Position de la CES sur un Traité des Nations Unies sur les Sociétés Transnationales

Executive Committee

 

 Position de la CES sur un Traité des Nations Unies sur les Sociétés Transnationales

Adoptée lors du Comité Exécutif du 25 – 26 Juin 2018


Les sociétés transnationales (STN) opèrent dans un vide juridique et juridictionnel en raison de leur portée mondiale. Il y a toujours des abus et des violations des droits de l’homme dans le monde entier qui engagent directement ou indirectement la responsabilité des entreprises. Le modèle commercial actuel, dont la majorité est liée aux chaînes d’approvisionnement mondiales, sur des marchés hautement compétitifs et à faible coût, signifie que les emplois créés par les STN sont souvent en deçà des normes de travail décentes. Ni les normes volontaires ni les obligations des États en vertu du droit international n’assurent la protection des travailleurs et des victimes. Il est donc urgent de prévenir les violations des droits humains et syndicaux et d’améliorer l’accès à la justice, aux recours et aux réparations pour les victimes.

En juin 2014, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a adopté la résolution 26/9 et créé un groupe de travail intergouvernemental à composition non limitée sur les sociétés transnationales et autres entreprises (IGWG) afin d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le droit international des droits de l’homme, les activités des STN et autres entreprises.

Le mouvement syndical mondial, qui cherche depuis longtemps à réglementer le commerce international, s’est félicité de cette résolution. Depuis lors, la Confédération syndicale internationale (CSI) et certaines Fédérations syndicales internationales (FSI) ont participé aux trois premières réunions du IGWG et se sont activement engagées dans le processus d’élaboration d’un traité significatif sur les entreprises et les droits de l’homme (Traité contraignant).

Les gouvernements doivent continuer à la ratification universelle des conventions fondamentales de l’OIT (y compris celles sur la santé et la sécurité au travail) et soutenir la capacité normative de l’OIT, sur la base de sa composition tripartite. De nouvelles conventions et de nouveaux instruments sont nécessaires pour faire face à l’évolution de la nature transnationale de l’économie et à son impact sur les travailleurs, leurs droits et leurs conditions de travail. Le Traité contraignant doit supporter le rôle unique de l’OIT dans l’élaboration et le système de contrôle   de normes internationales du travail.

Le mouvement syndical mondial a souligné que toute procédure d’élaboration d’un traité contraignant ne doit pas servir de prétexte aux gouvernements ou aux entreprises pour ne pas appliquer les Principes directeurs des Nations Unies sur les entreprises et les droits de l’homme, en réponse aux demandes de la société civile et des syndicats. Vu que les Principes sont soutenus universellement, ils restent un instrument promotionnel important et valide.

I. Ce que nous souhaitons

La CES soutient un traité contraignant fort qui peut effectivement ouvrir la voie au plein respect de l’État de droit dans les activités transnationales des acteurs financiers et économiques et réaffirme la priorité du respect des droits de l’homme et de l’intérêt général sur les règles qui protègent les intérêts des entreprises privées. Cela implique l’élimination de l’asymétrie normative causée par les dispositions relatives au règlement des différends entre investisseurs et États et les tribunaux d’arbitrage, ainsi qu’une nouvelle approche réglementaire plus stricte des obligations des STN d’une manière qui renforce le devoir des États de protéger les droits de l’homme.

L’Union européenne a un rôle important à jouer dans les négociations à venir sur la justice mondiale, en particulier à une époque d’isolationnisme croissant. Alors que l’UE propose d’entamer des négociations sur un cadre international pour les droits des investisseurs (la Cour multilatérale d’investissement), nous croyons fermement que le renforcement et le respect des droits humains des victimes d’abus des entreprises dans le contexte de l’investissement devraient être prioritaires.

Nous demandons instamment à l’UE et à ses États membres de saisir cette occasion historique de soutenir le traité des Nations unies et de montrer que l’Europe peut être un champion du multilatéralisme et des droits de l’homme et établir des règles pour les entreprises mondiales, contribuant ainsi à un progrès économique, social et démocratique juste et durable.

