Position de la CES sur l'Acte pour le marché unique II

Bruxelles, 05-06/12/2013

{{Introduction
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Pour marquer le 20e anniversaire du marché unique, la Commission européenne a lancé en octobre 2012 l’Acte pour le marché unique (AMU)[[COM(2012) 573 final]] II faisant suite au premier AMU présenté en avril 2011. L’AMU II est axé sur une deuxième série de 12 leviers pour stimuler la croissance et développer le marché unique dans quatre domaines : 1) créer des réseaux pleinement intégrés dans le marché unique ; 2) favoriser la mobilité transfrontalière des citoyens et des entreprises ; 3) soutenir l’économie numérique dans l’ensemble de l’Europe ; et 4) renforcer l’entrepreneuriat social, la cohésion et la confiance des consommateurs.

{{Position de la CES
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La CES déplore que la stratégie de la Commission pour le marché intérieur continue à être basée sur davantage de libéralisation et de privatisation et semble ignorer l’importance des services publics. Le nouvel AMU ne contient aucune proposition pour renforcer la dimension sociale. La CES a toujours soutenu que le marché unique européen doit être au service des travailleurs et des citoyens en garantissant les droits et la protection sociale des travailleurs. Le marché unique n’est pas une fin en soi mais un outil pour réaliser un progrès social.

Le marché unique ne sera jamais achevé si la dimension sociale n’est pas prise au sérieux. Le marché unique doit être le reflet d’une économie sociale de marché visant le plein emploi et le progrès social, un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement et la promotion de la justice et de la protection sociales comme défini dans le Traité.

{Un Protocole de progrès social
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Dans l’AMU I, la Commission s’était engagée à clarifier l’exercice de la liberté d’établissement et la libre prestation des services parallèlement aux droits sociaux fondamentaux, ce qui a débouché sur la proposition de règlement Monti II. Bien que la CES ait salué le retrait de la proposition, les problèmes engendrés par les jugements de la Cour de justice européenne (CJE) demeurent. La Commission doit dès lors respecter son engagement en indiquant sans ambiguïté que toutes les dispositions du Traité en matière de libre circulation doivent être interprétées de telle manière à ce que les droits sociaux fondamentaux soient respectés. La CES estime que la seule solution est de joindre un Protocole de progrès social aux Traités garantissant que les droits sociaux fondamentaux prévaudront sur les libertés économiques.

{Créer des réseaux pleinement intégrés
}
Le financement des services publics doit être envisagé en tant qu’investissement pour assurer l’avenir des économies sociales de marché européennes. Créer des réseaux pleinement intégrés pour le transport ferroviaire, maritime et aérien et pour l’énergie tout en ne poursuivant que l’application vigoureuse des règles de concurrence ne garantira pas la qualité des services et l’accès universel à ceux-ci.

La CES s’est déjà clairement exprimée sur le fait que le développement d’un marché intérieur du transport demande une stratégie qui tienne compte non seulement des défis économiques et environnementaux mais également des défis sociaux[[Résolution de la CES sur le Livre blanc de la Commission européenne sur les transports adoptée les 19 et 20 octobre 2011]]. La Commission doit imposer à tous les opérateurs du marché européen des transports des règles basées sur la sécurité, la qualité, l’accessibilité et le respect des conditions de travail et de l’environnement. Il faut pour cela renoncer à l’approche idéologique actuelle selon laquelle la libéralisation du secteur des transports est un principe de base alors que l’expérience montre qu’une approche favorisant le marché libre ne mène pas nécessairement au fonctionnement efficace des services publics (voir par exemple l’impact des mesures de libéralisation du secteur énergétique).

La CES insiste dès lors vivement pour que la Commission adopte une approche radicalement différente, tenant compte de la dimension d’intérêt général du secteur des transports, et considère les normes de travail, non comme un obstacle à davantage de libéralisation, mais comme une composante essentielle pour la qualité et la pérennité du secteur. Les marchés libres seuls ne génèrent pas de motivations suffisantes pour garantir l’exécution des obligations de service public.

La CES réitère sa demande de moratoire en matière de libéralisation jusqu’à ce qu’une évaluation sérieuse des libéralisations et des privatisations antérieures ait été faite.

