Positionner la CES pour une autonomie stratégique ouverte de l’UE avec un agenda social fort

Positionner la CES pour une autonomie stratégique ouverte de l’UE avec un agenda social fort
Adopté lors du Comité exécutif des 22 et 23 juin 2022

Vue d’ensemble des messages clés

  • La CES appelle à un agenda ambitieux pour une autonomie stratégique ouverte en Europe, en tant que cadre stratégique clé pour atténuer la vulnérabilité accrue de l'UE causée par des situations de crise perturbatrices auxquelles l'UE est confrontée, tout en réalisant la transition juste, verte et numérique et en renforçant l’industrie en Europe.
  • La CES demande de mettre fortement l'accent sur les dimensions sociales et démocratiques de l'autonomie stratégique ouverte de l'UE et sur la manière dont elle interagit avec les politiques sociales et du travail de l'UE, ainsi qu'avec le pacte vert de l'UE.
  • La CES demande donc que l’autonomie stratégique ouverte de l’UE s’articule autour de plusieurs priorités sociales. Elle doit :
  1. viser à créer des emplois durables et de qualité dans l'UE
  2. inclure un accent fort sur l'éducation, la formation, la requalification et le perfectionnement de la main-d'œuvre européenne
  3. renforcer la démocratie au travail avec un rôle fort des partenaires sociaux
  4. déclencher la création de chaînes d’approvisionnement durables et s’appuyer sur des réglementations solides contre le dumping  social ainsi que des mesures concrètes pour des pratiques commerciales plus durables et fondées sur des règles
  5. prévoir un rôle important pour les services publics et assurer la qualité  des infrastructures publiques
  6. s’appuyer sur des investissements suffisants pour garantir les revenus et adopter des budgets publics ambitieux.
  • L'autonomie stratégique ouverte de l'UE devrait être l'une des voies prometteuses pour rétablir des conditions équitables pour une économie résiliente, dans le plein respect des valeurs démocratiques, sociales et environnementales de l'UE. L’objectif devrait garantir la capacité de l’Union à créer la stabilité, la cohésion et la sécurité sur la base d’une gouvernance inclusive et durable incluant les syndicats.

L’autonomie stratégique de l’UE est de nouveau apparue dans le discours de l’UE comme une stratégie clé pour faire face à la forte dépendance de l’UE à l’égard d’une série de biens et services, de matières premières et de technologies qui exposent considérablement l’Union européenne à des perturbations de l’offre et à la volatilité des prix. Appliquée initialement à la sécurité et à la défense, l’autonomie stratégique de l’UE a été étendue à d’autres domaines politiques afin de réduire la vulnérabilité de l’UE dans un large éventail de domaines tels que l’énergie et l’industrie afin de réaliser les transitions vertes de l’UE. Dans la sphère numérique, l'augmentation des monopoles d'entreprises étrangères dans les domaines de l'informatique quantique, du cloud et des technologies de pointe ainsi que de l'intelligence artificielle et des réseaux de communication a entraîné des perturbations affectant non seulement la (cyber)sécurité de l'UE mais impactant aussi négativement des droits fondamentaux tels que la protection des données et la non-discrimination (au travail), y compris par une surveillance indue.

Les récents développements géopolitiques et les situations de crise perturbatrices ont exacerbé cette vulnérabilité de l'UE. La pandémie de COVID-19 en 2020 n’a pas uniquement montré sa dépendance dramatique envers les matières premières critiques et les semi-conducteurs. Elle a apporté un éclairage nouveau sur la dépendance aux produits et biens intermédiaires dans des secteurs stratégiques tels que les réactifs pharmaceutiques et les équipements médicaux.

L’invasion russe de l’Ukraine en 2022, en violation du droit international, a non seulement aggravé la crise des prix de l’énergie, mais elle a également souligné la nécessité pour l’UE de repenser ses politiques de sécurité et de défense, ainsi que la sécurité alimentaire et l’accessibilité financière, les composants chimiques et l’accès aux matières premières critiques. L'invasion russe de l'Ukraine pourrait bien déclencher un changement de paradigme vers une transformation plus radicale de l'interdépendance économique et des processus de production, en particulier envers des régimes autocratiques.

