Flexicurité

novembre 2007

Ce feuillet d’information décrit l’évolution de la flexicurité, son interprétation par différents groupes d’intérêt et la position de la Confédération européenne des syndicats (CES) à son égard. Les syndicats européens sont inquiets de ce que l’on redéfinit le principe dans le but de justifier l’érosion des droits acquis en termes de sécurité d’emploi, sans que l’on envisage parallèlement le renforcement du réseau de protection sociale et des négociations collectives – des éléments tout aussi importants dans l’équation de la flexicurité.

Une analyse plus détaillée des questions relatives à la flexicurité est donnée dans la brochure de la CES : Le débat sur la flexicurité et les défis à relever par le mouvement syndical.

Qu’est-ce que la flexicurité ? La position de la CES
La CES estime que toute réforme du marché du travail doit avoir comme objectifs essentiels les éléments suivants :
- Promouvoir des relations stables en matière d’emploi ;
- Mettre un terme et renverser la tendance aux emplois précaires, de mauvaise qualité et mal rémunérés (dits 'McJobs'), et à la précarisation et à l’insécurité de la main-d’œuvre ;
- Investir dans les ressources humaines par la formation et l’éducation tout au long de la vie, la formation professionnelle, le transfert des qualifications et le soutien individualisé des travailleurs pendant la période de transition entre deux emplois ;
- Offrir davantage de flexibilité aux travailleurs en réorganisant le temps de travail, dans le but par exemple de les aider à concilier leur travail et leurs responsabilités familiales ;
- Instaurer l’égalité entre sexes sur le lieu de travail ;
- Conférer aux travailleurs une autonomie accrue en augmentant le niveau d’information et de consultation ;
- Renforcer le dialogue social et les systèmes de négociations collectives;
- Créer des emplois plus nombreux et de meilleure qualité grâce à une étroite coordination avec des politiques macroéconomiques conviviales.

Le débat sur la flexicurité intervient à un moment où l’UE devrait examiner comment améliorer l’organisation du travail, les droits des travailleurs et les systèmes de protection de l’emploi en Europe, et non comment réduire le niveau de protection même. L’Europe a besoin de réformes ‘intelligentes’, axées sur une vision du marché du travail plus équitable, où chacun a sa place.

L’UE doit investir dans la mobilité professionnelle et le renforcement des compétences si elle veut relever les défis du marché mondial. Mais les États membres doivent aussi veiller à ce que les travailleurs soient bien préparés et suffisamment qualifiés pour occuper un nouvel emploi lorsqu’ils quittent une entreprise. Cela signifie anticiper les restructurations ou les réformes et investir dans l’innovation, la mobilité interne et le redéploiement.

La CES craint que la flexicurité soit interprétée comme un permis de licencier plus facilement et d’adopter des formes de travail plus précaires. Les syndicats sont totalement opposés à une telle approche, car celle-ci aboutirait à un marché du travail plus segmenté et à l’exclusion sociale des travailleurs les plus vulnérables.

Interprétations de la flexicurité

La Commission européenne (dans sa communication[[Vers des principes communs de flexicurité: des emplois plus nombreux et de meilleure qualité en combinant flexibilité et sécurité]] de juin 2007) définit la flexicurité comme suit : « une approche globale de la politique du marché du travail qui allie une dose suffisante de flexibilité dans les modalités contractuelles – pour que les entreprises et leur personnel puissent affronter le changement – à l’assurance, pour les salariés, de rester à leur poste ou d’être à même de trouver un autre travail rapidement, tout en bénéficiant d’un revenu adéquat pendant les phases de transition d’un emploi à l’autre. » Elle la considère comme une manière de préparer le marché du travail européen à réagir à la mondialisation.

