Résolution de la CES sur le paquet « Fit for 55 »

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Résolution de la CES sur le paquet « Fit for 55 »

Adoptée lors du Comité Exécutif virtuel du 22-23 mars 2021

Résumé des messages clés

  • La CES soutient la révision à la hausse de l’objectif de réduction des émissions de GES de l’UE à au moins 55 % d’ici 2030, même si cela représente un défi important pour de nombreux travailleurs. Cet objectif devrait être complété par un objectif distinct pour les absorptions d’émissions. Ces objectifs devraient toutefois être accompagnés de mesures financières et politiques suffisantes pour qu’ils puissent être atteints d’une manière socialement équitable.  
  • Une « stratégie industrielle neutre sur le plan climatique » et des stratégies sectorielles concrètes de décarbonisation sont nécessaires pour compléter l’approche de plafonnement et d’échange du système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE). Le SCEQE peut être un outil utile pour réduire les émissions de GES, mais l’UE ne doit pas compter uniquement sur ce mécanisme pour décarboniser ses industries à forte intensité énergétique. Toute révision de ce mécanisme devrait tenir compte des spécificités régionales et sectorielles afin d’éviter des pertes d’emplois massives. La CES accepte d’étendre le SCEQE au transport maritime et aux vols extra-EEE, mais n’est pas favorable à l’inclusion du transport routier et des bâtiments.
  • La hausse des prix du carbone nécessitera de nouvelles mesures pour éviter les fuites de carbone. Entre autres instruments, la CES soutient l’idée d’établir un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF). Un tel outil, s’il est associé à des politiques d’innovation et à des mesures visant à créer des marchés pilotes pour les biens industriels à faible intensité de carbone, pourrait contribuer à intensifier l’action de l’UE en faveur du climat tout en préservant des emplois de qualité et des industries innovantes. Il doit toutefois être conçu avec soin pour éviter tout impact négatif sur les travailleurs. Le futur MCAF devrait être compatible avec les règles de l’OMC, il devrait donner la priorité aux secteurs stratégiques et limiter les risques de délocalisation des activités manufacturières en aval de la chaîne de valeur.
  • La CES appelle les institutions européennes à maintenir et à renforcer le règlement sur la répartition de l’effort (RRE). La révision du RRE devrait intégrer la transition équitable et accroître la solidarité européenne. Pour atteindre leurs objectifs accrus, les États membres, par le biais du dialogue social, devraient élaborer des feuilles de route sectorielles de décarbonisation et des plans de transition équitable. Pour être efficace, l’effort devrait être réparti plus équitablement entre les États membres, à condition que les pays à faible revenu reçoivent un soutien financier plus important.
  • Le système d’échange de quotas d’émission et le règlement sur la répartition de l’effort ne sont pas les seuls instruments que l’UE peut utiliser pour atteindre ses objectifs climatiques pour 2030. La Commission doit utiliser pleinement ses autres politiques sectorielles et outils législatifs pour renforcer l’action en faveur du climat. Ces politiques contribueraient à développer de nouvelles chaînes de valeur industrielles qui créent et maintiennent des emplois de qualité dans l’UE. Les services publics et les autorités publiques ont également un rôle clé à jouer dans le pilotage de la transition verte.   
  • Pour garantir l’acceptation sociale et le soutien du public, le concept de transition juste devrait être intégré dans toutes les politiques du paquet « Fit for 55". Parallèlement à l’action en faveur du climat, l’objectif du paquet devrait être de maintenir et de créer des emplois durables et de qualité dans tous les secteurs et toutes les régions. Les institutions européennes devraient encourager le recours au dialogue social et à la négociation collective pour gérer le processus de transition.

Contexte

Le 17 septembre, la Commission européenne a présenté son plan d’objectifs climatiques[1] pour 2030. Dans ce document, la Commission a reconnu à juste titre que l’objectif climatique actuel de l’UE est insuffisant et que le cadre de la politique climatique et énergétique pour 2030 doit être mis à jour. La Commission a donc annoncé son intention d’augmenter l’objectif climatique de l’UE pour atteindre une réduction d’au moins 55 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) d’ici 2030 par rapport à 1990. Les États membres ont formellement approuvé cet objectif lors d’une réunion du Conseil de l’UE le 11 décembre[2].

Pour atteindre ce nouvel objectif, la Commission a défini une série d’actions nécessaires pour décarboniser les différents secteurs de l’économie. Elle a également indiqué que plusieurs instruments législatifs clés seront révisés. Parmi ces instruments législatifs susceptibles d’être révisés figurent : la directive sur le système d’échange de quotas d’émission, le règlement sur la répartition de l’effort, la directive sur les énergies renouvelables, la directive sur l’efficacité énergétique, la directive sur la performance énergétique des bâtiments, les normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures et les camionnettes et le règlement UTCATF. Ces révisions — complétées par une nouvelle proposition législative pour un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) — constituent le paquet « Fit for 55 » qui sera déployé en 2021.  

Cette résolution expose le point de vue de la CES sur les nouveaux objectifs climatiques pour 2030 ainsi que certaines recommandations pour concevoir le paquet « Fit for 55 » de manière à ne laisser personne de côté.