Le choix collectif du multilatéralisme, qui place le commerce au premier plan de la politique internationale de l'UE, a permis de pacifier les relations internationales par des échanges économiques et a eu un impact positif sur des secteurs où l'UE parvient à conserver son avantage concurrentiel. Dans le même temps, l'approche non interventionniste de l'UE et de ses États membres en matière de politiques commerciales et l'inconvénient de l'absence de réglementation de la mondialisation ont entraîné une perte de capacité industrielle stratégique en Europe et mis les services publics sous pression. En outre, l'externalisation des coûts, utilisée comme stratégie commerciale par de nombreuses entreprises, a alimenté le dumping social et, dans de nombreux cas, sapé les droits du travail. La dépendance vis-à-vis d'un nombre limité de fournisseurs pour un large éventail de produits et de matières premières rend l'UE vulnérable à d'éventuelles perturbations ou volatilités des prix qui peuvent également être utilisées comme armes politiques pour exercer un chantage et exercer le pouvoir. Ceci est particulièrement vrai dans un contexte d’instabilité géopolitique croissante et de comportements militaires agressifs.

Ces évolutions ont conduit l’UE à adopter une approche plus holistique de l’autonomie stratégique de l’UE : l’autonomie stratégique ouverte de l’UE, initialement présentée comme la souveraineté de l’UE par la Commission européenne et relayée par la présidence française du Conseil en 2022, établit un équilibre entre, d’une part, la nécessité pour l’Union européenne de remédier à ses vulnérabilités en renforçant son autonomie stratégique, notamment dans les biens et services essentiels, et, d’autre part, la volonté de maintenir une économie ouverte qui attire les investisseurs et soutient un commerce durable fondé sur des règles, dans le cadre du multilatéralisme, prenant ainsi clairement position contre le protectionnisme.

L’autonomie stratégique ouverte de l’UE devrait être développée en tant que caractéristique essentielle du projet européen, dont la singularité et la force s’appuient sur la combinaison (encore déséquilibrée) d’intégration économique et sociale, afin de garantir une « économie de marché sociale hautement compétitive, visant le plein emploi et le progrès social, ainsi qu’un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement », comme le prévoit l’article 3(3) du traité sur l’Union européenne. L'Union européenne est liée par la Charte européenne des droits fondamentaux et devrait développer l'autonomie stratégique ouverte de l'UE avec une forte orientation sociale et démocratique, y compris la dimension environnementale. L’autonomie stratégique ouverte de l’UE devrait tenir compte du rôle des syndicats dans l’anticipation des mutations économiques et industrielles ; elle devrait également viser à réglementer le devoir de diligence durable des entreprises, et les pratiques commerciales durables et prévoir des investissements de qualité.

Par conséquent, la CES appelle à un agenda ambitieux pour une autonomie stratégique ouverte européenne. Non seulement un tel cadre stratégique sera essentiel pour atteindre les objectifs des transitions écologique et numérique tout en profitant à tous, mais il devrait représenter une alternative durable, inclusive et réglementée à la vulnérabilité accrue de l'UE due aux situations de crise perturbatrices auxquelles elle est confrontée.

Qu’est-ce que l’autonomie stratégique (ouverte) de l’UE et comment a-t-elle été mise en œuvre jusqu’à présent ?

L'autonomie stratégique ouverte de l'UE peut être obtenue en combinant différentes approches : (ré)industrialisation et relocalisation des activités stratégiques, meilleure maîtrise des approvisionnements clés, diversification des sources d’approvisionnement, stockage, économie circulaire, efficacité énergétique et des ressources, indépendance accrue dans le développement et la maîtrise des technologies stratégiques ainsi que renforcement des savoir-faire et des capacités d’innovation. Dans le cadre de sa nouvelle stratégie industrielle 2020, l’Union européenne a proposé une série d’initiatives pour accroître sa résilience, réduire ses dépendances stratégiques tout en accélérant les transitions numérique et verte.

À cette fin, plusieurs domaines d'importance stratégique ont été identifiés tels que les matières premières, les batteries, l'hydrogène, les semi-conducteurs, les énergies renouvelables, le stockage de l'énergie, la cybersécurité dans le cloud/les technologies de pointe, les infrastructures à large bande, les plastiques, ainsi que les lanceurs spatiaux et l'aviation zéro émission. Plus récemment, à la suite de la pandémie de COVID-19 et de l’invasion russe de l’Ukraine, la nécessité d’une approche plus stratégique de l’UE dans les domaines de la santé, des fournitures médicales, de la sécurité et la défense et de l’agroalimentaire est également apparue comme une priorité.

