Proposition d'accord interinstitutionnel relatif à l'amélioration de la réglementation – Document de position de la CES

Proposition d'accord interinstitutionnel relatif à l'amélioration de la réglementation – Document de position de la CES

Messages-clés

  • L'objectif premier de l'accord interinstitutionnel doit être de renforcer le processus démocratique d'élaboration de la législation.
  • Il doit y avoir dans l'accord interinstitutionnel un engagement à fournir une législation de qualité aux citoyens européens. Il ne doit pas conduire à saper les droits existants des travailleurs ni à empêcher de continuer d'améliorer la législation sociale.
  • Les prérogatives du Parlement européen (PE) doivent être renforcées en vue d'influencer l'orientation de la programmation législative.
  • La CES s'oppose aux régimes allégés pour les PME et aux exemptions pures et simples pour les micro-entreprises.
  • Les accords en deuxième lecture doivent demeurer la norme et les négociations en trilogue ne doivent pas avoir lieu lorsqu'il apparaît que les positions du PE et du Conseil sont très éloignées l'une de l'autre. Le Conseil doit s'engager à publier sa position commune dans un délai raisonnable.
  • Les analyses d'impact doivent porter sur les impacts sociaux d'une nouvelle initiative ainsi que sur les coûts de l'absence de législation. Il n'appartient pas au Comité d'examen de la réglementation, un organe non élu, de décider s'il faut aller ou non de l'avant en cas de nouvelle proposition.
  • La CES s'oppose fermement à l'établissement de groupes d'experts indépendants au cours de la procédure législative et s'oppose aussi à la mise en place d'une analyse d'impact supplémentaire pour toute "modification substantielle" d'une proposition. 
  • Les consultations publiques ne doivent pas être considérées comme un substitut des consultations des partenaires sociaux. En outre, les accords conclus par les partenaires sociaux ne doivent pas faire l'objet d'analyses d'impact.
  • La CES s'élève contre la obligation faite aux États membres de ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire lorsqu'ils mettent en œuvre la législation de l'UE.
  • La Commission doit s'engager à examiner plus attentivement les textes en première lecture au PE avant de retirer une initiative législative.
  • Les trois institutions doivent s'engager à respecter et à promouvoir les droits fondamentaux dans leurs activités législatives.

Contexte

En mai 2015, la Commission a publié une proposition d'accord interinstitutionnel relatif à l'amélioration de la réglementation, à finaliser d'ici la fin 2015. Ce nouvel accord est destiné à remplacer l'accord interinstitutionnel de 2003 visant à mieux légiférer. Il s'agit d'un accord contraignant entre le PE, le Conseil et la Commission, qui contient des dispositions en vue de leur coopération, en particulier au cours de la procédure législative. 

La proposition de la Commission met en pratique les principes contenus dans le programme "Mieux légiférer". Les considérants de la proposition mettent l'accent sur la compétitivité et la durabilité de l'économie de l'Union européenne. Ils affirment les buts de la Commission, à savoir simplifier la législation de l'Union et réduire la charge réglementaire, l'objectif global étant de préserver l'intégrité du marché unique. 

La CES est très critique à l'égard du paquet "Mieux légiférer". Elle estime qu'il ajoute des lourdeurs administratives, ralentit les réformes progressistes et entraîne une dé-démocratisation de l'Europe. Déterminer ce qui constitue une bonne réglementation ne doit pas uniquement dépendre du fait d'associer ou non les règles aux coûts économiques ou administratifs.

En conséquence, la proposition d'accord interinstitutionnel ne doit pas être axée sur la simplification et la réduction de la charge réglementaire mais elle doit plutôt avoir pour objectif premier de renforcer le processus démocratique d'élaboration de la législation et de donner une plus grande légitimité aux règles de l'UE. Le texte doit adopter une approche positive à l'égard de la réglementation plutôt que la décrire comme une charge.

La CES est préoccupée par le fait que la proposition d'accord n'apporte guère de valeur ajoutée par rapport à l'accord interinstitutionnel actuel. Les innovations concernent essentiellement ce que l'on appelle les "outils destinés à améliorer la réglementation", ce que la CES voit d'un œil critique. Les dispositions relatives au statut et aux pouvoirs des co-législateurs (Conseil et PE) sont très proches du statu quo.

