Pour une politique proactive de l'Union européenne sur les migrations et l'intégration

Bruxelles, 15-16 mars 2005

{{1. Introduction:

}}1) La CES est très engagée dans la lutte en faveur d'une Europe caractérisée par l'ouverture, la solidarité et la responsabilité, comme elle l'a déjà exprimé à de nombreuses occasions. La présente résolution se fonde sur des résolutions et prises de positions antérieures de la CES sur ce thème, adoptées depuis le Congrès d'Helsinki de 1999[[http://www.etuc.org
Helsinki, le 1er juillet 1999: Syndicats européens sans frontière
Bruxelles, les 13 et 14 décembre 2000: L'Élargissement de l'Union après Nice
Bruxelles, les 10 et 11 octobre 2001: Pour une politique européenne d'immigration et d'asile
Bruxelles, les 19 et 20 novembre 2002: Pour une politique européenne d'immigration et d'asile (2)
Bruxelles, les 16 et 17 octobre 2003: Points d'action en matière de politique de migration, d'intégration, de lutte contre les discriminations ainsi que contre le racisme et la xénophobie. ]].

2) Le 11 janvier 2005, la Commission européenne a lancé un débat public sur les migrations économiques, et a invité toutes les parties concernées à faire part de leurs observations sur le « Livre vert sur une approche communautaire de la gestion des migrations économiques » pour le 15 avril 2005, au plus tard.
La CES entend contribuer à ce débat par la présente résolution, et sa réaction au livre vert, jointe en annexe.


{{2. Éléments clés d'une approche proactive

}}La CES est persuadée qu'il est grand temps d'adopter une politique communautaire plus proactive sur les migrations et l'intégration, et ce dans l'intérêt de la population actuelle et future de l'Union européenne, politique basée sur la reconnaissance des droits sociaux fondamentaux des citoyens actuels ainsi que des nouveaux arrivants, et intégrée à des politiques fortes en matière d'emploi et de développement.


Une telle politique devrait, dans le cadre d'une approche intégrée,

1) se fonder sur un cadre définissant clairement les droits de tous les travailleurs concernés, ainsi que le prévoient toutes les conventions et instruments internationaux pertinents. Ce cadre devrait reconnaître que les travailleurs migrants et leur famille sont des êtres humains, et non des marchandises[[Déclaration de Philadelphie, 1944 : « La Conférence affirme à nouveau les principes fondamentaux sur lesquels est fondée l'Organisation, à savoir notamment :
(a) le travail n'est pas une marchandise ; »
]], et se fonder sur la « résolution concernant une approche équitable pour les travailleurs migrants dans une économie mondialisée », adoptée en juin 2004, laquelle appelle à une approche des migrations des travailleurs basée sur les droits ;

2) être établie en concertation étroite avec les partenaires sociaux;

3) garantir la libre circulation de toutes les personnes qui sont soit citoyennes d'un État membre de l'Union européenne, soit ressortissantes d'un pays tiers en séjour régulier dans le pays, dans le cadre de la non-discrimination et de l'égalité de traitement;

4) fournir un cadre juridique clair en matière d'égalité de traitement pour ce qui est des conditions de travail pour tous les ressortissants de pays tiers employés légalement, par rapport aux ressortissants du pays d'accueil, et de respect pour les règles et la réglementation ainsi que les systèmes de relations industrielles du pays d'accueil;

5) donner la priorité aux investissements dans les capacités et les qualifications des citoyens de l'Union européenne sans emploi ou sous-employés, y compris ceux d'entre eux issus de l'immigration ou appartenant à une minorité ethnique, ainsi que les ressortissants de pays tiers en séjour régulier, y compris les réfugiés reconnus, et en faire la première priorité dans le traitement des lacunes du marché du travail;

6) accroître les efforts visant à lutter contre le racisme et la xénophobie, et promouvoir la pleine et entière intégration des immigrants et des minorités ethniques sur les marchés du travail européens, tout en respectant la diversité culturelle et en reconnaissant leur contribution positive et leur potentiel;

7) accorder les droits sociaux et politiques liés à la citoyenneté aux travailleurs migrants et aux membres de leur famille ;

8) ouvrir des possibilités d'admission des migrants économiques, en créant un cadre européen commun pour les conditions d'entrée et de séjour.



