Position de la CES sur l’évaluation de la stratégie annuelle 2021 pour une croissance durable

Position de la CES sur l’évaluation de la stratégie annuelle 2021 pour une croissance durable
Adoptée lors de la réunion virtuelle du Comité exécutif des 28 et 29 octobre 2020

ÉVALUATION DE LA STRATÉGIE ANNUELLE 2021 POUR UNE CROISSANCE DURABLE (ASGS)

BRÈVE ANALYSE DES ENJEUX OUBLIÉS DANS L’ASGS 2021

L’ASGS 2021 fixe des lignes directrices pour la mise en œuvre de la Facilité pour la reprise et la résilience (voir également la position de la CES sur le Plan de relance). S’il s’agit d’un pas vers une activation rapide des ressources pour les investissements, l’ASGS ne contient cependant aucune analyse socio-économique de la crise du COVID-19 et n’aborde pas la nécessité de coordonner d’urgence des mesures visant à protéger les travailleurs, les salaires et les revenus des ménages dans la situation actuelle.

Les niveaux des dettes souveraines au sein de l’UE sont en hausse, alors que les estimations font actuellement état d’un recul des PIB de l’ordre de 8 % à 10 % en Europe (entre 4 % et 5 % au niveau mondial). Selon les institutions internationales, les projections de PIB pour les trois prochaines années sont inférieures aux prévisions de base calculées en l'absence de pandémie. Les déficits publics de l'UE et de la zone euro se sont fortement creusés afin de financer les mesures de lutte contre le COVID-19. Ces mesures ont permis de maintenir l'économie en vie et d’offrir une protection aux personnes les plus touchées par la crise. Les États membres devraient encore gonfler leurs déficits, maintenant que la deuxième vague de contagion se propage et que les conséquences de la première vague se font sentir sur l'emploi et la pauvreté.

Le PIB de l’UE va sûrement rebondir, mais il faudra du temps pour revenir aux niveaux de 2019. Les pertes de PIB sont plus importantes dans les pays qui dépendent de secteurs tels que le tourisme, l’industrie culturelle, le commerce de détail, les transports publics, l’acier, l’automobile et l’aviation. Les secteurs qui présentent certaines caractéristiques vont continuer de souffrir (services de réception, services avec contact étroit entre les personnes, activités fortement dépendantes du commerce international et des mouvements de personnes). Le télétravail constituera également un défi pour les entreprises qui fournissaient des services aux travailleurs mobiles et aux bureaux. Enfin, l'expérience montre que les pays avec des marchés du travail moins inclusifs et fragmentés connaîtront une stagnation économique prolongée. Les données trimestrielles d'Eurostat montrent que les indicateurs de l'emploi et du chômage évoluent lentement par rapport au SPG et à d'autres indicateurs de choc. Cependant, les augmentations marginales sur une base trimestrielle (à juin 2021) des données relatives aux périodes non travaillées involontaires chez les travailleurs sont inédites et confirment malheureusement ce que la CES avait prévu par rapport à l'effet de la crise sur 45 millions de travailleurs.

Il est urgent que l'UE continue de travailler de façon solidaire et coordonnée et qu’elle prolonge et refinance le SURE (voir également les contributions de la CES pour le Rapport conjoint sur l'emploi). La CES estime que les mesures d'urgence nationales et européennes, en particulier celles liées à la protection de l'emploi et au soutien des revenus, doivent se poursuivre jusqu'à ce que l’économie se soit totalement redressée et que l’emploi se soit stabilisé. Les ressources doivent être assurées par des dépenses publiques via le maintien de la clause dérogatoire générale du PSC, tout en veillant à ce que les politiques monétaires non conventionnelles et les faibles taux d'intérêt de la BCE restent en place. Dans ce contexte, un régime européen de revenu minimum doit être urgemment mis en œuvre. Celui-ci devrait inclure des normes européennes contraignantes et un mécanisme de solidarité, sur le modèle du SURE. Nous avons besoin d'une adoption rapide de tous les actes juridiques nécessaires à l'opérationnalisation du Plan de relance pour l'Europe. La CES rejette toute tentative de compromis qui marquerait un pas en arrière au niveau de l'État de droit ou des ambitions sociales du plan de relance.

