Recommandations de la CES concernant la manière de surmonter les obstacles à la mobilité des travailleurs frontaliers en Europe

Recommandations de la CES aux gouvernements nationaux et à l'Union européenne concernant la manière de surmonter les obstacles à la mobilité des travailleurs frontaliers en Europe
 
Adoptée par le Comité exécutif de la CES lors de la séance des 10 et 11 mars 2015
Résumé

Bien qu'ils ne représentent pas une part importante du marché du travail de l'UE (pas plus de 1,2 millions, selon la Commission européenne), les travailleurs frontaliers apportent une contribution importante à l'économie de plusieurs Etats membres, mais ils sont confrontés à des problèmes spécifiques limitant leur droit à la libre circulation à travers les frontières.

Bien qu'il soit possible d'identifier assez facilement les travailleurs frontaliers, la définition "de jure" est un problème beaucoup plus complexe. A ce jour, il n'existe pas de définition unique du travail frontalier, unanimement acceptée dans les textes législatifs, et couvrant en particulier les questions sensibles liées à ce type d'emploi.

Les travailleurs frontaliers sont confrontés aux mêmes obstacles à la circulation que ceux qui concernent d'autres travailleurs mobiles, mais ils sont aussi affectés par la discrimination spécifique liée au fait qu'ils travaillent dans un pays et habitent dans un autre.

Quatre domaines sont susceptibles de constituer des obstacles spécifiques à la libre circulation des travailleurs frontaliers: la sécurité sociale et les prestations sociales; la fiscalité directe et les avantages fiscaux; la législation du travail; les réglementations concernant l'entrée et le séjour de travailleurs frontaliers de pays tiers.

Convaincus de la nécessité de garantir l'égalité de traitement pour tous les travailleurs sur les différents marchés de l'emploi, quelle que soit leur nationalité et leur lieu de résidence, la CES estime que le travail frontalier doit être assuré sans restrictions déraisonnables ou injustifiées.

Pour ces raisons, afin d'éliminer les obstacles auxquels les travailleurs frontaliers doivent faire face, la CES adresse les recommandations suivantes aux gouvernements nationaux et à l'Union européenne.

Contexte

Le travail frontalier (également connu sous le nom de travail transfrontalier ou travail pendulaire) est une réalité importante du marché européen du travail.

 Aujourd'hui, le travail frontalier en Europe concerne les travailleurs qui bénéficient de la libre circulation, et :

  • Habitent dans un pays de l'UE ou de l'EEE ou en Suisse, mais sont employés dans des pays limitrophes ou frontaliers de l'UE; dans des pays riverains de l'Espace économique européen – l'EEE, plus précisément la Norvège et le Lichtenstein; dans des pays qui ont signé des accords de libre circulation des personnes avec l'UE et ses Etats membres, en particulier la Suisse; dans des pays qui ont signé d'autres types d'accords de libre circulation des personnes avec des pays limitrophes ou frontaliers de l'UE, en particulier Andorre, Monaco, Saint Marin, la Cité du Vatican;
  • Les travailleurs de pays tiers, qui habitent dans des pays tiers mais sont employés dans des pays limitrophes ou frontaliers de l'UE, principalement la Finlande, l'Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie, la Roumanie, la Bulgarie, la Grèce, la Croatie et l'Espagne; et dans l'EEE voisin, en particulier la Norvège.

Bien qu'ils ne représentent pas une part importante du marché du travail de l'UE (pas plus de 1,2 millions, selon la Commission européenne), les travailleurs frontaliers apportent une importante contribution à l'économie de plusieurs Etats membres, mais aussi de certains pays non membres de l'UE (Suisse, Saint Marin, etc.).

Il est difficile d'obtenir des chiffres fiables concernant les travailleurs frontaliers en Europe. En effet, ils ne sont pas obligés de s'enregistrer dans le pays où ils travaillent parce qu'ils ne restent pas dans le pays pendant plus de trois mois consécutifs, comme c'est le cas pour d'autres citoyens mobiles de l'UE. Par ailleurs, étant donné que de nombreux pays n'ont pas de cadre législatif complet tenant compte de leur condition spécifique, les travailleurs frontaliers ont du mal à établir des relations de travail régulières dans le pays de l'emploi. Dès lors, ils sont très souvent relégués au travail non déclaré, et deviennent “invisibles” dans les statistiques officielles.