Nous examinons actuellement les éléments juridiquement et politiquement viables d’un traité contraignant. Jusqu’à présent, les éléments suivants ont été identifiés comme des normes minimales pour que la CES soutienne un tel traité :

A. Portée

Un traité contraignant devrait inclure tous les droits de l’homme internationalement reconnus, y compris les droits des travailleurs et des syndicats, tels que définis par les normes internationales du travail, y compris le droit de grève et le droit de mener des actions syndicales transfrontalières. Toutes les entreprises commerciales, quels que soient leur taille, leur secteur, leur contexte opérationnel, leur propriété et leur structure, devraient être couvertes afin d’éviter les lacunes en matière de responsabilité, ainsi que toutes les formes de relations de travail. Le respect des droits fondamentaux d’organisation et de négociation collective devrait être promu par le Traité, parce que les organisations indépendantes et représentatives des travailleurs, le dialogue social et la négociation collective sont le meilleur moyen de protéger et de faire respecter les droits des travailleurs.

B. Devoir extraterritorial de protection

Le Traité contraignant devrait prévoir une réglementation extraterritoriale fondée sur la société mère et l’accès à la justice pour les victimes de violations des droits de l’homme commises par des sociétés transnationales dans l’État d’origine des sociétés transnationales.

Cette obligation repose largement sur le principe selon lequel les États doivent prendre toutes les mesures qu’ils peuvent raisonnablement prendre, conformément au droit international, pour empêcher les acteurs privés de mener des activités qui ont des effets néfastes sur les droits de l’homme.

L’UNGP (Principe directeur de l’ONU) 25 le prévoit : « Au titre de leur obligation de protéger contre les atteintes aux droits de l’homme commises par des entreprises, les États doivent prendre des mesures appropriées pour assurer, par le biais de moyens judiciaires, administratifs, législatifs ou autres, que lorsque de telles atteintes se produisent sur leur territoire et/ou sous leur juridiction, les parties touchées ont accès à un recours effectif. »

Cependant, le Comité des droits économiques, sociaux et culturels de l’ONU va au-delà de cette disposition et affirme que les États parties devraient « prendre des mesures pour prévenir les violations des droits de l’homme à l’étranger par des sociétés dont le siège principal relève de leur juridiction ». En vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, le Comité des droits de l’homme l’a noté en 2012 : « L’État partie est encouragé à énoncer clairement l’attente que toutes les entreprises domiciliées sur son territoire et/ou relevant de sa juridiction respectent les normes relatives aux droits de l’homme conformément au Pacte dans le cadre de leurs activités. Il est également encouragé à prendre des mesures appropriées pour renforcer les recours prévus pour protéger les personnes qui ont été victimes d’activités de ces entreprises opérant à l’étranger. »

L’adoption des Principes de Maastricht sur les obligations extraterritoriales des États dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels est un autre exemple de cette évolution. Il s’agit d’un domaine où les UNGP sont en retard sur l’état actuel du droit international. Le Traité contraignant offre l’occasion de clarifier le devoir extraterritorial de protection.

C. Garantir l’accès à des recours juridiques efficaces pour les victimes de violations des droits de l’homme

Outre les dispositions juridiques qui mettent les sociétés mères à l’abri de l’obligation d’assumer leurs responsabilités, la possibilité pour les victimes de demander réparation est également affectée par le fait que les STN commettent souvent des violations dans des pays où les systèmes juridiques sont faibles et où l’indépendance du pouvoir judiciaire est mise en doute. Les États doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir, par des moyens judiciaires, administratifs, législatifs ou autres moyens appropriés, que les victimes de violations des droits de l’homme aient accès à un recours judiciaire effectif

  • lorsque ces violations des droits de l’homme se produisent sur leur territoire et/ou sous leur juridiction ;
  • et lorsque ces violations des droits de l’homme se produisent en dehors de leur territoire et/ou de leur juridiction, mais que ces violations sont commises par une entité qui a son centre d’activité dans l’État concerné ou qui entretient une relation d’affaires avec une telle entité.