Plan d’objectifs climatiques pour 2030

La crise du COVID19 ne modifie pas le soutien de longue date de la CES en faveur d’une action climatique plus ambitieuse, d'autant que nombre des causes profondes du changement climatique ont également tendance à accroître le risque de pandémie. Dans un contexte où les événements météorologiques extrêmes deviennent plus intenses et plus fréquents au fil du temps, les syndicats soutiennent la révision à la hausse de l'objectif de réduction des émissions de GES de l'UE à au moins 55% d'ici 2030, même si cela représente un défi majeur pour de nombreux travailleurs. Atteindre cet objectif est crucial si l'UE veut atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 et se conformer à l'accord de Paris. Afin de renforcer le cadre mondial de lutte contre les émissions et d'œuvrer à l'établissement de conditions de concurrence équitables au niveau mondial, un système comptable transparent et solide est nécessaire. Pour montrer l'exemple, l'UE doit adopter un objectif de réduction des émissions à l'horizon 2030, complété par un objectif distinct pour les absorptions. Mélanger les émissions et les absorptions dans un seul objectif permettrait à d'autres pays de faire de même et saperait la transparence et la confiance nécessaires pour accélérer la transition vers la neutralité climatique.

Nous insistons toutefois pour que ces objectifs soient accompagnés de moyens financiers suffisants pour les atteindre d’une manière équitable pour tous. Sinon, les objectifs révisés n’auront aucun sens et pourraient être mal perçus par les travailleurs européens, en particulier par ceux qui travaillent dans les secteurs qui seront les plus touchés par la décarbonisation et qui ont été gravement affectés par la crise du COVID19. Dans son analyse d’impact accompagnant le plan relatif aux objectifs climatiques pour 2030, la Commission est très claire quant au défi d’investissement qui nous attend : la réalisation de l’objectif de — 55 % nécessiterait au moins un investissement annuel supplémentaire de 438 milliards d’euros entre 2021 et 2030[3]. Il va sans dire qu’il reste encore beaucoup de chemin à parcourir si nous voulons que le budget de l’UE corresponde à l’ambition climatique affichée. La CES demande donc aux institutions européennes et aux États membres d’assurer un financement plus important et de mobiliser les investissements privés et des entreprises pour combler ce fossé. Outre la décarbonisation, l’objectif primordial du « Green Deal » européen devrait être de maintenir et de créer des emplois durables et de qualité dans l’UE, ainsi que de garantir une transition juste dans tous les secteurs et toutes les régions. Nous regrettons donc que l’accord budgétaire conclu en juillet par le Conseil de l’UE réduise le montant du Fonds pour une transition juste de 40 milliards d’euros (comme proposé initialement par la Commission) à 17,5 milliards d’euros. Tenter d’atteindre les nouveaux objectifs climatiques pour 2030 avec un budget aussi limité pour une transition juste pourrait laisser de nombreux travailleurs européens sur le carreau, car les régions et les secteurs à forte intensité de carbone seraient confrontés à des perturbations massives. Ces réductions devraient donc être annulées ou compensées par d’autres sources.

Parallèlement à ces considérations budgétaires, la CES est également favorable au développement d’outils qui orienteront les investissements vers des activités durables et supprimeront progressivement les subventions nuisibles à l’environnement. À cet égard, la taxonomie de l’UE peut être très utile pour fournir aux investisseurs publics et privés des informations sur la durabilité des différents types d’activités et d’investissements. Cela pourrait également contribuer à garantir que 37 % de la facilité pour la reprise et la résilience soient consacrés aux dépenses liées au climat. Lors de l’élaboration de la classification des activités durables, il convient de s’assurer que tous les secteurs ont accès aux ressources dont ils ont besoin pour atteindre la neutralité climatique d’ici 2050 et remplir les objectifs de l’accord vert européen. La taxonomie ne doit donc pas dresser de liste noire des secteurs industriels qui ont besoin d’investissements considérables pour être décarbonisés[4]. Outre ces considérations environnementales, la CES encourage les décideurs politiques à inclure de fortes exigences sociales et de gouvernance dans les critères de la taxonomie afin d’orienter les investissements vers des activités qui créent des emplois décents, facilitent la transition des travailleurs et respectent les conventions collectives et les droits des travailleurs.

Parallèlement à un financement adéquat, il est tout aussi important que la révision à la hausse de l’objectif climatique de 2030 se traduise par un cadre politique concret et adéquat. À cet égard, le paquet « Fit for 55 » sera décisif pour l’action climatique de l’UE au cours de la prochaine décennie. Pour les syndicats, il est important que les futures politiques climatiques soient ambitieuses et, en même temps, orientées vers une transition juste afin de soutenir les travailleurs les plus touchés. Un paquet « Fit for 55 & transition juste » est le seul moyen de faire coïncider l’ambition climatique avec l’équité sociale. Les sections ci-dessous détaillent les idées et les recommandations de la CES sur la manière d’atteindre cet équilibre.

Une stratégie industrielle neutre sur le plan climatique pour compléter le système d’échange de quotas d’émission

Le système communautaire d’échange de quotas d’émission (SCEQE) est un système de plafonnement et d’échange qui a été introduit en 2005. Le système couvre les secteurs liés à la production d’électricité et de chaleur, la plupart des industries à forte intensité énergétique, ainsi que l’aviation commerciale intra-européenne. Ensemble, ces secteurs représentent environ 40 % des émissions de gaz à effet de serre de l’UE. Entre 2005 et 2019, les émissions des installations couvertes par le SCEQE ont diminué d’environ 35 %[5]. Cette réduction des émissions s’explique principalement par le déclin de la production d’électricité à partir du charbon. Toutefois, le système d’échange de quotas d’émission n’a pas entraîné de réduction significative des émissions de gaz à effet de serre dans d’autres secteurs tels que les industries à forte intensité énergétique ou l’aviation.