Ces dernières années, des actions concrètes ont été entreprises par l'exécutif de l'UE pour progresser dans certains de ces domaines. Pour n’en citer que quelques-uns, jusqu’en 2014, les projets importants d’intérêt européen commun (IPCEI) se limitaient aux projets d’infrastructure. Depuis 2018, ils ont été étendus aux batteries et à la microélectronique. De nouveaux IPCEI devraient être créés pour l'hydrogène, le cloud et la santé intelligente. Ces projets, combinés à une révision du droit de la concurrence et des lignes directrices sur les aides d'État, visent à encourager le développement de chaînes de valeur européennes tout en garantissant une concurrence loyale. Parallèlement aux IPCEI, des alliances industrielles ont été créées pour développer des projets industriels transfrontaliers à grande échelle dans des domaines stratégiques. La CES plaide pour que les IPCEI et les alliances industrielles contribuent mieux aux objectifs de la politique européenne économique et de cohésion sociale. Ils devraient être conditionnés à un dialogue social efficace et au respect des droits des travailleurs, notamment en matière d’information et de consultation.

La création d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières vise à adopter des objectifs plus stricts en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre tout en protégeant les industries de l'UE contre des conditions de concurrence inégales qui pourraient entraîner des fuites de carbone.

La mise en place d’un Forum industriel de l’UE auquel la CES et ses affiliés participent activement, ainsi que le processus connexe de co-création de voies de transition pour 14 écosystèmes industriels ont permis « d’identifier les actions nécessaires pour réaliser les transitions jumelles, donnant une meilleure compréhension de l’échelle, des avantages et des conditions nécessaires ».

La révision des règles internationales en matière de marchés publics, une nouvelle stratégie de normalisation, le renforcement des contrôles des investissements directs étrangers et la réglementation visant à remédier aux effets de distorsion potentiels des subventions étrangères sont des initiatives essentielles pour rétablir des conditions de concurrence équitables avec les concurrents internationaux subventionnés par l'État et un accès équitable aux marchés extérieurs pour les entreprises de l'UE.

Le pacte vert pour l’Europe et REPower EU visent à réduire la dépendance de l’UE vis-à-vis des combustibles fossiles tout en accélérant la transition écologique, en diversifiant ses sources d’énergie, en augmentant la part de la production d’énergie décarbonée dans le bouquet énergétique de l’UE ainsi qu’en augmentant les économies d’énergie, l’efficacité énergétique et l’économie circulaire. Si elles sont correctement conçues et mises en œuvre, ces politiques peuvent, à moyen et long terme, aider l'UE à réduire sa dépendance à l'égard des combustibles fossiles importés de Russie tout en réduisant les émissions de GES, conformément aux objectifs de la loi européenne sur le climat. L'UE devrait toutefois réfléchir stratégiquement pour éviter de remplacer sa dépendance aux combustibles fossiles russes par d'autres dépendances envers des régimes autocratiques. La CES attire l'attention sur le fait que l'accélération du processus pourrait également exposer l'industrie européenne à forte intensité énergétique à des coûts de production plus élevés, ce qui impacterait également les industries en aval. Ces conséquences devraient être évaluées et compensées pour éviter les pertes d'emplois dans les secteurs exposés. De même, l’impact de l’autonomie stratégique ouverte de l’UE sur l’inflation et le pouvoir d’achat doit être évalué afin de prévoir une forte compensation pour préserver les revenus des travailleurs. Cependant, l’évolution des prix devrait déclencher la transformation de l’économie vers de nouvelles sources d’énergie renouvelables. De même, des mesures visant à atténuer la spéculation sur les marchés de l'énergie devraient être prises pour protéger le pouvoir d'achat et lutter contre la précarité énergétique des travailleurs en Europe.

