Une nouvelle impulsion sociale pour la stratégie du marché intérieur 2010-2015

Bruxelles, 09-10/03/2010

L'impact du marché intérieur sur le modèle social de l'Europe suscite des préoccupations. La crise a cruellement dévoilé les faiblesses de la stratégie basée sur la déréglementation et la libéralisation. Si l’Union européenne ne parvient pas à préserver les acquis sociaux et à équilibrer les règles du marché intérieur avec les droits des travailleurs, l’approfondissement du marché intérieur pourrait s’avérer plus difficile. Les replis protectionnistes se renforceront et le marché unique sera confronté à davantage de distorsions.{{

Pour restaurer une confiance des citoyens européens il ne suffit pas de modifier seules les règles du marché intérieur, même si c’est indispensable pour corriger les erreurs du passé (en réglementant le secteur financier et en créant un meilleur cadre pour les services publics, par exemple).
Une nouvelle impulsion sociale est nécessaire afin de renforcer la protection des travailleurs, y compris contre une concurrence vers le bas des salaires et des conditions de travail.}} {{La CES considère qu’il est essentiel d’adopter une clause de progrès social dans le droit primaire et des directives afin d’équilibrer la circulation des travailleurs et des services, les droits fondamentaux et les règles de la concurrence.
}}{{La relance sociale du marché intérieur nécessite également une gouvernance économique européenne. La crise démontre qu’elle est aujourd’hui plus urgente que jamais. Elle devrait se baser sur des politiques communes, industrielles et fiscales notamment, afin de limiter une concurrence des régimes et de préserver la capacité de financement des systèmes de protection sociale et des services publics.
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1) Évolution récente :
- L’ancien commissaire Mario Monti a été chargé par le président de la Commission, M. Barroso, d’établir un rapport sur le marché intérieur afin de remédier à la « fatigue du marché » et de lutter contre les risques de protectionnisme ;
- Le nouveau Commissaire au marché intérieur, Michel Barnier, a déclaré au Parlement européen que la relance du marché intérieur doit être associée au progrès social ;
- Le traité de Lisbonne, qui prévoit davantage de dispositions sociales, est entré en vigueur et doit désormais être intégré à la stratégie de la Commission.
C’est pourquoi la CES invite la Commission à élaborer une politique sociale ambitieuse et à proposer des initiatives législatives pertinentes, à l’image du programme de travail de la Commission sous la présidence de Jacques Delors.
Ce document vise à formuler des propositions pour le rapport Monti et le programme de travail de la Commission sur le marché intérieur.

{{Un enseignement de la crise : une gouvernance économique européenne est aujourd’hui plus urgente que jamais
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2) La crise financière, suivie par la crise économique et sociale la plus grave depuis les années 30, a modifié la structure du marché intérieur. Cette crise a réduit à néant de nombreux avantages acquis au cours des dernières années. Les finances publiques ont été durement touchées. Et des millions de personnes en subissent actuellement les conséquences. Le Bureau international du travail (BIT), dans son rapport annuel sur les « Tendances mondiales de l’emploi », recense 212 millions de chômeurs en 2009. Ce sont ainsi pas moins de 34 millions de personnes qui sont venues grossir les rangs des sans-emploi depuis 2007, à la veille de la crise mondiale. Depuis 2008, plus de 8 millions de personnes en Europe ont perdu leur emploi. En Europe, plus de 23 millions de femmes et d’hommes sont aujourd’hui au chômage.

3) Cependant, dans son étude économique intitulée « Approfondir le marché unique », (8 décembre 2009), la Commission se félicite des nombreuses retombées bénéfiques au cours de la période 1992-2006. Elle souligne le potentiel inexploité du marché unique et annonce l’adoption, d’ici à 2012, à l’occasion du 20e anniversaire du marché unique, d’un vaste ensemble de mesures destiné à rétablir la confiance et à permettre aux entreprises et aux citoyens d'exploiter pleinement ce potentiel. Ce n’est pas la première fois (comme l’illustre la stratégie « UE 2020 ») que la Commission semble ne pas prendre la mesure de l’ampleur et de la violence de la crise.

