Résolution de la CES: "Négocier un avenir juste : renforcer le rôle du Dialogue social "

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Négocier un avenir juste : renforcer le rôle du Dialogue social

Résolution de la CES adoptée à la réunion du comité exécutif de 9-10 décembre 2020

Introduction

Le dialogue social est une condition préalable à un travail décent et des salaires équitables. En temps de crise, dans les pays où le dialogue social est bien établi et où les relations industrielles sont fortes, la situation économique, sociale et sur les lieux de travail est plus favorable et plus résiliente. Partout en Europe, les syndicats ont démontré que les solutions négociées dans le cadre du dialogue social pour répondre au Covid-19 sont les plus efficaces et les plus durables pour sauver des vies et préserver l’emploi et les revenus. Le dialogue social fonctionne, les pays où il est le plus solide sont également les plus compétitifs en Europe et la CES appelle à l’action pour le renforcer comme élément clé de l’économie sociale de marché. Le dialogue social doit être mieux fondu dans l’ADN de l’UE de façon à devenir la voie normale de conduite des affaires en tout temps et pas seulement en temps de crise.

Identifier et répondre aux défis

Le dialogue social européen a connu des phases de développement distinctes, des hauts et des bas, des succès et des échecs. A partir de 2009, la période pourrait être qualifiée de dépressionnaire caractérisée par un manque d’engagement des employeurs à négocier des accords contraignants et un manque de respect de la Commission dont l’exemple le plus significatif est sa réticence à présenter des accords sectoriels des partenaires sociaux au Conseil pour leur adoption sous forme de directives. La Commission elle-même a reconnu les défis auxquels le dialogue social est confronté. L’initiative pour la « relance du dialogue social » a donc été bienvenue et la déclaration quadripartite sur « Un nouveau départ pour le dialogue social » signée en 2016 représentait un engagement clair des partenaires sociaux, de la Commission et des États membres à agir pour soutenir le dialogue social. Malheureusement, les bonnes intentions ne se sont pas traduites par la mise en œuvre de mesures vraiment quantifiables pour le renforcer.

Cette résolution présente une série d’actions visant à combler le fossé entre les fortes déclarations de soutien du dialogue social et la réalité sur le terrain ainsi que les matières et les résultats qui selon nous devraient être abordés.

Un dialogue social fondu dans l’ADN de l’UE

Améliorer les structures qui soutiennent le dialogue social au niveau européen

La Commission européenne et le Conseil européen ont fait un grand nombre de déclarations en faveur du dialogue social mais les engagements à les mettre en œuvre brillent par leur absence. Des actions et des garanties sont nécessaires pour convertir les bonnes intentions exprimées dans ces déclarations positives de soutien en résultats concrets. Le rôle du dialogue social lors d’étapes précoces, intermédiaires et de mise en œuvre dans l’élaboration de politiques et de législations doit être développé en tant que processus prévisible et garanti confirmant les prérogatives des syndicats en leur qualité de partenaire social représentant les travailleurs. La CES demande de :

(1) Respecter les prérogatives des syndicats en leur qualité de partenaire social représentant les travailleurs : les prérogatives de chaque acteur du dialogue social doivent être préservées. Cela signifie que la Commission doit prioriser les consultations des partenaires sociaux par rapport aux consultations publiques et qu’elle doit garantir que les syndicats y soient inclus comme seuls représentants des travailleurs, que le rôle de la CES (ou des FSE pour le dialogue social sectoriel) pour définir la composition de sa délégation soit respecté et que la Commission mette fin à sa pratique émergente consistant à engager un dialogue parallèle avec des représentants non syndicaux de travailleurs. De même, il ne faut pas confondre dialogue de la société civile et dialogue social. Le dialogue de la société civile doit être encouragé mais pas de manière à affaiblir les syndicats ou le dialogue social bipartite. Cela implique que la Commission reconnaisse, au niveau de chaque DG, le rôle de conseil de la CES (ou des FSE pour le dialogue social sectoriel) concernant l’implication des syndicats. En outre, les Etats membres doivent veiller à ce que le droit à la négociation collective soit respecté, ce qui signifie également garantir les prérogatives des syndicats en tant que partie à la négociation pour les travailleurs. L’UE devrait accorder une attention particulière aux Etats membres qui ne disposent pas d’un cadre solide de dialogue social, y compris les pays candidats.