Enfin, il est possible d'identifier de facto le travailleur frontalier comme:

  • Une personne qui travaille dans un pays et retourne dans un autre pays, où il/elle a son domicile, à des intervalles suffisamment proches;
  • En raison du fait que les lieux de ces pays, où cette personne habite et travaille, doivent être raisonnablement proches l'un de l'autre, même si les pays n'ont pas nécessairement de frontière commune, mais sont suffisamment proches pour permettre de tels retours à des intervalles suffisamment proches.

Néanmoins, la définition de jure est un problème beaucoup plus complexe. Actuellement, il n'existe pas de définition unique du travail frontalier qui soit unanimement acceptée dans les textes législatifs qui régissent des matières particulièrement sensibles pour ce type d'emploi.

Obstacles à la libre circulation des travailleurs frontaliers

Les travailleurs frontaliers sont confrontés aux mêmes obstacles à la circulation que ceux qui concernent d'autres travailleurs mobiles, tels que, par exemple, la connaissance de la langue du pays de l'emploi ou la difficulté d'obtenir des diplômes et des qualifications professionnelles dans un autre pays, reconnus dans le pays de l'emploi. Néanmoins, comparés aux autres travailleurs mobiles, connus comme des travailleurs "transnationaux", qui ont déplacé leur lieu de résidence ou leur domicile dans le même pays que leur lieu d'emploi, les travailleurs frontaliers sont confrontés à d'autres obstacles en raison de leurs situation spécifique, à savoir que ces lieux de résidence et d'emploi les ont divisés entre deux pays différents entre lesquels ils peuvent se déplacer chaque jour. En fait, les travailleurs frontaliers sont les plus exposés aux formes de discrimination indirecte, basées sur le lieu de résidence, c'est-à-dire celles qui passent le plus souvent inaperçues et sont les plus difficiles à éradiquer.

Quatre domaines spécifiques sont susceptibles de constituer des obstacles à la libre circulation des travailleurs frontaliers, à savoir:

  1. La sécurité sociale et les prestations sociales;
  2. La fiscalité directe et les avantages fiscaux;
  3. La législation du travail;
  4. Les règlements concernant l'entrée et le séjour de ressortissants de pays tiers.

a. Les prestations de sécurité sociale et les avantages sociaux

En ce qui concerne les prestations de sécurité sociale, les travailleurs frontaliers qui sont des ressortissants d'un pays de l'UE ou de l'EEE ou de Suisse, qui résident dans un pays de l'UE ou de l'EEE ou en Suisse, et qui sont employés dans un autre pays limitrophe ou frontalier de l'UE ou de l'EEE ou en Suisse, sont soumis aux dispositions du Règlement (CE) 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination du régime de sécurité sociale. Ce Règlement contient une définition du travailleur frontalier: “toute personne exerçant une activité d'employé ou d'indépendant dans un Etat membre et qui habite dans un autre Etat membre où elle retourne en règle générale tous les jours ou au moins une fois par semaine”.

De plus, le Règlement stipule que les travailleurs frontaliers doivent être couverts par le régime de sécurité sociale du pays dans lequel ils travaillent et pas du pays dans lequel ils résident. Il y a cependant des exceptions à ce principe, à savoir:

  • Les allocations de chômage, que le travailleur frontalier doit recevoir dans le pays de résidence;
  • Les prestations de maladie en nature, que le travailleur frontalier peut choisir (sauf dans certains pays) de recevoir dans le pays de résidence plutôt que dans le pays de l'emploi;
  • Les prestations relatives aux accidents de travail et aux maladies professionnelles, que le travailleur frontalier peut choisir de recevoir dans le pays de résidence plutôt que dans le pays de l'emploi.

Il existe cependant de nombreux cas de discrimination contre les travailleurs frontaliers, pratiqués par les autorités compétentes dans plusieurs pays européens où les travailleurs frontaliers ne reçoivent pas les prestations de sécurité sociale auxquelles ils ont droit, parce que les organismes nationaux compétents refusent de les payer au motif que ces travailleurs n'habitent pas dans le pays où ils travaillent. Cette situation se produit en dépit d'une jurisprudence bien établie de la Cour de Justice de l'Union européenne, qui déclare systématiquement que le critère de résidence utilisé pour accorder des prestations de sécurité sociale aux travailleurs frontaliers est illégal, et ordonne aux pays de l'UE de payer les prestations dues.