4) Les coûts économiques et sociaux de cette crise sont beaucoup plus élevés que les bénéfices escomptés du programme « Mieux légiférer » et de la transposition de la directive sur les services, dont il convient d’analyser les conséquences sociales. La crise a définitivement mis un terme à l’ancienne stratégie de Lisbonne. La hausse vertigineuse du chômage et le gonflement des dettes publiques ainsi que les conséquences sur les dépenses publiques représentent un défi de taille pour les années à venir et mettent en évidence le besoin d'une meilleure coordination des politiques économiques au plan européen, d’une gouvernance économique européenne.

5) C’est en effet la réglementation minimaliste des marchés financiers qui a permis le déclenchement de la crise. Cette doctrine de la dérégulation, dont Reagan et Thatcher sont les figures emblématiques, a contribué au désastre auquel nous sommes actuellement confrontés. Pendant un certain temps, la Commission européenne a fondé sa stratégie pour le marché intérieur sur ce même principe de dérégulation. Mais un changement s’impose désormais. La Commission doit être le moteur d'un marché intérieur associé à une forte dimension sociale plutôt que privilégier la compétitivité à tout prix.

{{La réglementation financière
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6) La spéculation contre certains pays de la zone euro souligne l’urgence d’un renforcement de la réglementation des marchés financiers. Le défi majeur consiste en réalité à garantir qu’un retour au statu quo est impossible. Les secteurs financier et bancaire doivent être supervisés et réglementés de façon efficace et contribuer à une croissance économique durable et au développement social. Il faut mettre un terme au « dumping réglementaire » et, si nécessaire, l’Union européenne doit pouvoir édicter ses propres règles afin d’éviter une autre crise mondiale. La CES présente des propositions séparées sur ce point.

{{Une meilleure coordination budgétaire
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7) Les gouvernements de l’UE et d’autres ont sauvé les banques avec l’argent des contribuables. En conséquence, certains pays éprouvent des problèmes de solvabilité et tous accusent de graves déficits publics. On ignore encore qui paiera le prix de cette crise. Le montant total des plans de relance approuvés par la Commission entre octobre 2008 et la fin du mois d’octobre 2009 s’élève à environ 3 milliards d’euros. Il est actuellement nécessaire d’éviter la concurrence budgétaire et fiscale, qui affaiblit les états providence, la protection sociale et la stabilité financière des dépenses publiques. Jusqu’à présent, la Commission a évité d’aborder la concurrence fiscale dans ses communications relatives au marché intérieur. Il s’agit là d’un aspect dont elle doit désormais tenir compte.

{{De nouvelles ressources et la taxe sur les transactions financières
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8) La prévision des taux de croissance en Europe ne permet pas d'envisager une reprise susceptible de créer des emplois nouveaux et de meilleure qualité. Les responsables politiques européens se soucient de résorber les déficits publics au plus tôt et de mettre en œuvre des stratégies budgétaires de sortie de crise, y compris le gel et les réductions de salaires et des réductions d’effectifs dans le secteur public et les services sociaux. Ces mesures risquent d'affaiblir davantage la demande intérieure, de déclencher des spirales concurrentielles vers le bas des salaires, de fausser le marché intérieur, et d’augmenter le chômage et la misère sociale. De nouvelles ressources sont nécessaires. C’est pourquoi la CES demande une nouvelle injection de fonds publics à hauteur de 1 % du PIB afin de stimuler l'emploi. La CES demande instamment (comme l’a fait le PE) d’aller de l’avant sur l’idée d’une taxe sur les transactions financières afin d’avoir l’assurance que le secteur financier contribue de manière équitable à la relance économique car les coûts substantiels et les conséquences de la crise financière sont supportés par l’économie réelle, les contribuables, les services publics et les travailleurs. L’UE est une entité économique indépendante, capable d’introduire par elle-même une taxe sur les transactions financières à des fins de développement international, d’amélioration de l’environnement et de mesures anticrise.