Certaines personnalités du monde économique et politique vont plus loin et cherchent à établir une distinction entre la 'sécurité d’emploi interne' – qui signifie la protection au sein d’un poste spécifique – et la 'sécurité d’emploi externe' – utilisée pour désigner le droit au travail en général. Ces personnalités affirment que la flexicurité doit impliquer une diminution de la sécurité d’emploi interne et des politiques visant à obliger les travailleurs à s’adapter davantage et à changer plus facilement d’employeur. Ce qui signifie permettre aux entreprises d’entreprendre des restructurations et des délocalisations plus aisément et à moindre coût. La CES estime qu’il s’agit là d’une fausse distinction. Elle rejette le point de vue selon lequel l’une peut être remplacée par l’autre. Au 21ème siècle, on ne peut remettre en question le droit de tous les travailleurs à la sécurité d’emploi interne et externe. La protection de l’emploi, qu’elle soit juridique ou due à la pratique de négociations collectives, est une condition essentielle pour permettre aux travailleurs et aux syndicats de négocier les termes et les conditions du changement.

L’impact de la législation sur la protection de l’emploi

En dépit des arguments avancés, il ne semble pas que la législation sur la protection du travail constitue un réel obstacle à la création d’emplois ou à la flexibilité du marché du travail. Les statistiques montrent que les entreprises européennes font déjà preuve d’une marge d’adaptation considérable, avec un taux de création d’emplois de plus de 8% en Espagne, Irlande, Italie et Suède, d’une part, et 3 à 4% d’emplois détruits chaque année dans l’Europe des 15, d’autre part. Et ce, quelles que soient les mesures de protection de l’emploi.

Taux de flux d’emplois en Europe Moyenne 1992 – 2001



- Destruction d’emplois

- Création d’emplois

Le modèle danois

C’est le Danemark que l’on cite le plus souvent comme exemple de la flexicurité en action. Ce pays est l’une des sociétés européennes les plus performantes et les plus soucieuses de n’exclure personne. Certaines entreprises et certains dirigeants européens affirment que ces performances sont dues à une protection minimale de l’emploi.

Mais est-ce bien le cas ? Examinons plus en détail le modèle danois.

Les récentes statistiques d’Eurostat[[Chiffres tirés de l’Étude sur la main-d’œuvre 2006 et de la Situation sociale dans l’Union européenne en 2005-2006]] montrent que le Danemark affiche le taux d’emploi le plus élevé de l’UE (77,4%). Ses dépenses de protection sociale par tête d’habitant arrivent en seconde position, derrière le Luxembourg. Pourtant, les cotisations patronales de sécurité sociale sont les plus faibles de l’Europe des 25. Les dépenses publiques affectées aux politiques actives du marché du travail sont aussi les plus élevées d’Europe et atteignent presque 4,5% du PIB. Bien que la protection obligatoire de l’emploi soit faible, elle n’offre pas pour autant aux entreprises la possibilité de licencier les travailleurs à leur guise.

Mais surtout, le Danemark – comme d’autres pays nordiques – a une très forte tradition d’organisation syndicale et de négociations collectives (80 à 90% des travailleurs sont syndiqués). Les syndicats négocient la protection de l’emploi par le biais de conventions collectives qui couvrent les différents secteurs économiques et touchent une large majorité de travailleurs. Plus particulièrement, les conventions collectives danoises obligent les employeurs à prévenir les travailleurs licenciés longtemps à l’avance.

Préavis

Une étude[[Torres Raymonde, Social Accompaniment measures for globalisation: Sop or Silver lining? 2005]] a montré qu’un préavis de licenciement précoce est un facteur important pour qui cherche un nouvel emploi. Au Danemark et en Suède, les périodes de préavis sont plus longues qu’en France, en Allemagne et en Italie (voir ci-dessous). La Suède a l’une des durées de préavis les plus longues en Europe et, comme le Danemark, un des taux d’emploi les plus élevés.

Période de préavis d’un travailleur ayant une ancienneté de 4 ans en cas de licenciement collectif

- Danemark 4 mois
- Autriche 2 mois
- Belgique 4 mois
- Finlande 2 mois
- France 2 mois et 20 jours
- Allemagne 2 mois
- Italie 2,5 mois
- Suède 6 mois
- Royaume-Uni 3 mois

Source : OCDE - Perspectives 2004 en matière d’emploi


Sécurité pendant les périodes de transition

La sécurité pendant les périodes de transition est un terme qui a été inventé récemment pour désigner le soutien des travailleurs pendant la période de transition entre deux emplois, en particulier lorsque le chômage est dû à une restructuration ou une délocalisation.

