Position de la CES sur le financement et la gestion des politiques climatiques

Bruxelles, 01-02/06/2010

1. Contexte

En octobre 2009, la CES a adopté une résolution sur « le changement climatique, les nouvelles politiques industrielles et les sorties de crise » contenant des recommandations politiques fortes et ambitieuses. Elle a appelé l'Union européenne à considérer les travailleurs et leurs représentants comme des acteurs incontournables avec lesquels elle se doit de dialoguer et de négocier la transition vers une économie bas carbone porteuse d'emplois durables et de progrès social.

Le 4 février 2010, suite aux négociations de Copenhague, le Comité de direction de la CES a une fois encore appelé l'Union européenne à s'engager à mettre en œuvre une politique concertée de « croissance verte contribuant au maintien et à la création d'emplois de qualité et au progrès social, au travers de toute l'économie ».

La présente position vise à développer les recommandations politiques de la CES formulées au sein de la résolution adoptée en octobre 2009 (ainsi que de celles qui l'ont précédées), et plus particulièrement à examiner les instruments qui devront être utilisés pour le financement et la gestion des politiques climatiques si nous voulons atteindre les objectifs fixés.

Elle doit permettre à la CES de réagir avec autant de précision et de pertinence que possible à la communication que la Commission européenne va publier prochainement sur les futures politiques climatiques à élaborer par l'Union européenne.

Cette position a été préparée par le groupe de travail de la CES sur le développement durable lors de sa réunion du 7 mai, laquelle a fait suite à un séminaire organisé conjointement en mars 2010 par l'Institut syndical européen (ETUI) et la CES.

2. Développements en matière de politiques climatiques

Bien que la Chine et les États-Unis aient refusé de fixer des objectifs contraignants en matière de réduction des émissions de CO2 à Copenhague, ils investissent massivement dans les technologies « bas carbone », ce que ne fait pas suffisamment l'Europe, laquelle risque par conséquent de perdre rapidement sa place de leader mondial dans ce secteur pourtant décisif sur le plan économique.

En plus d'accentuer la pression sur les autres grands émetteurs de CO2 afin qu'ils acceptent de se fixer des objectifs contraignants en matière de réduction de leurs émissions, l'Europe doit élaborer rapidement une stratégie visant à promouvoir l'innovation dans le domaine des technologies propres sur son territoire, et ce, tout en préservant et en renforçant le modèle social qui fait sa spécificité.
Elle doit investir de toute urgence dans les technologies qui lui garantiront sa sécurité d'approvisionnement en énergie, notamment en améliorant l'efficacité énergétique et en diversifiant ses sources d'énergie.
Cette course à l'innovation technologique ne peut toutefois se faire au détriment des avancées sociales.

Pour atteindre ces objectifs, nous aurons besoin de l'intervention des gouvernements ainsi que d'une gamme d'instruments privés et publics plus efficaces.
Les instruments qui devront être utilisés par les pouvoirs publics, comme l'aide à la R&D, l'aide à la démonstration et au déploiement des technologies, l'aide (prévisible et adaptée) à l'investissement accordée aux industries grandes consommatrices d'énergies, la normalisation, la réglementation, les investissements publics, la diffusion des technologies dans le sud, la bonne gestion des compétences et emplois « verts » résultant de l'éducation en la matière, des programmes de formation (en continu), etc. nécessitent le déblocage de fonds importants, tant aux niveaux européen que territorial ou sectoriel.

- Les instruments financiers sont capitaux

Des instruments financiers européens actuels peuvent être utilisés pour financer ces politiques, mais ils sont actuellement insuffisants : le budget général de l'UE, le plan de relance européen, les fonds structurels du programme de cohésion européen 2007-2013.

Ils doivent être renforcés et mobilisés davantage au bénéfice d'une stratégie de développement de l'Union européenne.