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Les services publics
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9) La crise a mis en exergue le rôle des services publics, qui ne sont plus considérés par les hommes politiques comme une charge coûteuse, mais comme des « stabilisateurs automatiques » - il serait probablement plus exact de parler de « stabilisateurs sociaux ». Ils constituent les piliers du modèle social européen et sont un élément essentiel du développement durable. La CES n’accepte pas que la Commission, dans le cadre de sa stratégie pour le marché intérieur et de son programme « UE 2020 », poursuive sa politique de libéralisation et de privatisation et néglige l’importance des services publics. Le financement des services publics doit être garanti, en tant qu’investissement dans l'avenir de l’économie sociale de marché en Europe. Il est en outre nécessaire de mettre en place un cadre pour des services publics de qualité qui soutienne l’accomplissement de leur mission d’intérêt général.

{{Le partenariat public-privé
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10) En novembre 2009, la Commission a souligné le rôle essentiel du développement des partenariats public-privé (PPP) dans le maintien et la relance de l’activité économique en période de crise [COM (2009) 615 final, le 19 novembre 2009]. La définition très large et peu explicite du PPP sur laquelle se fonde ce document a permis de classer les procédures de concession de services et de passation de marchés publics dans la catégorie des PPP. Les PPP y sont présentés comme des instruments qui doivent servir principalement à renforcer « l’efficacité des services publics » et à « atténuer la pression immédiate qui pèse sur les finances publiques ». Cette conception semble se fonder sur le préjugé idéologique selon lequel l’initiative privée est préférable. C’est également une façon de séparer les dépenses publiques des comptes publics. La Commission recense une série d’expériences réussies et se demande « pourquoi les PPP ne réalisent pas pleinement leur potentiel ». Elle n’évoque à aucun moment les échecs des PPP, comme l'exemple de l'entretien du métro de Londres, et omet de mentionner que certains partenariats public-privé, loin de constituer des engagements initiaux à long terme, sont en réalité un nouveau marché sur lequel la structure privée peut changer de propriété avec une fréquence alarmante. Il s’agit là d’un autre aspect du capitalisme « casino ».

{{Les marchés publics
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11) Depuis l’adoption des directives révisées sur les marchés publics et notamment la publication en août 2004 de « Acheter vert ! Un manuel sur les marchés publics écologiques », la CES a demandé que soit publié un manuel sur les marchés publics sociaux, une demande que la Commission s’était engagée à satisfaire. Mais nous attendons depuis six ans la publication de ce manuel qui permettrait d’expliquer comment des considérations d’ordre social, éthique ou relatives à l’emploi peuvent être intégrées aux processus de passation des marchés. Il s’agit notamment de fournir des informations et de garantir la conformité quant à la protection de l’emploi, aux conditions de travail, au respect des conventions de l’OIT et des conventions collectives.

{{La politique industrielle
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12) Le besoin d’une nouvelle politique industrielle est manifeste dans tous les États membres de l’UE : dans ceux qui accusent un retard et nécessitent un investissement à long terme pour se moderniser ; dans les grands pays industrialisés dont la croissance est tirée par les exportations, mais qui sont durement touchés par la crise ; dans les nations qui mènent une politique industrielle de « laisser faire ». La CES rappelle que les États membres doivent être en mesure de réaliser des investissements publics afin de faciliter la création de nouveaux marchés et d’emplois nouveaux (cf. la résolution sur le changement climatique, les nouvelles politiques industrielles et les sorties de crise, Stockholm, les 20 et 21 octobre 2009).

{{Le droit des sociétés
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13) Le besoin de garantir que les entreprises n’abusent pas des possibilités offertes par le marché intérieur pour se soustraire à leurs obligations juridiques qui, dans d’autres circonstances, auraient été applicables en vertu du droit national a été mis en relief au cours des débats sur la proposition de règlement relative au statut de la société privée européenne (SPE). En conséquence, la CES renouvelle sa demande en vue de l’adoption urgente d’une 14e directive sur le transfert transfrontalier de sociétés enregistrées, afin de prévenir la création de sociétés « boîtes aux lettres ». Une telle initiative constitue un préalable indispensable à toute évolution ultérieure du droit européen des sociétés, y compris, notamment, à l’adoption du statut de la SPE. La CES a demandé que des modifications essentielles soient apportées à la proposition de règlement relative au statut de la société privée européenne. Il est notamment essentiel que le statut de la SPE s’accompagne de règles régissant les normes minimales concernant la participation des travailleurs. Il est également essentiel que la SPE ne mette pas sous pression les formes juridiques nationales, ainsi que les droits de participation qui leur sont liés. Une dimension transfrontalière et des exigences minimales en matière de fonds propres sont donc des conditions préalables essentielles à la création d’une SPE. La CES a exprimé sa vigoureuse opposition à des propositions de compromis qui constitueraient une régression inacceptable des droits des travailleurs, tant au plan européen qu’au plan national.


