Une réforme de la gouvernance économique : les priorités de la CES contre l'austérité et pour l'investissement

Une réforme de la gouvernance économique : les priorités de la CES contre l'austérité et pour l'investissement

Adoptée à la réunion du Comité Exécutif des 26-27 mars 2024

 

La CES s’oppose avec vigueur à la réforme de la gouvernance économique de l’UE. Elle manque de vision en matière de croissance durable, elle nuit à la résilience socioéconomique et entrave la convergence vers le haut des conditions de travail et de vie dans l’UE. Pour la première fois en une décennie, une intervention dans le pacte de stabilité et de croissance (PSC) fixe des règles plus strictes que celles réformées. Avec des niveaux d’investissements publics minimums alignés sur les niveaux pré-Covid, l’ambition en termes d’investissement est trop modeste. Les dépenses sociales sont fixées en tenant compte d’autres priorités politiques tandis que les États membres seront contraints d’entamer des réformes non désirées de leurs régimes de pensions et de leurs systèmes de santé. La réforme ne s’attaque pas aux faiblesses démocratiques de la gouvernance économique de l’UE.

Depuis le début du processus de révision de la gouvernance économique, la CES a plaidé en faveur d’un cadre de gouvernance économique équilibré favorisant le progrès social et le bien-être. L’implémentation réussie de SURE et de NGEU a convaincu la CES de la validité de ses propositions de politiques. La réponse à l’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis en lumière le potentiel de l’UE pour protéger ses citoyens des risques extérieurs. La CES exhorte tous les responsables de l’UE à agir en tenant compte des leçons apprises et à œuvrer en faveur d’une capacité budgétaire européenne, de la justice fiscale et de ressources propres accrues. La CES a présenté des propositions constructives aux colégislateurs durant l’élaboration de la réforme et durant tout le processus législatif.

 

Une réforme qui échoue à rencontrer les exigences syndicales

Les colégislateurs sont parvenus à un accord sur la gouvernance économique le 10 février. Notre évaluation générale est négative. Les faiblesses de cette réforme portent notamment sur l’absence d’ambition en matière d’investissements et de transition juste. Considérant que l'instabilité du scénario international place l'UE face à de multiples défis, l'UE a un besoin stratégique de garantir une marge de manœuvre fiscale pour les investissements et la cohésion sociale. Alors que les objectifs de l’UE demandent des États membres qu’ils mobilisent des investissements publics et des mesures pour une transition juste supplémentaires, les règles budgétaires visent un assainissement des finances publiques par trop rapide et fixent des niveaux d’investissement insuffisants équivalents aux périodes pré-Covid. Compte tenu du scénario international actuel et des prévisions de faibles performances de l'économie de l'UE, le PSC réformé pourrait s'avérer impossible à mettre en œuvre.

Cette réforme ignore la jeune génération qui a manifesté dans les rues durant les Vendredis pour l’avenir et les travailleurs car elle réduit l’espace pour la création d’emplois et la transition juste. En visant à générer des positions structurelles équilibrées ou excédentaires dans les budgets nationaux, cette réforme limite l’espace budgétaire pour les investissements et donne lieu à de dangereux compromis entre durabilité, résilience, sécurité et progrès social. Les périodes d'austérité passées ayant montré que les politiques fiscales restrictives pénalisent la position des femmes sur le marché du travail et dans la société, cette réforme trahit également la promesse de s'attaquer aux disparités salariales et d'emploi fondées sur le genre, bien présentes dans l'UE. De manière générale, la réforme surestime profondément le rôle des investissements privés et néglige les conditionnalités sociales ou la nécessité de progrès social. Cela ne fera qu'exacerber la désertification de l'industrie manufacturière dans l'UE, déjà lourdement affectée par une situation de longue date où les niveaux d'investissement privé sont faibles alors que les dividendes des bénéfices ont grimpé en flèche comme jamais auparavant.

Cette réforme fragmente la solidarité européenne et manque d’équité et de transparence. Le rejet des nouvelles règles par la CES est également lié à la méthodologie non transparente de l’analyse de la soutenabilité de la dette (DSA). Les pays dont la dette dépasse 90% seront mis sous surveillance mutuelle renforcée, leurs efforts budgétaires étant eux soumis à des critères minimums obligatoires (garde-fous en matière de dette et de déficit appliquées aux pays dont la dette dépasse 60 % ou 90 % de la dette/PIB) qui limiteront fortement les dépenses publiques nettes. Même les efforts budgétaires les plus stricts résultant de l’évaluation des risques associés au ratio d’endettement (DSA menée par des experts sous la responsabilité de la Commission européenne) mettront des pays sous pression pour qu’ils accroissent encore leurs efforts budgétaires qui pourraient miner leurs tentatives visant à protéger et à améliorer le financement des services publics, de la transition juste et d’autres priorités de l’UE.

Certains gouvernements résistent à l’idée qu’une dimension sociale du Semestre européen pourrait les rendre responsables de l’amélioration des conditions de travail et de vie. Le cadre de convergence sociale (vers le haut) peut potentiellement tenir les gouvernements pour responsables de poursuivre des objectifs sociaux communs. Bien que la réforme puisse tenir compte du SEDS et du cadre de convergence sociale, le risque est que les résultats soient déterminés par les règles techniques appliquées à l’analyse de la soutenabilité de la dette.