Pour les syndicats, il est clair que l’UE ne peut pas compter uniquement sur un système de plafonnement et d’échange pour devenir neutre en carbone en 2050. La CES estime que l’UE devrait compléter le signal de prix envoyé par le SCEQE par des investissements massifs dans les infrastructures ainsi que dans le développement et le déploiement de technologies de pointe à faible émission de carbone (par exemple, par le développement de l’hydrogène vert, du captage, du stockage et de l’utilisation du carbone[6], des batteries ou d’autres technologies propres permettant des processus de production industrielle à faible émission de carbone). Pour y parvenir, nous appelons la Commission européenne à proposer une « stratégie industrielle neutre sur le plan climatique » pour accompagner son paquet « Fit for 55 ». Ce document fournirait un cadre complet pour mettre l’industrie européenne sur la voie de la neutralité climatique d’ici 2050. Le « Plan directeur pour une transformation compétitive des industries européennes à forte intensité énergétique permettant une économie circulaire neutre sur le plan climatique d’ici 2050[7] » devrait servir de base à la conception de cette stratégie et notamment à la création de marchés pilotes pour les produits à faible intensité de carbone par des mesures appropriées (par exemple, marchés publics, contrats carbone différentiels). Un tel cadre, accompagné des réformes adéquates des lignes directrices sur les aides d'État, sera essentiel pour maintenir une chaîne de valeur industrielle solide en Europe et pour préserver l'emploi à long terme[8].

Révision du système d’échange de quotas d’émission

Dans le cadre de la révision du SCEQE, les décideurs politiques devront décider dans quelle mesure le facteur de réduction linéaire (FRL) doit être augmenté ou dans quelle mesure le plafond d’émissions doit être réduit. Avant de prendre une telle décision, la CES demande à la Commission d’utiliser ses évaluations d’impact détaillées afin d’identifier ce qui est technologiquement faisable dans chaque secteur, le soutien nécessaire pour transformer l’industrie et les politiques à mettre en œuvre pour maintenir les emplois[9]. Une évaluation granulaire des impacts que la transition aura sur l’emploi et les compétences au niveau sectoriel et régional sera également nécessaire. Sur la base de ces conclusions, chaque secteur devrait élaborer des feuilles de route sectorielles de décarbonisation et, avec les partenaires sociaux, convenir de stratégies de transition justes pour garantir l’emploi et créer des emplois de qualité. À cet égard, la CES se félicite de la création d’un forum industriel ainsi que de certaines alliances sectorielles par la Commission européenne, mais insiste pour que le dialogue social se voie accorder un rôle plus important et plus formel. À tout moment du processus, une attention particulière devrait être accordée à la transition de la main-d’œuvre. Des politiques actives du marché du travail et des programmes de reconversion devraient être élaborés pour permettre aux travailleurs de s’adapter et de conserver leur emploi pendant la transition technologique de leur secteur. Pour les personnes travaillant dans les secteurs qui devront être progressivement supprimés, un programme de formation et une protection sociale adéquate devraient contribuer à assurer une transition en douceur vers les nouveaux emplois créés dans les mêmes régions, grâce aux investissements mentionnés ci-dessus.

En ce qui concerne l’extension du SCEQE à de nouveaux secteurs, la CES est favorable à l’inclusion du transport maritime et des vols extra-EEE dans le système, mais s’oppose à l’idée de l’étendre au transport routier et aux bâtiments. En effet, alors qu’il n’existe actuellement aucune incitation réglementaire satisfaisante pour réduire les émissions de GES provenant des secteurs du transport maritime et de l’aviation internationale, le transport routier et les bâtiments sont soumis à plusieurs réglementations et normes déjà en place. L’inclusion de ces deux secteurs dans le SCEQE nécessiterait une profonde révision du système — qui serait sans aucun doute un processus très long — et pourrait créer de nouveaux problèmes d’excédent de quotas d’émission ou de tarification inadéquate du carbone. En outre, l’inclusion de ces deux secteurs dans le SCEQE pourrait avoir de graves effets distributionnels régressifs et affecter de manière disproportionnée les ménages à faibles revenus[10]. Il pourrait en résulter une augmentation de la pauvreté énergétique puisque les coûts supplémentaires pourraient être répercutés sur les consommateurs. C’est pour ces raisons que la CES estime qu’il serait plus cohérent et plus efficace de réglementer les émissions des secteurs du transport routier et du bâtiment par le biais d’exigences plus strictes dans les instruments législatifs existants, tels que la directive sur l’efficacité énergétique, la directive sur la performance énergétique des bâtiments, les normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures et les camionnettes, etc. Ces secteurs devraient donc rester dans le champ d’application du règlement sur la répartition de l’effort. En outre, les autorités publiques ont un rôle crucial à jouer pour stimuler l’innovation dans les chaînes d’approvisionnement concernées et accélérer le déploiement des infrastructures nécessaires.

Afin de prévenir l’instabilité du marché du carbone, la CES est favorable à la fixation d’un prix plancher pour le carbone, à condition que cela n’ait pas d’impact négatif sur l’emploi. Le rôle de la réserve de stabilité du marché pourrait également être renforcé pour faire face plus rapidement aux chocs imprévus de l’offre ou de la demande.

