La régulation du marché financier

Bruxelles, 20-21 /10/2009

Introduction

Depuis le printemps 2009, la chute de production de l’UE s’est ralentie. Cela ne veut pas dire que la crise soit passée, car l’économie mondiale est toujours au milieu de la crise financière la plus grave de ces 60 dernières années et l’économie réelle de l’Europe doit toujours faire face à la pire récession de cette période. Au moment où les décideurs politiques et les prévisionnistes de l’économie commencent à percevoir les premiers bourgeons d’une relance plus précoce que ce que l’on avait prédit il y a quelques mois encore, l’augmentation sans précédent du chômage a seulement ralenti son allure, mais elle est loin de se stabiliser, et a fortiori d’inverser la tendance. Nous devons nous attendre à une nouvelle détérioration de l’emploi et des conditions du marché de l’emploi et à en croire les dernières prévisions de l’OCDE et du FMI, le rythme de la relance sera vraisemblablement lent durant un certain temps. Un chômage élevé et à la hausse, des revenus du travail stagnants ou à la baisse, combinés à une forte propension à épargner et à des corrections structurelles, tout cela contribuera à une dépression de la demande générale. Les travailleurs et leurs familles paient trois fois la facture d’une crise dont ils ne sont pas responsables : en tant que travailleurs qui doivent faire face au chômage ; en tant que contribuables qui vont devoir payer plus d’impôts pour moins de services publics, et en tant que parents qui bénéficieront d’une moindre qualité d’enseignement et de formation pour leurs enfants.

Le concept d’avant la crise, qui voulait que les profits dans le secteur financier pouvaient croître d’un taux à deux chiffres tandis que la croissance de l’économie générale resterait limitée à un seul chiffre, a montré qu’il était insoutenable. S’il est vrai que les marchés financiers se sont stabilisés, c’est en grande partie grâce aux gigantesques programmes de sauvetage que les gouvernements ont mis en place depuis l’automne dernier. Les pertes du système bancaire ont en réalité été nationalisées, c’est-à-dire « socialisées », tandis que les hauts dirigeants et actionnaires des banques continuent à engranger à fond les bénéfices du casino mondial, sans aucune participation aux coûts de la catastrophe économique auxquels doivent maintenant faire face l’Europe et le reste du monde. Les lobbies du secteur financier paraissent plus forts que jamais à un moment où le bien-être général subit de gigantesques pertes. A la lumière de ceci, les recommandations politiques relativement modérées du Groupe Larosière publiées le 25 février et largement adoptées par la Commission le 27 mai risquent d’affaiblir encore davantage le processus législatif attendu.

La grande leçon de la « vague de fond imprévisible » de la faillite de Lehman Brothers doit être pour les décideurs politiques européens de limiter la taille et le poids des institutions financières de telle sorte qu’elles ne puissent plus devenir « trop grosses pour échouer », nécessitant de nouveaux sauvetages et recapitalisations aux frais des contribuables. Or, c’est précisément ce qui est arrivé ces 12 derniers mois. En second lieu, il y a des leçons historiques que les décideurs politiques doivent tirer de la crise des années 30, et de l’expérience japonaise des années 90 : l’allure du retour aux précédents niveaux de richesse va être relativement lente et cela aussi longtemps que le capitalisme casino restera ouvert et que les dégâts au secteur financier ne seront pas réparés. Un redressement financier et une reprise réelle vont de pair, si l’on veut que – comme l’a montré la politique suédoise des années 90 – le potentiel de croissance soit rétabli aux niveaux d’avant la crise.

D’importants centres financiers font massivement pression pour réduire à un minimum les initiatives de l’UE visant à introduire une régulation, notamment en matière de fonds spéculatifs et de fonds d’investissements privés. Il y a une claire nécessité de faire campagne pour une solide régulation au niveau international et de l’UE. La CES soutient la campagne « Les Européens pour la réforme financière » du organisée par le Forum progressiste mondial. Les promoteurs de la campagne sont le PSE, le groupe S&D, la CSI, UNI, Solidar et la FEPS-FEEP. Les thèmes de la campagne sont: (1) de nouvelles règles pour le système financier, (2) le rétablissement d’une autorité des finances mondiale et ayant des comptes à rendre face au public, (3) un contrôle de la rémunération des hauts dirigeants et des actionnaires et des alaires décents pour les travailleurs (4) une protection des finances publiques, (5) une protection des consommateurs contre les produits financiers toxiques et (6) le retour à la fonction de base des banques. La campagne a été lancée le 21 septembre 2009.

Un premier document de base sur la politique de l’UE en matière de régulation des marchés financiers a été discuté lors de la réunion du Comité Exécutif de la CES du 8 juillet 2009. Cette résolution contient des propositions concrètes et expose les vues politiques de la CES sur les mesures de régulation nécessaires qui doivent empêcher la survenance de crises financières et elle présente aussi les récentes propositions législatives de la Commission en la matière. Elle implique une coopération avec les organisations membres de la CES, avec UNI Europa, la CSI et le TUAC, ainsi qu’un suivi du débat sur la régulation des marchés financiers au niveau du G20.