En réponse aux chocs d’offre dus à la crise du COVID-19 et à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, un instrument du marché unique pour les situations d’urgence, actuellement en préparation, devrait remédier à la fragmentation, aux obstacles et aux faiblesses du marché unique en temps de crise afin de garantir la libre circulation des personnes, des biens et des services, ainsi qu’une transparence et une coordination plus grandes. La CES souligne que toute mesure d’urgence doit respecter et garantir l’application effective et le plein respect du droit du travail et des droits fondamentaux, y compris les droits sociaux et les droits des travailleurs et des syndicats. Une protection sociale forte, l'importance des services publics et le rôle des partenaires sociaux devraient être respectés. Les travailleurs mobiles et transfrontaliers doivent être protégés et les principes généraux des marchés publics doivent être garantis à tout moment.

La nécessité de renforcer l'autonomie stratégique ouverte de l'UE, en particulier après l'invasion russe de l'Ukraine

L’invasion russe de l’Ukraine qui a débuté le 24 février 2022 a considérablement modifié le contexte politique dans lequel l’autonomie stratégique ouverte de l’UE a été discutée.

La disponibilité et le caractère abordable de l'énergie sont les conditions essentielles pour accroître l'autonomie stratégique ouverte de l'UE. L'UE importe 60 % de ses besoins énergétiques et cette proportion atteint plus de 90 % pour le gaz et le pétrole. La Russie étant de loin la principale source d'importation de gaz, de pétrole et de combustibles solides dans l'UE, il est urgent de réduire cette dépendance. Premièrement, en utilisant les propositions législatives du pacte vert pour augmenter considérablement l’efficacité énergétique et la production d’électricité décarbonée en Europe. Deuxièmement, en utilisant la politique commerciale de l'UE pour travailler, avec des partenaires commerciaux fiables et démocratiques, dans une approche pragmatique et réaliste de la sécurité de l'approvisionnement énergétique et des transports de l'UE tout en respectant l'accord de Paris sur le changement climatique et les objectifs de développement durable des Nations unies. Parallèlement, il est essentiel que l'UE utilise tous les moyens disponibles, y compris une révision des mécanismes de fixation des prix sur le marché de l'électricité, afin d'atténuer l'impact de la réduction de sa dépendance énergétique sur les prix pour les consommateurs et les entreprises.

De même, la situation actuelle expose les vulnérabilités du secteur agroalimentaire européen, en raison de la dépendance vis-à-vis des importations de gaz, d’engrais et d’aliments pour animaux provenant de zones de conflit.  La Russie et l’Ukraine représentent conjointement plus de 30 % du commerce mondial de blé et d’orge, 17 % du maïs et plus de 50 % de l’huile de tournesol, des graines de tournesol et des tourteaux de tournesol destinés à l’alimentation des animaux (selon la moyenne 2018-2020 de la base de données TDM 2021 et IFPRI sur le commerce des macro-nutriments). La Russie est le premier exportateur d'engrais minéraux finis vers l'UE. L'Europe devra renforcer son autonomie dans l'agriculture, l'industrie agroalimentaire et l'utilisation et la production durables d'engrais.  Il est essentiel que l’Europe renforce les objectifs ambitieux de la stratégie « De la ferme à la table » et repense la politique agricole commune (tant en termes de production que de consommation) afin de réduire sa dépendance tout en accélérant la transition environnementale, y compris par des mesures de transition justes, et en garantissant de bonnes conditions de travail aux travailleurs de l’agroalimentaire. Cela nécessite la mise en œuvre du raccourcissement des chaînes de valeur agricoles, tout en garantissant les droits des travailleurs saisonniers et des emplois décents, en mettant en œuvre les mesures de l'UE et les engagements internationaux en faveur de la protection de la biodiversité. Une attention particulière devrait être accordée à la garantie que les politiques futures contribuent à lutter contre la sous-nutrition dans le monde.  

L'invasion russe de l'Ukraine a remodelé la nécessité pour l'Europe d'aborder sa politique de sécurité et de défense. À cet égard, les institutions de l’UE et les États membres ont redéfini leurs priorités et devraient œuvrer à une approche européenne plus intégrée comme indiqué dans la déclaration de Versailles des 10 et 11 mars 2022 et dans les conclusions du Conseil de l’UE des 24 et 25 mars 2022. La boussole stratégique de l’UE adoptée le 21 mars 2022 par le Conseil définit la feuille de route et les outils permettant de réduire les lacunes critiques en matière de capacités de défense ainsi que les dépendances stratégiques en matière de technologie et de ressources. Bien qu’une approche plus coordonnée soit nécessaire en matière de défense, la CES estime qu’une course à la militarisation et aux dépenses d’armement devrait être évitée et que la priorité devrait rester la promotion de solutions négociées basées sur des règles multilatérales. En outre, toute augmentation des dépenses militaires ne devrait pas se faire au détriment d’autres investissements publics dans des services publics accessibles et de qualité ou de dépenses sociales supplémentaires pour relever les principaux défis auxquels sont confrontés les travailleurs et les citoyens de l’UE. Bien que de manière différente, la pandémie de Covid-19 et l’invasion russe de l’Ukraine ont conduit à des concessions d’autonomie stratégique sans précédent et il y en a probablement plus à attendre, avec des impacts économiques et sociaux inégalés à court et long terme.