L’ASGS n’a pas évalué les répercussions que la vague massive de restructurations actuellement en cours dans toute l’Europe aura sur l’économie européenne. Le Financement européen de support à la solvabilité doit être restauré pour offrir un soutien en cas de restructuration. Les États membres et la Commission européenne doivent jouer un rôle crucial en soutenant les entreprises et en leur garantissant les ressources nécessaires à la poursuite de leurs activités. Toutefois, les employeurs doivent garantir la réciprocité ; ils doivent prendre leurs responsabilités et épuiser toutes les mesures possibles (régimes de retraite anticipée, gel du paiement des dividendes, réduction du temps de travail, chômage partiel ou équivalent, partage des travailleurs dans la même entreprise) avant d’envisager une restructuration et des licenciements. Les entreprises doivent donc s'engager pour un meilleur rendement social.

Ces défis et les réponses politiques qui s’y rapportent n'apparaissent pas dans l’ASGS, ce qui nuit à la capacité de l'UE à offrir une réponse immédiate et coordonnée aux conséquences socio-économiques de la crise de la pandémie.

À PROPOS DE L’ASGS COMME LIGNE DIRECTRICE POUR LA MISE EN ŒUVRE DE LA RRF

La CES soutient l'objectif général de la RRF, mais celle-ci doit être mise en œuvre dans l'intérêt de tous. La RRF veut faire de l'UE un « leader de la transformation » et promouvra « une convergence ascendante des niveaux de vie et évitera de fausser les conditions de concurrence économiques, notamment en accélérant les transitions écologique et numérique ». Il convient toutefois de noter que la RRF reste un processus centré sur les pays dans lequel les gouvernements restent les principaux responsables de la conception et de la mise en œuvre des programmes d'investissement et des réformes qui seront financés dans le cadre de cet instrument de l'UE. À cet égard, nous nous attendons, mais il n’y a pas d'accord définitif sur ce point, à ce que la RRF soit guidée par les RSP passées avec les conséquences que cela aura sur l'identification des priorités sociales dans le cadre des plans nationaux de relance et de résilience, y compris l'activation du dialogue social pour les réformes politiques. Le mécanisme pour la relance et la résilience (FRR) devrait promouvoir un nouveau modèle européen de développement économique et social, fondé sur l'inclusion sociale, la création et le soutien d'emplois de qualité et l'accélération de la transition verte et numérique.

L’ASGS améliore mais ne répond pas entièrement aux exigences de l'Agenda 2030 des Nations Unies. En faisant passer l’ASGS dans la matrice des ODD, nous constatons que, par rapport aux conclusions du Conseil du 21 juillet 2020, principalement axées sur les aspects environnementaux, l’ASGS accorde plus d’importance à une croissance durable, à l’emploi et à un travail décent (objectif 8) et inclut la formation et l'éducation parmi les actions phares (objectif 4). Cela pourrait avoir des effets positifs sur des objectifs qui sont étonnamment négligés tels que la pauvreté (objectif 1), l’égalité entre les sexes (objectif 5) ou les inégalités (objectif 10). D'autres objectifs peuvent être portés par l'accent mis sur les investissements verts et numériques (objectifs 6, 7, 9, 11, 12, 13, 14 et 15). L’ASGS envisage, dans une même mesure, un renforcement des investissements publics dans la santé et le bien-être (objectif 3). Il est plus difficile d’évaluer la position de l’ASGS par rapport à l’objectif 16, car la situation autour de l’état de droit reste incertaine, alors que le rôle du dialogue social est pointé mais doit être reconstruit de zéro. Le rôle de la négociation collective est également négligé alors que nous savons tous que celle-ci jouera un rôle essentiel pour faire de l’Europe un « leader de la transformation », tout en restant le leader mondial du progrès social.

Le Socle européen des droits sociaux pour une meilleure conciliation des conditions de travail et des conditions de vie doit servir à orienter la mise en œuvre du Plan de relance de l’UE. La CES soutient pleinement le Pacte vert et prône une transformation numérique centrée sur l'humain, dans la mesure où ces politiques bénéficient à tous les travailleurs et protègent correctement ceux qui sont contraints à des transitions professionnelles. Les ODD constitueront notre paradigme pour préserver les dimensions économique, sociale et environnementale du développement. Le dialogue social est une pierre angulaire du Plan de relance qui permet l’appropriation des réformes et des investissements et qui aide à garantir que les transitions professionnelles sont plus justes et que l‘humain se trouve au centre de la reprise. Il est essentiel que les travaux actuellement en cours au Parlement européen sur une Europe sociale forte pour une transition juste contribuent à faire de cette approche une approche politique d'intégration. À cet égard, il est important de donner de la place aux priorités politiques dans la communication pour une Europe sociale forte pour des transitions justes.