{{La création d’un marché intérieur juste et social
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14) Les différentes facettes de la stratégie actuelle pour le marché intérieur montrent qu’un examen en profondeur et une révision sont nécessaires. La réalisation du marché intérieur devrait respecter les intérêts des personnes et des travailleurs, et des mesures ne devraient pas être adoptées en l’absence d’un avantage social manifeste. La création d’un marché intérieur n’implique pas que tout soit déréglementé. La Commission ne devrait invoquer la libre circulation des biens et des services que si les mesures concernées ne menacent pas la protection des travailleurs. La CES redoute que la relance d’une stratégie pour le marché intérieur entraîne de nouvelles initiatives de dérégulation et augmente le risque d’une ‘course vers le bas’. La dimension sociale de l’UE repose en partie sur la présence d’un cadre de protection des travailleurs, y compris une législation européenne qui empêche une concurrence à la baisse des salaires et des conditions de travail. Les arrêts de la CJE, notamment Laval, Viking, etc., ont été extrêmement préjudiciables au soutien des travailleurs envers l’UE. La Commission et les autorités européennes doivent prendre les mesures nécessaires pour indiquer clairement à la CJE que les règles du marché intérieur ne visent pas à démanteler des décennies d’efforts entrepris par les États membres pour améliorer les conditions de vie de leurs travailleurs.

15) Depuis de nombreuses années, la CES demande que le marché intérieur soit associé à une dimension sociale forte, mais les résultats sont insuffisants. La CES demande aujourd’hui de combler le retard. Des mesures sont nécessaires pour promouvoir les objectifs sociaux de l’Europe, notamment à travers un agenda social ambitieux, qui garantit l’égalité de traitement en termes de salaires et de conditions de travail, applicable sur le lieu d’exécution du travail; des droits en matière d’emploi pour les travailleurs exclus et les travailleurs domestiques; une responsabilité conjointe et solidaire et des actions contre les faux indépendants; l’égalité d’accès aux systèmes de protection sociale; la portabilité des droits, y compris les droits syndicaux transnationaux.

16) La CES continue notamment à accorder une très grande importance à l’introduction d’une clause de progrès social en droit primaire, et aux instruments nécessaires à l’application du droit dérivé afin d’équilibrer la circulation des travailleurs et des services, les droits fondamentaux et les règles de la concurrence. La CES demande également une révision de la directive concernant le détachement de travailleurs et la mise en place d’un cadre pour les services publics. Enfin, la CES insiste pour que la clause Monti soit incluse dans tous les actes législatifs relatifs au marché unique. Cette démarche permettrait de garantir que l’application des quatre libertés fondamentales du marché unique ne constitue pas une entrave aux droits de négociation collective et au droit de grève tels que définis par la législation nationale.

17) Si l’Europe ne parvient pas à équilibrer les règles du marché intérieur et les droits des travailleurs et des citoyens, le processus d’intégration pourrait s’avérer plus difficile. Les replis protectionnistes se renforceront et le marché unique sera confronté à davantage de distorsions. Il est nécessaire d’adopter une approche visionnaire, moins tournée vers le marché pour surmonter les préoccupations actuelles liées aux conséquences dommageables du marché intérieur sur le modèle social européen. La CES réitère son soutien au marché intérieur, mais à condition que cette nouvelle conception du marché soit durable, en termes sociaux et environnementaux, qu'elle se traduise par un renforcement de la protection sociale, privilégie l'intérêt général et vise à promouvoir les droits des travailleurs et des conditions de travail équitables.






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