Les syndicats appellent à un agenda social, du travail et démocratique fort afin que la politique de l’UE en matière d’autonomie stratégique ouverte profite à tous.

À l'appui de ces considérations, il devrait être clair que l'autonomie stratégique de l'UE devrait être développée dans le plein respect des valeurs et principes démocratiques du traité de l'UE ainsi que du respect et de la promotion des droits de l'homme. L'autonomie stratégique ouverte de l'UE devrait inclure l'anticipation des changements en termes d'emplois de qualité et ne pas être utilisée comme vecteur de mesures d'austérité ou de déréglementation. À cet égard, la CES demande que tout développement de l’autonomie stratégique ouverte de l’UE mette fortement l’accent sur les dimensions sociales et démocratiques et sur la manière dont elle interagit avec les politiques sociales et du travail de l’UE ainsi que la gouvernance sociale et économique de l’UE.

La CES estime que l’autonomie stratégique ouverte de l’UE devrait être un moteur solide pour renforcer les principes et valeurs fondamentaux de l’UE consacrés dans les traités, tels que l’économie sociale de marché, le progrès social et les droits de l’homme. Elle devrait promouvoir davantage les droits des travailleurs et des syndicats et contribuer à la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux, conformément à la déclaration de Porto de 2021.  

La CES demande donc que, parallèlement à un agenda climatique et environnemental ambitieux, l’autonomie stratégique ouverte de l’UE s’articule autour de plusieurs priorités sociales :

Premièrement, la CES est d’avis que le programme d’autonomie stratégique ouverte de l’UE devrait viser à créer des emplois durables de qualité dans l’UE, par exemple en stimulant la transition écologique et numérique. Les investissements conjoints dans la recherche et l'innovation devraient être un élément clé du programme d'autonomie stratégique ouverte. L’élaboration d’un tel programme devrait renforcer la cohésion sociale, économique et territoriale, notamment en créant de nouvelles opportunités d’emploi de qualité, en particulier dans les régions les plus touchées par la double transition, et soutenir la réindustrialisation le cas échéant, avec une stratégie claire pour développer et revitaliser les chaînes de valeur stratégiques dans l’UE tout en respectant les objectifs du pacte vert pour l’Europe. À cet égard, le rôle de l'UE et des États membres en tant qu'investisseurs stratégiques dans des secteurs d'intérêt public élevé devrait être renforcé, ce qui nécessite de nouvelles réflexions sur le cadre actuel de la politique fiscale et de la concurrence. Dans le même temps, les conditions de concurrence équitables du marché intérieur devraient être préservées afin de maintenir une concurrence loyale au sein de l'UE. Pour garantir que le financement public, les aides d'État et les marchés publics contribuent à la création d'emplois durables de qualité, les bénéficiaires de fonds publics devraient en tout état de cause être soumis à des conditions sociales effectives, y compris des salaires minimaux, des conditions de travail décentes, des droits syndicaux et des conditions environnementales. En matière commerciale, l'UE devrait préserver son droit de réglementer les questions sociales et environnementales en adhérant aux traités internationaux de protection des investissements.