{{{II. Combattre la crise – Des politiques pour un système financier durable
}}}

Pour la CES, la disposition de moyens financiers est un bien public mondial et présente de nombreux traits d’un service d’intérêt général. Un nouveau modèle de croissance, qui soit durable, doit réassigner un rôle proportionnel à la finance dans la société et l’économie. Une gouvernance financière responsable nécessite une gouvernance et une inversion du « coup d’Etat en douceur » (pour reprendre l’expression de Simon Johnson, ancien économiste en chef du FMI) par lequel le monde de la finance a accumulé trop de pouvoir économique et politique. Les syndicats attendent des gouvernements qu’ils rendent des comptes aux travailleurs et à leurs familles en apportant des solutions à la crise. Ils doivent récupérer leur rôle confisqué par les réseaux élitistes des institutions financières, qui fixent leurs propres références, et par les bureaucraties d’Etats qui, durant ces 20 dernières années, sont parvenues avec succès à imposer leur agenda néolibéral de dérégulation et de privatisation.

Une action urgente est nécessaire au niveau de l’UE et aussi au plan international plus large du G20 pour s’assurer que l’architecture nationale, européenne et mondiale de régulation prévoie un système bancaire qui offre à l’économie réelle un financement stable et efficace en termes de coûts, permettant la croissance, stabilisant la volatilité macro-économique, et allouant un financement aux objectifs d’utilité sociale. Une solide régulation des marchés financiers doit par conséquent couvrir les aspects suivants :

- pouvoirs suffisants de mise en œuvre pour les autorités de contrôle ;
- régulation des fonds spéculatifs et des groupements de fonds d’investissements privés ;
- régulation des agences de notation ;
- abolition des paradis fiscaux et de blanchiment d’argent sale ;
- taxation des transactions financières, au moins au plan européen ;
- exigences et normes suffisantes de réserves de capitaux ;
- plans de rémunération et de bonus reflétant les performances à long terme et durables ;
- protection des familles de travailleurs contre les prêts usuraires et la vente abusive de produits financiers à risques ;
- encouragement de la diversité du secteur des services financiers par une séparation fonctionnelle des institutions et
- démocratisation de la finance par des normes élevées de dialogue social et implication des syndicats à tous les niveaux.

Cependant, la re-régulation de la finance ne suffira pas à restaurer la justice sociale. Ceux qui sont responsables de la crise par un comportement collectif irresponsable auront à supporter une bonne part du fardeau à charge de nos sociétés dans les années à venir. La CES demande l’application du principe du « pollueur-payeur » aux marchés financiers par la voie de la Taxe sur les Transactions Financières (TTF) au niveau de l’UE et au-delà.

Une taxe soigneusement conçue sur les transactions financières, avec un faible taux marginal, rendrait celles-ci plus coûteuses et amortirait par conséquent les transactions tout en contribuant à une stabilisation des prix des actions, des matières premières et des taux de change. Les opérations spéculatives seraient le plus frappés, les investisseurs à court terme ayant à payer des taxes plus élevées en raison de leur plus grande fréquence de transactions, sans pénaliser des transactions qui se rapportent à l’économie réelle. En même temps, on engendrerait des rentrées fiscales significatives pouvant être utilisées pour soutenir la politique sociale au niveau européen dans le sillage de la crise.

Une taxation des transactions financières dans les pays européens individuels n’a rien de nouveau (par exemple le « droit de timbre » au Royaume-Uni) et il n’y a pas non plus d’harmonisation de la fiscalité au niveau européen: la taxe sur la valeur ajoutée ou les taxes sur l’épargne sont des exemples de régulations effectivement introduites au plan européen. Une taxe européenne sur les transactions financières serait applicable à tous les opérateurs et non pas aux pays, et, à ce titre, elle serait indépendante du lieu des grands centres financiers.

Le Sommet du G20 de Pittsburgh a chargé le FMI de préparer pour le prochain Sommet un rapport sur les instruments qui doivent faire de l’industrie financière « une contribution équitable et substantielle en vue de payer le coût des charges liées à l’intervention des gouvernements dans le sauvetage du système bancaire. » (traduction libre - paragraphe 16 de la Déclaration des Dirigeants du G20), que les gouvernements qui le préconisent considèrent comme un pas important vers une TTF mondiale. Nonobstant le débat à l’échelle mondiale, l’Union européenne, en tant qu’entité économique importante, est pour sa part parfaitement en mesure d’introduire une telle taxe.

La libéralisation des marchés financiers et les technologies modernes de la communication ont grandement facilité les possibilités tant pour les particuliers que pour les sociétés, en ce compris ceux du secteur financier, d’aller “off-shore” pour échapper aux taxes légalement dues. Ceci, combiné à l’absence de transparence et de coopération concrète entre administrations fiscales, a facilité davantage la non-conformité offshore. La CES est fermement opposée aux paradis fiscaux et autres formes de compétition fiscale. Une bonne gouvernance en matière de taxation doit être la règle.