La situation est encore plus dramatique dans le cas de prestations de sécurité sociale mises en place par les autorités régionales, provinciales ou locales des pays soumis au Règlement (CE) 883/2004, qui sont traitées par les administrations ou organisations régionales, provinciales ou locales de ces pays. Néanmoins, d'innombrables cas ne sont pratiquement pas contrôlés, où lesdites administrations ou organisations refusent aux travailleurs frontaliers les prestations de sécurité sociale qui relèvent de leur compétence, sous prétexte qu'ils ne répondent pas au critère de résidence.

Ces remarques s'appliquent aussi aux prestations et avantages sociaux dont il est fait référence dans le Règlement (EU) 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 sur la libre circulation des travailleurs au sein de l'Union. Ce Règlement stipule en réalité qu'en vertu du principe de l'égalité de traitement, les travailleurs qui sont des ressortissants d'un pays de l'UE ou de l'EEE, présents sur le territoire d'un autre pays de l'UE ou de l'EEE, ont droit aux mêmes prestations sociales et avantages que les résidents. Une fois encore, il y a de nombreux cas où les administrations et les organisations aux plans national, régional, provincial et local refusent d'accorder ces prestations et avantages à certains travailleurs, y compris aux travailleurs frontaliers, et à leurs familles, au motif qu'ils ne résident pas dans le pays de l'emploi.

Les travailleurs frontaliers qui sont des ressortissants et résident dans des pays tiers ne peuvent recevoir des prestations de sécurité sociale et d'autres prestations et avantages sociaux que si le règlement de référence du pays limitrophe ou frontalier où ces travailleurs sont employés le prévoit. Néanmoins, les règlements nationaux de référence du pays de l'emploi conditionnent souvent l'octroi des prestations de sécurité sociale et d'autres prestations et avantages sociaux au critère de résidence (ou de domicile). Dans un tel cas, le travailleur frontalier court un risque élevé de ne pas recevoir ces prestations.

b. Fiscalité directe et avantages fiscaux

La fiscalité directe est une question qui relève généralement de la responsabilité des gouvernements nationaux. Néanmoins, conformément à l'Article 45 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), les pays de l'UE sont appelés à abolir toute discrimination entre les personnes (et donc les travailleurs) souhaitant exercer le droit de libre circulation dans divers domaines, y compris celui de la fiscalité directe.

Par conséquent, afin d'éviter un risque de conflit de compétence entre les gouvernements concernant la taxation du même revenu imposable, il peut être demandé aux autorités concernées de prévoir et de régler cette éventualité grâce à un accord international. Les conventions visant à éviter la double imposition sur le revenu et les actifs, basées sur le modèle élaboré par l'OCDE, sont un exemple d'instrument international diversifié, utilisé pour réguler ces conflits potentiels.

Le principe général adopté dans le modèle de convention de l'OCDE sur la taxation des revenus professionnels est que la compétence en matière fiscale échoit au pays dans lequel le travail est exécuté, quel que soit le pays signataire dans lequel se trouve la résidence du travailleur. Néanmoins, au regard du principe d'“imposition universelle”, qui est appliqué dans la plupart des pays du monde, les modèles précités permettent presque toujours aux autorités du pays où le travailleur a sa résidence de lui demander de déclarer, dans ce pays, le revenu gagné dans le pays où il/elle travaille. Le contribuable peut donc bénéficier de différentes méthodes d'imposition, afin d'éviter une double imposition sur le même revenu.

Ce règlement, qui implique cependant certaines contraintes pour le contribuable, est plus particulièrement adapté aux travailleurs résidant une partie de l'année dans leur pays de résidence et une autre partie dans leur pays d'emploi. Il ne convient certainement pas aux travailleurs frontaliers, qui sont présents chaque jour, ou presque, dans les deux pays, et dont le revenu serait taxé selon les critères adaptés à d'autres types de mobilité.

Conformément à ce qui précède, les commentaires relatifs aux articles du modèle de convention destiné à éviter le double imposition du revenu et du capital, élaboré par l'OCDE, tendent à indiquer que les problèmes résultant de situations et contextes locaux doivent être résolus et traités directement par les Etats concernés. De même, la Commission, dans sa Communication au Conseil, au Parlement européen et au Comité économique et social européen (COM (2010) intitulée “Lever les obstacles fiscaux transfrontaliers pour les citoyens de l'Union européenne”) a encouragé les pays de l'UE à adopter des règles spéciales pour les travailleurs frontaliers et les travailleurs mobiles, tenant compte de l'interaction des régimes fiscaux et des régimes de sécurité sociale des différents Etats membres de l'UE.

