Position de la CES/Nouveau cadre européen relatif aux droits à l'info, la consultation et la repr. au sein des conseils d'administration et de supervirion (1ère Partie)

Bruxelles,  le 15 avril 2016

 

Position de la CES
Un nouveau cadre européen relatif aux droits à l'information, à la consultation et à la représentation au sein des conseils d'administration et de supervision (1ère Partie)

Adoptée au Comité exécutif extraordinaire du 13 avril 2016 à La Haye

Contexte

Le Congrès d’Athènes a donné mandat au Secrétariat de la CES pour entreprendre un travail en profondeur sur la représentation des travailleurs au sein des conseils d’administration et de supervision. Plusieurs groupes d’experts se sont particulièrement penchés sur les possibilités de définir les grands principes de la directive sur le statut de la Société européenne pour s’assurer qu’elle atteigne son objectif et ont également discuté des différentes options pour élargir la représentation dans les conseils d’administration en Europe. Sur base du nouveau consensus auquel il est parvenu en octobre 2014, le Comité exécutif de la CES a adopté une résolution réclamant une directive présentant une architecture nouvelle et intégrée pour l’implication des travailleurs dans les différentes formes de sociétés européennes. S’appuyant sur l’acquis communautaire existant, la directive doit définir des normes exigeantes en matière d’information et de consultation et introduire des normes minimales ambitieuses pour la représentation des travailleurs au sein des conseils d’administration.

Cette résolution est une autre étape importante pour le mouvement syndical européen. C’est la première fois que nous demandons des règles du jeu équitables communes concernant le droit des travailleurs à être représentés dans les conseils d’administration. La résolution insiste toutefois sur la nécessité de préserver les traditions nationales. L’idée n’est pas d’intervenir dans des situations purement internes mais de proposer une vision durable pour le droit européen des sociétés. Chaque fois qu’une entreprise voudra profiter des opportunités offertes par le droit européen des sociétés, elle devra en même temps adhérer à des valeurs européennes communes. Le nouveau cadre deviendrait la référence unique en matière d’information, de consultation et de représentation au conseil d’administration pour les formes de sociétés européennes (par ex. SE, SCE ainsi que le statut de PME à venir). Il s’appliquerait également aux sociétés souhaitant procéder à une fusion transfrontalière, à des scissions transfrontalières ou à un transfert transfrontalier de siège social dans la mesure où ces opérations sont régies par le droit européen.

Concevoir un instrument s’appliquant au droit européen des sociétés sans nuire aux traditions nationales est un exercice délicat. Le Secrétariat de la CES a effectué un travail considérable pour convertir la demande générale de 2014 en propositions concrètes, en particulier en organisant les 18-19 février 2016 un séminaire d’experts sur l’implication des travailleurs. Ce document fait rapport au Comité exécutif des progrès enregistrés.

Les raisons d’une directive – quelle est la valeur ajoutée d’une représentation des travailleurs dans les conseils d’administration ?

La stratégie de la CES pour défendre cette proposition consiste à démontrer son impact positif sur les intérêts à long terme des entreprises de l’UE et une croissance intelligente en Europe. Notre but est d’insister sur les indicateurs montrant que les entreprises dans lesquelles les travailleurs sont représentés au conseil d’administration présentent de meilleurs résultats économiques, mais aussi sociaux et environnementaux, que les entreprises sans participation des travailleurs[1].

Davantage de démocratie sur le lieu de travail est ce que veulent les travailleurs. Information, consultation et représentation au conseil d’administration composent le triangle de la communication. La représentation des travailleurs est une source d’influence supplémentaire au cœur de la prise de décision de l’entreprise. Ce peut être une source d’informations fiables et précoces ainsi qu’un outil pour un accès meilleur et plus rapide aux décisions de la direction. Cela signifie que la fonction de représentation doit être traitée comme un élément à part entière de la procédure globale d’information et de consultation afin de parvenir à un dialogue social sérieux sur le lieu de travail.

