Résolution CES sur la numérisation : "vers un travail numérique équitable"

Résolution CES sur la numérisation : "vers un travail numérique équitable"


Adoptée lors du Comité exécutif des 8-9 juin 2016


Points clés


Exigences de la CES :


  1. assurer une transition inclusive vers un travail numérique équitable et de qualité sur la base de conditions de travail favorables, d'un environnement de travail sûr ainsi que d'une relation de travail juste ;
  2. éviter que la numérisation ne divise encore davantage la société en un petit nombre de gagnants et un grand nombre de perdants et ne contribue à une répartition encore plus inégale de la richesse ;
  3. renforcer les compétences des travailleurs (y compris les travailleurs indépendants) grâce à l'amélioration des programmes de formations professionnelles initiales et continues en vue de l'ère numérique en assurant un accès à l'enseignement supérieur et à l'apprentissage à long terme. Les compétences numériques restent un fil conducteur important pour un travail numérique équitable et de qualité ;
  4. une directive à propos de la vie privée au travail au niveau européen, sur la base du respect de la dignité des personnes, de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel ;
  5. intégrer la notion de genre dans toutes les initiatives numériques de façon à ce que l'agenda numérique devienne un élément moteur vers l'égalité hommes-femmes, et ce, afin de lutter contre l'important écart hommes-femmes dans le domaine des TIC, de favoriser la pleine intégration des femmes de tous âges dans des domaines tels que les mathématiques, l'ingénierie, la technologie et les sciences et de renforcer la participation des femmes aux processus décisionnels dans les entreprises du secteur numérique ;
  6. accompagner le déploiement des technologies numériques d'un ensemble de normes qui contribueront à la durabilité – sociale, économique et environnementale – des chaînes de valeur des TIC ; s'assurer que les actions de l'Union européenne à propos de la numérisation soient en phase avec ses politiques environnementale, énergétique et climatique ; répondre à l'impact négatif de nombre de technologies numériques sur l'environnement en termes de production de déchets et d’exportation de ceux-ci vers les pays pauvres et remédier à la consommation excessive d'énergie et d'eau ainsi qu'à l'extraction massive de matières premières ;
  7. proposer un cadre européen sur le travail collaboratif pour empêcher l'affaiblissement ou le contournement des salaires minimums, de la règlementation sur le temps de travail, de la sécurité sociale, du régime de retraite, de la fiscalité, etc., ainsi que pour veiller à l'application effective des réglementations et de la législation nationales et européennes et des droits des travailleurs numériques dans des environnements en ligne ; établir des règles justes, en s’assurant que des salaires minimums sont payés et en offrant un accès à la sécurité sociale ; protéger les droits de propriété intellectuelle ;
  8. procéder à une évaluation des impacts sociaux des normes TIC sur les travailleurs, promouvoir le développement de normes ouvertes dans l'ensemble des domaines prioritaires identifiés, ouverts et accessibles à tous les acteurs de l'industrie grâce à des conditions économiques et légales non discriminatoires, raisonnables et justes et garantir un financement pour une participation efficace des syndicats dans des organisations mondiales de normalisation ;
  9. mettre en place des services publics numériques accessibles et inclusifs et s'assurer que les administrations publiques apportent leur aide aussi bien aux citoyens qu'aux travailleurs disposant de formation et de compétences numériques ;
  10. cette numérisation ne doit pas engendrer d'incidence négative sur les recettes fiscales ni faciliter une nouvelle érosion de la base d'imposition des sociétés en permettant à ces dernières de payer leurs impôts dans une seule circonscription, même lorsque la valeur est créée dans une autre ; les sociétés multinationales doivent payer leurs impôts sur leurs bénéfices à l'endroit où a lieu l'activité économique correspondante.
  11. renforcer l’information, la consultation ainsi que la représentation dans les conseils d’administration afin de mieux anticiper et gérer le changement, notamment une transition inclusive vers un travail numérique équitable et de qualité ;
  12. les syndicats doivent utiliser tous les organes représentatifs afin de modeler une numérisation juste et inclusive des entreprises et des services et d’organiser le recrutement des travailleurs indépendants ;
  13. les syndicats doivent s'assurer que les représentants des travailleurs, de manière générale et au sein des conseils d'administration en particulier, examinent, de manière régulière, l'introduction de nouvelles technologies ainsi que la sous-traitance interne et externe et qu'ils recourent aux conventions collectives pour mettre en œuvre de nouveaux droits liés à la numérisation (comme le droit à la déconnexion) ;
  14. les syndicats doivent surveiller de plus près les stratégies de numérisation ; encourager les fédérations syndicales européennes à explorer, de manière active, les moyens de négocier des accords transnationaux d'entreprise (ATE) dans les différents domaines de la numérisation.

La numérisation, la quatrième révolution industrielle et la Commission européenne[1]


La numérisation[2] de l'économie et de la société représente un défi majeur pour le mouvement syndical européen. La numérisation annonce la quatrième révolution industrielle[3] qui est sur le point de modifier l'industrie, les services, les marchés mais aussi le monde du travail en général (dans les services publics, l'enseignement, etc.). La numérisation est synonyme tant d'opportunités que de risques. Actuellement, il existe des études qui portent sur l'avenir du monde du travail et qui suggèrent que, parmi les travailleurs, il y aura des gagnants et des perdants. L'un des risques est que la numérisation pourrait représenter un vecteur supplémentaire d'inégalités sociales et territoriales.