La Banque européenne d'investissement (BEI) est un instrument budgétaire important et indépendant du budget général de l'UE ; elle a publié en 2009 une « déclaration des principes et normes adoptés en matière sociale et environnementale » basée sur les normes fondamentales de l'OIT ; celle-ci est maintenant intégrée à sa stratégie de sélection et de mise en œuvre de projets. Il conviendrait d'utiliser plus intensément cette banque, éventuellement par la mise en place de fonds (nationaux) spéciaux, pour financer les politiques climatiques européennes et pour soutenir les efforts de R&D, non seulement des grandes entreprises, mais également des PME ; la BEI devraitt par ailleurs appliquer plus largement sa stratégie de développement durable en dialoguant avec les syndicats et la société civile et en acceptant que les partenaires sociaux disposent d'une représentation au sein de son conseil d'administration.

La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) offre également des perspectives intéressantes.

Pour relever le défi climatique, l'Union européenne se doit de :

• mobiliser et renforcer les ressources existantes ;

• réformer son système de gouvernance des fonds utilisés pour lutter contre le changement climatique, notamment en faisant du respect des principes sociaux et environnementaux une obligation préalable à l'obtention de financements de projets ;

• utiliser de nouvelles sources de financement innovantes, telles qu'une taxe sur les transactions financières.

- La tarification du carbone est un élément essentiel de la croissance verte

L'un des instruments donnant un signal-prix est la taxe sur le CO2, qui doit être soumise à une série de conditions :

• Des analyses doivent être poursuivies sur les répercussions de l'introduction d'une taxe sur le CO2.

Idéalement, la taxe sur le CO2 doit être introduite au niveau mondial ; sinon, au niveau européen (certains pays peuvent toutefois introduire leur propre taxe en attendant).

• La taxe sur le CO2 doit faire partie d'un ensemble de mesures cohérent et s'inscrire dans une approche globale visant à réduire les émissions tout en poursuivant les objectifs de justice fiscale et sociale. Cela nécessite le démantèlement des mesures contreproductives en la matière (comme par exemple les subventions dommageables sur le plan écologique), le gel du fardeau fiscal pesant sur les ménages et l'intégration de la taxe à un jeu de mesures de redistribution sociale.

La taxe doit poursuivre plusieurs objectifs complémentaires :

- faire avancer la réalisation du paquet « énergie-climat » en améliorant l'efficacité énergétique, en réduisant les émissions de CO2, en faisant augmenter la part des énergies renouvelables et en réduisant notre dépendance vis-à-vis des énergies fossiles ;
- stimuler la recherche et l'innovation ;
- ne pas compromettre la compétitivité de l'économie européenne ;
- contribuer à une transition juste en renforçant la cohésion sociale.

• La décision d'instaurer ou non la taxe sur les émissions de CO2 doit dépendre de sa capacité à changer les comportements et à transférer les investissements dans les biens et services à haute teneur en carbone vers ceux à plus faible teneur en carbone, ainsi que de son efficacité à compenser le coût des émissions de CO2.

• Pour ces raisons, le montant de la taxe doit refléter (au moins partiellement) les coûts externes de pollution résultant de la production de CO2 ; être fixée à un niveau et via un processus (phasé et prévisible) capable de faire changer durablement les comportements et d'influencer structurellement les décisions d'investissement.

• L'instauration de la taxe sur le CO2, quelle qu'elle soit, doit s'inscrire dans une approche écologique visant à créer un signal-prix, et non être conçue selon une logique budgétaire.

• {{Il convient d'élargir la base de la taxe : elle devrait couvrir non seulement le CO2, mais également l'énergie.
}}
Une taxe sur l'énergie et le CO2 pourrait s'appliquer à tous les secteurs d'activité (ménages, transports et entreprises) à l'exception des entreprises qui sont dans le système ETS, pour autant que certaines conditions soient respectées :

Le système ETS devrait faire l'objet d'une révision car dans sa version actuelle,
- On peut craindre qu'il ne contribue pas réellement à la réduction des émissions de CO2, étant donné qu'une part considérable des permis d'émissions sera distribuée gratuitement et que la crise économique va en outre en générer un surplus. Par conséquent, le prix du CO2 au sein du système communautaire d'échange de quotas d'émission (ETS) risque de tomber constamment trop bas, n'incitant alors pas suffisamment à réduire les émissions ;
- il est victime de la spéculation et de la fraude ;
- il génère des incertitudes sur les prix futurs, alors que les entreprises ont besoin de savoir à quoi s'attendre (pour les 30 à 50 années à venir) avant de prendre leurs décisions d'investissements.