D. Obligation de diligence

Les STN opèrent souvent en tant qu’entités économiques composées d’entités juridiques distinctes ou en tant qu’acteurs au sein d’un réseau d’autres sociétés qui sont leurs partenaires commerciaux et sur lesquelles elles exercent des degrés d’influence variables. Le Traité contraignant peut aider à clarifier le devoir de l’État de protéger les droits de l’homme par rapport à l’écart de responsabilité qui peut résulter de l’organisation des STN. Le Traité contraignant devrait donc obliger les États à adopter des mesures réglementaires qui obligent les entreprises à adopter et à appliquer les politiques et procédures de diligence raisonnable en matière de droits de l’homme énoncées dans les programmes de l’UNGP. Le non-respect de ces exigences devrait entraîner une responsabilité civile, pénale ou administrative. Nous soulignons également l’importance de la transparence dans les activités des STN, en particulier la divulgation des sites de la chaîne d’approvisionnement et le partage public d’informations sur les conditions de travail de la chaîne d’approvisionnement.

E. Obligations des STN

Le Traité contraignant devrait s’appuyer sur le Pilier II des UNGP pour confirmer l’applicabilité des obligations en matière de droits de l’homme aux opérations des entreprises. Les STN devraient avoir l’obligation de respecter les droits de l’homme. Cela signifie qu’il devrait leur être interdit de porter atteinte aux droits de l’homme d’autrui et qu’elles devraient s’attaquer aux effets négatifs sur les droits de l’homme auxquels elles sont confrontées.

F. Mécanisme international de surveillance

Le Traité contraignant devrait également prévoir la création d’un organe conventionnel chargé de contrôler régulièrement l’application de l’instrument et d’aider les États à s’acquitter de leurs obligations au niveau national. En outre, cet organe devrait être habilité à recevoir et à examiner les communications contenant des informations sur les violations graves des droits de l’homme causées ou auxquelles les entreprises commerciales ont contribué et, lorsqu’un problème particulièrement grave, généralisé ou systématique semble évident, il peut établir une enquête avec établissement des faits dans le pays et des rapports assortis de recommandations.

Les victimes de violations des droits de l’homme ainsi que les défenseurs des droits de l’homme et les organisations qui les représentent, y compris les syndicats et les organisations de la société civile, devraient avoir accès à ces mécanismes et utiliser ces conclusions lorsqu’ils saisissent la justice. La mise en place de tels mécanismes s’inscrit déjà dans la pratique des traités des Nations Unies et des traités régionaux relatifs aux droits de l’homme. Ce mécanisme doit fonctionner de manière à renforcer le rôle irremplaçable des mécanismes de contrôle de l’OIT. L’organe conventionnel devrait aussi collaborer avec les mécanismes de contrôle de l’OIT et de ses experts lors il s’agit de plaintes concernant les normes du travail.

II. Prochaines étapes

La CES demande instamment à l’UE de s’engager pleinement dans le groupe de travail des Nations Unies sur un instrument contraignant. L’UE devrait adopter une position favorable sur cette proposition de traité et participer activement aux travaux du groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer un ambitieux traité international contraignant sur les entreprises et les droits de l’homme, approuvant ainsi la position du Parlement européen.

L’UE devrait aussi s’abstenir de demander un nouveau mandat. Tout épreuve de réouvrir le processus risque de l’affaiblir ou de le détruire. Plutôt, l’UE devrait s’engager avec le groupe de travail sous le mandat actuel qui date de 2014. Le processus du traité est engagé depuis quatre ans, il est temps de faire des propositions concrètes sur comment le Traité pourrait marcher et s’engager avec les syndicats et d’autres acteurs de la société civile sur comment le développer.

Nous demandons également à tous les membres de la CES de se joindre au processus de développement de cet instrument et de faire pression sur les gouvernements pour soutenir un traité contraignant au Conseil européen et convaincre les États membres encore hésitants, afin que toutes les institutions européennes soutiennent ce processus de négociation.