Parmi les avantages de la numérisation, on pourrait citer un affranchissement potentiel des tâches répétitives, monotones et dangereuses qui pourraient de plus en plus être remplacées par des tâches de surveillance et d'amélioration de processus, renforçant ainsi la capacité des équipes à agir et la possibilité d'autorégulation autonome. La numérisation pourrait devenir la base de nouvelles formes d'aide pour les travailleurs, de nouvelles formes de coopération, renforçant l'autonomie d'action et l'autorégulation décentralisée d'équipes. On pourrait alors tendre vers un meilleur équilibre entre vie professionnelle et vie privée. Ces nouveaux défis numériques rendent l'information et la consultation des travailleurs ainsi que leur participation aux conseils d'administration et aux négociations collectives encore plus importantes et il est dès lors nécessaire de renforcer leur position. Les syndicats sont appelés à réfléchir à des moyens appropriés pour soutenir et sauvegarder les intérêts des travailleurs de la nouvelle économie numérique.


Plusieurs États membres ont lancé des initiatives pour la dématérialisation des industries et des services, alors que la Commission européenne considère qu'il est difficile d'établir un cadre politique européen. La Commission recense plus de 30 initiatives nationales et régionales, à travers l'Europe, pour la dématérialisation des industries ; ces initiatives s'appellent « Fabbrica Intelligente » en Italie ou « Nouvelle France Industrielle » (Industrie du Futur) en France, « Smart Industry » aux Pays-Bas et en Slovaquie ou encore « Industrie 4.0 » en Allemagne. La Commission n'établit aucune différence entre des initiatives nationales et régionales, ce qui ne facilite pas l'identification des États membres en retard dans ce domaine. Des couches sociales et des régions de l'Europe à la traîne engendrent des coûts élevés pour la société. La Commission a perdu beaucoup de temps avant de commencer à mettre en réseau des initiatives de numérisation nationales déjà établies, à investir dans des centres d'innovation numérique en Europe, à s'attacher à des avant-projets de norme et à créer un cloud européen. L'ensemble de ces activités est censé porter jusqu'à 20 % la part de l'industrie dans le PIB européen.


La Commission présente sa nouvelle communication « Dématérialisation de l'industrie européenne. Pour tirer le meilleur parti d'un marché numérique unique » avec une note positive affirmant que l'industrie européenne joue un rôle majeur dans la relance de l'économie européenne mais en même temps en fermant les yeux sur le taux élevé de chômage, sur les faibles investissements et sur le faible taux de croissance. La Commission commence par reconnaître qu'il existe de grandes disparités entre les régions et que le niveau de dématérialisation varie selon les secteurs, principalement entre les domaines high-tech et traditionnels, mais également entre les différents États membres. Néanmoins, la Commission devrait agir plus rapidement et de façon plus ambitieuse. En effet, une transition inclusive réussie vers l'« Industrie 4.0 » n'est pas une question de vœux pieux ni de déclarations mais d'actions et d'investissements. Personne n’a une boule de cristal pour explorer l’avenir numérique et il n’existe pas de déterminisme technologique lié à la numérisation.


Accélérer la numérisation pour éviter tout retard de l'Europe représente un sacré défi pour la Commission. L'Europe - et pas seulement certaines de ses régions - doit rapidement s'attaquer aux défis industriels tels qu'électromobilité, la fabrication de batteries, l'impression 3D, l'infrastructure informatique, la 5G. La Commission insiste sur le fait que les pays européens peuvent s'appuyer sur les points forts de l'Europe. Cependant, après avoir analysé les différences existantes sur quelques points entre l'Europe et les États-Unis et certains pays d'Asie du Sud-Est, force est de constater que l'Europe affiche un certain retard. Les investissements dans les produits TIC dans l'UE représentent un tiers de ceux consentis aux États-Unis entre l'an 2000 et 2014. Le montant investi dans la recherche et l'innovation par les entreprises de l'UE représente 40 % des investissements des entreprises américaines.


En juin 2015, le Comité exécutif[4] de la CES a demandé la tenue d'un forum européen permanent sur la numérisation pour modeler l'avenir du travail numérique. Aujourd'hui, dans sa communication, la Commission fait un pas dans la bonne direction en affirmant : « La transformation numérique est en train de modifier le marché du travail et la nature du travail de manière structurelle. Nous craignons que ces changements aient une incidence potentielle sur les conditions de travail ainsi que sur les niveaux et la répartition des revenus. Pour relever ces défis, il est nécessaire d'entamer un dialogue approfondi à propos des aspects sociaux de la dématérialisation auquel doivent prendre part tous les intervenants qui contribuent à l'ensemble des aspects du travail, de l'éducation et la formation ». La Commission propose a) semestriellement, une table ronde de haut niveau des représentants des initiatives des États membres, de l'industrie et des partenaires sociaux pour assurer un dialogue continu à l'échelle de l'UE, avec des ateliers spécifiques pour des initiatives préparatoires à propos des questions sectorielles et intersectorielles et b) annuellement, un forum des intervenants européens dans le cadre d'une consultation plus large. La CES est heureuse de constater que la Commission a enfin répondu à sa demande d'un forum européen permanent.


Au lieu de traiter l'avenir du monde du travail comme un sous-thème marginal, la Commission devrait examiner de près les initiatives lancées par les Ministères du Travail comme le Travail 4.0 « (Arbeiten 4.0 »). Le Ministère du Travail allemand a lancé, en 2015, une discussion autour du livre vert sur le Travail 4.0 qui devrait être suivi, en 2016, d'un livre blanc impliquant le volet social, les aspects liés à l'emploi et au travail de la numérisation et tous les principaux intervenants. L'apparition, dans la communication de la commission, du terme « défi de la réglementation » et des rubriques « main d'œuvre » et « travail » (dans le dernier chapitre) représente un tout petit pas dans la bonne direction. Toutefois, les opportunités ne se concrétiseront pas d'elles-mêmes ou ne seront pas entraînées par les marchés, elles nécessiteront un cadre politique européen cohérent fondé sur une forte participation des syndicats.