(2) Introduire l’obligation d’une analyse d’impact du dialogue social : les législateurs européens devraient être tenus d’expliquer comment leurs propositions favorisent le dialogue social, indépendamment du domaine concerné (soit une règle similaire à celle s’appliquant aux PME). Le Comité d'examen de la réglementation doit veiller à son application et en faire rapport dans le cadre de ses analyses d’impact en exposant la manière dont les initiatives législatives garantissent la participation des partenaires sociaux, encouragent activement le dialogue social et respectent les prérogatives syndicales. Une évaluation ex-post des règlements et directives existants devrait être lancée pour identifier et pallier toute restriction ou pratique affaiblissant un dialogue social effectif au niveau européen, sectoriel ou national.

(3) Placer un représentant du dialogue social dans chaque DG (Direction générale) de la Commission européenne pour s’assurer que les responsables politiques sont conscients du rôle du dialogue social et que les partenaires sociaux y sont impliqués au stade le plus précoce possible et d’une manière respectueuse de leurs prérogatives. Ces représentants devraient être reliés aux représentants spéciaux et rapporter au Comité du dialogue social.

(4) Nommer un représentant spécial/ un ambassadeur du dialogue social, désigné par les partenaires sociaux, dont le rôle serait de défendre, contrôler et promouvoir le dialogue social, tant au niveau national qu’européen, tout en respectant pleinement l’autonomie des partenaires sociaux. Ce représentant spécial devrait être mandaté par et rapporter au Comité du dialogue social et assurerait un lien politique cohésif entre partenaires sociaux et acteurs institutionnels.

(5) Réformer le Comité du dialogue social (CDS). Sous sa forme actuelle, le comité du dialogue social transsectoriel n’est pas efficace. Trop de temps est consacré à l’exposé de problèmes par la Commission ne laissant pratiquement pas de temps aux partenaires sociaux pour apporter leurs contributions et en discuter. Une approche différente de la Commission européenne vis-à-vis du CDS est nécessaire. Des réunions préparatoires plus longues, davantage de sessions interactives et un agenda plus ciblé avec une participation accrue des partenaires sociaux en amélioreraient l’efficacité. Les réunions devraient se concentrer sur les rapports des différents représentants du dialogue social des DG et du représentant spécial/ambassadeur du dialogue social. Les comités sectoriels du dialogue social doivent être adéquatement soutenus par la Commission, notamment en prévoyant un service d’interprétation et d’autres moyens pratiques de soutien aux réunions.

 

(6) Introduire un mécanisme pour garantir le respect de la déclaration quadripartite et sa pleine mise en œuvre. Afin que cet instrument se montre entièrement à la hauteur de son rôle, les syndicats ont besoin d’un système d’alerte ou d’un mécanisme de plaintes lorsqu’ils sont écartés de l’élaboration des politiques au niveau national et européen. La Commission et les États membres concernés devraient être tenus de traiter toute plainte déposée.

(7) Etablir un programme de soutien tripartite pour le dialogue social : l’efficacité du dialogue social au niveau européen est menacée lorsque celui-ci ne fonctionne pas au niveau national. Les gouvernements nationaux doivent tenir leur rôle et mettre en place des mesures effectives pour soutenir le dialogue social bipartite et impliquer les partenaires sociaux. Une réunion tripartite (partenaires sociaux, Commission et États membres) devrait avoir lieu deux fois l’an afin d’évaluer l’agenda de soutien au dialogue social, améliorer la participation des partenaires sociaux dans l’élaboration des politiques et mieux veiller au respect des engagements des décideurs politiques à l’égard du dialogue social au niveau national. Ces réunions, associant États membres et partenaires sociaux nationaux, seraient organisées sur base tripartite et devraient alimenter le Sommet social tripartite (SST). Elles devraient mettre l’accent sur des questions clés d’intérêt commun (deux ou trois maximum).

(8) Evaluation du Sommet social tripartite. Le SST est un forum important qui offre aux partenaires sociaux et aux responsables politiques au plus haut niveau l’occasion de débattre les uns avec les autres. Toutefois, pour en profiter pleinement, la CES recommande que les Présidents créent un groupe de travail incluant les partenaires sociaux afin d’en évaluer le format. Le SST devrait également être relié à un programme tripartite plus large et à un calendrier à plus long terme développés conjointement.