Deuxièmement, le programme d’autonomie stratégique ouverte de l’UE devrait déclencher des investissements publics et privés dans l’éducation, l’apprentissage rémunéré, la formation, la reconversion et l’amélioration des compétences de la main-d’œuvre européenne. De bons systèmes d'éducation publique et des stratégies d'enseignement et de formation professionnels sont en effet essentiels pour prévenir les pénuries de main-d'œuvre, saisir les opportunités d'emploi et garantir l'autonomie de l'UE dans le développement, le déploiement et le maintien de secteurs et technologies stratégiques. Dans le cadre du programme de l’UE en matière d’autonomie stratégique ouverte, la CES demande d’impliquer les partenaires sociaux dans la cartographie et l’identification des besoins en compétences dans les régions et les secteurs concernés et dans le développement des stratégies en matière de compétences, notamment pour soutenir la transition numérique, par le dialogue social. La CES exhorte également les décideurs politiques à renforcer les droits des travailleurs à accéder à des formations de qualité. Les besoins en compétences et qualifications devraient être mieux anticipés et relayés dans les programmes de formation respectifs accessibles à tous les travailleurs (y compris les travailleurs flexibles, indépendants ou migrants). Une attention particulière devrait être accordée à la prévention des fuites des cerveaux à l'intérieur et à l'extérieur de l'Europe, en veillant à ce que la mobilité de la main-d'œuvre se fasse toujours sur une base volontaire et non par manque d'opportunités ou de perspectives. Si les travailleurs sont encouragés à saisir les opportunités d’emploi dans d’autres régions, cela devrait se faire dans le plein respect des règles de l’UE en matière de mobilité de la main-d’œuvre, tout en luttant contre les modèles économiques fondés sur le travail non déclaré, l’abus des droits des travailleurs, les arrangements artificiels et l’optimisation des coûts du travail. La pénurie systémique de main-d'œuvre, en particulier dans des secteurs tels que l'agriculture, les transports et la construction (en partie due à la mauvaise qualité des conditions de travail et au faible niveau des salaires), devrait déclencher la nécessaire transformation politique, y compris la revalorisation des qualifications et des conditions de rémunération et de travail décentes.

Troisièmement, le programme d’autonomie stratégique ouverte de l’UE devrait renforcer la démocratie au travail. Une bonne gouvernance inclusive est associée à une plus grande résilience, en particulier en temps de crise. En promouvant, en soutenant et en renforçant le dialogue social et la négociation collective, l’UE contribue activement à l’amélioration et à la sécurité des conditions de travail pour les travailleurs, ainsi qu’à la recherche de solutions pertinentes pour atténuer les mutations rapides du marché du travail. Le renforcement des droits des travailleurs à l’information, à la consultation, y compris du comité d’entreprise européen, ainsi qu’à la codétermination contribue assurément à anticiper et gérer les changements à venir, induits par les transitions verte et numérique. Il vise à réduire les impacts négatifs des processus de restructuration et à éviter la délocalisation des activités à l’étranger. Dans le même esprit, le programme d’autonomie stratégique ouverte de l’UE devrait promouvoir des structures de gouvernance inclusives, afin que les syndicats, en tant qu’acteurs sociaux et économiques clés, jouent un rôle significatif dans l’élaboration et le suivi des conditions de travail dans les chaînes d’approvisionnement.

Quatrièmement, le programme d’autonomie stratégique ouverte de l’UE devrait déclencher la création d’emplois durables de qualité dans les chaînes d’approvisionnement et lutter contre le dumping social et le green washing. Cela nécessite une capacité accrue à promouvoir les droits de l'homme et le travail décent dans les chaînes d'approvisionnement et de valeur. À cet égard, la CES appelle l’UE à adopter une directive ambitieuse sur la diligence raisonnable en matière de durabilité des entreprises afin de prévenir les violations des droits des travailleurs et des syndicats par les entreprises dont les modèles économiques sont basés sur l’externalisation exacerbée des coûts de la main-d’œuvre et sur une vision à court terme. Elle devrait tenir les entreprises responsables des impacts négatifs de leurs activités sur les personnes, en particulier les travailleurs et leur famille, et sur l'environnement. Cela va de pair avec un cadre réglementaire solide sur les obligations de déclaration des entreprises et une interdiction des produits issus du travail des enfants et du travail forcé. En fin de compte, la CES demande une politique de tolérance zéro pour les produits et services fondés sur des violations des droits de l’homme. Parallèlement, le programme d'autonomie stratégique ouverte de l'UE devrait contribuer à raccourcir les chaînes d'approvisionnement mondiales afin de les rendre plus résilientes et favorables à la fois sur le plan social et climatique, tout en préservant et en améliorant des relations commerciales durables avec les pays émergents et en développement, qui comptent sur les possibilités d'exportation pour créer des emplois.