Enfin et surtout, des règles du jeu équitables communes prendraient en compte les lacunes et les incohérences de l’acquis communautaire, réduisant les abus et les détournements des normes nationales. Elles devraient en effet souligner qu’une tradition de représentation dans les conseils d’administration existe dans 18 États membres et que 36% de la main-d’œuvre européenne bénéficie de la participation à ces conseils. Les contributions syndicales à davantage d’intégration du droit européen des sociétés seront significativement renforcées par la perspective de réduire au minimum la quête du meilleur régime.

Développer la demande de la CES – quelles normes pour les droits à l’information, à la consultation et à la représentation dans les conseils d’administration ?

La directive doit laisser autant d’espace que possible aux négociations au niveau de la société transnationale afin de permettre aux parties d’élaborer une procédure d’information, de consultation et de représentation qui répond au mieux à leurs besoins et traditions. De grands principes doivent donc être imposés en tant que normes obligatoires et d’ambitieuses prescriptions subsidiaires doivent être définies. Ces prescriptions serviraient de dispositions alternatives en l’absence d’accord ou si les parties le souhaitent.

Le Secrétariat de la CES élabore des propositions concrètes répondant aux critères suivants :

Droits à l’information et à la consultation renforcés

La directive doit renforcer les normes minimales existantes pour la création et le fonctionnement d’un comité d’entreprise qui sera l’interlocuteur de la direction concernant l’implication des travailleurs dans l’entreprise. En s’appuyant sur l’acquis existant (par ex. la refonte de la directive sur les CEE ou la directive sur la SE), la directive doit apporter des solutions en matière de composition du comité d’entreprise, de ses compétences et de ses règles de fonctionnement tout en protégeant les pratiques nationales et les procédures d’information et consultation plus élaborées.

Les compétences des comités d’entreprise peuvent être utilement étendues pour inclure les décisions relatives à l’utilisation de main-d’œuvre externe (sous-traitants, intérimaires), à la protection des données, aux questions environnementales, à l’introduction de nouvelles technologies, à des emprunts importants, etc[2].

Le fonctionnement du comité d’entreprise peut être amélioré en réclamant plus d’une réunion par an et la création de comités spéciaux avec l’aide d’experts (par ex. un comité économique).

Il y a avant tout la délicate question de la mise en œuvre. Que faire lorsque l’information et la consultation sont inexistantes ou sont desservies par une information médiocre et/ou tardive ? Une approche serait de prévoir qu’en cas d’infractions graves à la procédure d’information et de consultation, la décision envisagée par la direction ne peut être exécutée avant que la procédure ait été menée à bien. En même temps, on peut s’attendre à ce que l’introduction de normes en matière de représentation dans les conseils d’administration contribue à assurer que les comités d’entreprise reçoivent une information opportune et de qualité.

Nouvelles normes pour la représentation des travailleurs dans les conseils d’administration

La directive doit introduire l’obligation de mettre en place un système pour la représentation des travailleurs au conseil. Cela peut être soit au niveau du conseil d’administration (pour les systèmes monistes – à un niveau) ou du conseil de surveillance (pour les systèmes dualistes – à deux niveaux). Cette directive n’a en effet pas vocation à réguler la structure du conseil des sociétés.

Chaque représentant des travailleurs au conseil doit être un membre à part entière avec les mêmes droits et devoirs que les représentants des actionnaires, y compris le droit de vote. Cela signifie que les représentants des travailleurs reçoivent une invitation aux réunions du conseil, à temps et accompagnée de suffisamment de documents. Ils doivent avoir le droit de discuter et de poser des questions individuellement. Ils disposent individuellement du droit de convoquer des réunions extraordinaires et de demander qu’un point particulier soit porté à l’ordre du jour.

Tout en respectant pleinement les différentes structures des entreprises, la directive doit inclure une liste non exhaustive des points qui doivent être inscrits à l’ordre du jour du conseil. La CES devra également veiller à ce que suffisamment de dispositions soient incluses dans les instruments d’accompagnement du droit européen des sociétés pour obliger tous les membres du conseil à agir dans les intérêts à long terme de l’entreprise.