Mise en place des accords-cadres européens, renforcement des capacités et financement

Nous ne saurions nous satisfaire de simplement négocier des accords avec les partenaires sociaux au niveau européen à moins que ces accords ne se traduisent par une amélioration des conditions de travail.

Les accords des partenaires sociaux ont suivi une évolution allant d’une législation contraignante à une législation plus souple. Depuis que le Traité de Maastricht est entré en vigueur, il est possible de conférer un effet erga omnes contraignant aux accords des partenaires sociaux européens, tant interprofessionnels que sectoriels, portant sur des sujets tels que le congé parental (1996, 2009) ; le travail à temps partiel (1997) et le travail à durée déterminée (1999) ; le temps de travail des travailleurs mobiles dans certains secteurs des transports : chemins de fer (2004), aviation civile (2000), navigation intérieure (2012) ; les risques particuliers de blessures par objets tranchants auxquels les travailleurs du secteur hospitalier sont exposés (2009) ; les conditions de travail dans le secteur de la pêche (2013) et le transport maritime (1998, 2008, 2016).

Six accords autonomes ont été conclus au niveau transsectoriel sur le télétravail (2002), le stress au travail (2004), le harcèlement et la violence au travail (2007), les marchés du travail inclusifs (2010), le vieillissement actif et une approche intergénérationnelle (2017) el la numérisation (2020).

Le dialogue social doit garantir des conditions de travail décentes dans toute l’Europe. Il est évident que combattre l’exploitation requiert une réglementation contraignante. A cet égard, la CES continuera à défendre avec force le rôle des partenaires sociaux défini dans les traités européens et à négocier des accords qui peuvent être adoptés sous forme de directives. L’une des principales difficultés que la CES rencontre est d’amener les employeurs à la table de négociation pour élaborer des accords contraignants. La structure du dialogue social transsectoriel européen présente des défis. Encourager les employeurs à obtenir des mandats pour négocier passe par une action au niveau national. Le niveau européen n’est pas suffisant pour vaincre la résistance des organisations patronales au niveau national. Dès lors, pour encourager les syndicats à engager le dialogue social au niveau national et européen, la CES demande :

(9) Un mandat pour les membres syndicaux du CDS. Le rôle des membres syndicaux du Comité du dialogue social doit être soutenu par un mandat pour assurer que des discussions s’engagent au niveau national avec les employeurs dans le but de garantir un soutien suffisant de leur part sur les thèmes ouverts à la négociation au niveau européen pour qu’ils soient adoptés sous forme de directives.

(10) Une solution fiable pour pallier le préjudice causé par la Commission en refusant de présenter nos accords pour adoption sous forme de directives. Suite au résultat de l’appel, une solution sera nécessaire pour réparer ce qui a été brisé et la CES appelle la Commission à constituer un groupe de travail, avec la pleine participation des partenaires sociaux, afin d’élaborer des règles claires, transparentes et garanties auxquelles les partenaires sociaux peuvent se référer lorsque la Commission présentera leurs accords pour adoption sous une forme contraignante.

(11) Un plan d’action au sein du sous-groupe du CDS pour suivre et accompagner la mise en œuvre des accords-cadres européens. Le sous-groupe du CDS a identifié une tendance dans le chef des organisations patronales de nombreux pays à faire preuve de réticence dans l’application de ces accords, soit par manque de capacités, soit, et c’est plus inquiétant, par manque de sensibilisation ou de volonté politique. Les recommandations du rapport des experts attendu en décembre 2020 seront présentées au CDS pour d’autres actions conjointes.

(12) De soutenir les accords autonomes par la promotion et le financement. La Commission européenne doit soutenir nos accords autonomes en leur allouant des lignes de financement dédiées pour encourager leur mise en œuvre et pleinement soutenir l’autonomie des partenaires sociaux de telle sorte qu’ils puissent bénéficier d’un renforcement de compétences, d’expertise et de formation.