Cinquièmement, l’UE a besoin de réglementations antidumping strictes et de plus d’actions contre les pratiques commerciales extérieures déloyales.  Par exemple, parallèlement à un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières qui devrait égaliser le coût du CO2 entre les producteurs de l’UE et leurs concurrents, l’UE devrait réfléchir à des mécanismes visant à rendre moins attrayants des produits fabriqués par des pays et des entreprises en violation des droits syndicaux, du droit du travail et des conventions de l’OIT. La référence à la Convention européenne des droits de l’homme et à la Charte sociale européenne devrait être garantie dans les accords commerciaux avec les pays ayant ratifié les instruments du Conseil de l’Europe.  Le respect des droits des travailleurs par les partenaires commerciaux doit être un élément clé du programme commercial de l'UE. À cette fin, la CES demande de conditionner l’entrée en vigueur des accords commerciaux à la ratification des conventions fondamentales de l’OIT en tant que normes sociales mondiales. De même, il convient de renforcer les clauses relatives au travail et à l'environnement dans les accords commerciaux et les procédures internationales de marchés publics. L'application doit être surveillée et des mécanismes de sanctions dissuasifs doivent être mis en place. Dans la même logique, les instruments de l'UE destinés à soutenir les investissements à l'étranger sous la forme de garanties et de prêts (y compris ceux de la Banque européenne d'investissement et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement) devraient s'accompagner de garanties et de conditions plus strictes en matière de travail. La CES demande des relations commerciales plus durables. En tant que hub économique mondial avec des relations économiques et commerciales étroites avec des partenaires partageant les mêmes idées, l’UE devrait conditionner la négociation d’accords de libre-échange durables à des chapitres sociaux et environnementaux forts, correctement mis en œuvre et exécutoires. L'UE devrait également s'engager dans la réforme de l'OMC afin de soutenir la double transition, en fournissant des règles commerciales transparentes et actualisées, des conditions de concurrence équitables et en promouvant les normes fondamentales du travail.

Sixièmement, le programme d’autonomie stratégique ouverte de l’UE devrait prévoir un rôle important pour les services publics et garantir des infrastructures publiques de qualité. En effet, le développement d’écosystèmes industriels nécessite des infrastructures efficaces et bien financées telles que les chemins de fer et les réseaux routiers, les réseaux électriques, la gestion des déchets et les services de distribution d’eau. Des services publics tels que les systèmes éducatifs assurent une main-d'œuvre hautement qualifiée tandis que l'innovation industrielle dépend souvent fortement de la recherche fondamentale menée dans les universités et les instituts de recherche publics. Dans le même ordre d’idées, les infrastructures publiques de garde d’enfants et de soins aux personnes âgées apportent un soutien nécessaire aux travailleurs et à leurs familles. La CES appelle donc la Commission européenne à stimuler ses investissements dans les infrastructures publiques ainsi qu’à renforcer les services publics dans tous les États membres afin de garantir que nos sociétés restent résilientes aux chocs externes et capables de gérer les processus de transition. Il est particulièrement nécessaire de garantir l'autonomie stratégique de l'UE en matière d'infrastructures et de systèmes numériques nécessaires aux services essentiels et aux communications. La CES souligne également la nécessité d’investir dans des administrations publiques de qualité telles que les inspections du travail, les agences de protection de l’environnement et l’administration fiscale. Ce sont là des éléments essentiels pour créer les conditions propices à la prospérité de l'économie de l'UE et pour accroître la résilience de notre société. Ces investissements peuvent également servir de levier pour soutenir la création d'emplois de qualité. L'UE devrait s'abstenir de prendre des mesures d'austérité ou de poursuivre un programme de libéralisation des services publics qui compromet leur efficacité et met en danger les travailleurs.

