement épargnée mais la liste des banques européennes dont la survie est conditionnée par l’injection de fonds publics est longue et ne cesse de s’allonger.

Il en résulte une chute vertigineuse des bourses et, le plus inquiétant pour les syndicats, une hausse du chômage et un ralentissement de la croissance. La France est déjà techniquement dans une phase de récession et la réalité va bientôt rejoindre la fiction.

Pour la CES, la crise financière internationale doit être le point de départ d’une véritable révolution dans le monde de la finance. Le modèle dominant du capitalisme financier est au bord de l’implosion. Ce capitalisme, libéré de ses chaînes il y a 25 ans, surtout aux USA, a servi depuis de modèle au reste du monde. Le peuple a été abusé et exploité au profit de quelques privilégiés, suite à des années de privatisation, de déréglementation et de totale liberté des marchés.
Soyons très clairs. Cette crise a été provoquée par la cupidité et l’insouciance de Wall Street, de Londres et des autres grandes places boursières. Les dirigeants ont autorisé une spéculation à grande échelle sur des investissements qu’ils comprenaient à peine. Les spéculateurs ont amplifié les dramatiques augmentations des prix du pétrole, des aliments et des matières premières.

C’est pourquoi, cette fois-ci, les choses doivent radicalement changer. Plus jamais l’irresponsabilité des banques ou des fonds spéculatifs ne doit permettre de conduire des nations au bord de la faillite. Plus jamais l’argent des contribuables ne doit être utilisé pour soutenir des institutions versant des salaires et des primes mirifiques à leurs cadres dirigeants. Plus jamais la valeur des actionnaires et les primes des membres des Conseils d’administration ne doivent constituer le seul et unique objectif des sociétés. Nous ne pouvons risquer que cette irresponsabilité massive, cette cupidité et cette négligence ne se répètent.

La CES collabore avec la Confédération syndicale internationale (CSI) et la Commission syndicale consultative auprès de l'OCDE, le TUAC, à l'élaboration d'une réponse syndicale à cette crise mais certaines mesures sont d'ores et déjà clairement inévitables :

•  Injections d’argent public dans les institutions financières qui influencent et contrôlent l’opinion publique, causant ainsi une mutation fondamentale des comportements ;
•  Contrôle renforcé de la capacité des institutions financières à optimiser leurs opérations en améliorant les ratios entre actifs solides et passif ;
•  Niveau de réglementation international, et surtout européen, efficace. Tout cela est rendu nécessaire par l’ampleur du capitalisme financier international qui transcende désormais la plupart des nations individuelles ;
•  Action gouvernementale destinée à garantir que des fonds pourront être investis dans l’économie réelle, permettant ainsi un essor des technologies et des emplois environnementaux et du développement durable ;
•  Aide aux travailleurs touchés par la crise, aux foyers menacés d’expulsion, aux retraités à la merci de la pauvreté et aux entrepreneurs à la recherche de capitaux d’investissement ; Il n’est pas juste que les principaux bénéficiaires soient ceux à l’origine de toute cette crise ;
•  Réponse européenne à ce ralentissement qui touche maintenant l’économie réelle afin d’empêcher toute intensification de cet ouragan financier, ainsi que tout retour de la politique du « chacun pour soi » en matière de modération compétitive des salaires et de réduction de la protection sociale, qui font tant de mal aux travailleurs et à leur famille ;
•  Retour urgent de l’attention des politiques publiques sur les questions majeures que sont les inégalités de revenus et de salaires. Les inégalités et les bas salaires accentuent encore l’endettement des foyers via des techniques risquées sur les marchés financiers.

Nos gouvernements et la Commission européenne auraient dû anticiper ces évènements. Les richesses et les hausses de revenus liées aux facilités de crédit se sont particulièrement concentrées entre les mains de quelques privilégiés. La part des revenus des plus riches, qui représentent 1 pour cent de la population mondiale, a été multipliée par deux.

Pour le mouvement syndical international et européen, cette implosion représente donc une opportunité unique de bâtir un système meilleur. La gravité de la situation dans laquelle nous nous trouvons nous permet d’autant plus de saisir cette opportunité.

A l’avenir, la prospérité devra être celle de tous, pas celle de quelques privilégiés. A court terme, les travailleurs, les retraités et les véritables entrepreneurs auront aussi besoin d'aide, pas seulement les banques.

Et nous devons bâtir une Europe Sociale plus forte, avec des Etats providence forts, des services publics efficaces, des droits pour les travailleurs et des négociations collectives.

Nous avons récemment fait des progrès notables sur une nouvelle directive concernant les travailleurs intérimaires et un accord avec le Patronat en Europe afin de renforcer les Comités d'entreprise européens.

Nous serons dans les rues de cette ville le 16 décembre pour manifester notre refus d’un affaiblissement de la Directive sur le temps de travail. J’espère que vous vous joindrez tous à nous.

Nous devons saisir cette opportunité pour créer un système plus juste, une France plus juste et une Europe plus juste