Résolution de la CES sur la gouvernance économique et sociale

Bruxelles, 13-14/10/2010

Gouvernance économique européenne et UE 2020 : les Propositions de la Commission

1. Un Pacte de Stabilité renforcé. Une attention particulière doit être portée au niveau de la dette publique afin de renforcer le Pacte de Stabilité : il est proposé que même les États membres qui ont un déficit de moins de 3% du PIB se voient appliquer une procédure de « déficit excessif » au cas où le poids de leur dette publique excède 60% du PIB et que cette dette n’est pas réduite chaque année de 5% de la différence avec le seuil de 60%. Quant aux États membres qui ne sont pas soumis à une procédure de « déficit excessif » mais qui doivent toujours faire face à un niveau de dette publique élevé, ils devront suivre un rythme de consolidation encore plus rapide visant un déficit quasi nul. Ceci s’inscrit dans le contexte de la proposition de prendre en compte le passif implicite (les obligations futures en matière de pensions publiques) en plus de la dette proprement dite. La Commission cherche en outre à intervenir dans la manière dont les États membres réalisent la consolidation fiscale en favorisant les réductions des dépenses plutôt que les recettes provenant d’une fiscalité plus élevée.

2. Introduction d’une nouvelle procédure : « Déséquilibres macroéconomiques excessifs ». Les actuels déséquilibres comptables (traduisant des déséquilibres entre montant total de l’épargne et investissements) et les problèmes persistants de compétitivité sont considérés comme nuisant à l’union monétaire. Pour y remédier, une nouvelle procédure est proposée combinant un volet préventif et un volet correctif. Cette procédure sera fondée sur un tableau de bord utilisant des indicateurs tels que la situation des comptes courants, les coûts unitaires de main-d’œuvre, la dette publique et les crédits du secteur privé. Des seuils devraient être définis afin de formaliser quels niveaux de déséquilibres sont potentiellement dangereux. Du fait du lien étroit entre les déséquilibres macroéconomiques et un grand nombre de politiques, cette nouvelle procédure donne aux ministres des finances et à la DG ECFIN une possibilité de plus pour intervenir dans des domaines qui ne sont pas de leurs compétences (y compris les conventions collectives, les institutions du marché du travail, les services publics,…).

3. Sanctions, amendes et pénalités (uniquement pour les membres de la zone euro). Une batterie de pénalités est proposée, allant de dépôts porteurs d’intérêts ou non de 0,2% en cas de non-conformité avec les recommandations du pacte de stabilité à une amende annuelle de 0,1% du PIB en cas de non-respect des recommandations reçues dans le cadre d’un « déséquilibre excessif ». De plus, un mécanisme de « vote à la majorité inversée » sera introduit : les amendes proposées par la Commission ne pourront être évitées que par un vote à la majorité qualifiée. Enfin, la Commission tente également de passer à un système de mise en application lié au budget de l’UE : les États membres en défaut de stabilité et d’un solde (raisonnable) de balance extérieure verraient barré ou réduit leur accès aux fonds européens structurels, sociaux et de cohésion. Cette mesure couvre aussi les fonds agricoles européens mais, dans ce cas, les bénéficiaires finaux ne seraient pas affectés puisque les États membres devraient continuer à payer les subsides aux fermiers sans remboursement par le budget de l’UE.

4. Les ministres des finances et UE 2020. Derrière la proposition d’un semestre politique européen au cours duquel les plans de stabilité et de réformes nationales seront rationalisés durant la première moitié de l’année et finalisés en avril 2011 se cache la décision des ministres des finances de commencer à développer ces plans dès maintenant. Le but est un engagement politique d’ « activer » les réformes structurelles dès que possible. Le Commissaire Rehn a proposé le calendrier suivant :

a. Réunion bilatérale entre la Commission (DG ECFIN) et les États membres en septembre-octobre 2010 ;

b. Engagement politique pour accélérer les réformes clés et premiers projets des plans nationaux de réforme pour mi-novembre ;
c. Evaluation de la Commission en décembre 2010 ;

d. Renforcement par ECOFIN des plans de réforme avant leur mise au point définitive en avril 2011.

5. Réformes préalables. Afin de s’attaquer aux « goulots d’étranglement » qui freinent la croissance et de compenser les effets récessionnistes de l’austérité fiscale sur l’activité économique, la DG ECFIN (soutenue par le CPE/CEF) propose l’agenda politique suivant :

a. Réforme des pensions au travers d’un relèvement des recettes fiscales et d’une diminution des dépenses publiques à l’avenir ;

b. Réforme des systèmes de négociations collectives pour rétablir rapidement la compétitivité des coûts ;

c. Réforme des systèmes de protection de l’emploi dans le contexte de la flexicurité pour supprimer les obstacles à la création d’emplois ;
d. Aborder les incitants au travail ;

e. Améliorer les politiques actives du marché du travail, les services publics pour l’emploi et la formation.

