Uber et Deliveroo échouent aux tests européens sur le travail indépendant

Selon une analyse de la CES, les plus grandes sociétés de plateforme européennes ne répondront pas à la majorité des cinq critères établis par l’UE pour déterminer si leur personnel est réellement indépendant.

La directive sur le travail de plateforme publiée par la Commission européenne en décembre comprend une liste de critères qui serviront à déterminer si une relation de travail existe entre les travailleurs et une entreprise. Si une entreprise répond à au moins deux des cinq critères, elle sera considérée comme un employeur.

Ces critères lourds risquent de mettre en échec la « présomption » d’un lien d’employeur-employé promise par la Commission et d’ouvrir de nouvelles brèches dans lesquelles les sociétés de plateforme pourraient s’engouffrer pour continuer à échapper à leurs obligations.

Mais cela ne signifie pas que les plateformes peuvent espérer tirer leur épingle du jeu. Selon notre analyse, Uber et Deliveroo font partie des sociétés bien connues qui répondent à plus de deux des critères et seraient donc qualifiées d’employeurs.

Table

 

Selon Ludovic Voet, Secrétaire Confédéral de la CES :

« Les sociétés de plateforme travailleront dur et dépenseront des sommes considérables pour tenter de tricher aux tests préparés pour elles par l’UE et maintenir leur modèle économique basé sur l’exploitation. Mais si l’animal ressemble à un canard, qu’il nage comme un canard et qu’il fait coin-coin comme un canard, il y a de bonnes chances que ce soit un canard. Il en va de même pour les employeurs.

Les choses ne sauraient être plus claires : les plus grandes sociétés de plateforme européennes doivent être considérées comme des employeurs.  Si la proposition de directive ne s'applique finalement pas aux grandes plateformes qui agissent pourtant de toute évidence comme des employeurs, à quoi bon pourrait servir cette directive ?

La réaction des plateformes, confiantes dans le fait que la directive confirmera qu'elles peuvent opérer avec des indépendants sans changer aucune partie de leur mode de fonctionnement actuel, devrait alerter les députés européens et les ministres sur la nécessité de renforcer la proposition de directive afin qu'aucune plateforme ne passe entre les mailles du filet.

Il serait bon que députés et ministres comblent les lacunes du projet de loi afin de s’assurer que les plateformes ne puissent pas continuer à tromper les travailleurs et les entreprises qui respectent les règles. Le mieux que les plateformes puissent faire serait finalement de rencontrer les syndicats pour négocier des conditions et des salaires décents pour leurs travailleurs. »

Analyse complète

Amazon Mechanical Turk

Critère 1 :

Les travailleurs n’ont pas voix au chapitre dans la fixation de plafonds de rémunération pour leurs missions. Alors que les montants sont en principe déterminés par le client, dans la pratique, ils restent invariables dans les différentes catégories de travail effectué. Plus important encore, Amazon Mechanical Turk s’autorise à désactiver, compléter ou modifier à tout moment les options de rémunération.

Il convient également de considérer que le paiement du travail effectué peut être refusé si le client ou la plateforme de travail numérique fonde ce refus sur une « bonne raison ». Amazon Mechanical Turk peut même résilier sans préavis le contrat et empêcher l’accès futur à la plateforme pour le travailleur, quel qu’en soit le motif.

Critère 2 :

Amazon Mechanical Turk demande à ses travailleurs de se comporter envers les clients « de manière professionnelle et courtoise, et de fournir les informations raisonnablement demandées en lien avec l’exécution de leurs tâches ». En outre, d’autres exigences prévoient que les travailleurs effectuent leurs tâches « de manière compétente et dans les règles de l’art » et les empêchent d’utiliser une méthode automatisée en appui à leur travail. La plateforme peut demander aux travailleurs de se soumettre à un test de qualification à la demande des clients.

Critère 3 :

La plateforme peut mettre en place des mécanismes permettant de suivre les tâches effectuées par les travailleurs et l’exécution de ces missions, qui fera également l’objet d’une notation. En outre, elle recueille ces notes et les divulgue sur le site afin d’informer le public. Les clients se voient accorder le pouvoir de refuser les travaux réalisés avant de devoir les payer.