En ce qui concerne les revenus générés par le SCEQE, les États membres ont gagné 14,1 milliards d’euros grâce aux recettes des mises aux enchères en 2019. Cette année-là, 77 % des recettes ont été utilisées ou provisionnées à des fins climatiques et énergétiques. La CES recommande vivement d’utiliser ces recettes pour augmenter encore les ressources du Fonds d’innovation, du Fonds de modernisation et du Fonds de transition équitable, car cela contribuerait à garantir le financement de la gestion de la transition, en particulier dans les régions et les pays les plus touchés par la décarbonisation. La CES insiste pour que ces recettes soient affectées au financement de l’action climatique (y compris les mesures de décarbonisation des secteurs couverts par le SCEQE) ou utilisées pour contrer les éventuelles conséquences sociales et économiques négatives résultant du processus de décarbonisation. Ces recettes ne devraient pas être utilisées pour alimenter le budget général de l’UE ou pour rembourser les dettes provenant du plan Next Generation EU, sauf si elles sont strictement utilisées pour couvrir des investissements liés au climat.

Lorsque l’on discute du SCEQE, il est important de garder à l’esprit que chaque secteur a ses propres spécificités et limites. La disponibilité des technologies bas carbone et la possibilité de déployer les technologies existantes à l’échelle industrielle diffèrent en effet largement d’un secteur à l’autre. Par exemple, même si de certaines difficultés entravent la transition dans de nombreuses régions, le secteur de l’électricité peut être décarbonisé plus rapidement que d’autres secteurs, car des technologies de production d’électricité bas carbone sont déjà disponibles à grande échelle. Mais la réalité dans les industries à forte intensité énergétique, comme l’acier ou le ciment, est complètement différente. Tant que des technologies bas carbone ne seront pas disponibles à grande échelle et tant qu’il n’y aura pas de marché pour les biens qu’elles produisent, des mécanismes flexibles — tels que les benchmark ETS et les allocations gratuites[11] — resteront nécessaires pour adapter la tarification du carbone aux spécificités de ces secteurs difficiles à décarboner. Il doit cependant être clair que les entreprises ont également un rôle à jouer pour combler le déficit d’investissement afin de déployer des technologies de pointe. Le soutien qui leur est accordé — par le biais d’allocations gratuites temporaires ou d’aides d’État — devrait être conditionné à des engagements fermes et à des plans contraignants d’investissement dans la décarbonisation de leurs installations industrielles européennes et dans le maintien des emplois qui y sont liés. Compte tenu des incertitudes concernant la conception future du MACF (voir ci-dessous), la Commission européenne devrait étudier les options qui permettraient de combiner l’allocation gratuite et le MACF jusqu’à ce que cela soit nécessaire.

Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières

Pour réguler et réduire les émissions de carbone dans le monde, de nombreux experts s’accordent à dire que la meilleure solution serait d’établir un système mondial de tarification du carbone couvrant tous les pays. Toutefois, malgré des négociations internationales longues et intenses, il est clair qu’une telle solution ne peut être mise en œuvre de façon réaliste à court terme. Les industries couvertes par le SCEQE resteront donc en concurrence avec d’autres parties du monde où de tels systèmes de tarification du carbone n’existent pas. Ce déséquilibre dans la réglementation environnementale crée un risque de concurrence déloyale et de fuite de carbone.

Le prix du carbone dans l’UE ayant atteint un sommet historique, ce risque devient maintenant réel et deviendra encore plus sérieux dans les années à venir, suite à la révision à la hausse de l’objectif climatique pour 2030 et à la réforme du SCEQE qui y est liée. Il convient également de noter que de nombreux secteurs couverts par le SCEQE sont confrontés à une série de défis commerciaux tels que la surcapacité mondiale, le dumping social et la concurrence déloyale. Toute révision du SCEQE devrait donc être associée à un réexamen des mécanismes visant à prévenir les fuites de carbone et à accompagner la transition de l’industrie européenne.

À cet égard, la CES soutient l’idée d’introduire un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF) afin de créer des conditions équitables entre les producteurs nationaux et leurs concurrents des pays tiers. Un tel outil, s’il est associé à une politique d’innovation et à des mesures visant à créer des marchés pilotes pour les biens industriels à faible intensité de carbone, pourrait contribuer à intensifier l’action en faveur du climat, tout en maintenant des emplois de qualité et des industries innovantes dans l’UE. Il pourrait également constituer un moyen efficace de promouvoir des politiques climatiques plus ambitieuses sur la scène internationale et d’inciter les producteurs de pays tiers à réduire leur empreinte carbone.

Toutefois, pour pouvoir être soutenu par les syndicats, le futur MACF doit être soigneusement conçu et respecter les principes énoncés ci-dessous :

Premièrement, pour éviter des mesures de rétorsion de la part de pays tiers, la mesure doit être conçue de manière à être compatible avec les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce. La Commission devrait également engager des pourparlers diplomatiques avec ses partenaires commerciaux dès les premières étapes du processus afin d’expliquer l’objectif de la mesure et de rassurer sur le fait qu’elle ne sera pas utilisée à des fins protectionnistes. Un MACF bien conçu devrait contribuer à protéger les fabricants et les emplois de l’UE contre la concurrence internationale déloyale. La Commission devrait également démontrer que le futur MACF contribuera efficacement à l’action en faveur du climat et sera compatible avec l’accord de Paris et les directives des Nations unies en matière de développement durable[12].

Deuxièmement, pour être réalisable et applicable, la mesure doit donner la priorité aux secteurs stratégiques qui sont à la fois intensifs en carbone et soumis à une forte concurrence internationale, sans exclure d’autres secteurs manufacturiers. Des secteurs tels que l’acier et les métaux de base, le ciment, les engrais et la production d’électricité seraient les secteurs les plus évidents à couvrir par le MACF mais d’autres pourraient être inclus dans cette liste. Pour faire face aux changements technologiques, réglementaires et de marché, le MACF devrait être dynamique et son champ d’application devrait être régulièrement revu.