Cette sécurité est cruciale pour permettre aux travailleurs au chômage de retrouver rapidement un nouvel emploi et de conserver leur niveau de vie en attendant. En Suède, les conventions collectives au niveau industriel ont mis en place des fonds de ‘transition professionnelle’, financés par le secteur des entreprises et gérés conjointement par les partenaires sociaux. Ces fonds offrent aux travailleurs en préavis une formation, une aide à la recherche d’un emploi ou des stages rémunérés dans d’autres entreprises, et ce même pendant la période où ils sont encore officiellement employés par l’entreprise qui les licencie. L’objectif est de leur offrir une aide et un soutien immédiats et de ne pas les laisser s’enfoncer dans le chômage. Mais bien sûr, cela implique d’obliger les entreprises à appliquer une période de préavis pendant laquelle ce type de soutien actif peut être proposé.

La sécurité pendant les périodes de transition dépend également du niveau de protection sociale. Cette protection doit permettre aux gens de subvenir à leurs propres besoins et à ceux de leur famille pendant qu’ils cherchent un emploi approprié et se reconvertissent au besoin. Des systèmes d’indemnités sociales efficaces, gérés par l’État, apportent la sécurité aux travailleurs entre deux emplois. Et les dépenses publiques destinées aux politiques actives sur le marché du travail témoignent d’un investissement dans l’éducation et la formation adapté aux besoins des individus, un élément essentiel pour permettre aux travailleurs de s’adapter à de nouvelles tâches.

L’expérience montre que la sécurité pendant les périodes de transition est plus efficace lorsque les travailleurs sont soutenus par une législation du travail solide et/ou par des syndicats puissants.

Bien qu’il y ait de nombreuses leçons positives à tirer des systèmes nordiques, il ne faut pas nécessairement en conclure qu’il n’existe pas d’autres méthodes ou que cette approche porte automatiquement ses fruits. La CES estime qu’il peut y avoir plusieurs manières d’atteindre les objectifs communs d’une Europe sociale. En particulier, la CES attire l’attention sur les modèles de flexicurité interne négociée, lorsque des travailleurs changent de poste au sein de la même entreprise.

Calendrier de la flexicurité

Octobre 2005
Sommet social tripartite informel à Londres : le commissaire européen Vladimir Spidla décrit « le concept baptisé flexicurité ».

La communication de la Commission européenne au sommet informel d’Hampton Court (Royaume-Uni) demande une réforme visant à promouvoir « une flexibilité et une adaptabilité destinées à protéger les gens plutôt que les emplois ».

Janvier 2006
La présidence autrichienne de l’UE organise une rencontre informelle des ministres de l’emploi et des affaires sociales sur le thème de la flexicurité.

Mars 2006
Le conseil de printemps de l’UE invite la Commission, les États membres et les partenaires sociaux à examiner les principes communs de la flexicurité.

Octobre 2006
Sommet social tripartite informel en Finlande sur le thème de la flexicurité.

Avril 2007
La CES présente son point de vue à la conférence des parties prenantes de la Commission européenne sur la flexicurité.

Mai 2007
Le manifeste de Séville de la CES demande que le débat sur la flexicurité cesse de se concentrer sur des politiques visant à réduire la protection de l’emploi et les indemnités de chômage.

26 juin 2007
La Commission européenne adopte une communication - Vers des principes communs de flexicurité : des emplois plus nombreux et de meilleure qualité en combinant flexibilité et sécurité.

13-14 septembre 2007
La présidence portugaise de l’UE organise une conférence : Flexicurité : principaux défis.

Novembre 2007
Le Parlement européen doit voter le rapport Vers des principes communs de flexicurité : des emplois plus nombreux et de meilleure qualité en combinant flexibilité et sécurité.

Décembre 2007
Le Conseil européen doit se mettre d’accord sur les principes communs de la flexicurité.