Coordonner les initiatives nationales existantes, les consolider, les étayer et s'assurer de leur transposition à grande échelle représenterait un pas en avant. La dernière question est : qu'en est-il des États membres qui n'ont pas encore lancé d'initiatives nationales ainsi que des principaux intervenants comme les partenaires sociaux ? Il semble que ces États membres participeront au processus de coordination pour « s’inspirer » des mesures déjà prises par les États membres qui ont lancé des initiatives. La manière selon laquelle la Commission organisera ce processus de rattrapage n'est pas claire. Y aura-t-il des incitants européens pour investir massivement dans la numérisation juste, y compris pour les principaux intervenants ? Promouvoir davantage de numérisation principalement dans les États membres où elle a déjà commencé pourrait, en fin de compte, endommager l'ensemble du projet. La numérisation est comme une fenêtre d'opportunités qui est actuellement ouverte.


La mondialisation est en train d'accélérer la numérisation et inversement. La numérisation pourrait élargir la fracture qui existe actuellement entre les différentes régions en Europe[5]. La politique d'austérité entraîne une restriction des investissements consacrés au domaine numérique dans les pays les moins développés.


En dépit des mesures importantes dans la bonne direction, certains aspects de la numérisation (comme la durabilité, la protection des données, l'écart hommes-femmes, l'écart des compétences, etc.) sont toujours absents de la communication de la Commission ou n'y sont pas suffisamment développés. Ces angles morts et cette perception partielle des problèmes liés à la numérisation engendrent un nouveau problème car ils entraînent des conclusions partiales et partielles quant à la politique à adopter. Les décideurs doivent gérer le changement et faire face aux chocs, aux « perturbations » qui résulteront inévitablement de la numérisation.


Contexte


La plupart des événements en vue de la numérisation se concentrent sur les enjeux technologiques ; toutefois on assiste à une intensification et à une accélération rapide du débat à propos de l'avenir du monde du travail et de la numérisation de notre vie sociale et professionnelle, définie comme la quatrième révolution industrielle.


  1. La présidence luxembourgeoise a organisé les 10 et 11 novembre 2015 une conférence intitulée « Économie numérique : soyons prêts pour de nouveaux emplois ! » et a invité les Ministres du Travail européens pour un premier débat à propos de la numérisation et de l'avenir du monde du travail.
  2. L'OCDE a accueilli une réunion ministérielle des Ministres du Travail et de l'Emploi en janvier 2016, qui a été précédée d'un forum de politique générale très couru à propos de « l'Avenir du monde du travail ». Au cours des deux réunions, des questions de clarification quant aux salaires, aux droits du travail, à l'accès à la protection sociale, aux possibilités de formation, etc. ont été soulevées.
  3. Le Forum Économique Mondial de Davos, en janvier 2016, lors de sa session qui portait sur « La transformation numérique des industries » a tiré la conclusion que la technologie ne représente pas le défi le plus important.
  4. Les partenaires sociaux européens ont expliqué, dans une déclaration à propos de la numérisation pour le sommet social tripartite du 16 mars 2016, que l'agenda pour la politique européenne de l'emploi, tout en soutenant la numérisation, « devrait, dans le même temps, viser à maximiser les chances d'emploi de qualité »[6].

Angles morts dans la perception de la Commission européenne


Il est nécessaire de prendre en compte l'écart hommes-femmes. Malgré la preuve solide qu'il est essentiel que les femmes participent, de manière active, au domaine des TIC pour une croissance à long terme et une viabilité économique de l’Europe, il persiste, au niveau des TIC, en Europe, un large écart en termes d'égalité hommes-femmes et de compétences générationnelles. Le nombre de diplômés dans le domaine des TIC a diminué entre 2006 et 2013[7]. Par rapport aux femmes, il y a deux fois plus d'hommes diplômés en sciences, en technologie et en mathématiques. Il est cependant essentiel qu'un plus grand nombre de femmes rejoignent le domaine car une grande partie de notre société future sera façonnée par des experts en données et des développeurs de logiciels. Sinon, le monde de demain sera dirigé par la moitié de la population, pour elle-même, et se privera du talent, de la créativité et de la contribution de l'autre moitié. En Europe, les femmes ont tendance à ne pas suivre des études dans le domaine des TIC et sont sous-représentées dans ce domaine, notamment dans les postes techniques et décisionnels. Pour une économie numérique avec une égalité hommes-femmes, il est essentiel d'améliorer l'accès aux possibilités d'éducation et de formation pour les femmes et les filles dès leur plus jeune âge afin qu'elles acquièrent des compétences en matière de TIC et qu'elles les développent et que par la suite elles embrassent des carrières liées aux TIC en vue d'exploiter ces compétences sur le marché du travail. Selon les estimations, l'entrée des femmes dans le domaine des TIC permettrait de stimuler un marché pour lequel il est prévu des pénuries de main-d'œuvre. En outre, la participation des femmes à part égale permettrait d'augmenter, annuellement, le PIB de l'UE de 9 milliards d'euros.