Enfin, comme le MACF se concentrerait sur quelques secteurs stratégiques, il devrait être conçu de manière à limiter le risque de délocalisation des activités manufacturières en aval de la chaîne de valeur. Le futur MACF devrait donc s’appliquer également aux produits intermédiaires et finis, en se concentrant sur les composants à forte empreinte carbone.

Selon la conception choisie, il est possible que le MACF génère de nouvelles ressources financières. La CES insiste sur le fait que ces ressources devraient principalement être utilisées pour accroître l’action en faveur du climat et pour transformer l’industrie européenne vers plus de circularité et de neutralité carbone. Ces ressources ne doivent pas être utilisées pour alimenter le budget général de l’UE ou pour rembourser les dettes provenant du plan Next Generation EU, sauf si elles sont strictement utilisées pour couvrir les investissements liés au climat dans les secteurs couverts par le MACF.

En ce qui concerne le processus politique et la gouvernance, la CES insiste pour que les travailleurs soient impliqués dans les discussions. Les syndicats doivent être consultés aux différentes étapes de la procédure législative, afin d’éviter tout impact négatif du MACF sur les emplois et les conditions de travail. Pour éviter une procédure trop longue et pour prévenir un blocage politique, la CES recommande vivement d’utiliser une base juridique qui ne nécessiterait pas l’unanimité au Conseil.

Règlement sur la répartition de l’effort

Le règlement sur la répartition de l’effort (RRE) est un instrument législatif qui fixe des objectifs nationaux contraignants en matière d’émissions annuelles de gaz à effet de serre pour les secteurs de l’économie qui ne relèvent pas du SCEQE. Ces secteurs — qui comprennent les transports, le bâtiment, l’agriculture, l’industrie hors SCEQE et les déchets — représentent près de 60 % des émissions nationales totales de l’UE. Depuis 2005, les émissions ont diminué de 9 % au total, grâce à une quasi-stagnation des émissions dans les secteurs des transports et de l’agriculture, d’une part, et à des réductions significatives des émissions dans les secteurs résidentiel et commercial et dans le domaine de la gestion des déchets, d’autre part[13].  

Ces chiffres ne laissent aucun doute sur le fait qu’il reste encore beaucoup à faire si l’UE veut atteindre l’objectif global de -55 % émissions de GES d’ici 2030. Une étude récente de l’Öko-Institut et de l’Agora Energiewende indique que la réalisation du nouvel objectif global pour 2030 est techniquement et économiquement possible, mais qu’elle nécessiterait une augmentation significative des ambitions pour tous les secteurs : les secteurs non couverts par le SCEQE devraient réduire leurs émissions de GES de 45 à 49 % par rapport à 2005, tandis que les secteurs couverts par le SCEQE devraient réduire leurs émissions de GES de 59 à 63 %[14]. Il va sans dire que tous les États membres devront intensifier leurs efforts et que les objectifs nationaux devront être revus à la hausse. Cela nécessitera de profonds changements dans tous les secteurs économiques et aura par conséquent des répercussions sur les travailleurs.   

De même que pour les secteurs couverts par le SCEQE, la CES recommande donc d’élaborer des feuilles de route sectorielles de décarbonisation pour les secteurs couverts par le RRE. Ces feuilles de route devraient être élaborées dans le cadre de la négociation collective et du dialogue social, avec les syndicats, et devraient être intégrées dans les nouveaux plans nationaux pour l’énergie et le climat élaborés par les États membres. Pour chaque secteur, une attention particulière devrait être accordée pour garantir une transition juste de la main-d’œuvre et pour gérer correctement la dimension sociale de la transition. Le rôle essentiel des services publics et des systèmes de sécurité sociale devrait être souligné. Là encore, une évaluation granulaire des impacts de la transition sur l’emploi et les compétences au niveau sectoriel et régional sera nécessaire.     

Lorsqu’elle augmente les objectifs globaux, la Commission devrait également réviser les critères utilisés pour répartir l’effort entre les États membres. Pour l’instant, les objectifs d’émission sont principalement répartis sur la base du PIB par habitant des États membres. Cependant, il n’est plus vrai que les pays ayant un PIB par habitant élevé émettent proportionnellement plus d’émissions de GES que les autres. L’effort devrait donc être réparti plus équitablement entre les États membres afin de réduire les émissions de GES là où elles se trouvent réellement et de la manière la plus efficace. Une telle redistribution signifie qu’un soutien financier plus important devrait être apporté aux pays à faible revenu par le biais de financements communautaires afin d’accélérer le déploiement de nouvelles infrastructures et de technologies à faible intensité carbonique ainsi que d’atténuer les incidences socio-économiques négatives de la transition. Afin de parvenir à une transition équitable, les critères utilisés pour répartir l’effort devraient tenir compte des circonstances nationales spécifiques et du fait que les pays ont des points de départ différents.  

Enfin, la révision du règlement sur la répartition de l’effort devrait combler toute lacune ou tout mécanisme de flexibilité qui permettrait aux États membres de diluer leur engagement par une comptabilité opaque. À cet égard, la CES recommande de ne pas utiliser les crédits forestiers et d’utilisation des terres et d’interdire les quotas SCEQE excédentaires[15].  

Stimuler les stratégies sectorielles et les outils législatifs connexes pour exploiter le potentiel de l’UE en matière d’emplois verts et assurer une transition équitable

Le SCEQE, le MACF et le RRE ne sont pas les seuls instruments que l’UE peut utiliser pour atteindre ses objectifs climatiques pour 2030. D’autres outils législatifs et stratégies sectorielles seront décisifs pour accélérer la transition vers une économie neutre sur le plan climatique tout en stimulant la création de nouveaux emplois verts de qualité dans les différents secteurs :

Une stratégie sur les énergies renouvelables en mer et une directive révisée sur les énergies renouvelables pour exploiter le potentiel d’emplois verts dans le secteur de l’électricité.