De nombreux pays limitrophes concernés par le travail frontalier ont reconnu dans les textes d'accords bilatéraux qu'ils ont conclu la nature spécifique du statut des travailleurs frontaliers, et convenu de règles spécifiques destinées à réguler l'imposition des revenus des travailleurs frontaliers générés par l'emploi, et d'en donner une définition. Néanmoins, les définitions du travailleur frontalier qui peuvent provenir de ces textes diffèrent non seulement d'une convention à l'autre, mais aussi de la définition contenue dans le Règlement (CE) 883/2004, qui est unique et contraignant pour 32 pays européens.

Dans certains cas, en dépit de la reconnaissance explicite du phénomène du travail frontalier dans un accord bilatéral, la région frontalière entre les deux pays où le travailleur frontalier est censé travailler et résider semble être mal définie par rapport à la réalité empirique et ne représente pas le territoire réel au sein duquel le travail frontalier est exécuté, qui est plus étendu. Par conséquent, les travailleurs qui exercent la mobilité transfrontalière mais résident en dehors de la zone frontalière prédéfinie, sont considérés comme des travailleurs transnationaux, et ne peuvent jouir du même traitement fiscal que les travailleurs frontaliers résidant quelques kilomètres plus près de la même frontière.

Malheureusement, un nombre considérable de conventions destinées à éviter la double imposition sur le revenu et le capital, qui sont conclues par et entre les pays où le travail frontalier est un phénomène historique ou au moins présent, ne reconnaissent pas la nature spécifique des travailleurs frontaliers. Dans tous ces cas, les travailleurs frontaliers sont, par conséquent, contraints:

  • De soumettre leur revenu professionnel à un régime fiscal prévu pour d'autres catégories de travailleurs;
  • De traiter avec deux administrations fiscales différentes qui ne communiquent pas facilement et ne tiennent souvent pas compte des conventions appropriées, et exposent donc le travailleur frontalier au risque de double imposition;
  • De jongler avec différents modes de déclaration de revenus et différentes échéances qui ne coïncident souvent pas dans les deux pays, et compliquent par conséquent l'obtention d'une déduction ou d'un crédit d'impôt de sommes déjà payées dans le pays de l'emploi;
  • De faire face à la bureaucratie et à une absence quasi totale d'informations sur le sujet.

c. Législation du travail

La législation de l'UE, et le Règlement (EU) 492/2011 en particulier, prévoit l'égalité de traitement des travailleurs dans le même pays de l'UE et de l'EEE en ce qui concerne – entre autres – les conditions d'emploi, de travail et de salaire, conformément au principe de lex laboris loci. Cependant, tout n'est pas parfait sur le plan du droit du travail.

Depuis le 1er mai 2010, les travailleurs frontaliers en chômage complet peuvent aussi bénéficier des services de l'emploi de l'Etat de leur dernier emploi, en plus de ceux de leur pays de résidence. Néanmoins, dans la plupart des Etats liés par le Règlement (CE) 883/2004, cette possibilité est refusée à la plupart des travailleurs frontaliers en chômage complet au motif qu'ils ne sont pas domiciliés dans le pays de leur dernier emploi.

La situation des travailleurs frontaliers employés dans certains pays qui ont conclu d'autres types d'accords de libre circulation des personnes avec des pays frontaliers ou limitrophes de l'UE n'est guère plus enviable. Tel est particulièrement le cas de la République de Saint Marin, dont la législation interne ne prévoit pas l'application pleine et complète du principe de l'égalité de traitement pour tous les travailleurs. En fait, les travailleurs employés dans ce pays, sans y résider, ne peuvent avoir de contrat à durée indéterminée qu'après avoir travaillé pour la même entreprise pendant 4 ans. Ce n'est qu'à la fin de cette période que l'employeur peut confirmer que le travailleur est engagé de façon permanente. Néanmoins, si ce dernier devait changer d'emploi avant d'avoir travaillé pendant 4 ans pour la même entreprise, une nouvelle période de la même durée sous contrat à durée déterminée commencerait pour lui/elle avant qu'il/elle obtienne un contrat à durée indéterminée.

d. Règlements concernant l'entrée et le séjour de travailleurs frontaliers de pays tiers

Etant donné que les ressortissants de l'UE et de l'EEE ont droit à la libre circulation, alors que les ressortissants de pays tiers ne l'ont pas, ces derniers sont, par conséquent, soumis aux règlements qui régissent l'entrée et le séjour des ressortissants étrangers sur le territoire de chaque Etat membre de l'UE, des Etats de l'EEE et de la Suisse. Cette situation s'applique aussi aux ressortissants de pays tiers qui souhaitent exercer un emploi dans la mobilité dans un pays de l'UE ou de l'EEE, en particulier en tant que travailleurs frontaliers.