Evaluation de la CES des propositions de la Commission

6. Remettre sur pied notre concept de gouvernance économique. Une gouvernance économique européenne est une exigence de longue date de la CES. Dès le début de l’union monétaire, la CES a soutenu qu’une monnaie européenne unique et une banque centrale européenne doivent être complétées par une coordination étroite des politiques (macro) économiques nationales. Par contre, la gouvernance économique telle que proposée par la CES poursuivait le double objectif d’empêcher les États membres de recourir au dumping salarial et social comme alternative à une dévaluation de la monnaie nationale ainsi que d’exploiter le fait qu’un développement commun et coordonné de la demande multiplie par deux l’effet sur la croissance et l’emploi comparé à une situation dans laquelle les États membres agissent isolément. Au lieu de cela, les propositions de gouvernance économique de la Commission sont conçues pour forcer les États membres à organiser une contraction coordonnée de la demande et à poursuivre des politiques de non-coopération par lesquelles les États membres tentent de sortir de la crise au détriment des autres.

7. Les travailleurs devront payer l’entièreté du coût de la crise. Ce que font les propositions de la Commission revient en réalité à présenter aux travailleurs l’entièreté des énormes coûts de la crise, et cela en remettant en cause toutes les institutions qui assurent la sécurité économique des travailleurs. Les réductions de salaires diminuent la stabilité des revenus que procure le travail ; la flexibilité met en péril la stabilité de l’emploi et la protection que représentent les contrats d’emploi normaux tandis que les réductions dans les systèmes d’indemnités de chômage renforcent encore le sentiment d’insécurité des travailleurs. Tout ceci réduira considérablement leur position de négociation. Les entreprises profiteront de cette opportunité pour forcer les travailleurs à accepter une nouvelle dégradation des salaires et des conditions de travail. Le résultat global en sera une nouvelle augmentation des inégalités. Un nombre grandissant de travailleurs auront des difficultés à boucler les fins de mois tandis que, pendant ce temps, dirigeants d’entreprises et actionnaires jouiront de dividendes et de bonus en hausse.

8. La répétition des erreurs du passé. La Commission reproduit exactement le même type d’erreurs politiques qui ont en premier lieu contribué à la crise :

a. En faisant glisser encore plus de revenus vers les ménages fortunés au niveau d’épargne élevé, l’économie devra faire face à un déficit de la demande rendant une fois encore la croissance dépendante, soit de bulles d’actifs et d’une augmentation du poids de la dette privée, soit d’énormes excédents des exportations.

b. En se concentrant sur les finances publiques, la Commission perd de vue le fait que celles-ci sont les victimes et non pas la cause de la crise. C’est la dette du secteur privé, pas la dette publique, qui a explosé alors qu’elle était malencontreusement investie dans des bulles de prix d’actifs (immobiliers). La dette publique a seulement augmenté suite à la crise, des stabilisateurs automatiques ayant protégé l’économie de pire encore. Affaiblir ces stabilisateurs sociaux mènerait au désastre en cas de nouvelle crise. Mettre en cause le fonctionnement des services publics revient à oublier le fait que ces services ne sont pas un coût mais un investissement dans le futur de nos sociétés.

c. En introduisant le critère de la dette, la tendance procyclique du Pacte de Stabilité empire. Il est beaucoup plus facile de réduire la dette quand l’économie est en croissance mais devient impossible lorsque l’économie est en récession.

d. En poursuivant une politique axée sur l’offre à un moment où le problème est un manque de demande, le chômage va encore empirer et les pressions baissières sur les salaires vont encore s’accroître.

e. En considérant les déséquilibres des comptes courants comme un problème au point qu’ils impliquent une détérioration de la compétitivité, la Commission fait porter la charge entière de l’ajustement par les pays « déficitaires ». Ces derniers doivent rééquilibrer sans une reprise correspondante de la demande domestique dans les pays « excédentaires ». Ce n’est pas possible. Dans un marché interne intégré, « dégonfler » une partie de l’Europe peut seulement fonctionner si l’on « regonfle » l’autre de telle sorte que les pays « déficitaires » puissent profiter d’un certain dynamisme dans les marchés vers lesquels ils exportent.

f. En insistant pour la flexibilité du marché du travail, le monde des affaires aura encore plus d’occasions de transformer ce qui auraient autrement été des emplois « bons » ou normaux en contrats précaires bloquant ainsi le processus de croissance auto-entretenue.