La CES appelle à une politique énergétique européenne effective favorisant un réseau européen intelligent de production et de distribution d’électricité et de gaz afin d’assurer une palette énergétique durable avec une part importante d’énergies renouvelables garantissant la sécurité d’approvisionnement et l’accessibilité aux consommateurs industriels et aux ménages. Cela exige une réévaluation de la stratégie de libéralisation des marchés de l’énergie de la Commission avec un renforcement du rôle des autorités européennes et nationales sur ces marchés au travers d’une Agence européenne pour l’énergie. Une planification nationale et le lancement de nouveaux projets majeurs de production énergétique sont nécessaires pour garantir la fourniture d’électricité à long terme, tout comme sont nécessaires les investissements dans l’efficacité énergétique, l’amélioration des technologies énergétiques et l’anticipation sociale et la gestion des changements industriels qui les accompagnent.

La CES demande également des mesures pour éviter les impacts sociaux négatifs de l’augmentation des prix de l’énergie, la priorité étant de réduire les besoins en énergie par des investissements pour améliorer l’efficacité énergétique des logements sociaux et offrir des alternatives basse énergie aux consommateurs vulnérables. La CES demande instamment à la Commission d’évaluer les conséquences sociales du paquet changement climatique dans le contexte de l’ouverture du marché du gaz et de l’électricité en considérant en particulier l’impact sur les consommateurs vulnérables et les obligations de service public en matière de fourniture électrique. C’est d’autant plus important face à l’augmentation probable de 15 à 20% des prix de l’électricité d’ici à 2020 du fait du paquet changement climatique. L’accès universel aux services d’énergie essentiels doit être assuré pour toutes les personnes vivant en Europe, notamment par le biais de tarifs sociaux et des services publics. Des modalités d’exécution de l’exigence d’accès universel et abordable aux services dans les directives sectorielles existantes de l’UE sont donc requises, comme par exemple des dispositions supplémentaires pour une fourniture minimale et une garantie d’accès à l’énergie pour les pauvres en les protégeant des coupures par la création d’un droit à l’approvisionnement énergétique.

{Favoriser la mobilité
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Un marché du travail européen exige des règles de jeu européennes combinant frontières ouvertes et protection adéquate. Les conditions clés sont des salaires et des conditions égaux pour un travail de même valeur sur un même territoire ; le respect des négociations collectives nationales et des indispensables systèmes de relations industrielles ainsi que des outils dynamiques pour gérer le changement de façon démocratique ; une égalité d’accès aux prestations sociales pour tous les travailleurs ; des instruments et des outils appropriés de contrôle, d’application et d’exécution dans la pratique pour les parties prenantes à tous les niveaux, y compris les partenaires sociaux.

L’UE a besoin d’un engagement strict de la part de ses États membres pour baser les modalités de libre circulation des travailleurs prévues au Traité sur le principe du pays d’accueil (égalité de traitement et non-discrimination des travailleurs et des entreprises à l’endroit où le travail est effectué).

La CES se félicite de l’objectif d’améliorer la mobilité au sein du marché du travail et de rendre EURES plus efficace. Il ne doit toutefois pas se limiter à n’être qu’un simple outil de recrutement, d’adéquation de l’offre d’emploi avec la demande et de placement, et négliger son rôle en tant qu’outil de conseil et d’information pour les travailleurs mobiles et un forum du dialogue social transfrontalier qui est fondamental pour lever les obstacles à la mobilité et empêcher le dumping social et salarial transfrontalier.

La CES reconnaît qu’une solution européenne est nécessaire au problème de la portabilité des droits de sécurité sociale complémentaire qui est un véritable obstacle à la mobilité. Toutefois, une telle solution doit respecter le rôle des partenaires sociaux et les accords de négociation collective. Il est crucial de s’assurer que les droits acquis ne puissent être perdus.

{Accès aux financements
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La Commission prétend que la mobilité transfrontalière des entreprises est entravée par les difficultés à financer les nouveaux projets économiques et par les charges administratives malgré le fait que la Commission ait déjà agi au niveau des actes légaux qu’elle considère contraignants. Les charges administratives ne peuvent en outre pas être traitées sans tenir compte des avantages pour la société.