Critère 4 :

Sans objet

Critère 5 :

Les travailleurs d’Amazon Mechanical Turk ne sont pas autorisés à mener à bien leurs missions par d’autres biais que la plateforme, ce qui les empêche pratiquement de se construire une clientèle ou de contacter les clients par tout autre moyen.

Uber

Critère 1 :

Uber fixe le niveau de rémunération de ses travailleurs. Le passager paie le tarif à Uber qui verse chaque semaine ou chaque jour aux travailleurs le montant total des courses effectuées. 25 % de frais de service sont déduits du tarif. Bien que le client et les travailleurs puissent s’accorder mutuellement pour emprunter un autre itinéraire que celui proposé par l’application et que ce choix puisse avoir un impact sur le tarif, la libre négociation entre passager et travailleur est exclue.

Uber décide unilatéralement d’une solution possible en cas de plainte du client, y compris l’adaptation du tarif convenu. Le travailleur peut s’y opposer, mais la décision finale revient à Uber.

Critère 2 :

Les travailleurs doivent accepter les conditions fixées par Uber pour être admis sur sa plateforme. Les conditions dans lesquelles ils peuvent commencer à utiliser l’application Uber ne sont pas négociables : ils doivent d’abord accepter pleinement toutes les conditions pour pouvoir offrir des courses de taxi via l’application.

Uber détermine et peut modifier unilatéralement les conditions de travail des chauffeurs, qui ne peuvent pas refuser ces modifications s’ils veulent continuer à rouler via l’application Uber.

Critère 3 :

Les travailleurs se voient attribuer une note via l’application et sont donc évalués, ce qui peut avoir un impact sur leur accès à la plateforme Uber et les courses proposées. Une note moyenne faible peut entraîner une exclusion de la plateforme, tandis qu’une note moyenne élevée est un critère important pour accéder à un statut supérieur dans l’application, synonyme d’avantages financiers pour le chauffeur.

Critère 4 :

Uber vérifie explicitement, au moyen d’un selfie pris par le chauffeur, si le travail est effectué en personne.

L’algorithme de l’application Uber détermine l’affectation et la priorisation des courses, sur la base d’un système défini par la société. Lorsqu’une course est proposée, Uber fournit une quantité limitée de données, de sorte que le chauffeur est dans l’impossibilité d’accepter uniquement les courses les plus avantageuses pour lui.

Incitation financière, l’algorithme d’Uber a un effet disciplinant et instructif, indépendamment du fait que les travailleurs soient libres, dans une certaine mesure, de refuser une course, fixer leurs propres horaires et utiliser simultanément différentes applications ou autres systèmes de réservation. Une fois qu’ils sont connectés à l’application Uber et l’utilisent, l’algorithme leur est appliqué.

Si les travailleurs déclinent des courses de manière trop fréquente, ils ne sont plus autorisés à utiliser l’application Uber. Refuser trois fois une course proposée a pour conséquence que le chauffeur est déconnecté du système, et plus aucune course ne lui sera proposée tant qu’il n’est pas à nouveau connecté.

Critère 5 :

Sans objet

Glovo

Critère 1 :

Pour tenter d’éviter l’application de la loi espagnole connue sous le nom de « loi Riders », Glovo a changé le mode de détermination de la rémunération, passant d’un système fixe géré exclusivement par la société à un système d’enchères de rémunération dans lequel les travailleurs offrant les prix les plus bas ont tendance à décrocher les emplois. Ce modèle ne justifie pas d’exonérer la société du contrôle des prix, étant donné que l’enchère est contrôlée par elle mais en réalité, elle ne laisse aux travailleurs aucune possibilité d’obtenir une rémunération plus élevée.

Critère 2 :

Glovo précise comment le travail doit être effectué et le service fourni. La société contrôle le respect des instructions via l’application. Il est établi que le livreur a dû exécuter la prestation dans le délai maximum convenu ; il est également précisé comment les travailleurs doivent s’adresser à l’utilisateur final ; les travailleurs ont l’interdiction d’utiliser des signes distinctifs d’entreprise tels que des t-shirts ou des casquettes.