Nécessité d'accroître la légitimité démocratique

La CES reconnaît le rôle de la Commission comme gardienne des Traités et son droit exclusif d'initiative législative. Toutefois, la légitimité du PE, fondée sur le fait qu'il est la seule institution directement élue, doit elle aussi être dûment prise en considération. Or, la proposition d'accord adopte une "approche centrée sur la Commission", ce qui soulève de vives préoccupations quant à la légitimité démocratique du processus législatif européen.

Activités législatives de programmation et de planification (paragraphes 2-6)

Selon les paragraphes 2 à 6 de la proposition d'accord, la Commission conserverait un rôle de leader dans la programmation et la planification des activités législatives de l'Union européenne. Le rôle du PE se limiterait à être informé et à participer à des échanges de vues. Le paragraphe 4 indique que la Commission se bornera à "examiner attentivement" les demandes de légiférer du PE.

Ces dispositions codifient simplement les pratiques existantes. La CES est convaincue que le PE doit avoir une possibilité réelle d'influencer l'orientation de la programmation législative. La Commission promet d'examiner attentivement les demandes de présentation de propositions législatives formulées par le Parlement européen ou le Conseil.

Il est proposé au paragraphe 5 que les trois institutions arrêtent chaque année une liste de propositions qui bénéficieront d'un traitement prioritaire, notamment des propositions visant à mettre à jour ou à simplifier la législation existante et à réduire la charge réglementaire, en particulier pour les petites et moyennes entreprises. La CES estime qu'il faut plutôt donner la priorité à une nouvelle législation, par exemple dans des domaines politiques importants comme la question de la santé et de la sécurité au travail.

La référence spécifique aux PME doit être supprimée. En effet, la CES s'oppose au choix d'un secteur de la société - les entreprises - comme premier bénéficiaire d'une "meilleure réglementation". La législation doit présenter un avantage pour la société et il ne faut pas que les besoins des entreprises passent avant ceux des travailleurs ou de l'environnement. La CES rappelle que 85% des emplois de l'UE se situent dans les PME. La CES souligne également que les grandes entreprises sont souvent capables de modifier artificiellement leur structure en vue de correspondre à des seuils plus bas, ce qui aggrave encore la concurrence déloyale dont souffrent les entreprises qui sont véritablement de petite taille.

Coordination du processus législatif (paragraphes 24-29)

Les paragraphes 24-29 traitent de la coordination du processus législatif entre les trois institutions. Un calendrier approuvé conjointement prévoira notamment de faire "un usage approprié des accords en deuxième lecture". Il est également envisagé que les trois institutions conviennent d'accélérer le processus législatif. 

La CES est très critique à l'égard de l'utilisation accrue des négociations en trilogue. Ces négociations se déroulent dans le cadre d'un calendrier précipité, en dehors des débats normalement plus équilibrés des commissions parlementaires. Les députés européens se voient alors présenter un compromis "à prendre ou à laisser", qui ne laisse aucune possibilité d'améliorer l'accord. Les négociations en trilogue suscitent donc de sérieuses préoccupations en ce qui concerne les principes pour mieux légiférer : une production rapide de la part des co-législateurs est préférée à un examen attentif des amendements législatifs.

La CES recommande de reformuler fondamentalement la section VI. Les accords en deuxième lecture doivent demeurer la norme et les procédures de négociation en trilogue ne doivent pas avoir lieu lorsque les étapes préparatoires internes font apparaître que les positions du PE et du Conseil sont encore très éloignées l'une de l'autre.

Lorsque des négociations en trilogue se déroulent, il faut faire des efforts considérables au niveau de la transparence du processus. La CES se félicite que dans le cadre des règles de procédure actuelles du PE, le négociateur du Parlement reçoit un mandat de négociation officiel de la part de la commission responsable. Le négociateur du PE a également le devoir de rendre systématiquement compte des travaux à ses collègues députés. Mais ce modèle de transparence n'est pas suivi par les deux autres institutions. La CES recommande de renforcer considérablement le paragraphe 28 à cet égard. Plus spécifiquement, la Commission doit faire preuve d'une plus grande transparence quant à son mandat et ses activités pendant les négociations en trilogue.