La CES reprend totalement à son compte la stratégie en cinq points de la fédération mondiale des syndicats (GUF) pour traiter la crise, et, plus avant, construire une économie mondiale plus équitable et plus durable pour les générations à venir. La stratégie a été proposée au G20 et elle demande aux décideurs politiques de :

- mettre en œuvre un plan international coordonné de relance et de croissance durable ;
- procéder aux investissements dans l’économie verte qui sont susceptibles de conduire l’économie mondiale sur la voie de la croissance pauvre en carbone ;
- fixer de nouvelles règles pour contrôler les finances mondiales ;
- mettre en place une gouvernance économique mondiale qui soit effective et qui rende des comptes ;
- faire de l’économie mondiale un lieu de travail et de vie plus équitable.

(Déclaration Global Union{ au Sommet du G20 de Londres)
}
Depuis le commencement des Sommets du G20 en novembre 2008, des étapes considérables ont été franchies à ce niveau dans la création d’un système de gouvernance économique mondiale efficace. Néanmoins, comme les dirigeants mondiaux l’ont souligné eux-mêmes à Pittsburgh, il y a encore beaucoup plus à faire pour protéger les emplois, les consommateurs, les épargnants et les investisseurs dans l’économie réelle contre les pratiques abusives des marchés de la finance et contribuer à faire en sorte que le monde ne doive pas faire face à une crise de l’ampleur de celle que nous avons connue.

Si la gestion immédiate de la crise, en coordination internationale entre gouvernements, a effectivement été une réussite en permettant d’éviter le pire, on ne peut en dire autant de la détermination des gouvernements à s’attaquer aux défauts structurels qui ont conduit à la crise. Bon nombre de politiciens européens observent les origines de la crise comme si ses causes avaient touché l’Europe en arrivant d’une planète distante ou comme un désastre naturel imprévisible. Or, parmi les causes premières de la crise, il faut voir les déséquilibres macroéconomiques globaux et intra-européens, avec les flux de capitaux qui se sont ensuivis, les glissements massifs de la répartition des revenus à l’intérieur de et entre les différents pays durant les deux dernières décennies, l’effet de levier de l’économie mondiale par un grand nombre d’institutions non-bancaires à la périphérie de la régulation prudentielle et l’explosion des marchés de crédits dérivés, ainsi que l’arbitrage régulateur.

C’est pourquoi la CES insiste sur la nécessité de mettre rapidement en œuvre les engagements pris lors des Sommets du G20 depuis l’année dernière sur un certain nombre de points clés, en ce comprise la régulation des fonds spéculatifs, des entreprises de fonds d’investissement privés et autres fonds de capitaux privés, produits dérivés et titrisés. Le scandale des bonus de plusieurs millions que se sont accordé les banquiers et les traders et qui a éclaté durant l’été de 2009 illustre bien la nécessité d’une action urgente qui aille bien au-delà des engagements pris à Pittsburgh.

La CES attend des gouvernements qu’ils mettent en place des normes d’un haut niveau qualitatif qui garantissent un champ d’action de niveau mondial pour un nouveau système financier et qui éliminent l’arbitrage régulateur. Le credo néolibéral de l’efficience des marchés financiers ne peut plus prévaloir. L’Europe doit aller de l’avant dans la coordination d’une réforme qui soit effective au plan international et dans la reconstruction de la prospérité pour tous par des stratégies économiques, sociales et environnementales cohérentes qui mettent la personne au premier plan.

III. Re-réguler les marchés financiers

{{1. Supervision et contrôle macro- et microprudentiels
}}

Le 23 septembre, la Commission a adopté un ensemble de propositions législatives portant sur la supervision et le contrôle macro- et microprudentiels. Ceci renvoie à la Communication du 27 mai 2009 sur la Supervision Financière dans l’UE (COM 2009, 252 final), qui décrit en détail comment ces recommandations pourraient être mises en œuvre, et qui propose deux piliers de réforme à l’actuelle architecture des comités de services financiers. Une première discussion sur la question a eu lieu à l’ECOFIN et au Conseil Européen de juin, demandant que le nouveau cadre soit totalement mis en place dans le courant de 2010, et une seconde discussion de l’ECOFIN a eu lieu les 1er et 2 octobre. Le paquet contient les règlements suivants:

- Proposition de Règlement relatif à la surveillance macroprudentielle du système financier et instituant un Comité européen du risque systémique (ESRB - CERS), sur lequel on attend d’arriver à un accord politique d’ici la fin de 2009 sous la présidence suédoise;
- Proposition de décision confiant à la Banque centrale européenne des missions spécifiques relatives au fonctionnement du Comité européen du risque systémique;
- Proposition de Règlement instituant une Autorité bancaire européenne (EBA - ABE);
- Proposition de Règlement instituant une Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles (EIOPA - AEAPP);
Proposition de Règlement instituant une Autorité européenne des valeurs mobilières (ESMA - AEVM).