La Commission émet l'hypothèse que la numérisation peut réduire la consommation d'énergie et l'utilisation des matières premières. Toutefois, le message à propos de la durabilité ressemble plus à un vœu pieux qu'à autre chose. L'écologisation de l'économie et la transition accélérée vers une économie à faible émission de carbone nécessitera le déploiement d'une série de technologies numériques. Des bâtiments intelligents, une planification urbaine intelligente et des transports intelligents, le télétravail et les réunions virtuelles, les TIC pour une efficacité énergétique dans l'industrie sont autant d'éléments - parmi tant d'autres - qui peuvent contribuer de manière significative à réduire les émissions de gaz à effet de serre tant dans l'UE qu'à l'échelle mondiale. Dans le cadre des politiques énergétique et climatique, la CES considère que le déploiement de ces technologies revêt un caractère urgent et prioritaire. Cela permettrait d'ailleurs à l'UE de s'affirmer comme chef de file sur un marché qui va connaître une croissance dans les années à venir. Toutefois, il faut garder à l'esprit le fait que, malgré leurs nombreux avantages, de nombreuses technologies numériques peuvent avoir un impact négatif sur l'environnement ainsi que sur la santé publique. Ainsi, on constate une hausse considérable de la consommation énergétique et des émissions de gaz à effet de serre liées aux TIC. En outre, la consommation d'eau des grands centres de données peut compromettre le prix de l'eau. Bon nombre de ces technologies nécessitent des minéraux et des matières premières comme des terres rares qui proviennent parfois d'activités minières au sein desquelles les droits de l'homme et les droits des travailleurs sont bafoués et les normes environnementales pas respectées. Dernier point, mais non le moindre, les technologies TIC génèrent des quantités astronomiques de déchets nocifs pour l'environnement et pour la santé publique. Cette situation est particulièrement préoccupante lorsque ces déchets sont exportés par des moyens parallèles vers des pays pauvres où la population locale est directement exposée aux matières toxiques. Par conséquent, la CES demande que le déploiement des technologies numériques soit accompagné d'un ensemble de règles et de normes qui contribueront à assurer la durabilité - sociale, économique et environnementale - des chaînes de valeur des TIC. L'UE doit également s'assurer que ses décisions dans le domaine de la numérisation s'alignent sur les objectifs fixés dans ses politiques environnementale, énergétique et climatique. Assurer la pérennité de l'économie numérique ne doit pas être considéré comme un obstacle à son déploiement mais comme une condition préalable à sa viabilité économique à long terme.


L'utilisation croissante des nouvelles technologies et des moyens de communication électronique dans la relation entre les employeurs et les travailleurs soulève de nombreuses questions à propos de la protection de la vie privée des travailleurs et des dangers représentés par les nouvelles possibilités de contrôle et de surveillance. La CES est d'avis que l'utilisation, le traitement et le stockage de données dans la relation de travail requiert des principes qui évitent des infractions des droits fondamentaux des travailleurs, en particulier le droit à la vie privée. Ce droit de l'homme est protégé par les normes internationales et européennes. Un travailleur ne renonce pas à son droit à la vie privée lorsqu'il travaille. Les employeurs doivent s'abstenir de toute atteinte déraisonnable lors de l'utilisation de support électronique et de TIC par les travailleurs. Il est capital que le traitement des données sur le lieu de travail soit utile, proportionné, transparent et non discriminatoire et que le travailleur dispose obligatoirement d'un droit d'accès à ces données. Le nouveau règlement sur la protection des données qui existe au niveau européen ne tient pas suffisamment compte des détails de la protection des données dans le domaine particulier de l'emploi. Par conséquent, la CES demande une directive à propos de la vie privée au travail, sur la base du respect de la dignité des personnes, de la vie privée et de la protection des données à caractère personnel.


Tandis que les futurs emplois nécessiteront des compétences différentes, c'est aujourd'hui que l'on est en train de former les personnes. Tout au long de leur carrière/ existence, ces dernières devraient profiter de possibilités et d'une aide permanentes afin d'améliorer des compétences clés et de base, y compris des compétences numériques. Des compétences numériques sont essentielles pour garantir l'employabilité des travailleurs mais elles jouent également un rôle clé dans l'égalité d'accès à des services de qualité et à une vie sociale et démocratique ainsi que dans l'amélioration de la vie quotidienne car les plates-formes et outils numériques couvrent de plus en plus de dimensions de nos vies. Les compétences numériques restent un fil conducteur important pour assurer une transition inclusive vers un travail numérique équitable et de qualité tout particulièrement dans le cas de groupes cibles spécifiques comme les femmes, les jeunes, les travailleurs intérimaires, les travailleurs migrants, les travailleurs collaboratifs indépendants et les travailleurs indépendants. Lorsque nous parlons de compétences numériques, il est essentiel de différencier le niveau et le type de compétences numériques nécessaires : les compétences de haut niveau des professionnels des TIC, les e-compétences en affaires et les compétences des utilisateurs des TIC. De plus en plus les travailleurs sont, et seront, confrontés à la complexité, à l'incertitude et au changement. Les équipes doivent apprendre à gérer l'imprévu. Il est également nécessaire d'améliorer en permanence des compétences actuelles telles que les compétences de résolution de problèmes. Améliorer les compétences de la main-d'œuvre constitue un énorme défi. Le changement rapide est maintenant la norme. Les travailleurs comprendront cette réalité de la vie de l'entreprise et il leur faudra développer leurs compétences régulièrement. Les compétences et les capacités des travailleurs devraient être préservées et améliorées grâce à des programmes de formation continue. Le besoin de compétences numériques sur le lieu de travail est particulièrement en constante augmentation. L'industrie et les services ont un rôle essentiel à jouer dans le développement des compétences dans le cadre du travail. Les entreprises devraient de plus en plus devenir des entités d'apprentissage qui formeraient le personnel sur le lieu de travail grâce à un programme cohérent. Il est nécessaire de dégager un plus grand nombre d'initiatives conjointes pour adapter les programmes de formation professionnelle initiale et continue (acquisition de nouvelles méthodes d'apprentissage, capacité à agir de manière autonome, souscription à un sens des responsabilités et de l'appropriation, développement des capacités de réflexion systématique...). Il est essentiel de fournir plus d'aide aux travailleurs en général et aux travailleurs âgés en particulier afin qu'ils améliorent leurs compétences générales et numériques. Comme l’économie numérique entraînera des transitions importantes ainsi qu'une restructuration de l’économie, on devrait garantir aux travailleurs des dispositions relatives à la formation, ce qui pourrait les aider à prendre un nouveau départ dans leur carrière et éventuellement se tourner vers des opportunités d’emplois créés dans l’économie numérique. Le congé-éducation payé proposé par le CES doit faire partie d'une stratégie européenne visant à aider les travailleurs à s'adapter et à faire face aux changements économiques. Il est également nécessaire de développer des compétences régionales afin de répondre aux emplois de qualité de cette ère post-industrielle.