Dans le secteur de l’électricité, la directive sur les énergies renouvelables s’est révélée être un outil utile pour envoyer le bon signal aux investisseurs et accélérer le développement de la production d’énergies renouvelables en Europe. L’augmentation de l’objectif en matière d’énergies renouvelables pourrait contribuer à garantir et à développer une chaîne de valeur industrielle dans l’UE pour les technologies renouvelables et donc à créer de nouveaux emplois de qualité, à condition que des normes de travail strictes soient appliquées. Toute augmentation des objectifs devrait être soutenue par une politique industrielle ainsi que par des investissements publics substantiels pour compenser les insuffisances des acteurs privés à déployer de nouvelles technologies. La stratégie récemment publiée sur les énergies renouvelables en mer[16] offre un potentiel intéressant mais doit être développée davantage pour garantir des normes de travail strictes dans les nouveaux emplois créés ainsi qu’un financement approprié.

Une vague de rénovation et une révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments pour créer des emplois locaux de qualité et lutter contre la pauvreté énergétique.

Le secteur de la construction devrait également être au cœur de l’action de l’UE en faveur du climat. Nous savons que 75 % des bâtiments de l’UE sont jugés inefficaces et que 40 % de la consommation énergétique de l’Europe provient des bâtiments. La CES demande donc à la Commission de renforcer encore sa stratégie de vague de rénovation et de tripler le taux de rénovation des bâtiments, notamment par la fixation de normes minimales obligatoires en matière de performance énergétique. Cette révision de la directive sur la performance énergétique des bâtiments (DPEB) devrait être accompagnée d’un programme d’investissement public supplémentaire massif pour soutenir la rénovation des bâtiments. Ce faisant, les autorités publiques devraient s’assurer de cibler principalement les ménages à faibles revenus et en situation de pauvreté énergétique en mettant en place un financement ciblé pour les rénovations parmi ces groupes. Elles devraient également s’assurer que les rénovations n’entraînent pas de coûts supplémentaires pour ces groupes vulnérables (par exemple en évitant que la charge financière ne soit répercutée par les propriétaires sur leurs locataires par le biais d’une augmentation des loyers). La vague de rénovation devrait promouvoir et accélérer les rénovations, en particulier pour les bâtiments les moins performants. Elle devrait contribuer à résoudre les dilemmes liés à la scission des incitations et autres défaillances du marché.

Si elles sont bien conçues, ces politiques peuvent apporter des avantages sociaux importants aux citoyens. La rénovation des bâtiments pourrait également contribuer à maintenir et à développer des chaînes de valeur durables dans l’UE, ainsi qu’à créer de nombreux emplois locaux de qualité. Toutefois, pour que cela se produise, les travailleurs doivent être correctement formés et bénéficier de bonnes conditions de travail. La formation, le recyclage et le perfectionnement ciblés des travailleurs devraient donc être coordonnés au niveau de l’UE. Dans le même temps, il convient également de veiller tout particulièrement à garantir la santé et la sécurité des travailleurs en se débarrassant des substances dangereuses présentes dans les bâtiments (par exemple, les canalisations en plomb, l’amiante, etc.). La vague de rénovation devrait également garantir des normes de travail strictes en empêchant le dumping social, le travail précaire ou la sous-traitance abusive.

Une stratégie de mobilité durable et intelligente pour assurer une transition juste dans les transports.

La CES encourage également vivement les autorités publiques à prendre des mesures appropriées pour décarboniser le secteur des transports (par exemple en encourageant le transfert modal, en investissant dans les infrastructures ferroviaires, le vélo et les transports publics, en accélérant l’adoption des véhicules électriques grâce au développement d’infrastructures de recharge ou en favorisant l’innovation dans le domaine de l’hydrogène propre pour décarboniser les secteurs de l’aviation et du transport maritime). D’autres outils tels que les normes d’émission de CO2 peuvent également contribuer à réduire la consommation énergétique globale du secteur.

Si ces mesures politiques sont cruciales pour atteindre les objectifs climatiques de l’UE, il est clair qu’elles déclencheront des changements structurels ; dans le secteur des transports, en tant que tel, mais aussi dans les industries manufacturières connexes (automobile, construction navale, aérospatiale, ferroviaire) et leurs fournisseurs. Il en résultera de nouvelles possibilités, mais aussi des défis importants pour la main-d’œuvre, ce qui pourrait avoir des répercussions sur l’emploi, en particulier dans le contexte actuel de la crise du COVID19. Il est donc crucial d’élaborer un cadre de transition juste pour le secteur des transports et les industries connexes afin de garantir que ces changements perturbateurs n’entraînent pas de pertes d’emplois et une détérioration des conditions de travail. Au contraire, la transition verte devrait contribuer à renforcer et à développer davantage la chaîne de valeur industrielle européenne ainsi que les compétences et le savoir-faire technique de la main-d’œuvre.