Pour ce qui concerne la facilitation de l’accès aux fonds d’investissement à long terme, la CES estime que celle-ci doit être conçue de telle façon à ce que le principe clé de neutralité par rapport à la nature publique ou privée de la propriété des projets d’investissement soit strictement respecté. En pratique, cela implique que les fonds d’investissement soient ouverts aux investissements pour les initiatives à 100% publiques. Ceci contribuerait également à contrer la tendance perverse actuelle de réductions des investissements publics provoquées par la stratégie d’austérité.

Bien que l’accès aux financements soit devenu plus difficile, le problème ne concerne pas seulement les investissements à long terme. Une caractéristique importante de la crise en Europe est que de nombreuses entreprises ont un accès limité au crédit et/ou sont écrasées de dettes. Cela signifie que les entreprises tentent de remplacer le crédit par la rétention de bénéfices cumulés. En dérèglementant les systèmes de formation des salaires et en promouvant une flexibilité à la baisse des salaires, les législateurs européens et nationaux permettent actuellement aux entreprises d’augmenter leurs marges de profit au détriment des travailleurs. Cette politique n’encourage ni la compétitivité, ni les investissements. Il s’agit là d’une politique qui, non seulement, crée de nouvelles et plus grandes inégalités mais aussi d’une politique qui menace de miner la demande globale. La Commission doit d’urgence se pencher sur ce problème.

{Gouvernance d’entreprise et règles d’insolvabilité
}
La CES déplore le manque de vision de la Commission pour un modèle durable de gouvernement d’entreprise dans le marché unique. Le droit des sociétés de l’UE accorde trop d’importance aux besoins des entreprises et des actionnaires au détriment des intérêts des travailleurs et des autres parties prenantes. De plus, l’approche au coup par coup actuelle et le manque de vision globale pour une gouvernance européenne mènent à une concurrence de régime entre les États membres et des stratégies économiques à court terme partout en Europe. Le droit des sociétés de l’UE doit s’attacher à promouvoir un modèle d’entreprise cohérent, durable et tourné vers l’avenir comprenant un instrument-cadre européen pour la participation des travailleurs.

La CES est en faveur d’une révision des règles d’insolvabilité de l’UE. La protection des travailleurs contre la menace d’insolvabilité doit être améliorée et leur position en cas d’insolvabilité doit être renforcée. De plus, le « chalandage de régimes » doit être évité afin que les entreprises ne puissent pas rechercher le régime d’insolvabilité nationale le plus défavorable aux intérêts des travailleurs.

{Coordination financière et justice fiscale
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Un marché unique demande une régulation et une surveillance effectives du secteur financier. La Commission doit assurer qu’il contribue à une croissance économique durable et au développement social.

Des mesures doivent être prises au niveau européen pour mettre fin aux paradis fiscaux, prévenir l’évasion et la fraude fiscales et rétablir la justice fiscale entre capital et travail et entre riches et pauvres. Il y a un besoin d’une plus grande coordination de la politique fiscale afin d’éviter la concurrence entre régimes fiscaux qui sape l’état providence, la protection sociale et la stabilité financière des dépenses publiques. L’objectif premier de l’harmonisation de la loi sur l’impôt des sociétés et des taux minimums d’imposition des entreprises devrait être la stabilisation ou l’augmentation des recettes publiques.

La CES réitère également sa demande de taxe sur les transactions financières pour assurer que le secteur financier participe équitablement à la relance économique car une part substantielle des coûts et des conséquences de la crise financière est supportée par l’économie réelle et, en particulier, par les travailleurs et les contribuables.

{Restructurations
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La CES demande une action concrète de la part de la Commission pour établir un cadre juridique solide pour l’anticipation du changement : 1) préparer les travailleurs et leur donner les moyens d’agir est le rôle clé de l’éducation et de la formation ; 2) maintenir et créer des emplois est le rôle clé de la politique industrielle et d’une bonne politique d’investissements publics ; 3) l’information, la consultation et la participation jouent un rôle clé pour donner aux travailleurs la parole et le cadre leur permettant de prendre part aux décisions stratégiques ; 4) la négociation collective devrait jouer un rôle clé au sein d’un cadre juridique européen ; 5) fournir un filet de sécurité est le rôle clé des politiques actives du marché du travail, de la protection sociale et des mesures de soutien[[Résolution de la CES « Anticipation du changement et restructurations : la CES demande à l’UE d’agir », mars 2012]].