9. Des diminutions de salaires pour organiser la déflation compétitive. L’idée qui sous-tend la vision de la gouvernance économique de la Commission est que les salaires devraient reprendre le rôle de la dévaluation de la monnaie. Au lieu de dévaluer la monnaie nationale de 20 ou 30%, les diminutions de salaires doivent mettre en branle un processus de déflation. Ce processus est alors supposé reproduire les effets d’une dévaluation de la monnaie en améliorant rapidement la compétitivité de coûts des économies. Cela ne fonctionnera toutefois pas. Il y a une raison au fait que, depuis des décennies, les banques centrales prêchent les vertus de la stabilité des prix : une déflation rendra le poids des dettes privée et publique encore plus lourd à porter. Avec comme résultat que la dynamique de la demande domestique sera complètement perdue et que le gain de compétitivité à l’exportation sera incapable de la compenser. Si, à leur tour, les pays « excédentaires » s’accrochent à leur position compétitive, la déflation régionale devient une déflation de toute la zone euro.

10. Le chemin vers un double creux et la dépression. Tout cela aura de graves conséquences. Austérité fiscale, austérité salariale et austérité sociale vont concourir à pousser l’économie dans une récession accrue. Et, au moment où une faible inflation se transforme en déflation avec des taux d’intérêts insignifiants limités par la politique du taux zéro, la contraction monétaire s’ajoutera à cette austérité inepte.

L’Europe a besoin d’un gouvernement économique et social

11. L’Europe a besoin d’un gouvernement économique et social. Au lieu des prêches de l’Europe et de son lobby financier sur les vertus des politiques anti-emploi, anti-état et anti-taxes, ce dont l’Europe a besoin, c’est de jouer son rôle de réellement fournir aux États membres les outils indispensables pour combattre la crise et les déséquilibres économiques et sociaux qui l’ont provoquée. Cela implique :
a. Une politique de stimulation européenne organisée sous forme de transferts pour investissements vers les États membres, aidant ainsi les pays à sortir de leur endettement plutôt que de leur imposer un scénario d’austérité aveugle qui va à l’encontre du but recherché et détruira beaucoup d’autres emplois sans parvenir à contrôler la spirale de la dette publique.

b. Une obligation européenne pour aider les États membres à faire face à l’irrationalité de marchés financiers excessivement pessimistes sans les conditionnalités économiques brutales maintenant liées aux prêts communs UE-FMI.

c. Une taxe européenne sur les transactions financières accompagnée d’une coopération dans toute l’Europe dans les domaines de la fiscalité où le marché interne est utilisé par les banques, les entreprises et les revenus du capital en général pour éluder une contribution équitable.

d. Le renforcement d’une situation sociale équitable pour tout le monde qui s’attaque à la concurrence déloyale au sein du marché interne prenant la forme de pratiques encourageant le travail précaire et le dumping salarial.

12. Le rôle du Dialogue social européen. La gouvernance économique et sociale est trop importante pour être laissée aux mains des seuls ministres des finances et des banques centrales. La CES insiste sur le fait que le processus de gouvernance économique et sociale devrait être dirigé par le Conseil européen des chefs d’État, les ministres de l’emploi et des affaires sociales devant y être impliqués et apporter leur contribution au même titre que les ministres des finances. La CES et ses affiliés sont prêts à participer à ce processus. A cet égard, la CES suggère au Conseil des ministres de l’emploi et des affaires sociales d’inviter et d’écouter les partenaires sociaux européens. De plus, la CES propose également de créer un groupe « UE 2020 » permanent à l’intérieur du Dialogue social européen pour permettre aux 27 pays et à leurs partenaires sociaux d’être régulièrement impliqués dans les discussions politiques en cours.

13. Le modèle de gouvernance syndicale doit tenir compte du fait que les propositions du Conseil de l’Ecofin peuvent déclencher une dégradation, grave et rapide, de la condition des salariés, du rôle et de la position de négociation collective des syndicats.
C’est pour cela que nous voulons réaffirmer de manière claire, que la CES et tout le syndicalisme européen ne sont et ne seront jamais disposés à remettre en cause leur pleine autonomie et leur droit à la négociation collective et salariale, ni à accepter des limites ou, pire des contraintes à leurs activités.
Par ailleurs, nous sommes conscients que les propositions sur la table, avancées par le conseil de l’Ecofin, nous invitent à améliorer et renforcer encore plus notre coordination interne pour faciliter les échanges d’informations et intensifier les coopérations afin d’éviter le risque d’une aggravation du dumping social et de la division entre les travailleurs en Europe.