Il est donc nécessaire de créer un organe de régulation européen chargé de fixer le prix minimum du carbone, de garantir une certaine stabilité des prix (un point essentiel pour les entreprises devant investir), d'éviter la spéculation financière, de garantir la transparence du processus ainsi que la traçabilité sociale et environnementale des échanges, etc.

Il est nécessaire de proposer des alternatives durables, comme des transports publics efficaces et réguliers, des logements basse consommation, etc., et ce, à des prix accessibles.

Il est nécessaire de prendre des mesures de compensation ciblées, secteur par secteur, par exemple des aides destinées à permettre aux ménages en difficulté de rénover leur habitation, des aides aux secteurs non couverts par le système ETS menacés par la concurrence internationale suite à l'instauration de la taxe, etc.

Les critères sociaux et environnementaux doivent être intégrés aux processus de décisions de tous les pouvoirs publics (définition du benchmarking au sein du système ETS, investissements publics, aides publiques aux investissements privés, etc.).

Les recettes de la taxe doivent être appliquées intégralement et de manière transparente à des mesures d'investissement interne visant à réduire les émissions, à l'aide aux pays en développement en matière de climat et au financement des mesures de compensation pour les ménages à faibles revenus.

• Le débat sur les recettes générées par l'éventuelle taxe sur le CO2 doit être mené en parallèle avec celui sur les revenus résultant de la mise aux enchères des quotas d'émission de CO2.

• Il est essentiel de rendre cette taxe visible, acceptable et compréhensible pour les ménages et les entreprises.
{
- La bonne gestion des compétences et emplois verts est également un élément essentiel pour atteindre l'objectif de croissance verte}

Les compétences et emplois verts ne pourront être gérés correctement que dans le cadre d'un programme de transition juste, qui nécessite un dialogue social à tous les niveaux : européen, sectoriel, national, régional, etc.

Tous les secteurs d'activité sont concernés : industrie, construction, transports, services.

Si l'on veut procéder à une transition juste, les priorités sont les suivantes pour tous les secteurs clé : représentation des partenaires sociaux, questions d'offre et de demande, financement des investissements dans les technologies bas carbone, compétences et stratégies de formation adéquates.

Tous les secteurs doivent contribuer à la réduction des émissions et requièrent des initiatives et conseils incluant les partenaires sociaux pour la gestion de la transition vers une économie « bas carbone ».

La FEM, par exemple, a exprimé le besoin de créer un conseil sectoriel automobile européen pour gérer la transition.
Il conviendrait ainsi :

- de résoudre le problème de surcapacité du secteur ;
- d'adopter un approche globale de la mobilité au lieu de se limiter à des mesures concernant les «voitures écologiques» ;
- de soutenir de manière cohérente les nouvelles technologies en mettant l'accent sur la formation (le secteur manque actuellement de spécialistes capables de former le personnel à la production de véhicules électriques) ;
- d'adopter une politique industrielle européenne, en raison des effets négatifs éventuels de l'approche purement nationale actuellement utilisée.

L'initiative phare « De nouvelles compétences pour de nouveaux emplois » de la stratégie Europe 2020 n'accorde pas suffisamment de place à la nécessité de créer des emplois de qualité ni à celle de fournir aux travailleurs de nouvelles compétences via des programmes d'éducation, de formation et de formation continue adaptés, bien conçus et dispensés au bon moment.

Ceci ne pourra se faire correctement que via le dialogue social et avec l'aide de tels conseils - actifs à tous les niveaux, y compris au niveau intersectoriel européen- qui pourront mieux anticiper et gérer la transition vers une économie bas carbone.

La future communication de la Commission sur les politiques climatiques se doit de prendre pleinement en considération ces aspects et besoins sociaux.