Au cœur de tout cela, il y a la création d’un Comité européen du risque systémique (ESRB - CERS) pour la surveillance du risque systémique au niveau macroéconomique, qui ferait rapport au Conseil ECOFIN et au Parlement européen, ainsi que la mise en place d’un Système européen des Superviseurs financiers (ESFS – SESF) pour la supervision des institutions financières au niveau microéconomique (des entreprises), composé à la fois de superviseurs nationaux et de superviseurs européens des banques, des assurances, des pensions professionnelles et des titres. Suivant le plan de la Commission, la supervision d’institutions financières spécifiques devrait rester l’apanage de gardiens nationaux, mais trois nouvelles autorités de l’UE seront mises en place pour mieux coordonner la supervision tant des banques et compagnies d’assurances nationales que de la quarantaine d’entre elles qui opèrent au niveau transfrontalier et qui détiennent à elles seules 70% des dépôts dans l’UE. Les trois autorités seront une Autorité bancaire européenne, une Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles, et une Autorité européenne des marchés financiers, remplaçant et renommant les comités existants de l’UE (mais pas les autorités nationales) qui supervisent les banques, les assurances et les marchés financiers de l’UE (ABE, AEAPP et CERS).

Le CERS et le SESF devraient coopérer étroitement et interagir en échangeant des informations entre le niveau micro et l’analyse macro. Leurs principales fonctions devraient être:

- de développer un ensemble unique de règles harmonisées,
- d’améliorer la supervision des institutions transfrontalières,
- d’aider à résoudre les conflits entre superviseurs nationaux,
- de disposer de pleins pouvoirs de contrôle sur certaines entités telles que les agences de notation de crédit et les systèmes de clearing paneuropéens,
- de rassembler des informations microprudentielles pertinentes auprès - des autorités nationales et
d’améliorer la coordination en période de crise.

La CES salue positivement la disposition de l’article 22 des trois règlements concernant le SESF de mettre en place des groupes des différentes parties prenantes pour l’ABE, l’AEAPP et l’AEVM. Les représentants des travailleurs sont expressément mentionnés pour y participer, à côté des consommateurs et autres groupes de milieux intéressés. Les groupes de parties prenantes auront des droits consultatifs sur les questions qui se rapportent aux normes techniques dans le droit communautaire (art. 7) et aux orientations et recommandations aux autorités nationales de supervision des institutions financières (art. 8). Ces dispositions légales représentent une étape positive par rapport à la Communication du mois de mai et constituent un progrès vers plus de transparence dans une communauté de superviseurs qui était précédemment marquée par son hermétisme.

Cependant, il faut faire davantage pour réaliser une réelle participation des travailleurs dans des domaines systématiquement importants de la finance. Le rôle central des travailleurs du secteur de la finance dans la réforme de ce secteur devrait être davantage pris en compte. La CES soutient la proposition de UNI Europa Finance que l’approche du haut vers le bas soit complétée par une approche du bas vers le haut qui mette le facteur « travailleurs » en équation avec la régulation financière, la supervision et la gestion du risque. Supervision et contrôle ne doivent pas être laissés aux seuls réseaux élitistes des institutions financières, aux « experts » en économie et aux bureaucraties d’Etats qui se fixent eux-mêmes leurs propres références. Il faut que l’on implique les groupes affectés qui supportent les risques économiques et sociaux de la crise, alors qu’ils n’y sont pour rien : les syndicats et autres organisations de la société civile, en particulier les organisations de femmes. La CES demande de pouvoir siéger au Comité Européen du Risque Systémique.

La proposition de la Commission présente différentes autres faiblesses importantes. Les autorités du SESF seraient basées à trois différents endroits : Londres, paris et Francfort. En excluant l’idée ambitieuse de ne mettre en place qu’un seul superviseur européen avec des pouvoirs contraignants, le paysage de la supervision européenne resterait fragmenté parmi les Etats membres et dans l’Union, et présenterait des fonctions transversales. De plus, comme l’a montré l’expérience – par exemple avec les succursales étrangères de HRE en Irlande – les autorités nationales n’ont pas la capacité de prévoir et de traiter une situation de crise financière transnationale de façon efficace et coordonnée. Ainsi, en cas de litige entre agences nationales, les trois agences du SESF auraient le pouvoir d’imposer des accords contraignants, mais cela ne s’appliquerait pas aux litiges qui pourraient avoir des conséquences fiscales. Cette dilution est le résultat de l’opposition du Royaume-Uni et elle a un impact sérieux sur la solution de crises et sur les pouvoirs de coordination de ces institutions.

Alors que le CERS n’a pas de pouvoir légalement contraignant, la Commission attend de lui qu’il exerce une influence par la qualité de ses analyses et par la vertu de ses membres investis de pouvoirs importants. La CES préférerait un pouvoir clair d’implémentation pour le CERS, face à l’échec du modèle d’autorégulation de la finance.

La CES est fermement convaincue que l’Europe ne peut pas se limiter à coordonner les autorités nationales de régulation des marchés financiers. Le cadre réglementaire, ainsi que la portée et la qualité de la régulation, doit être renforcé au niveau européen. L’Europe a besoin d’une Autorité de supervision financière transparente et responsable de ses actes à l’égard du public, sous les auspices de la BCE, avec des pouvoirs exécutifs sur les banques, les compagnies d’assurances et autres institutions financières.