Afin de travailler légalement dans leur pays d'emploi, les travailleurs frontaliers de pays tiers doivent se conformer aux règlements régissant l'entrée et le séjour des ressortissants étrangers sur le territoire de ces pays. En plus d'un visa de travail qui est généralement requis au préalable, ces règlements exigent presque toujours que le travailleur étranger réside dans le pays où il a l'intention de travailler et indique au moins un domicile à la police dans ce pays. La conséquence immédiate de cette situation est que la grande majorité des travailleurs frontaliers qui sont des ressortissants de pays tiers recourent systématiquement au travail illicite, non déclaré ou illégal, aussi longtemps qu'ils ne peuvent pas obtenir de permis de travail en due forme.

Par conséquent, dans de nombreuses régions d'Europe, des réglementations appropriées régissant le travail frontalier semblent nécessaires, y compris pour les travailleurs de pays tiers qui désirent trouver un emploi dans des Etats membres de l'UE, sans continuer à résider dans le pays tiers.

Position et demandes de la CES

La CES reconnaît le droit de chacun de se développer par le travail, même si pour atteindre cet objectif une personne doit avoir recours au marché de l'emploi d'un autre pays limitrophe ou frontalier, sans changer de domicile ou de résidence. Le travail frontalier, en tant que levier permettant d'atteindre ce droit, doit être effectué légalement et ne peut être entravé ou obstrué par les lacunes de cadres juridiques nationaux, par des mesures discriminatoires ou un traitement inégal au détriment de ceux qui ne résident pas dans leur pays d'emploi.

Convaincus de la nécessité de garantir la pleine égalité pour tous les travailleurs des différents marchés de l'emploi, quelle que soit leur nationalité et leur lieu de résidence, la CES estime en outre que le travail frontalier doit être effectué sans restrictions déraisonnable ou injustifiées.

La CES est aussi convaincue que la collecte et l'analyse systématiques de données concernant ce phénomène, basées sur un système normalisé au plan européen, permettrait d'éliminer les obstacles qui se dressent sur la voie du travail frontalier.

Pour toutes les raisons précitées, la CES a formulé les recommandations suivantes aux institutions de l'UE et, par le biais de ses confédérations syndicales affiliées, aux gouvernements nationaux, lorsque cela les concerne.

A l'Union européenne:

  1. Surveiller l'attitude des Etats membres concernant la circulation des travailleurs frontaliers afin d'assurer l'application du droit communautaire et le respect de l'égalité de traitement et de la non-discrimination;
  2. Encourager les  Etats membres à adopter des règles spéciales  afin d'éliminer  les obstacles de toutes sortes qui entravent le mouvement de tous les travailleurs, en particulier les travailleurs frontaliers.
  3. Encourager et appuyer les Etats membres pour qu'ils mettent sur pied des institutions spécialisées pour informer et aider les travailleurs frontaliers (ainsi que les travailleurs mobiles) à protéger et appliquer leurs droits

Aux gouvernements nationaux, sur les prestations de sécurité sociale et les avantages sociaux:

  1. Appliquer pleinement, comme prévu par le droit de l'Union européenne, le principe selon lequel les travailleurs frontaliers sont couverts par le régime de sécurité sociale du pays dans lequel ils travaillent et pas du pays dans lequel ils résident. Cela inclut les prestations de sécurité sociale existantes et d'autres prestations et avantages sociaux au plan national, qui ne sont pas explicitement cités dans le Règlement n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 sur la coordination des régimes de sécurité sociale, mais qui sont néanmoins reconnus et protégés par le Règlement (UE) 492/2011 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 sur la libre circulation des travailleurs au sein de l'Union;
  2. S'assurer que les éléments exposés dans la lettre précitée sont respectés, non seulement par les autorités et organisations nationales, mais aussi par toutes les autorités territoriales et organisations de niveau intermédiaire (régional, municipal, etc.) habilitées à accorder des prestations de sécurité sociale et d'autres avantages sociaux;
  3. Conclure, au moins avec les gouvernements de pays tiers frontaliers ou limitrophes qui sont susceptibles d'être concernés par le travail frontalier, des accords en matière de sécurité sociale qui définissent et réglementent de manière appropriée le statut de travailleur frontalier et prévoient que des prestations de sécurité sociale et d'autres prestations sociales doivent aussi être payées aux travailleurs frontaliers qui sont des ressortissants de pays tiers[1];
  4. Si les accords mentionnés dans la recommandation ‘f’ ci-dessus ne peuvent être conclus, prévoir au moins que les gouvernements concernés par le travail frontalier adoptent une réglementation nationale sur la sécurité sociale spécifiquement adaptée aux travailleurs frontaliers, qui prévoit une définition légale et reconnaît la nature spécifique de ces travailleurs pour le paiement des prestations de sécurité sociale et d'autres avantages sociaux;