(13) Un nouvel instrument de financement Covid pour les partenaires sociaux pour les soutenir dans la lutte contre la crise. La reprise après la crise sans précédent de la Covid-19 demandera des organisations de partenaires sociaux solides. Il est cependant probable que la pandémie et la crise économique qui en résultent auront un impact négatif sur la situation financière des partenaires sociaux. Des ressources insuffisantes feront que les syndicats auront davantage de difficultés à jouer pleinement leur rôle. Pour faire face à ce problème, la CES a demandé à la Commission européenne de créer un instrument de financement pour nos affiliés afin d’atténuer l’impact de la pandémie de Covid-19.

(14) Investir dans le dialogue social : la Commission devrait améliorer ses interventions en faveur du dialogue social transsectoriel et sectoriel, notamment en s’engageant à mieux soutenir ses activités, à renforcer les services d’interprétation et à permettre des réunions plus longues. De plus, en raison des transformations des lieux de travail, les activités syndicales se déroulent de plus en plus en ligne et les syndicats devront développer leurs compétences pour assurer qu’ils puissent communiquer avec leurs membres dans un environnement numérique.

(15) Investir dans l’avenir : un programme d'échange de talents pour jeunes syndicalistes à développer au sein de la DG Emploi devrait bénéficier d’un flux de financement dédié permettant aux syndicats d’offrir aux jeunes syndicalistes et activistes élus des opportunités pour étudier, se former et acquérir de l’expérience en matière de dialogue social dans d’autres régions de leur pays ou à l’étranger. Le programme devrait également soutenir les syndicats qui sélectionnent ou accueillent les étudiants et les stagiaires.

Feuille de route pour 2021

Profiter au maximum du rapport Nahles

La Commission a nommé Andrea Nahles, l’ancienne Ministre allemande du travail et des affaires sociales, en qualité de conseillère spéciale du Commissaire Schmit. Dans le cadre de son rôle, Mme Nahles publiera en février 2021 un rapport présentant des recommandations sur la manière dont la Commission pourrait améliorer le contexte du dialogue social.

La CES veillera à ce que nos recommandations et propositions concrètes décrites plus haut et visant à « Améliorer les structures qui soutiennent le dialogue social au niveau européen » et (la) « Mise en place des accords-cadres européens, renforcement des capacités et financement » soient reprises dans le rapport Nahles.

La CES négociera aussi avec les employeurs européens pour définir une série de recommandations conjointes à soumettre à Mme Nahles comprenant nos priorités en matière de renforcement des compétences, de financement, d’amélioration des structures soutenant le dialogue social européen ainsi que de l’implication des partenaires sociaux à différents niveaux de l’élaboration des politiques.

Socle européen des droits sociaux – Principe en matière de dialogue social

Le dialogue social est un élément clé du Socle européen des droits sociaux. Dans le contexte du plan d’action pour sa mise en œuvre, la CES veillera à ce que les propositions concrètes pour le renforcement des capacités, le financement ainsi que le soutien nécessaire au dialogue social y soient reprises. Il est essentiel que l’importance du dialogue social ne soit pas minimisée et ne devienne pas simplement un outil de lobbying des partenaires sociaux pour influer sur l’élaboration des politiques. Il faut cependant que le rôle du dialogue social et des accords bipartites comme moyens de produire des résultats soit sécurisé. Il faut en outre que les prérogatives du dialogue social soient protégées des deux côtés de la table et que le dialogue de la société civile soit encouragé sans être confondu avec le dialogue social.

Négociation du prochain Programme de travail 2022-2024

La CES invite ses affiliés à commencer leur travail préparatoire en vue du prochain programme de travail 2022-2024. En plus d’identifier les questions d’intérêt commun, les partenaires sociaux européens devront également déterminer quels instruments contraignants leur permettront d’aborder ces questions plus efficacement aux niveaux transsectoriel et sectoriel.

Le mandat pour le prochain programme de travail sera présenté pour adoption au Comité exécutif de mars et les négociations devraient avoir lieu durant le second semestre 2021.

Ce mandat reflètera les discussions avec les affiliés de la CES portant particulièrement sur le rôle renforcé des membres syndicaux du Comité du dialogue social. Il devra identifier les thèmes possibles pour les négociations à venir (accord et cadre d’actions) et les activités et projets conjoints futurs, y compris le renforcement des capacités et le suivi du sous-groupe.