Celui-ci devrait être fondé sur un consensus clair entre les autorités publiques et les partenaires sociaux quant aux besoins réels sur le marché du travail, et dans le même temps prévenir une politique de migration à deux vitesses qui favorise et facilite la migration des travailleurs hautement qualifiés tout en refusant l'accès au territoire et les droits aux travailleurs semi-qualifiés ou peu qualifiés ;

9) faire preuve de fermeté à l'égard des employeurs qui profitent de conditions d'emploi abusives et se concentrer sur la prévention et sur la répression de ceux qui tirent parti de ces situations d'exploitation, y compris les trafiquants d'êtres humains, au lieu de pénaliser les travailleurs qui sont leurs victimes ;

10) créer des « passerelles » permettant aux travailleurs immigrés sans papiers et à leur famille, y compris aux demandeurs d'asile qui se sont vu refuser le statut de réfugié, de sortir des « situations irrégulières », tout en respectant leurs droits fondamentaux;

11) promouvoir la coopération et le partenariat avec les pays tiers, et en particulier les pays en voie de développement.
{{
}}Enfin et surtout, une telle politique devrait reconnaître l'importance primordiale d'un renforcement du modèle social européen pour fournir et maintenir une protection de base à l'ensemble des habitants de l'Europe, pour répondre aux sentiments croissants d'insécurité sociale ressentis par des millions de travailleurs, sentiments susceptibles de verser dans le racisme et la xénophobie, et pour aider le mouvement syndical à jouer son rôle de cohésion.


3. Observations d'ordre général relatifs au livre vert
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}}Observations d'ordre général
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}}1) La CES salue le livre vert de la Commission, qui s'attaque à un problème figurant au premier rang des priorités politiques de nombreux États membres.

2) Elle se déclare en accord avec les observations effectuées dans l'introduction, selon lesquelles « alors que l'immigration proprement dite ne constitue pas une solution au vieillissement démographique, des flux d'immigration plus soutenus pourraient se révéler de plus en plus nécessaires pour répondre aux besoins des marchés du travail dans l'Union européenne, et pour garantir la prospérité de l'Europe ».
Toute discussion portant sur les migrations économiques devrait par conséquent être liée à la stratégie de Lisbonne, et intégrée dans les politiques communautaires en matière d'emploi. Une coopération étroite, tant au niveau national qu'au niveau communautaire, entre les ministres et les Commissaires européens chargés respectivement de l'Emploi et des Affaires sociales et de la Justice et des Affaires intérieures est donc cruciale.

3) Comme la gestion des flux migratoires doit également être considérée dans le contexte plus général des mouvements migratoires mondiaux, les raisons des migrations, la situation des pays d'origine ainsi que la responsabilité globale de l'Union européenne pour l'agenda mondial en matière de travail décent, ça exige également un engagement fort et une coopération étroite, aux niveaux tant national que communautaire, entre les ministres et le Commissaire européen chargé du développement.

4) La CES salue également la référence à la nécessité d'une initiative stratégique européenne visant à établir des critères communs pour l'admission de migrants économiques, afin de réduire la migration « illégale », contenue dans l'introduction.