MISE EN ŒUVRE DE LA RRF

En ce qui concerne la mise en œuvre de la RRF, la CES demande que les programmes européens et nationaux soient liés à des objectifs de progrès social ambitieux et transparents et présentent une forte dimension sociale, tout en stimulant les investissements visant à favoriser la reprise et faire face aux transitions numérique et verte. La RRF doit respecter et mettre en œuvre le Socle européen des droits sociaux et intégrer le futur plan d'action pour sa mise en œuvre afin de créer des emplois stables et de qualité ; réduire les disparités en matière d’emploi et de rémunération entre les hommes et les femmes en renforçant l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée ; et fournir une protection à tous les travailleurs sur leur lieu de travail. Les objectifs sociaux doivent être intégrés dans toutes les législations et réglementations pertinentes liées au Plan de relance, avec une référence au Socle européen des droits sociaux (voir les priorités de la CES pour un plan d'action visant à mettre en œuvre le Socle européen des droits sociaux).

La négociation collective et le dialogue social doivent être renforcés et promus. Ces éléments sont essentiels pour gérer les crises, adapter les schémas de production, l'organisation du travail et le cadre de l'entreprise à la nouvelle réalité, anticiper et gérer le changement par une planification à long terme et la capacité à innover et à suivre les transitions verte et numérique.

Étant donné que l'accès aux fonds de la RRF est lié au Semestre européen, la CES exhorte la Commission à fixer une règle contraignante pour que les gouvernements impliquent les partenaires sociaux nationaux dans la définition et la mise en œuvre des plans de relance et de résilience, et plus généralement dans les étapes du Semestre. En ce sens, le Principe de partenariat et le Code de conduite pour le partenariat, qui font partie du règlement CFP, doivent être étendus aux Fonds de relance.

Une dynamique de changement pour une gouvernance sociale et économique plus équilibrée de l'UE s’est enclenchée. Le prochain cycle du Semestre devrait poursuivre la suspension des Objectifs budgétaires à moyen terme et encourager la définition de nouvelles structures de gouvernance économique et sociale qui correspondent mieux aux nouveaux défis fiscaux, économiques et sociaux auxquels l'UE est confrontée, en confirmant la révision du Pacte de stabilité et de croissance annoncée par la Commission. Les conditionnalités macroéconomiques devraient être supprimées dans le règlement relatif à la Facilité pour la reprise et la résilience.

La CES soutient et appelle à l'extension des mesures d’atténuation des répercussions de la crise, telles que les régimes de chômage partiel, l'aide au revenu... aussi longtemps que celles-ci seront nécessaires (et au moins tout au long de l’année 2021) et plaide pour leur cohérence et leur coordination avec la stratégie de relance. Par ailleurs, la CES demande à l’EPSCO et aux gouvernements d’élargir la couverture d’une telle mesure à toutes les catégories de travailleurs atypiques, autonomes et précaires, ainsi que pour l’amélioration de l’adéquation de la compensation des revenus. Cela doit se faire dans l’ensemble des pays avec une pleine implication des partenaires sociaux. L’instrument SURE doit être mis en œuvre rapidement. Enfin, il est temps de relancer la discussion sur un régime permanent de réassurance chômage, toujours nécessaire pour protéger la zone euro des crises à venir, afin d’amortir les chocs professionnels.

Nous avons besoin de marchés du travail plus inclusifs investissant dans des mesures d’activation et d’un plan massif de perfectionnement et de requalification, en garantissant la formation en continu, en évitant la stagnation et le gaspillage des compétences et en améliorant les compétences numériques (« hard skills » ou compétences techniques) et les compétences vertes (« soft skills » ou compétences comportementales). La RFF devrait stimuler l’investissement des entreprises dans la formation des employés, en créant notamment des synergies avec d’autres fonds structurels, y compris le FSE. Cela doit être contrôlé par une collecte de données et des indicateurs de politique spécifiques.

Un marché du travail équilibré entre les sexes est essentiel pour assurer une reprise inclusive. Bien que cette question ne soit pas correctement traitée dans l'ASGS de la Commission, les efforts visant à renforcer l'égalité des sexes devraient être au cœur des plans nationaux de relance et de résilience. Les États membres doivent entreprendre des réformes et des mesures qui facilitent l'entrée et la stabilité des femmes sur le marché du travail. Les investissements dans les soins aux enfants et aux personnes âgées, ainsi que l'introduction de la fiscalité individuelle, se sont avérés fructueux dans un certain nombre de pays.