En matière de calendrier, il faut rappeler que le Conseil ne travaille pas dans le cadre d'un délai précis pour publier une position commune, ce qui explique que des initiatives législatives puissent être coincées pendant plusieurs années (par exemple la Directive sur le travail intérimaire, ou plus récemment la révision de la Directive sur la protection de la maternité). La CES recommande donc de modifier le paragraphe 26 pour inclure l'engagement du Conseil à publier une position commune dans un délai raisonnable.

Actes délégués et actes d'exécution (paragraphes 21-23)

La proposition d'accord interinstitutionnel souligne le rôle des actes délégués et des actes d'exécution. Les trois institutions doivent s'abstenir d'ajouter des exigences procédurales, des procédures ou des rôles supplémentaires pour les comités, autres que ceux qui sont définis par le Règlement 182/2011.

Les risques de représentation excessive des intérêts de l'industrie dans les procédures de comitologie sont bien connus. Il est donc important de veiller à ne recourir aux actes délégués et aux actes d'exécution que dans les cas de sujets extrêmement techniques, qui ne peuvent raisonnablement pas être traités directement par les co-législateurs.

Des outils destinés à améliorer la réglementation ?

La section la plus importante de la proposition d'accord concerne "l'utilisation d'outils destinés à améliorer la réglementation". La Commission propose d'effectuer des analyses d'impact de ses initiatives lorsqu'il sera manifeste qu'elles auront une incidence économique, environnementale ou sociale importante. Les co-législateurs devraient alors procéder à une analyse d'impact pour toute "modification substantielle" de la proposition de la Commission.

En outre, la proposition d'accord consacre le principe de la consultation des parties intéressées comme faisant partie intégrante d'une meilleure réglementation. Cette consultation doit avoir lieu pendant une période de huit semaines suivant l'adoption par la Commission de sa proposition et de l'analyse d'impact qui s'y rapporte. Les avis recueillis doivent être présentés aux co-législateurs au début du processus législatif.

Enfin, les trois institutions conviennent de prévoir des exigences en matière de suivi, d'évaluation et d'information dans la législation. S'il y a lieu, ces exigences peuvent contenir des "indicateurs mesurables". Les trois institutions s'engagent à envisager le recours aux clauses de réexamen.

Analyses d'impact – donner la priorité aux entreprises (paragraphes 7-13)

La CES rejette l'idée que l'analyse d'impact soit nécessairement un outil technique neutre. Au contraire, ce type d'analyse est fréquemment utilisé comme outil politique, non seulement en retardant la législation mais aussi en faisant des recommandations fondées sur un modèle essentiellement axé sur les coûts économiques, sans guère tenir compte des avantages sociaux et environnementaux et des avantages potentiels à long terme.

Dans la proposition d'accord, la Commission doit s'engager à recourir à des analyses d'impact complètes et globales. Les impacts sociaux et environnementaux, à court terme comme à long terme, doivent être sérieusement étudiés. Le coût de l'absence de réglementation doit également être clairement exposé dans l'analyse d'impact.

Le Comité d'examen de la réglementation, qui évaluera la qualité des analyses d'impact de la Commission, doit uniquement travailler de façon transparente et équilibrée et avoir un rôle purement consultatif. La CES estime que les analyses d'impact doivent être publiées dans leur entièreté dès qu'elles sont finalisées, avant que la Commission ait adopté ou rejeté l'initiative politique concernée. 

Étant donné la nature des accords des partenaires sociaux, ceux-ci ne devraient pas faire l'objet d'analyses d'impact.

La CES s'oppose à l'introduction d'analyses d'impact supplémentaires pour les amendements "substantiels", ainsi qu'à l'établissement d'un "groupe d'experts indépendants", composé de membres nommés par chacune des trois institutions. Premièrement, c'est donner un signal clair au PE et au Conseil de ne pas modifier les propositions de la Commission car ce groupe peut être convoqué par l'une des trois institutions, même si les deux autres s'y opposent. Deuxièmement, il rendra le processus législatif plus coûteux, plus long et plus bureaucratique. Troisièmement, l'indépendance et la compétence des membres d'un tel groupe seraient difficiles à garantir. Tout membre devrait être expert en droits sociaux fondamentaux. La prise de décisions doit demeurer dans les mains de ceux qui sont démocratiquement élus.