5) La CES se déclare toutefois déçue de l'accent mis en général par le livre vert sur les aspects économiques et les arguments utilitaires liés à cette thématique, et par le fait que le livre vert ne prête pas suffisamment attention aux importants aspects suivants:

a) Le livre vert ne fait aucunement référence à l'ensemble des traités et conventions pertinents, internationaux ou européens. La CES estime que toute politique en faveur des migrations économiques devrait se fonder sur un cadre clair établissant des droits pour tous les travailleurs concernés.

b) On n'accorde que peu d'attention à la question clé de l'intégration. Lorsqu'elle est abordée, une approche très unilatérale est adoptée, qui se borne à mentionner les programmes d'introduction, les cours de langues, etc., qui devraient permettre aux migrants de s'« adapter » au pays d'accueil, mais qui ignore l'autre versant, indispensable, consistant à renforcer l'esprit d'ouverture et la tolérance des sociétés hôtes vis-à-vis de la diversité culturelle, de la contribution positive que les migrants peuvent apporter et la nécessité d'investir dans leur potentiel.

c) Aucune référence n'est faite au rôle important que les partenaires sociaux et le dialogue social peuvent jouer à tous les niveaux pertinents pour évaluer les besoins du marché du travail, promouvoir des politiques durables en matière de migrations économiques, lutter contre les conditions de travail abusives des travailleurs migrants et promouvoir leur intégration et leur non-discrimination sur le marché de l'emploi et le lieu de travail.

d) La perspective du travailleur migrant lui-même est totalement absente. Le livre vert parle de situations « gagnant-gagnant » pour les États de départ et d'arrivée, mais ne contient pas de référence à la perspective du travailleur migrant lui-même et de sa famille, de ses droits et de ses besoins ou desiderata. La politique gouvernementale ne peut pas « gérer » avec succès la circulation des travailleurs migrants si elle n'inclut pas de référence aux intérêts et aux perspectives de ces travailleurs.

e) Le livre vert ne témoigne d'aucune attention particulière accordée aux problèmes d'égalité entre hommes et femmes. De plus en plus souvent, les travailleurs migrants sont des femmes qui travaillent dans les services publics de santé, les résidences de soins, ou pour des ménages privés, et s'occupent des enfants, des malades ou des personnes âgées. Il convient d'en tenir compte de manière explicite dans la discussion sur l'ouverture de possibilités en matière de migration économique. {{
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Une réponse plus détaillée aux questions soulevées dans le Livre Vert figure en annexe de la résolution
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4. Actions à prendre par la CES et ses organisations membres
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Dans le cadre du débat actuel sur les migrations et l'intégration, qui est de plus en plus tendu, la CES et ses organisations membres veulent contribuer à la cohésion sociale dans une Union européenne élargie en menant les actions et activités suivantes :

a) surveiller et poursuivre la mise en œuvre du plan d'action de la CES en matière de migrations, d'intégration et de lutte contre les discriminations, le racisme et la xénophobie ;

b) intensifier les actions et les campagnes appelant à la ratification des conventions 97 et 143 de l'OIT sur les travailleurs migrants, et de la convention 1990 des Nations unies sur les travailleurs migrants et leur famille, ainsi que des instruments concernés du Conseil de l'Europe ;

c) promouvoir par tous les moyens la liberté syndicale des travailleurs migrants, quel que soit leur statut juridique, et organiser un échange des bonnes pratiques syndicales dans ce domaine ;

d) favoriser le recours aux instruments juridiques pour faire respecter les droits fondamentaux des travailleurs migrants, tels que le protocole additionnel de la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives, ainsi que les procédures visées aux articles 24 et 26 de la Constitution de l'OIT ;

e) examiner les modalités de création d'une carte de membre de la CES, conformément à la résolution du congrès de Helsinki de 1999 (« Syndicats sans frontières »), afin de rendre plus visible le rôle du mouvement syndical européen en tant que facteur de cohésion, et de développer des systèmes d'entraide transfrontaliers sur une base bilatérale, mais aussi multilatérale ;

f) participer aux actions et activités qui mettent en lumière la contribution positive des migrants et de leur famille aux sociétés et économies européennes, et favoriser la solidarité et la compréhension mutuelle ;

g) appeler les organisations patronales à mener des actions plus efficaces pour empêcher les employeurs d'avoir recours à la main-d'œuvre immigrée dans des conditions de travail abusives, et à utiliser le dialogue social pour répondre aux besoins du marché du travail.