C’est un pas positif dans le bon sens que les nouvelles autorités européennes puissent coordonner et intervenir, cependant, dans l’éventualité probable d’un conflit entre autorités nationales sur le partage de la charge, cela pourrait s’avérer insuffisant. Tel que le nouveau cadre européen de supervision financière est actuellement conçu, tant le CERS que surtout le SESF ne pourront au mieux fonctionner que comme systèmes de préalerte. En attendant la mise en place d’un superviseur unique de l’UE, les autorités européennes de supervision doivent obtenir des pouvoirs de prise de décisions contraignants par rapport aux superviseurs nationaux si ceux-ci manquent à leurs obligations dérivant de la législation européenne.

Dans la situation actuelle, la tâche la plus importante de l’autorité européenne de supervision consisterait à procéder à des tests de mise à l’épreuve par une inspection généralisée et non-discriminatoire de la comptabilité des banques, assurances et autres institutions financières. Cela permettrait de poursuivre l'objectif de restructurer le secteur financier afin de le remettre sur une base saine. Dans le Rapport sur la Stabilité financière du FMI d’octobre 2009, les estimations des actifs mondiaux toxiques ont explosé à 3400 milliards de dollars dont 814 milliards de dollars proviennent de la zone euro et 604 des banques britanniques. A titre de comparaison, les banques et compagnies d'assurance en Europe ont jusqu’ici reconnu 463 milliards de dollars en réduction de valeur d’actifs. Plus de la moitié des pertes prévues de banques européennes n'ont toujours pas été reconnues, dont 330 milliards d’Euros vont intervenir d'ici la fin de 2010. De nombreuses banques de l'UE sont de facto insolvables et la plupart d'entre elles doivent procéder à un nettoyage de leurs bilans. La raison pour laquelle les États membres n’ont pas tous entrepris des tests d’épreuve de leurs institutions financières (ou n’ont pas rendu publique une partie de leurs résultats) est simple: la peur de ressusciter une incertitude qui provoque elle-même un autre effondrement de la confiance, et peut-être aussi et surtout la peur de souffrir d'un désavantage concurrentiel vis-à à-vis d'autres pays.

On a pu éviter une insolvabilité flagrante des banques en grande partie par le transfert des actifs toxiques vers des mauvaises banques ou vers des organismes d’Etats, cependant, cela n'a pas abouti aux objectifs souhaités, à savoir que les banques devraient toujours être là pour prêter de l'argent comme elles le devraient. L’octroi de subsides des Etats aux mauvaises banques privées ou publiques pour qu’elles assainissent les actifs toxiques de banques privées, se traduira pour les travailleurs et les contribuables par des coûts élevés de transfert d'argent aux banques en difficulté. Toutes les subventions et les transferts devraient être transparents, or, les mauvaises banques publiques / privées ne le sont précisément pas. En dépit des réserves énormes de liquidités pour les banques, les conditions de crédit se sont considérablement dégradées, en particulier pour les PME, et dans certains Etats membres, l'industrie a émis des avertissements sérieux contre une compression possible du crédit. A ce stade, et comme le cas du Japon dans les années 1990 l'a montré, les crises financières et économiques risquent de s’alimenter mutuellement plongeant l'économie dans une récession à double creux. La résolution de la crise bancaire est donc devenue une condition préalable urgente pour sortir l'économie de la récession. Au lieu de compter, comme ils le font, sur une approche volontaire, les gouvernements de l’ensemble de l'UE devraient forcer les banques qui ont bénéficié de leur assistance à coopérer en ouvrant leur comptabilité, et devraient acquérir des titres des banques comme moyen de financer la restructuration par un endettement pour échange de titres, ce qui placerait en fait les banques menacées d’insolvabilité sous tutelle gouvernementale, et qui reviendrait, comme diraient d’aucuns, à les nationaliser. Ici aussi, la CES estime qu’il vaudrait mieux s’entendre sur ces principes au niveau de l'Union européenne plutôt qu'au niveau national.

Dans ce contexte, il est important de noter qu'il n'y a ni une définition commune de ce que sont les institutions financières d'importance systémique, ni des plans d'un régime réglementaire spécifique pour elles dans l'UE. La CES demande à l'UE de rédiger un projet de règlement relatif à un système cohérent et crédible de répartition de la charge, en particulier grâce à un fonds de garantie et de réassurance des dépôts bancaires au niveau de l'UE, qui devrait être financé par, et être obligatoire pour toutes les institutions financières transfrontalières et aurait pour objectif d’intervenir en cas de sauvetage d'urgence.

Les banques commerciales et d’investissements doivent être clairement séparées et la taille des institutions financières doit être limitée par l'utilisation de la législation anti-trust ou de la législation en matière de concurrence. Une réforme du secteur financier dans le domaine des institutions financières d'importance systémique ne doit pas être limitée aux banques, mais doit inclure toute institution, y compris les fonds spéculatifs et de sociétés financières non bancaires (comme les filiales de crédit d’entreprises industrielles), comme étant systémiquement importante, afin de ne pas laisser subsister des brèches dans un régime réglementaire strict, qu’il soit on non réglementé différemment. La réforme doit imposer des restrictions réglementaires dans l'ensemble de la structure de l'entreprise, y compris dans les holdings et les filiales. Il est par conséquent primordial de prévoir des qualifications dans le processus législatif à venir que les canaux et véhicules spéciaux d'investissement soient couverts par les règlements, ce qui n’est actuellement pas le cas.