La CES reconnaît le rôle de la normalisation comme un instrument clé de la politique industrielle et salue les domaines prioritaires pour la normalisation de la Commission comme aide au progrès industriel. Il est essentiel de mettre en place une normalisation afin d'assurer l'intégration numérique des services européens et des industries manufacturières, par exemple en assurant l'interopérabilité des protocoles de communication et des formats de données utilisés pour la transmission, le stockage et le traitement des données entre les machines et les appareils, afin de contribuer à la santé et à la sécurité de l'ensemble des travailleurs qui effectuent des tâches dans des environnements entièrement automatisés, afin d'offrir, aux travailleurs, des garanties quant à la protection de leur vie privée sur leur lieu de travail et afin d'éviter la surveillance abusive de la part des employeurs. En outre, la compétitivité mondiale des entreprises et de la main d'œuvre européennes se modèlera grâce à des normes qui soutiendront la numérisation de l'industrie et des services[8]. Afin d'éviter un glissement de la valeur économique des acteurs performants vers des détenteurs de droits de propriété intellectuelle, ces normes doivent être ouvertes et accessibles à tous les acteurs de l'industrie grâce à des conditions économiques et légales équitables, raisonnables et non discriminatoires (FRAND). La CES se félicite donc de la volonté de la Commission de s'appuyer sur une politique de droits de propriété intellectuelle équilibrée pour l'accès aux normes en matière de brevets essentiels dans des conditions FRAND. La CES invite la Commission à promouvoir le développement de normes ouvertes dans tous les domaines prioritaires identifiés, par exemple, par le biais de mandats de normalisation adressés à l’organisme de normalisation européen. La CES rappelle que les normes des TIC pour achever le marché unique numérique ne sont pas seulement affaire de technologie ; en effet ces normes auront une incidence sur la santé et la sécurité au travail, sur la protection de la vie privée au travail, sur la surveillance des employés et sur leurs compétences. La CES invite donc la Commission à procéder à une évaluation des incidences sociales des normes des TIC sur les travailleurs afin d'alimenter le processus de politique et de normalisation. La normalisation des TIC intervient de plus en plus au niveau mondial, ce qui la fait sortir du champ d'application du règlement n° 1025/2012 relatif à la normalisation européenne. La CES invite la Commission à garantir un financement afin que les syndicats participent de manière effective aux organismes mondiaux de normalisation.


La numérisation des services publics et l'administration en ligne ne doivent pas approfondir la « fracture numérique », particulièrement lorsque des politiques, largement vantées par la Commission comme le « principe une seule fois » et le « numérique par défaut », sont mises en œuvre. La numérisation, lorsqu'elle s'accompagne d'investissements en infrastructures et de personnel en suffisance, ne conduira qu'à de meilleurs services publics.


Numérisation et avenir du monde du travail


La numérisation a amené son lot d'exagérations. D'un côté, le camp trop enthousiaste fonde ses hypothèses principalement sur des vœux pieux. La numérisation est plébiscitée car elle offre des avantages universels pour tous, elle permet une économie circulaire avec moins de déchets, une meilleure utilisation des actifs sous-utilisés (comme les voitures, les appartements...), des possibilités inouïes pour une meilleure information, une meilleure communication, une plus grande connectivité et une plus grande transparence (trois milliards et demi de personnes sont maintenant connectés à internet), un rapprochement plus facile entre la vie privée et le travail et un nouveau monde de partage et de collaboration, de travail numérique comme une panacée, une promesse d'un monde plus durable, plus juste et plus équitable qui repose sur un internet démocratique et sur plus de participation.


Le camp plus sceptique prédit une tendance menant à un avenir avec de terribles pertes d'emplois, une disponibilité 24 heures sur 24 7 jours sur 7, une détérioration des conditions de travail, une confusion des barrières entre la vie privée et la vie professionnelle, une augmentation de la supervision et de la surveillance, une polarisation des emplois (augmentation des travailleurs hautement et peu qualifiés avec une diminution des travailleurs moyennement qualifiés), des inégalités de richesses plus larges, une nouvelle ère des machines avec une réserve mondiale de travailleurs se faisant concurrence, ce qui mènera à un nivellement par le bas des salaires et des conditions de travail.


La CES n'approuve ni les visions très enthousiastes ni les visions sceptiques, mais elle tente de se pencher sur les deux dimensions, les opportunités ainsi que les risques. En tant que syndicat, il est de notre devoir de pointer ces tendances inquiétantes et ces problèmes importants qui concernent l'avenir du monde du travail. Le principal défi consiste à modeler une transition inclusive vers un avenir numérique juste en minimisant les risques et en ouvrant les fenêtres d'opportunité. Il est important d'appliquer le principe de précaution de façon à éviter que la dématérialisation ne divise encore plus la société en quelques gagnants et nombre de perdants et ne contribue à une répartition encore plus inégale de la richesse.


La Commission européenne, sous la pression des grands groupes tels qu'Uber et Airbnb, penche plus vers le côté enthousiaste et, dans l'intérêt du marché unique, essaie de se débarrasser des barrières afin d'établir un marché unique numérique capable de concurrencer ses rivaux américains et d'Asie du Sud-Est.


La CES regrette que la question des pertes d'emplois ne joue pas un rôle dans l'analyse de la Commission[9] – est-ce un « chômage technologique » (Keynes), une « destruction créatrice » (Schumpeter) ou une nouvelle tendance qui naît avec la quatrième révolution industrielle ? Historiquement, les hausses de productivité ont systématiquement détruit des anciens emplois, mais après une période de transition on a assisté à la création d'un plus grand nombre de nouveaux emplois. Une étude récente de l'OCDE a conclu qu'en moyenne 9 % des emplois présentent un risque élevé d'automatisation[10]. Le plus grand défi dans le domaine de l'emploi consiste à modeler une transition inclusive vers un monde du travail juste et de qualité.