En ce qui concerne les conditions de travail dans le secteur des transports, la récente stratégie intelligente et durable de la Commission n’établit malheureusement pas de lien entre les problèmes existants pour rendre les transports plus écologiques et le dumping social qui existe dans le secteur. Bien que la Commission souligne à juste titre la nécessité de renforcer le principe du « pollueur-payeur et utilisateur-payeur », elle n’aborde pas le problème de l’externalisation du travail et des coûts sociaux. La verdurisation du secteur des transports, et en particulier du fret routier, doit s’accompagner de mesures sociales fortes car il existe un lien indéniable entre la durabilité sociale et environnementale. Par exemple, le transport routier est bon marché, principalement parce que les opérateurs routiers réduisent les coûts de la main-d’œuvre, en contournant les lois et recourant à des pratiques de dumping, comme faire travailler les conducteurs pendant de longues heures et les payer mal. En outre, comme il est bon marché, le transport routier continue à se développer rapidement, laissant peu de chances aux autres modes de transport d’être compétitifs. Une application rigoureuse des réglementations sociales et du travail existantes dans le secteur des transports est donc une condition préalable à la transition verte du secteur. En outre, tous les investissements importants dans les modes de transport respectueux du climat devraient être liés à des conditions sociales strictes, par exemple en matière de négociations collectives obligatoires.

Une stratégie « de la ferme à la table » et une politique agricole commune révisée pour rendre le secteur agricole plus vert et améliorer les conditions de travail.

En ce qui concerne le secteur agricole, les institutions européennes devraient réviser leur proposition de politique agricole commune (PAC) afin de l’adapter aux nouveaux objectifs climatiques pour 2030 et de la rendre compatible avec les objectifs du « Green Deal » européen, en suivant les recommandations de la Commission européenne[17]. La future PAC devrait également être pleinement conforme aux objectifs de la stratégie sur la biodiversité et de la stratégie « de la ferme à la table ». Les positions actuelles récemment adoptées par le Parlement européen et le Conseil de l’UE sont loin d’être suffisamment ambitieuses et devraient être revues. Dans le même temps, la révision de la PAC et la stratégie « de la ferme à la table » devraient servir à améliorer les conditions de travail des travailleurs agricoles qui sont souvent victimes de dumping social, de travail précaire, d’exploitation des travailleurs migrants et sans papiers et parfois même de travail des enfants. La CES demande aux décideurs politiques de conditionner les paiements directs de la PAC au respect des droits du travail et des droits de l’homme. Cette conditionnalité sociale est cruciale pour parvenir à une transition juste.

Une directive révisée sur l’efficacité énergétique pour réduire la consommation d’énergie de l’UE et faire du principe « priorité à l’efficacité énergétique » une réalité. 

L’énergie la moins chère et la plus propre est celle que nous n’utilisons pas ; le principe de l’efficacité énergétique devrait donc être une priorité pour l’Union européenne afin d’atteindre ses objectifs climatiques. Il est regrettable de constater que, si l’on exclut la baisse temporaire due au COVID19, la réduction de la consommation d’énergie nécessaire pour atteindre une diminution de 20 % d’ici 2020 n’a pas été démontrée jusqu’à présent[18]. Une analyse récente montre qu’entre 2000 et 2018, les secteurs des transports et des services ont augmenté leur consommation d’énergie finale de 10,8 % et 20,2 % respectivement[19]. La consommation d’énergie dans le secteur tertiaire devrait continuer à augmenter, notamment en raison de l’utilisation accrue de l’électricité dans le secteur informatique et les centres de données. En revanche, au cours de la même période, la consommation d’énergie du secteur résidentiel a diminué de 4,5 % et la consommation industrielle a diminué de façon plus significative de 14,6 %[20]. La même analyse note que la baisse de la consommation d’énergie dans l’industrie a été largement influencée, entre autres, par la crise financière et économique de 2008 et par le processus de désindustrialisation.   

Pour corriger ces tendances et réduire davantage la consommation d’énergie en Europe, la CES recommande vivement de réviser les objectifs de la directive sur l’efficacité énergétique et de les rendre juridiquement contraignants. La CES appelle également à adopter des exigences d’écoconception plus strictes pour les produits liés à l’énergie et à étendre la gamme de produits couverts par la directive sur l’écoconception aux produits TIC, aux centres de données et à d’autres produits pertinents non liés à l’énergie.

Conclusion

Le changement climatique est en cours et ses conséquences deviennent réelles pour les citoyens et les travailleurs. L’augmentation des températures s’accompagne de phénomènes météorologiques extrêmes tels que les inondations, les tempêtes, les sécheresses et les incendies de forêt, qui deviennent de plus en plus intenses et fréquents au fil du temps. Si rien n’est fait, ces changements causeront des dommages sans précédent à nos sociétés, touchant principalement les plus vulnérables[21]. Il existe un consensus scientifique sur le fait que le coût de l’inaction est aujourd’hui bien plus élevé que celui de la prise de mesures appropriées pour lutter contre le changement climatique. Il est donc grand temps que l’UE se mette d’accord sur un objectif climatique ambitieux pour 2030 et révise son cadre de politique climatique et énergétique.

Si la CES salue et soutient l’objectif climatique proposé pour 2030, nous soulignons que seule une transition socialement équitable apportera un soutien public suffisant au paquet « Fit for 55 ». Pour garantir l’acceptation sociale, le concept de transition juste devrait être intégré dans toutes les politiques. Concrètement, cela signifie que les mécanismes de marché tels que le SCEQE devraient être complétés par une stratégie industrielle neutre sur le plan climatique et des investissements massifs pour maintenir les emplois et créer de nouvelles opportunités, en particulier dans les régions touchées. Cela signifie également que les travailleurs touchés par la transition devraient être soutenus par des programmes de formation ou de reconversion adéquats, et qu’ils devraient bénéficier d’une bonne protection sociale. Cela nécessite des services publics forts et des systèmes de sécurité sociale correctement financés.