En outre, sur le plan international, la CES attend de la Commission et des États membres qu’ils jouent un rôle de premier plan dans la construction d'une nouvelle architecture financière globale, transparente et responsable, impliquant le CSF, le G 20, le FMI et la Banque mondiale, ainsi que l'OIT. Tant au plan européen qu’international, les partenaires sociaux doivent être étroitement impliqués. Un Comité de Stabilité Financière réformé, plutôt que seulement rebaptisé doit ouvrir le dialogue avec les parties prenantes qui sont directement affectées par le système financier – notamment les travailleurs dans le secteur des finances et les syndicats – qui peuvent apporter une approche « par le bas » à la réforme financière dans la construction d’une nouvelle architecture financière globale, afin de la rendre transparente et garantir qu’une crise de cette ampleur ne puisse plus jamais se reproduire.

2. Régulation des fonds spéculatifs et des fonds d’investissements privés

Le 30 avril 2009, la Commission a adopté la Directive du parlement européen et du conseil sur les gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs (COM 2009 207 final), un ensemble léger de règles pour les fonds spéculatifs et les fonds d’investissements privés, nécessitant une inscription obligatoire et la divulgation de leurs activités auprès des organes de régulation, mais facilitant en même temps leur accès aux marchés européens. Les obligations ne s’appliquent pas aux fonds eux-mêmes, mais seulement à leurs gestionnaires. La proposition présente plusieurs failles importantes et exempte les fonds spéculatifs et les fonds d’investissements d’une régulation stricte. La proposition est beaucoup plus diluée que ce que le Parlement européen avait demandé à une majorité intergroupes dans deux résolutions datant de septembre 2008 et elle exempte les fonds spéculatifs et les fonds d’investissements privés d’une stricte régulation. Comme de nombreux fonds d’investissements alternatifs (« AIF ») ne sont pas domiciliés dans l’Union européenne, afin d’échapper à la portée de la directive, la proposition crée un vide potentiel immédiat.

Un grand problème avec la proposition de directive est qu’elle se concentre sur des problèmes se rapportant à des risques macro-prudentiels et qu’elle ne s’attaque pas aux risques pour l’économie réelle causés par l’activité des fonds d’investissements alternatifs. C’est un sérieux problème : dans le climat économique actuel, les hauts niveaux d’endettement de sociétés privées de gestion de portefeuilles de titres hérités des opérations à endettement très élevé lié à leur acquisition rend ces sociétés particulièrement vulnérables ; selon Standard&Poors, plus de la moitié des dettes de sociétés de l’année en cours impliquait des sociétés à portefeuilles de titres. Il est par conséquent plus que surprenant que la directive ne contienne aucune disposition pour limiter les niveaux d’endettement liés à de futures transactions. A cela s’ajoute que la proposition ne traite pas les questions soulevées plusieurs fois par la CES et ses affiliés sur l’impact des rachats de titres sur les conditions et les niveaux d’emploi des travailleurs des compagnies à portefeuilles. La résolution du Parlement européen recommandait d’étendre les protections de la directive sur les droits acquis aux rachats par transferts de participations, ce qui inclurait les rachats de titres privés. Au lieu de mettre en place des règles efficaces et suffisantes, la Commission tend une main secourable à cette à cette industrie de 2000 milliards d’Euros sous pression. La CES et ses affiliés devront travailler dur pour arracher des améliorations significatives durant cette législature. Le Parlement a nommé Jean-Paul Gauzès rapporteur et un projet de rapport est annoncé pour le 6 Novembre 2009.

Bien que le projet de directive mentionne en effet certains des risques qui sont associés aux AIF, il ne parvient les aborde pas dans leur totalité, notamment en ce qui concerne les fonds spéculatifs (hedge funds, HF) à fort endettement et les fonds composés de fonds (« FoF »). On pourrait argumenter qu’une régulation adéquate des exigences imposées aux banques en matière de capital suffirait à empêcher les prêts excessifs à des fonds spéculatifs par des services de courtage de premier ordre propres aux banques, mais la crise a montré que les limites entre banques, courtage et fonds d’investissements alternatifs était devenue de plus en plus floue. Les institutions financières doivent être fonctionnellement séparées, ce qui nécessite une régulation spécifique des AIF.

La CES insiste sur le fait que la régulation des fonds spéculatifs et des fonds d’investissement (« HF et PE ») doit éviter de créer des vides: elle a besoin de «tout englober" et, en principe, ne doit avoir aucune exemption « minimale ». La CES demande que le seuil de l'AIF couvert par la directive, actuellement de 100 millions € pour les HF et de 500 millions € pour les PE, soit ramené à zéro.