Qu'est-ce qui serait nécessaire pour l'Europe ? Est-ce que les 50 milliards d'euros d'investissements publics et privés en faveur de la dématérialisation de l'industrie au cours des cinq prochaines années sont suffisants ou représentent-ils une goutte d'eau dans l'océan[11] ? Que cachent les faibles taux d'investissement du secteur privé ? Le niveau d'incertitude à propos du développement de la numérisation en cours et en même temps des investisseurs réticents à engager des investissements à long terme pour numériser les technologies de production existantes ?


Une nouvelle tendance dangereuse : des plates-formes de main-d'œuvre et du travail collaboratif « à outrance » dans nombre d’entreprises


La croissance rapide des plates-formes informatiques a engendré des défis majeurs tant conceptuels que réglementaires. Que leur évolution ait eu lieu au milieu de la grande récession qui a débuté en 2008 avec l’effondrement de Lehman Brothers ne relève pas du hasard. La CES s'inquiète moins d'innovations comme l'économie de seconde main ou la location de voitures. La CES se préoccupe principalement des plates-formes numériques de main-d'œuvre et leurs conséquences potentiellement préjudiciables pour le marché du travail et l’emploi.


Le travail collaboratif signifie un transfert de tâches vers une réserve de travailleurs en ligne, la « foule » via un intermédiaire, une plate-forme en ligne. Le travail collaboratif, même s'il reste un phénomène marginal en Europe, connaît un développement rapide[12]. Les plates-formes de main d'œuvre se fondent sur le fractionnement des travaux en tâches et sous-tâches et la sous-traitance de ces micro-tâches. Les travailleurs collaboratifs exécutent des micro-travaux ou des micro-tâches via des plates-formes en ligne pour divers employeurs (y compris de la traduction, des transcriptions d'extraits audio, du développement de logiciels et d'applications, de l'affichage de factures en format matriciel...). Les conséquences pour les travailleurs sont variables : on prétend qu’ils sont libres d’organiser leurs horaires, les tâches qu’ils prennent en charge et leur vie professionnelle mais ils ne profitent d'aucune des protections sur lesquelles s'appuient les travailleurs, notamment contre les risques psychologiques du travail individualisé sur les plates-formes en ligne.


Les entreprises obtiennent un nouvel accès facile à la sous-traitance (interne et externe) par l'intermédiaire de plates-formes internet qui font de la publicité auprès des travailleurs collaboratifs qui sont censés exécuter divers (micro)-services ou (micro)-tâches en se contentant d'accepter les conditions générales de la plate-forme. Le cadre institutionnel habituel de protection des travailleurs (un contrat de travail ou au moins une relation de travail) est régulièrement refusé dans le cas de plates-formes internet. Par conséquent, dans la pratique, il manque les comités d'entreprise (européens), les négociations collectives, les conventions collectives et la représentation dans les conseils d'administration.


Dans les entreprises, il est possible de répartir le travail collaboratif en deux grandes catégories : la sous-traitance interne (à l'intérieur des entreprises) et externe. Des entreprises utilisent le travail collaboratif interne pour gérer leurs propres travailleurs via des plates-formes internet. Dans ce cas, il est possible d'utiliser les procédures habituelles et les outils d'information et de consultation ainsi que la représentation dans les conseils d'administration pour influencer le processus. Normalement, on ne touche pas au statut d'un travailleur.


Le travail collaboratif externe transnational est effectué en dehors de la compétence des gouvernements nationaux et il est possible d'observer un manque général d'application des protections des travailleurs. Les plates-formes de travail ont un effet significatif sur la baisse des salaires et montrent des signes inquiétants d'un nouveau nivellement par le bas. La conception des plates-formes de travail ressemble à une invitation à multiplier les pratiques de sous-enchère. Dans le cas du travail collaboratif externe, généralement au moins trois acteurs peuvent être impliqués : le client, l'intermédiaire en ligne et le travailleur. Le pouvoir entre le travailleur et la plate-forme ou le client souffre d'un certain déséquilibre. Il est possible d'établir un classement des travailleurs mais il n'existe aucune disposition pour en faire de même avec les employeurs. Il y a un transfert structurel du risque et de la responsabilité des sociétés vers des travailleurs précaires. Les effets de débordement des plates-formes informatiques sur les sociétés, en raison de la pression pour la compétitivité des prix, sont encore plus préoccupants que l’éventuel vide juridique. Les sociétés qui ont recours à des plates-formes informatiques peuvent offrir des biens et des services à des prix nettement inférieurs.


Une nouvelle industrie numérique est sur le point d'être lancée sans la juste reconnaissance d'une relation d'emploi (contrat de travail, accord ex ante sur la rémunération, minimum d'heures de travail, règlementation sur le temps de travail, congés payés, congé de maternité/ paternité, protection sociale, etc.). Le travail collaboratif et le travail à la mission permettent de facilement compromettre ou contourner les salaires minimum, la règlementation sur le temps de travail, la sécurité sociale, le régime de retraite, la fiscalité, etc. L'augmentation rapide du travail collaboratif pourrait conduire à un élargissement de l'économie souterraine et du travail au noir ainsi qu'à la création d'une nouvelle forme de précarité dans le domaine numérique. Cette nouvelle forme de précarité dans le domaine numérique représente un segment de la population active dont le travail est temporaire, qui subsiste grâce à de très faibles salaires et qui ne profite pas ou peu d'avantages ou de protections sociales. Cet état précaire est sur le point de se propager dans le monde entier. Selon les conditions générales de nombre de plates-formes de main d'œuvre, seule une personne ayant participé au travail collaboratif est payée, c'est le même principe que celui d'une loterie et la situation est pire que pour les journaliers.