Critère 3 :

La société a mis en place un système de notation qui, entre autres facteurs, se fonde sur l’évaluation par le client final. La mise en place de systèmes de contrôle des activités de production basés sur la notation des clients doit être comprise comme une indication favorable de l’existence d’un contrat de travail. En outre, les travailleurs de Glovo, qui sont suivis par un dispositif de géolocalisation GPS pendant leur service, sont également soumis à un système de contrôle permanent.

Critère 4 :

Le système de notation des travailleurs détermine leur liberté en matière de choix des horaires, car s’ils ne sont pas disponibles pour des services dans les plages horaires où la demande est la plus forte, leur note diminue et avec elle la possibilité de se voir attribuer davantage de missions à l’avenir. Ils perdent ainsi des opportunités d’emploi et de rémunération. De plus, la société pénalise les livreurs en ne leur attribuant pas de commandes lorsqu’ils n’opèrent pas dans les plages horaires réservées, sauf en cas de cause justifiée dûment communiquée et accréditée.

Critère 5 :

Les travailleurs de Glovo ne sont pas impliqués dans les accords établis entre Glovo et les magasins et restaurants, ni dans la relation entre Glovo et les clients auxquels les services ont été fournis. Les travailleurs ne concluent aucun contrat avec eux, se limitant à fournir les services dans les conditions imposées par Glovo. C’est la société qui s’accorde avec les différents établissements sur les prix qu’ils paient et qui fixe unilatéralement les tarifs appliqués au livreur pour le travail effectué.

Cuideo

Critère 1 :

La plateforme de travail numérique espagnole « Cuideo » contrôle un système de concurrence vers le bas parmi ses travailleurs en ce qui concerne les prix offerts pour les services de soins fournis. La société a un contrôle total sur les offres faites par les travailleurs.

Critère 2 :

La plateforme fixe diverses exigences pour que les travailleurs puissent accéder à ses offres d’emploi, parfois adaptées aux besoins spécifiques de chaque client. Les travailleurs répondent à ces exigences en participant à des cours organisés par la plateforme (moyennant paiement d’une cotisation de participation) et en lisant différents manuels de formation.

Critère 3 :

Ce suivi est réalisé via le système de notation de la plateforme, contrôlé par la société et auquel les salariés ne peuvent s’opposer en cas de résultats négatifs.

Critère 4 :

La société sanctionne les travailleurs en cas de non-acceptation des offres, soit en leur proposant moins d’opportunités d’emploi, soit en les déconnectant de manière permanente de la plateforme.

Critère 5 :

Sans objet

Deliveroo

Critère 1 :

La plateforme détermine la rémunération, et les travailleurs ne connaissent pas le niveau de celle-ci avant d’accepter les courses, puisque l’information sur la durée de la course (et donc le paiement) n’est pas divulguée. Le travailleur est sanctionné s’il refuse une course après l’avoir acceptée.

Critère 2 :

Les notes données par les bénéficiaires du service servent à l’attribution future du travail, établissant ainsi un système de contrôle et de discipline basé sur les commentaires des clients que les travailleurs peuvent rééquilibrer sous le contrôle de la plateforme.

Les travailleurs doivent utiliser des sacs isothermes fournis par Deliveroo (contre paiement) portant le logo de la plateforme de travail numérique.

Critère 3 :

La performance est basée sur le système susmentionné d’évaluation par les clients.

Critère 4 :

Si les travailleurs refusent des missions, la société les sanctionne en leur offrant moins d’opportunités, voire en les déconnectant de la plateforme. À cet égard, des preuves existent qu’après avoir pris des vacances, des travailleurs de Deliveroo ont été exclus de la plateforme en raison de leur manque de disponibilité.

Un autre facteur de restriction de la liberté concerne les notes relatives à la réputation. Comme elles sont spécifiques à la plateforme, elles entraînent pour les travailleurs des effets de « verrouillage » vis-à-vis de cette plateforme particulière.

Critère 5 :

Comme c’est le cas sur d’autres plateformes similaires de travail numérique, les travailleurs de Glovo ne participent pas aux conditions générales des accords conclus avec les fournisseurs et les clients – ils livrent simplement la nourriture dans les conditions stipulées par Deliveroo.

Delivery rider
25.01.2022
Communiqué de presse