Tant les gestionnaires de fonds que les fonds eux-mêmes doivent être couverts, d’autant plus que les fonds off-shore sont le plus souvent utilisés pour des raisons fiscales et d'arbitrage réglementaire. Le critère territorial correct à utiliser pour déterminer quel gestionnaire du fonds ou quel fonds devrait être enregistré n'est pas seulement l'emplacement de l'entité (car on peut facilement le déplacer off-shore), mais l'emplacement de l'investisseur final.

La CES demande les améliorations suivantes à la directive actuelle sur les AIFM pour mieux cibler les risques associés aux AIF ainsi que l’objectif de ce règlement:

- Traitant de procyclicité en période de récession économique, il est significatif que l’article 11 (4) de la directive interdise de facto les ventes à découvert. La CES s’en réjouit, mais pense que la formulation devrait être plus explicite – les AIF ont en grande partie contribué tant à l’inflation des prix des actifs qu’à la déflation.

- La directive devrait remplacer les cadres actuels des États membres et imposer des normes minimales en contrepartie de l'accès tant pour les AIF que les AIFM, favorisant ainsi le marché unique.

- Exiger l'équivalence de la législation avant d'autoriser aux fonds non-UE un accès aux marchés de l'UE.

- Exigences en matière de liquidités et de capitalisation et désendettement (inversion d’effet de levier) pour rendre les fonds d'investissement alternatifs individuels plus robustes et, en outre, réduire le risque systémique et promouvoir la stabilité financière. L’article 25 (3) devrait inclure une disposition associant des exigences plus strictes de désendettement en fonction de la taille des AIF, limitant dans les faits la taille des AIF ou de leur capacité de levier.

- Les fonds devraient être rapatriés. Ceci, combiné avec l'enregistrement des investisseurs, aidera à promouvoir la transparence et une saine régulation, à réduire l'élusion et l'évasion fiscales et à réduire les possibilités que l'arbitrage réglementaire ne fournisse une assiette réglementaire mondiale pour les AIF.

- Insistance sur la régulation tant des fonds que des gestionnaires de fonds, afin de minimiser les vides qui, autrement, seraient exploités. L’article 2 devrait spécifier que les institutions qui sont laissées en dehors du champ d'application de la présente directive conformément à l'article 2, 2 a - g est, pour les AIF qu’elles mettent sur le marché dans la Communauté, adhèrent pleinement aux exigences des articles 19 - 30, qui ont trait à la transparence, au levier financier et au contrôle de l'influence des AIF. Sinon, des vides pourraient se faire jour parce que la directive, en exemptant certaines institutions de la portée de la directive, les exempterait du même coup implicitement de leurs obligations au niveau des AIF.

- Des rapports complets et réguliers et une transparence accrue pour contribuer à la surveillance du risque systémique, permettant une meilleure due diligence, l'amélioration de la protection des investisseurs et la promotion de l'intégrité du marché.

- L’amélioration de la régulation des opérations, y compris par le recours à une expertise indépendante, une meilleure gestion des dépôts, des limites à la délégation, une meilleure gestion du risque et une conduite plus diligente des affaires. Cela permettra de réduire considérablement le risque d'échec des fonds et d’accroître la confiance dans le système. En même temps, cela assure une meilleure protection des investisseurs et c’est bon pour la stabilité systémique. Le texte actuel de la directive AIFM vise à supprimer la fonction d'évaluation en dehors de l’AIFM, afin de conserver l'indépendance. D'autre part, ce ne constitue pas en soi une garantie de meilleures valorisations. Les agences d’évaluation devraient être suffisamment équipées, capables, agréées et soumises à un contrôle.

- Limiter l'exposition des entités d'intérêt public telles que les fonds de pension et d'assurance aux AIF pour aider à protéger les consommateurs et les petits investisseurs contre les risques qu'ils ne comprennent pas et auxquels ils ne devraient pas être exposés.

- Assurer le suivi et, si nécessaire, réglementer l'exposition d’institutions systémiquement importantes, telles que les courtiers de premier ordre et les banques à des AIF, en particulier à des fonds spéculatifs à effet de levier et à des fonds d’investissement privés pour aider à limiter le risque systémique. Cela constitue aussi un filet de sécurité indirect au cas où la régulation indirecte des AIF devrait échouer pour quelque raison.

- Fermer les échappatoires fiscales telles que le traitement de l'intérêt porté à titre de revenu permettant aux gestionnaires de fonds et aux investisseurs de s'en tirer en payant moins d’impôts que les citoyens ordinaires.

- Mettre fin aux structures de rémunération excessivement généreuses et asymétriques qui encouragent la prise de risques excessifs. Cela contribuera à améliorer la protection des investisseurs, à réduire les externalités sociales et à lutter contre le risque systémique. La politique de rémunération de l'AIFM est telle qu'elle n’encourage pas la prise de risques disproportionnés par rapport au profil de risque des AIF qu'elle gère, comme présenté à ses investisseurs en vertu de l'article 20 (1). La politique de rémunération doit être telle que l'indépendance de la fonction de risque, de la fonction conformité et de la fonction d'évaluation est maintenue.

- Améliorer la gouvernance d'entreprise pour une perspective à plus long terme dans les fonds spéculatifs activistes.