À première vue, réglementer efficacement les plates-formes de travail semble difficile mais la CES souhaite proposer quelques approches pour s'attaquer au problème. D'abord, on constate que seuls quelques pays occidentaux hébergent la majorité des employeurs[13]. Il y a donc un besoin stratégique de renforcer la règlementation existante et de prévoir, le cas échéant, de nouvelles règles pour le jeu. Dans l'UE, les règlementations nécessaires quant à la façon dont les employeurs, les agences de placement et les clients devraient traiter leurs travailleurs peuvent être promulguées et appliquées. Deuxièmement, il s'agit d'une question d'équité afin de s'assurer qu'au moins un salaire minimum est payé. Le législateur européen doit intervenir pour s'assurer que les travailleurs reçoivent plus de pouvoir de négociation et soient traités équitablement. Les systèmes de sécurité sociale doivent être ouverts aux travailleurs indépendants ainsi qu'aux travailleurs économiquement dépendants. L'économie de travail collaboratif demeure une tendance dangereuse tant que des règles équitables font encore défaut.


Défis numériques pour les syndicats et domaines d'action


La CES est clairement en faveur de l'utilisation de nouvelles technologies d'une telle façon qu'elles soient au service des citoyens, des travailleurs – en particulier des femmes et des travailleurs âgés – ainsi que des sociétés qui respectent les lois et les règlementations nationales et européennes (en matière de main d'œuvre). Il est nécessaire d'obtenir une protection adéquate des travailleurs employés dans le domaine du travail numérique afin d'éviter l'émergence d'une nouvelle forme de précarité dans le domaine numérique. Un défi majeur consiste à s'assurer du droit à l'information, à la consultation et à la représentation dans les conseils d'administration ainsi qu'à un salaire minimum et à la sécurité sociale obligatoire.


La numérisation élargit les possibilités d’automatisation, de robotisation et de sous-traitance des industries et des services, et les syndicats sont mis au défi de modeler la transition vers un travail numérique juste et de qualité. La révolution numérique n’arrivera pas du jour au lendemain, mais il faudra qu'elle prenne forme étape par étape. La participation des syndicats représente un défi majeur mais également une opportunité.


Les domaines d’action les plus importants pour les syndicats sont l’emploi, les qualifications et l'amélioration des compétences, la sous-traitance des tâches, les règlementations sur le temps de travail, les questions de santé et de sécurité, l'équilibre vie privée - vie professionnelle et la protection des données. Il est nécessaire de trouver de nouvelles définitions inclusives pour le travailleur et l'employeur. Des procédures pour renforcer les informations, la consultation et la participation dans les conseils d'administration sont requises pour modeler une transition inclusive vers un travail numérique équitable et juste.


La participation des syndicats à la numérisation ressemble à un paysage épars et est principalement liée aux initiatives existantes des États membres (pour ne citer que les plus importantes initiatives : Luxembourg, France, Suède, Allemagne). De manière générale, les initiatives lancées par les Ministères du Travail entraînent la participation appropriée du syndicat tandis que les autres ministères ont tendance à oublier la participation du syndicat, de sorte que cette dernière devient difficile voire impossible. La situation est même encore plus difficile avec les États membres qui n'ont pas lancé d'initiatives de numérisation : quand un état membre est à la traîne, les syndicats ne sont en général pas impliqués dans le sujet. Les situations différant, il est nécessaire d'établir différentes stratégies syndicales, à commencer par la sensibilisation au sein même des syndicats suivie d'actions des syndicats pour sensibiliser les membres des comités d'entreprise, des CEE, des autres organes de représentation des travailleurs ainsi que les représentants des travailleurs au sein des conseils d'administration des entreprises.


L'objectif est de contrôler systématiquement l'introduction de nouvelles technologies et de lui donner forme de façon à ce qu'elle garantisse un travail numérique équitable et de qualité. Il est possible, pour les syndicats, d'influencer directement les stratégies de numérisation des entreprises via les organes de représentation et tous les moyens pour y arriver doivent être utilisés. Dans les États membres ayant lancé des initiatives de numérisation au niveau national, les syndicats devraient également être en mesure d'influencer l'agenda de numérisation du gouvernement et devraient insister sur la nécessité d'examiner de près sa dimension sociale et l'avenir du monde du travail. La CES invite tous les gouvernements nationaux à impliquer les syndicats dans le processus de numérisation.


Certains syndicats ont déjà dépassé ce stade et ont aidé de manière concrète les travailleurs collaboratifs (http://www.faircrowdwork.org/) par exemple avec des plates-formes de classement. On peut trouver dans ces efforts des sources d'inspiration. Les fédérations syndicales européennes peuvent influencer les stratégies de numérisation des entreprises en entamant une négociation d'accords transnationaux d'entreprise (ATE) à propos de la numérisation. La CES continuera de proposer des plates-formes qui serviront à l'échange d'informations, à la sensibilisation et à des débats stratégiques.


La CES encourage :


