Résolution de la CES Stop à la déréglementation de l'Europe: Repensez Refit

Adoptée lors du Comité exécutif des 3 et 4 décembre 2013
          
Avec la publication de REFIT (Réglementation affûtée et performante: résultats et prochaines étapes) le 2 octobre 2013, la Commission a fait un pas de plus dans un processus dont l’objectif est la déréglementation de l’Europe, le démantèlement de la législation protégeant les droits des travailleurs et l’affaiblissement du dialogue social.

La décision du Conseil en décembre 2011 d’exclure les micro-entreprises du champ d’application de la nouvelle législation, à moins de démontrer qu’elles devraient en bénéficier, n’a fait que déclencher l’étape suivante, à savoir « Top 10 », l’infamante consultation de la Commission invitant les petites entreprises à recenser les aspects de la législation de l’UE qu’elles considéraient comme les plus contraignants.

Il faut noter à ce propos que la Commission suggérait que les entreprises se plaignent des directives protégeant les droits des travailleurs, comme celles sur la santé et la sécurité des travailleurs, comprenant non seulement REACH (Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques), le détachement des travailleurs, le temps de travail et le travail intérimaire mais aussi l’accord-cadre des partenaires sociaux sur le congé parental.

Comme si ça ne suffisait pas, la Commission utilise les résultats de cette consultation pour soutenir des appels à davantage de déréglementation. Les directives, présélectionnées par la Commission, sont maintenant présentées comme étant les actes les plus contraignants de la législation de l’UE aux yeux des PME. La consultation Top 10 a créé une prophétie auto-réalisatrice.

Cette campagne de déréglementation vise également à changer notre perception de la loi: la législation est devenue synonyme de charges administratives. Un autre exemple est l’idée de « gold-plating » ou de « sur-réglementation ». Les États membres qui vont au-delà du niveau minimum lorsqu’ils transposent une directive sont accusés de sur-réglementer. Cela affecte la législation dans les domaines de la politique sociale et de la santé et de la sécurité des travailleurs. Le fond du problème est qu’il s’agit dans tous les cas de directives minimales. Les gouvernements s’accordent sur des normes minimum, un niveau plancher en-dessous duquel personne ne devrait aller, mais, qu’on devrait de préférence excéder. Si le fait d’avoir des normes plus élevées est considéré comme sur-réglementer, il ne peut y avoir de progrès social en Europe.

Certains décideurs politiques vont même jusqu’à traiter la réglementation comme un jeu à somme nulle en fixant des objectifs nets pour la législation ou en adhérant au principe du « un rentre, un autre sort » de telle sorte qu’un nouvel acte législatif, quelle que soit son importance, ne peut être introduit qui si un autre est supprimé.

Réglementation affûtée et performante (REFIT)

Selon la Commission, le but de REFIT est de systématiquement revoir la législation de l’UE pour assurer que « les objectifs sont atteints de la manière la plus efficace et effective, pour détecter les contraintes réglementaires et identifier les possibilités de simplification ».

En pratique, cela signifie que la Commission retire sa proposition de directive sur les troubles musculo-squelettiques et la révision de la directive sur les agents carcinogènes, soit les deux défis législatifs majeurs en matière de santé et de sécurité des travailleurs. D’après l’Enquête européenne sur les conditions de travail (2010), les différences entre les situations nationales sont particulièrement inquiétantes pour un nombre important d’indicateurs. Le fossé est même plus marqué à l’intérieur des pays. Lorsqu’on leur demande s’ils pensent qu’ils seront capables de faire leur travail à l’âge de 60 ans, moins de 60% des travailleurs répondent positivement.

La situation générale s’est dégradée pour tous les travailleurs manuels. La CES conseille vivement à la Commission de changer sa politique et de suivre les propositions du Parlement européen pour revitaliser la politique européenne de santé et de sécurité. Prétendre que la crise rend inutile l’adoption d’une nouvelle stratégie est un mauvais argument. L’expérience d’autres crises montre en réalité que celles-ci affectent négativement les conditions de travail et que les politiques de santé et de sécurité au travail sont donc essentielles pour en compenser la dégradation. La CES insiste pour que la Commission adopte une stratégie sur la santé et la sécurité au travail avant fin 2013 et pour qu’elle présente, sans plus de retard, des propositions pour la protection des travailleurs contre les cancers liés au travail et les troubles musculo-squelettiques. Des études montrent que le fait de n’avoir aucune sorte de politique de santé et de sécurité au travail représenterait un coût de 3 à 5 pourcent de PIB.

Les droits des travailleurs à l’information et à la consultation est également visé par REFIT. La Commission envisage un regroupement des trois directives sur le cadre relatif à l’information et la consultation, les licenciements collectifs et les transferts d’entreprises qui ont fait l’objet de ce qu’elle appelle un bilan de qualité.