Cette réforme nous mène à prédire de nouvelles réformes qui remettent en cause l’adéquation des pensions et des services publics. Les États membres sont encouragés à légiférer à propos d’éléments du coût du vieillissement dans le but de réduire leur impact sur les finances publiques durant la période post-ajustement. Cela aura probablement pour effet de voir, une nouvelle fois, les besoins croissants d’une population vieillissante traités comme étant une charge indésirable. Cela monte également les générations les unes contre les autres et sape le principe de solidarité intergénérationnelle consacré dans l’accord cadre de l’UE sur le vieillissement actif et une approche intergénérationnelle. Il s’agit du premier déficit démocratique de cette réforme qui pénalise les plus vulnérables de notre société.

Une prise de décision technocratique creusera l’écart entre les citoyens et les décisions impactant leur vie. Une méthodologie complexe pour calculer les risques financiers des États membres sera aux mains d’une poignée de technocrates. La méthodologie DSA implique l’adoption de nombreuses hypothèses en matière de croissance, de multiplicateurs d’investissement, de démographie et d’autres hypothèses discrétionnaires qui ne laissent pas de place pour de réels débats démocratiques sur une détermination politique appropriée. Des hypothèses pessimistes produisent des résultats de croissance auto-réalisateurs qui, dès lors, rendent les efforts d’austérité plus durs encore. Cela constitue le deuxième déficit démocratique de la réforme.

La réforme sous-estime la pertinence du dialogue social et menace la négociation collective. Les partenaires sociaux sont mentionnés comme étant parties prenantes. Pourtant, le PSC n’attache pas une grande importance au dialogue social et à la négociation collective lorsqu’il définit les investissements et les réformes ou les transformations économiques et industrielles qui les accompagnent. C’est surprenant étant donné qu’il est largement admis que l’absence de dialogue social est l’un des obstacles ralentissant l’implémentation de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR). Le rôle du Parlement européen et des parlements nationaux est également sous-estimé de par un accès limité aux décisions clés telles celles relatives à la DSA. La Commission européenne apparaitra comme une contrepartie, et non comme un partenaire des États membres, ouvrant ainsi la voie à des narratifs trompeurs de l’UE. Ceci est le troisième déficit démocratique de la réforme.

 

Action syndicale contre les programmes d’austérité et pour des plans d’investissement durable

La CES ne voit aucun empressement à adopter la réforme de la gouvernance économique et estime que cette réforme rate l’occasion de profiter de l’opportunité de créer un cadre de gouvernance économique équilibré visant le progrès social et le bien-être. La réforme déprimera les investissements et nuira à la cohésion sociale. En outre, elle manque de vision pour une UE plus forte et plus équitable. Il faut agir pour prévenir des décisions malheureuses concernant les objectifs budgétaires et revoir les priorités déjà en cours avec un premier projet de plan national à partir de juin 2024.

Le mouvement syndical agira afin d’éviter que les travailleurs ne paient la facture de l’austérité et encouragera plutôt un agenda d’investissement propice à l’emploi. Une référence plus précise à l’article 148 et l’adoption du cadre de convergence sociale peuvent constituer un champ d’action pour accroitre la pertinence d’une convergence sociale vers le haut, y compris l'élimination des écarts fondés sur le genre, dans l’ensemble du Semestre européen. Dans ce contexte, la CES sera attentive à ce que les extensions des plans budgétaires et structurels pluriannuels ne puissent être (mal) utilisés pour faire pression sur les États membres pour la mise en œuvre de réformes néolibérales des politiques au détriment des travailleurs.

La voix des travailleurs doit être entendue dès le début du Semestre européen réformé. Bien que l’implication des partenaires sociaux soit toujours confirmée, l’absence de référence à la spécificité du dialogue social porte atteinte à l’accord quadripartite de 2016 sur la relance du dialogue social et à la récente recommandation sur le renforcement du dialogue social. Cela doit être corrigé par une stratégie commune du mouvement syndical européen.

La CES s’oppose à l’accord déséquilibré sur la réforme de la gouvernance économique auquel les institutions européennes sont parvenues et :

  • poursuivra son plaidoyer et sa pression politique en faveur d’un outil d’investissement financé par l’UE comme mécanisme de suivi du refinancement par la FRR d’un SURE amélioré et de l’élargissement du cadre financier pluriannuel (CFP) et de son montant, y compris de nouvelles ressources budgétaires propres pour l’UE ;
  • s’opposera à l’austérité au niveau européen et national en soutenant des objectifs sociaux et environnementaux communs (à commencer par l’élaboration de programmes anti-austérité et de plans d’investissement durable ;
  • veillera à une consultation opportune, sérieuse et appropriée des syndicats au sujet de la conception, de l’implémentation, du contrôle et de l’évaluation des plans nationaux en coordonnant les contributions pour les plans nationaux ;
  • coordonnera les contributions relatives aux mesures anti-austérité et aux priorités d’investissement, particulièrement celles concernant les plans pour l’énergie et le climat, la transition juste et les objectifs européens communs.