Le Pacte vert et la Facilité pour la reprise et la résilience doivent aller de pair. Pour chaque plan national de reprise et de résilience, un minimum de 37 % des dépenses est consacré aux investissements publics afin d'atteindre les ambitieux objectifs climatiques de l'UE. En outre, le principe « Ne pas nuire » correspondant au règlement taxonomie de l'UE devrait être mis en œuvre dans la RFF.

Les ressources fiscales sont essentielles pour le financement d'un niveau élevé de protection sociale et de services publics de qualité. L'adoption de politiques de redistribution radicale est recommandée, en particulier des révisions équitables des politiques salariales, de cotisations et fiscales, ainsi que la lutte contre le travail non déclaré et l'économie informelle. La justice fiscale est l'un des sujets les plus fréquemment abordés par les syndicats. Une progressivité accrue de l’imposition du revenu des personnes physiques (y compris les gains en capital et en biens immobiliers), la réforme des lois fiscales favorisant les initiatives écologiques, l'amélioration du recouvrement de l'impôt, ainsi que le renforcement de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales sont considérés comme les principales priorités. La CES exige une législation rapide liée au budget de l'UE, par le biais de taxes sur les entreprises (en particulier les multinationales), les plastiques, les émissions de carbone, l'économie numérique et les transactions financières.

Ouvrir un débat sur une protection du revenu minimum accessible et efficace qui doit être garantie dans l’UE, via une directive-cadre européenne établissant des principes, des définitions et des méthodes communs.

METTRE LA NOTION DE « RÉSILIENCE » SUR LA BONNE VOIE

La notion de résilience fait déjà l’objet de différentes interprétations, qui peuvent conduire à différentes options politiques pour la future gouvernance de l’UE. Le Rapport stratégique prospectif (« Foresight Strategic Report ») contient certaines avancées sur une notion de résilience qui s’appuie sur la notion de croissance durable envisagée dans les ODD, en mettant les gens et les emplois au centre du processus. Le document de la CES pour la croissance et le progrès social 2021 conçoit un concept de résilience dont le narratif répond mieux aux attentes des travailleurs.

En un mot, on peut dire que la crise du COVID-19 modifie la cartographie des risques sociaux. Il est prouvé que le virus provoque plus de souffrances et de victimes chez les travailleurs précaires et moins protégés et dans les groupes de population plus pauvres. Les mesures d’urgence ont aidé à protéger les emplois et les revenus des travailleurs, mais elles risquent d'être insuffisantes face à la deuxième vague et à l’essoufflement de la reprise économique. Nous savons que certains groupes de population courent de plus grands risques d’exclusion. Tout d’abord, le contrat de travail est important, car la relation de travail donne accès à des régimes complets de protection sociale. Les travailleurs précaires (y compris les migrants et les travailleurs non déclarés) et les indépendants ou les nouvelles formes de travail sur les plateformes numériques représentent des segments d’exclusion qui doivent être immédiatement protégés, via un investissement dans l’adéquation et l’universalité des systèmes de protection sociale. Force est aussi de constater que les emplois moins bien rémunérés sont moins susceptibles d’être exercés à domicile ou à distance. Cela signifie que le chômage poussera les ménages à faibles revenus au bord de la pauvreté. Les femmes sont particulièrement exposées, en particulier celles avec des charges familiales. Nous risquons de perdre les progrès réalisés dans l’atténuation des disparités en termes d’emploi et de salaire entre hommes et femmes. Les jeunes sont également particulièrement vulnérables, car ils commencent leur carrière professionnelle avec des contrats temporaires ou à durée déterminée et se trouvent donc dans des groupes considérés comme plus à risque.

La cartographie des risques sociaux est un exercice qui devra être continuellement mis à jour durant la phase de reprise. La CES contribuera à la surveillance et à l’évaluation des progrès réalisés par l'UE en vue de créer des économies résilientes et durables. Le système de surveillance sera construit en exploitant les corrélations positives et fortes entre l'objectif 8 et les autres ODD et en veillant à ce que le progrès social et les transformations vertes et numériques se renforcent mutuellement, de sorte à construire une société plus juste aujourd'hui et respectueuse des générations futures.