  1. les comités d'entreprise, les CEE et les représentants des travailleurs en général et au sein des conseils d'administration en particulier à examiner de près la sous-traitance à l'extérieur et à s'assurer que les conditions de travail habituelles et les salaires stipulés dans les conventions sont pleinement appliqués. Il est nécessaire de superviser, dès le début, les nouvelles pratiques commerciales dans le domaine numérique ainsi que l'introduction des nouvelles TIC. Dans certains pays, force est de constater que le nombre de conventions au niveau de l'entreprise augmente rapidement[14]. Dans d'autres, ces activités commencent à peine. Des questions épineuses de longue date comme la durée excessive du temps de travail, le stress, les compétences numériques et le déséquilibre vie privée - vie professionnelle s'aggravent ; il est absolument nécessaire de s'y attaquer.
  2. Les fédérations syndicales européennes (FSE) doivent explorer activement des moyens de négocier des accords transnationaux d'entreprise (ATE) à propos de la numérisation, veiller à ce que les règles communes soient établies et respectées dans l'entièreté de l'entreprise et de la chaîne des valeurs ce qui comprend, par exemple, la participation des représentants des travailleurs dans l'introduction des nouvelles TIC (aucun prétexte au licenciement), de l'impression en 3-D, des lunettes intelligentes, des automates, des règles appropriées en matière de protection des données, des données volumineuses mais exclut les contrôles de la performance ou du comportement ou les contrôles à distance, l'utilisation privée et opérationnelle d'Internet (le « courriel lors des vacances » sur une base volontaire, le remplacement lors de vacances ou d'absence du bureau, la gestion d'un dispositif mobile, le droit de se déconnecter), l'utilisation des médias sociaux, comme cela est déjà le cas dans de nombreux accords d'entreprise nationaux. Les accords transnationaux d'entreprise (ATE) peuvent représenter un élément important de la stratégie du syndicat pour une numérisation juste[15]. Une action au niveau européen peut aider à atténuer la fracture numérique afin de garantir une égalité de traitement et à transformer les menaces en opportunités.
  3. les syndicats doivent surveiller de plus près les stratégies des entreprises à propos de la numérisation, ce qui n'est pas encore le cas dans tous les pays. Les problèmes identifiés dans le présent document doivent être mis en évidence à tous les niveaux de l'organisation syndicale en Europe.
  4. exiger de nouveaux droits tels que la suspension temporaire des décisions prises par la direction à propos de l'organisation du travail liée à l'introduction de nouvelles technologies ;
  5. ouvrir les syndicats, organiser et mieux protéger les travailleurs indépendants tel que prévu dans la stratégie de la CES à propos du travail atypique.

 




[1] Ce document représente une nouvelle version de « L'agenda numérique de la Commission européenne : évaluation préliminaire de la CES », approuvé par le Comité exécutif le 26 juin 2015 sur la base de discussions au cours des trois ateliers de la CES sur le thème de la numérisation qui se sont tenus les 2 décembre 2015, 23 février 2016 et 20 avril 2016 (un quatrième et dernier atelier est prévu le 14 juin 2016) et d'une présentation du Comité pour l'emploi et l'économie lors de sa réunion du 17 septembre 2015, suivies d'un échange avec des affiliés.




[2] Le concept de numérisation peut faire référence à l'extension du domaine numérique dans son ensemble, seulement celui des activités TIC (Technologies de l'information et de la communication) ou sortir du domaine des TIC et couvrir la numérisation de l'industrie et des services. D'autres appellations sont utilisées : industrie 4.0, entreprise 4.0, travail 4.0, bureau 4.0, bureaux intelligents, internet des objets mais aucune terminologie n'est reconnue ; il est souvent nécessaire d'inclure également les termes comme plates-formes en ligne, économie de partage et économie collaborative. - Dans le présent document, le terme « numérisation » est utilisé pour la tendance générale - quant au terme « dématérialisation », il fait référence à la transformation des industries ou des lieux de travail existants.




[3] La première révolution industrielle, qui a eu lieu à la fin des années 1700, se caractérise par l'association de la puissance thermique à la production mécanique. La deuxième révolution industrielle, qui a commencé au milieu des années 1800, a vu la naissance des chaînes de montage et de l'électrification. La troisième révolution, qui a débuté dans les années 1970, s'est caractérisée par l'informatique et l'électronique. Quant à la quatrième révolution, elle voit l'émergence de systèmes physiques et virtuels. Les systèmes industriels s'éloignent de l'approche tayloriste et fordiste.




[4] Adopté les 17 et 18 juin 2016 https://www.etuc.org/documents/digital-agenda-european-commission-preliminary-etuc-assessment




[5] « Il est nécessaire de réduire les fossés numériques potentiels - qu'ils soient générationnels, fondés sur le genre, régionaux ou sociaux ». Déclaration des partenaires sociaux européens sur la numérisation. Sommet social tripartite, 16 mars 2016.




[6] https://www.etuc.org/sites/www.etuc.org/files/press-release/files/11.03.16_final_draft_eusp_message_digitalisation.pdf




[7] https://pbs.twimg.com/media/CRYpwreVAAEVv4K.jpg:large




[8] Par exemple, si les normes d'interopérabilité sont propriétaires, l'organisation propriétaire de telles normes sera en mesure de capturer et de concentrer, dans ses mains, une part importante de la valeur de l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement.




[9] L’objectif officiel repose sur des estimations de l'avantage économique potentiel lié au « coût de la non-Europe » qui équivaut à 572 milliards d'euros en consommation annuelle à travers l’EU-28 (le coût de la non-Europe dans l’économie de partage, Service de recherche parlementaire européen, janvier 2016). La « sous-utilisation de la main-d'œuvre » est estimée 309 milliards d'euros.




[10] Synthèses sur l’avenir du travail, Automatisation et travail indépendant dans une économie numérique, mai 2016.




[11] Les études (https://www.rolandberger.com/en/) soutiennent que des investissements de 90 milliards d'euros par an sont nécessaires pour faire en sorte que l’Europe maintienne sa position concurrentielle. L'énorme écart en investissements contraste avec l'objectif des 20 % pour le renforcement de la base industrielle de l'Europe. Les dernières révolutions industrielles ont pu avoir lieu grâce à des investissements publics massifs intégrés dans une architecture complexe d'institutions construites dans le but d'apprivoiser le capitalisme et sur la base d’un cadre politique approprié. La Commission semble manquer d'idées claires au sujet des investissements nécessaires dans l’économie numérique.




[12] Des phénomènes comme « accessoire », « à la demande », « en partage », « poste à poste » ou « collaboratif » ou encore l'économie de « plate-forme » explosent.




[13] Internet and information geographies by Mark Graham. TEDxBradford. https://www.youtube.com/watch?v=33kIWwQZ5I0. Et en réaction au troisième atelier de numérisation de la CES : https://usilive.org/opinions/organising-in-the-digital-wild-west-can-strategic-bottlenecks-help-prevent-a-race-to-the-bottom-for-online-workers/




[14] Par exemple plus de 2 500 en Allemagne.




[15] Actuellement, il n'est fait état que d'un seul accord-cadre européen (ACE).