 Aux gouvernements nationaux, sur la fiscalité directe et les avantages fiscaux:

  1. Conclure, au moins avec les gouvernements de pays frontaliers et limitrophes qui sont susceptibles d'être concernés par le travail frontalier, des traités internationaux qui établissent en particulier des règles communes afin d'éviter la double imposition sur le revenu et les actifs (puisant leur inspiration dans les modèles de conventions sur la double imposition établis par l'OCDE et les Nations Unies);
  2. Si les articles des traités mentionnés dans la recommandation ‘h’ ci-dessus, qui régissent l'imposition des revenus professionnels, introduisent une sous-section destinée à réguler le cas spécifique du travail frontalier, prévoyant une définition légale et une reconnaissance politique des travailleurs frontaliers;
  3. En référence à la recommandation ‘i’ ci-dessus, chercher un critère réaliste et récent dans les traités internationaux afin de délimiter le phénomène du travail frontalier: à titre d'exemple, s'il est basé sur l'identification d'une partie du territoire du pays ou des pays concernés, ce critère devra prévoir un reflet fidèle de la région à partir de laquelle et vers laquelle les travailleurs frontaliers se déplacent;
  4. Prévoir que les recettes fiscales générées par le revenu des travailleurs frontaliers soient attribuées en partie au pays de résidence de ces derniers;
  5. Quel que soit le choix fait sous la recommandation ‘k’ ci-dessus, prévoir que les travailleurs frontaliers ne puissent traiter qu'avec une seule administration fiscale – celle de leur pays d'emploi ou de résidence – pour toutes les questions concernant le revenu qu'ils tirent de leur emploi, ou promouvoir la collaboration administrative entre les autorités fiscales concernées afin d'empêcher et d'éviter la double imposition;
  6. Si les traités internationaux mentionnés sous la recommandation ‘h’ ci-dessus ne peuvent être conclus, prévoir au moins que les gouvernements des pays concernés par le travail frontalier adoptent une réglementation fiscale interne spécifiquement destinée aux travailleurs frontaliers, qui prévoit une définition légale et reconnaît la nature spécifique des travailleurs frontaliers concernant l'imposition des revenus professionnels;
  7. Pour les pays liés par ceux-ci, garantir la pleine application du principe de non-discrimination prévu par le Règlement (UE) n° 492/2011 concernant les avantages fiscaux;

Aux gouvernements nationaux, sur la législation du travail et les conditions de travail:

  • Garantir que le fait de ne pas résider dans leur pays d'emploi ne constitue pas une raison de ne pas appliquer totalement les principes de l'égalité de traitement (avec une référence particulière aux salaires et aux conditions de travail) et la lex laboris loci aux travailleurs frontaliers. Garantir l'application du principe "à travail égal, salaire égal sur le même lieu de travail".

Aux gouvernements nationaux, sur les règlements concernant l'entrée et le séjour de ressortissants de pays tiers:

 

  1. Tout en tenant compte du fait que les ressortissants de pays tiers doivent avoir un permis de travail pour pouvoir travailler légalement dans les Etats Membres de l'UE, garantir que le fait de ne pas avoir de résidence sur le territoire du pays de l'emploi ne peut pas faire obstacle au fait que des ressortissants de pays tiers  effectuent un travail frontalier, et ne peut pas introduire des obstacles et un traitement inéquitable à leur égard[2].

[1] "Ressortissants de pays tiers" se réfère ici uniquement aux travailleurs frontaliers qui résident dans un pays tiers et travaillent dans un pays de l'UE.

[2] "Ressortissants de pays tiers" se réfère ici uniquement aux travailleurs frontaliers qui résident dans un pays tiers et travaillent dans un pays de l'UE.