Le « Green Deal » européen devrait également veiller à ce que la transition vers une économie neutre sur le plan climatique conduise à la création d’emplois de qualité. Les nouveaux emplois dans des secteurs en croissance tels que l’économie circulaire, les énergies renouvelables ou la rénovation de bâtiments devraient offrir de bons salaires, de bonnes conditions de travail et des garanties suffisantes en matière de santé et de sécurité au travail. Il convient également de veiller à ce que ces emplois permettent la représentation syndicale et respectent les droits de négociation[22]. Les normes de travail et les droits sociaux devraient faire partie de toute nouvelle stratégie sectorielle sur le climat.

Enfin, pour que la transition soit socialement juste, il est important que les travailleurs et les communautés touchées soient au cœur du processus de décision. Le Green Deal européen devrait encourager le recours au dialogue social et aux négociations collectives pour gérer le processus de transition. Au niveau européen, national et régional, les syndicats et les employeurs devraient élaborer des feuilles de route sectorielles de décarbonisation et des stratégies de transition juste, avec l’aide des pouvoirs publics et en dialogue avec la société civile. Sur le lieu de travail, la participation des travailleurs par l’information, la consultation et la codétermination peut contribuer à traduire les objectifs climatiques plus élevés en solutions concrètes sur le terrain et à gérer les processus de restructuration ou de transformation de manière à ne laisser personne de côté.

Pour relever ces défis sociaux, le Green Deal européen devrait être beaucoup plus étroitement lié au socle européen des droits sociaux.


[1] Commission européenne, 2020, Accroître les ambitions de l’Europe en matière de climat pour 2030 - Investir dans un avenir climatiquement, COM (2020) 562

[2] Le Parlement européen a demandé que la loi sur le climat fixe un objectif encore plus ambitieux pour 2030, à savoir -60 %.

[3] Ce chiffre ne tient pas compte des besoins d’investissement pour le transport. Voir Commission européenne, 2020, Analyse d’impact accompagnant le document COM (2020) 562

[4] Dans certains secteurs, les critères techniques qui sous-tendent la classification taxonomique sont basés sur les critères de référence du SCEQE pour l’allocation gratuite. Cela laisserait 90 % des installations hors du champ d’application de ce que la taxonomie permettrait de financer.   

[5] Site web de la Commission européenne, https://ec.europa.eu/clima/policies/ets_fr

[6] La CES insiste sur le fait que les technologies CCUS doivent être développées mais utilisées en dernier recours, uniquement lorsque cela est nécessaire pour compléter ce que les énergies renouvelables et l’efficacité énergétique ne peuvent pas réaliser.

[7] Groupe de haut niveau sur les industries à haute intensité énergétique, 2019, Masterplan for a competitive transformation of EU energy-intensive industries enabling a climate-neutral, circular economy by 2050

[8] Pour plus de détails sur la révision des lignes directrices en matière d'aides d'État, voir CES, 2021, Résolution, Pour une politique de concurrence plus inclusive et durable.

[9] Par exemple, l'analyse approfondie accompagnant la communication de la Commission (2018) 773, «Une planète propre pour tous», contient des analyses d'impact détaillées sur certains secteurs clés.

[10] European Climate Foundation & Cambridge Econometric, 2020, Decarbonising European transport and heating fuels - Is the EU ETS the right tool ?

[11] Actuellement, l’allocation gratuite de quotas d’émission est basée sur des références spécifiques aux produits. Les 10 % des entreprises les plus performantes reçoivent 100 % de leurs quotas gratuitement et le montant est réduit pour les moins performantes. S’ils sont correctement conçus pour refléter les meilleures technologies disponibles, les référentiels peuvent inciter les entreprises à investir et contribuer à prendre en compte les spécificités des secteurs.

[12] Une attention particulière devrait être accordée pour s’assurer que le futur MACF n’empêche pas le développement économique des pays à faible revenu. À cet égard, les principes des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives devraient prévaloir.

[13] Öko-Institut et Agora Energiewende, 2020, How to Raise Europe’s Climate Ambitions for 2030:

Implementing a -55% Target in EU Policy Architecture

[14] Ibid.

[15] Dans le cadre du RRE actuel, certains pays peuvent décider de mettre aux enchères moins de quotas du SCEQE et d’utiliser ces émissions pour créer un surplus dans leurs objectifs climatiques nationaux. Ce mécanisme est censé apporter plus de flexibilité entre le SCEQE et le RRE. Toutefois, en cas de surproduction dans le cadre du SCEQE, ce mécanisme peut être préjudiciable car il n’entraînerait aucune réduction des émissions de GES dans les secteurs couverts par le SCEQE tout en permettant aux secteurs non couverts par le SCEQE d’émettre plus que ne l’exigent les objectifs nationaux.

[16] Commission européenne, 2020, Une stratégie de l’UE pour exploiter le potentiel des énergies renouvelables en mer pour un avenir neutre sur le plan climatique

[17] Commission Européenne, 2020, Analysis of links between CAP Reform and Green Deal

[18] Agence européenne pour l’environnement, 2020, Trends and projections in Europe 2020

[19] Centre commun de recherche, 2020, Évolution de la consommation d’énergie et de l’efficacité énergétique dans l’UE-28, 2000-2018

[20] Ibid.

[21] Voir CES, 2020, Résolution Une nouvelle stratégie européenne d’adaptation au changement climatique pour le monde du travail

[22] Voir CES, 2017, Résolution : Définir un travail de qualité : Un plan d’action de la CES pour des emplois plus nombreux et de meilleure qualité