Les représentants des travailleurs, tant au conseil qu’au comité d’entreprise, doivent bénéficier d’une protection contre le licenciement et les traitements discriminatoires. Suffisamment de temps libre et de formation doivent également être assurés.

La confidentialité est un sujet qui doit être abordé très prudemment. Trop de sujets sont aujourd’hui qualifiés « confidentiels » par la direction. Cela se traduit par une information médiocre ou absente des comités d’entreprise. Il est dès lors impératif que la directive définisse raisonnablement ce qu’implique la notion de confidentialité. Un délicat équilibre doit être établi entre, d’une part, la nécessité de limiter la confidentialité et, d’autre part, faire en sorte que les représentants des travailleurs soient considérés comme des partenaires dignes de confiance, faute de quoi les réunions du conseil pourraient bien devenir des non-événements et les décisions importantes être prises en coulisse.

La CES propose une approche en forme d’escalier commençant par un niveau de représentation des travailleurs plus bas dans une petite entreprise pour ensuite augmenter graduellement en fonction de la taille de l’entreprise (tant dans un système moniste que dans un système dualiste) :

·        les petites entreprises de 50 à 250 employés (au sein de l’entreprise et de ses filiales directes et indirectes) auraient un bas niveau de représentation des travailleurs au conseil (2 ou 3 représentants) ;

·        dans les entreprises de 250 à 1000 employés (au sein de l’entreprise et de ses filiales directes et indirectes), les représentants des travailleurs devraient compter pour un tiers des membres du conseil ;

·        dans les grandes entreprises de plus de 1000 employés (au sein de l’entreprise et de ses filiales directes et indirectes), la parité (la moitié des sièges) devrait être assurée.

La directive ne doit pas conduire à une situation où les représentants des travailleurs au conseil d’administration n’ont pas de comité d’entreprise auquel faire rapport. Il faut par conséquent s’assurer de la cohérence entre, d’une part, les règles fixant le nombre de représentants des travailleurs et, d’autre part, les seuils régissant la création d’un comité d’entreprise. Les seuils prévus dans la refonte de la directive ne peuvent pas servir de référence.

La CES pense qu’égalité hommes-femmes et mixité dans la salle du conseil des entreprises forment un principe démocratique essentiel ayant un impact économique positif. Le principe de l’égalité hommes-femmes doit toutefois rester distinct de celui de la diversité : les femmes ne constituent ni un groupe ni une minorité mais plus de la moitié de la population mondiale sans parler des 45% de la main-d’œuvre européenne. La participation équilibrée des femmes et des hommes dans les organes de décision n’est dès lors pas seulement une question de mixité mais un impératif essentiel des principes fondamentaux de démocratie et de droits de l’homme tels que consacrés par les Traités de l’UE et la Charte des droits fondamentaux. Chaque genre devrait être représenté dans les structures décisionnelles à un niveau se situant entre 40% et 60%. Ce principe devrait s’appliquer aussi bien aux sociétés cotées en bourse qu’aux sociétés non cotées et aussi bien aux membres exécutifs qu’aux membres non exécutifs des conseils d’administration et de supervision.

 


[1] Voir par exemple la  publication de l’ETUI “Benchmarking Social Europe 2016” p.69: http://www.etui.org/Publications2/Books/Benchmarking-Working-Europe-2016

[2] A titre d’illustration de l’acquis actuel, la refonte de la directive CEE stipule que :

L’information du comité d’entreprise européen porte notamment sur la structure, la situation économique et financière, l’évolution probable des activités, la production et les ventes de l’entreprise ou du groupe d’entreprises de dimension communautaire. L’information et la consultation du comité d’entreprise européen portent notamment sur la situation et l’évolution probable de l’emploi, les investissements, les changements substantiels concernant l’organisation, l’introduction de nouvelles méthodes de travail ou de nouveaux procédés de production, les transferts de production, les fusions, la réduction de la taille ou la fermeture d’entreprises, d’établissements ou de parties importantes de ceux-ci et les licenciements collectifs.

La consultation s’effectue de façon à permettre aux représentants des travailleurs de se réunir avec la direction centrale et d’obtenir une réponse motivée à tout avis qu’ils pourraient émettre.