La CES estime que les normes minimales (européennes) stipulées dans les trois directives constituent un plancher et non un plafond de droits. Elle reste sceptique quant à une opération de regroupement car les trois directives ont des buts différents, l’une étant à caractère général (définissant un cadre pour l’information et la consultation), les autres traitant de situations particulières telles que les licenciements collectifs et les transferts d’entreprises. Ces trois directives ont en outre un fondement juridique différent. La CES soutient le renforcement des droits à l’information, la consultation et la participation et n’est pas convaincue que cela puisse se faire en fusionnant les trois directives.

REFIT est non seulement utilisé comme excuse pour se débarrasser de différents actes législatifs mais constitue également une sérieuse tentative de destruction du dialogue social et de tout l’acquis social. En refusant de soumettre au Conseil l’accord des partenaires sociaux sur la protection de la santé et de la sécurité au travail dans le secteur de la coiffure, la Commission ne remplit pas sa fonction de gardienne des traités. Elle se doit de promouvoir le rôle des partenaires sociaux et de respecter leur autonomie.

De plus, le Président Barroso a lui-même déclaré que les normes de sécurité pour les coiffeurs ne sont pas une question qui mérite d’être réglementée au niveau européen. Son opinion personnelle n’a toutefois que peu d’intérêt. Son travail est d’assurer que les accords des partenaires sociaux soient mis en œuvre, à la demande conjointe des parties signataires, par une décision du Conseil sur proposition de la Commission (article 155, TFUE).

REFIT dresse également une liste d’évaluations en cours d’accords entre partenaires sociaux telles que les directives sur le temps partiel et le travail à durée déterminée. La CES a déjà déclaré qu’elle ne voulait aucun amendement à ces directives à ce stade. De plus, les accords-cadres négociés par les partenaires sociaux tiennent déjà compte des caractéristiques spécifiques des PME.

L’agenda de la déréglementation est également poussé et soutenu par le Conseil européen. Dans ses conclusions d’octobre 2013, le Conseil saluait REFIT et demandait de nouvelles mesures ambitieuses pour alléger le cadre juridique de l’UE. Il reviendra sur cette question lors de sa réunion de juin 2014. Dans l’intervalle, le Conseil compétitivité s'est réuni le 2 décembre 2013 pour finaliser ses conclusions sur la réglementation intelligente réclamant une feuille de route pour réduire la charge réglementaire globale au cours des cinq prochaines années.

Actions syndicales

La CES devra, avec ses affiliés, intensifier ses efforts pour dénoncer le fait que la réglementation intelligente s’apparente en réalité à une déréglementation menaçant l’autonomie des partenaires sociaux, la protection de la santé et de la sécurité au travail et les droits des travailleurs à l’information et à la consultation. La réglementation intelligente ne vise pas à rendre la législation plus efficace ou à assurer que les directives soient correctement appliquées dans les États membres de l’UE. Pas plus qu’elle ne considère les bienfaits de la législation pour la société dans son ensemble. La réglementation intelligente est plutôt une tentative de diminuer le rôle de l’état en croyant que les entreprises sont capables de s’autoréguler. Il faut mettre fin à cela.

Dans le cadre de sa campagne « Une nouvelle voie pour l’Europe », la CES combattra REFIT et sensibilisera l'opinion publique aux questions qui sont en jeu. Dans la perspective des prochaines élections du Parlement européen en mai 2014 et du manifeste de la CES, nous informerons les candidats de la position de la CES et les convaincre de soutenir notre lutte contre la déréglementation. Nous devons également engager nos membres à faire usage de leur droit à participer aux élections et à voter pour les candidats qui défendent les droits des travailleurs.

Toutefois, la pression pour déréglementer se manifeste aussi au niveau national. Plusieurs gouvernements, y compris au Royaume-Uni, ont pris la tête du mouvement pour davantage de déréglementation. L’activité au niveau national est donc particulièrement importante. Les affiliés sont invités à contacter leurs gouvernements pour tenter d’influencer leurs positions. Les affiliés sont également encouragés à utiliser les visuels de la CES et à organiser des événements avec des politiciens en y invitant des travailleurs affectés par une législation menacée, bloquée ou supprimée.

Il faut en même temps souligner que la CES est favorable à une réglementation plus efficace. Nous appelons dès lors la Commission à modifier son approche visant une diminution de la législation pour plutôt en améliorer la qualité. La Commission et le Conseil doivent étudier comment les règles et règlements peuvent être conçus au mieux pour atteindre leurs objectifs et, en particulier, prendre des mesures pour s’assurer que la législation européenne est correctement mise en œuvre dans les États membres.