Enfin, l'Union européenne et ses États membres doivent obtenir des recettes pour adopter des budgets publics ambitieux. Pour y parvenir, il est essentiel que l'UE intensifie sa lutte contre la fraude fiscale, l'évasion fiscale et la concurrence fiscale dommageable entre les pays. En outre, il convient de faire davantage pour promouvoir une fiscalité plus juste et plus efficace en passant de la fiscalité du travail à la fiscalité du capital, par exemple par l'introduction d'une taxe sur les transactions financières, d'un impôt minimum sur les sociétés, d'une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés avec une formule de répartition appropriée, d'une taxe numérique ou d'un impôt sur la fortune. Parallèlement, le pacte de stabilité et de croissance devrait être révisé pour permettre les dépenses publiques nécessaires, notamment pour soutenir une transition écologique et numérique juste. Une meilleure intégration du programme d’autonomie stratégique ouverte de l’UE dans le processus du semestre ou dans la facilité pour la reprise et la résilience pourrait également contribuer à canaliser les investissements nécessaires. L'UE doit accroître ses ressources propres et sa capacité d'endettement permanente en tant qu'outils pour financer les investissements nécessaires à la réalisation des objectifs mentionnés dans la résolution de la CES.

Conclusion

Les chocs sans précédent causés par la pandémie de COVID-19, la crise des prix de l’énergie et l’invasion russe de l’Ukraine ont exacerbé la vulnérabilité de l’UE, entraînant des perturbations de l’approvisionnement, une volatilité des prix de l’énergie et des matières premières ainsi qu’une pénurie de biens et composants stratégiques. Non seulement ces chocs compromettent les efforts déployés dans les nécessaires transitions écologique et numérique, mais ils menacent également la cohésion économique et sociale de l'UE. À juste titre, elles ont suscité un regain d’intérêt pour l’autonomie stratégique de l’UE. Cette stratégie devrait fournir une combinaison d'initiatives et d'outils pour atténuer les effets négatifs de ces chocs tout en créant un cadre propice pour faire face à ces perturbations. La stratégie devrait combiner circularité, gains d'efficacité, stockage, diversification de l'offre et relocalisation le cas échéant, ainsi que des pratiques commerciales durables pour une mondialisation régulée, l'OIT étant le leader mondial de la réglementation sociale. La réalisation de l’autonomie stratégique ouverte de l’UE est une condition sine qua non pour garantir des biens et services essentiels pertinents pour la cohésion sociale, économique et territoriale. Elle sera également essentielle pour réaliser la transition écologique et numérique juste, sans laisser personne de côté.

L’autonomie stratégique ouverte de l’UE est un moyen pour l’UE de défendre et de promouvoir ses valeurs fondamentales que sont la démocratie, la paix et les droits de l’homme, y compris les droits des travailleurs, tout en s’engageant dans la convergence vers le haut, le progrès social et la prospérité. À cet égard, il sera décisif de protéger les citoyens de l'UE, par exemple en ce qui concerne leur santé et leur sécurité ou la protection de leurs données. Enfin, une autonomie stratégique ouverte européenne devrait s'inscrire dans le modèle social européen, afin de concrétiser la dimension sociale de l'économie de marché de l'UE, notamment en ce qui concerne des systèmes de relations industrielles solides, des emplois de qualité, une protection sociale forte et des services publics de qualité.

Pour ces raisons, la CES appelle à un programme ambitieux sur l’autonomie stratégique ouverte de l’UE.  Tout en participant activement au développement des IPCEI, à un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, à la révision des politiques de concurrence, des aides d’État et des marchés publics internationaux, ainsi qu’à la révision du cadre de gouvernance économique. La CES demande une approche sociale beaucoup plus forte.  À cet égard, la CES plaide pour que l’agenda d’autonomie stratégique ouverte inclue les priorités sociales suivantes : la création d’emplois durables de qualité à l’intérieur et à l’extérieur de l’UE, l’investissement dans l’éducation, la reconversion et le perfectionnement des compétences, le renforcement de la démocratie au travail, des réglementations antidumping fortes et des pratiques commerciales durables, des services publics et des infrastructures publiques de qualité et la capacité des autorités publiques à réaliser les investissements nécessaires.

La CES estime que l’autonomie stratégique ouverte de l’UE est l’une des voies prometteuses pour rétablir des conditions de concurrence équitables pour une économie résiliente, dans le plein respect des valeurs démocratiques, sociales et environnementales de l’UE. L’objectif du programme d’autonomie stratégique ouverte de l’UE devrait être de garantir la capacité de l’Union à créer la stabilité, la cohésion et la sécurité. L’autonomie stratégique ouverte de l’UE devrait impliquer une gouvernance inclusive et durable à tous les niveaux avec la participation des syndicats aux processus décisionnels.