Consultation des parties intéressées et retour d'information (paragraphes 14-15)

La CES critique régulièrement le manque de fiabilité des données recueillies lors des consultations publiques. Les réponses individuelles provenant de sociétés ou de lobbyistes pleins de ressources du secteur de l'industrie ne doivent pas être mis sur le même pied que celles d'une organisation telle que la CES, qui représente 60 millions de travailleurs. Il faut donc introduire dans la proposition d'accord de strictes exigences en ce qui concerne les méthodes qualitatives d'évaluation.

Un point d'une grande importance, c'est qu'il ne faut pas considérer les consultations publiques comme un substitut des consultations des partenaires sociaux. La CES exhorte les institutions à introduire un paragraphe qui indique clairement que les consultations publiques s'entendent sans préjudice des consultations spécifiques prévues à l'article 155.2 du TFUE.

Evaluation ex-post de la législation existante (paragraphes 16-19)

La différence entre les évaluations ex-post et les clauses de réexamen n'est pas claire. La valeur ajoutée des évaluations ex-post par rapport aux clauses de réexamen doit impérativement être clarifiée. En outre, l'utilisation des "indicateurs mesurables" dont il est question au paragraphe 18 doit être encore précisée afin de veiller à inclure une évaluation quantifiable et non-quantifiable des questions sociales. Les évaluations ex-post ne sont utiles que si elles ont lieu plusieurs années après la transposition en droit national.

La CES n'est pas favorable aux clauses de suppression automatique, car celles-ci suggèrent que la législation a naturellement une limite dans le temps et elles conduisent à une discontinuité et une incertitude juridique.

La CES propose d'impliquer les partenaires sociaux dans le processus de révision de la législation dans le domaine de la politique sociale.

Amélioration des normes minimales (paragraphes 30-33)

Les Etats membres sont invités à établir une distinction claire entre les éléments rendus nécessaires par la législation de l'Union et tout élément supplémentaire, de nature matérielle ou procédurale.

La CES s'élève contre l'obligation faite aux Etats membres de ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire lorsqu'ils mettent en œuvre la législation de l'UE. Les normes minimales se transformeraient alors en normes maximales, ce qui conduirait à une régression des législations nationales dans toute l'Union européenne. Les Etats membres devraient chercher à atteindre davantage de progrès social. De cette façon, ils pourraient maintenir ou mettre en place des mesures de protection plus strictes, comme le définit l'article 153(4) du TFUE. La CES exhorte les institutions à supprimer le paragraphe 31.

Simplification (paragraphe 34)

Contrairement à une procédure de révision ordinaire, la technique de refonte donne à la Commission un pouvoir de décision quasi unilatéral au sujet du champ d'application des amendements législatifs ; le rôle du PE est donc plus restreint.

La CES regrette que le problème de l'usage excessif du droit de retrait de la Commission - comme par exemple dans le cas de la révision de la Directive sur la protection de la maternité, de la proposition de Directive sur les troubles musculosquelettiques ou de la révision de la Directive sur les substances cancérigènes - ne soit pas abordé dans la proposition d'accord interinstitutionnel. Le retrait des propositions en attente doit respecter l'équilibre interinstitutionnel et la Commission doit au moins fournir aux co-législateurs des justifications détaillées pour chacun des retraits envisagés.

Il faut dûment examiner l'affaire C-409/13, qui établit que le droit de retrait est intrinsèquement lié au droit d'initiative exclusif. Mais cet arrêt n'empêche pas la Commission de s'engager à examiner plus attentivement un accord du PE en première lecture avant de décider de retirer ou non un texte législatif. On pourrait par exemple envisager que le PE soit obligé de réitérer son vœu de voir adopter une législation avant que la Commission ne prenne la décision finale de retirer une initiative législative.

Le respect des droits fondamentaux

La CES recommande que les trois institutions s'engagement spécifiquement à respecter et à promouvoir les droits fondamentaux dans leurs activités législatives. Il faut mettre en place des mécanismes pour effectuer le suivi du respect des règles de l'UE au moyen d'instruments appartenant au domaine des droits fondamentaux, tels que la Charte des Droits fondamentaux et la Convention européenne des Droits de l'homme.