- La limitation de la récupération des actifs d’entreprises en faillite (« asset-stripping »), le contrôle des leviers et la consultation des travailleurs permettront d'améliorer la stabilité financière et de limiter les externalités sociales, comme les faillites et les pertes d'emplois qu’elles entraînent dans les entreprises détenues et contrôlées par des fonds d’investissements.

- Lorsque des entreprises sont acquises par des AIF, il y a lieu de consulter les travailleurs et leurs représentants syndicaux avant le rachat, durant la période de propriété et au moment de la vente de la société, en reconnaissant leur rôle de partenaires légitimes dans l'investissement. Les fournisseurs devraient également être consultés. Les AIF devraient reconnaître et respecter les conventions collectives existantes.

3. Régulation des agences de notation de crédit (ANC)

Les ANC ne sont pas pour peu dans la survenance des problèmes actuels sur les marchés financiers. Elles ont clairement sous-estimé le risque que les émetteurs d'instruments financiers structurés complexes puissent ne jamais rembourser leurs dettes. Conseiller d’abord les émetteurs d'obligations, puis leur donner les meilleures notes possibles pour nombre de ces instruments complexes, sans en évaluer correctement ou du moins reconnaître publiquement les risques associés, cela peut en grande partie s’expliquer par un conflit d'intérêt. Les principales agences de notation sont des sociétés américaines privées à but lucratif n’ayant aucun compte à rendre envers le public, et n’ayant aucune considération pour le bien commun. Leurs revenus proviennent de ces mêmes institutions financières qui cherchent à vendre leurs produits structurés, donc bon nombre se sont avérés être des produits « toxiques ». A mesure que les conditions du marché s’aggravaient, les agences de notation se sont abstenues de refléter rapidement cette évolution dans leurs notations. En conséquence, on a continué à accorder des crédits, même si ce n’était pas justifié par les principes les plus fondamentaux de l’économie, ajoutant une pression à la bulle financière.

Sur la base d’une proposition de règlement de la Commission (novembre 2008), le Parlement européen et le Conseil ont approuvé la proposition le 23 avril 2009. Elle prévoit une obligation pour toutes les agences de notation de crédit opérant dans l'Union européenne de s'enregistrer et de se conformer à un ensemble de règles. Les dispositions approuvées visent à accroître la transparence, l'indépendance et la bonne gouvernance des agences de notation, en améliorant ainsi la qualité et la fiabilité des notations de crédit et la confiance des consommateurs. Les principaux objectifs du règlement sont les suivants:

- veiller à ce que les agences de notation de crédit évitent les conflits d'intérêts ; les agences de notation ne peuvent pas être consultants. Des relations de longue durée avec la même entité de notation peuvent compromettre l'indépendance des analystes en charge de l'approbation des notations de crédit. Par conséquent, le règlement propose que les analystes et les personnes chargées d'approuver les notations de crédit devraient être soumis à un mécanisme de rotation;

- d'accroître la transparence en imposant des obligations de divulgation sur les modèles, les méthodologies et les hypothèses clés sur lesquels les agences de notation fondent leurs évaluations;

- d’assurer un enregistrement efficace et un cadre de supervision au niveau européen à travers un comité renforcé des régulateurs européens des valeurs mobilières, à savoir la future Autorité européenne des valeurs mobilières et des Marchés (ESMA);

- d’améliorer la qualité des méthodes et la qualité des notations.

Renforcer l'indépendance et la transparence des agences de notation représente une avancée positive, toutefois l'enregistrement ne devrait pas être laissé aux autorités nationales. La CES estime que des règles plus strictes sont nécessaires pour distinguer clairement la consultation de la notation par une régulation du type «muraille de Chine». Une notation transparente des actifs et passifs est un bien public dans un marché ouvert et transparent. Allant plus loin que le règlement adopté, le CES préconise vivement que l'Union européenne mette en place une Agence pour la Notation de Crédits, un organisme public et indépendant, européen et sans but lucratif, financé par le budget européen, sous la supervision d'un régulateur européen unique. Un conseil consultatif ou de surveillance devrait à cet effet inclure des membres du Parlement européen, la CES, BusinessEurope et autres organisations de la société civile. Les agences de notation privées existantes devraient être tenues pour responsables des dommages économiques qu'elles ont provoqués.

{{4. Pour une révision complète de la directive sur les fonds propres (FPR)
}}

La législation européenne en matière d’exigences de fonds propres est restée jusqu'à présent toujours en chantier. Des règlements sur les normes de capital et sur l'utilisation possible du capital sont énoncés dans la directive sur les fonds propres (FPR) de 2006, qui transpose l'accord-cadre de Bâle II sur l'adéquation des fonds propres des banques commerciales dans le droit communautaire et qui est actuellement en cours de révision. En parallèle, le Comité de Bâle travaille actuellement à une révision de la définition du capital réglementaire et des exigences de capital minimum. Après l'adoption de la directive Solvabilité II en avril 2009, le PE a adopté 6 mai 2009 des amendements aux directives 2006/48/CE et 2006/49/CE sur les exigences en matière de crédit, portant sur l'exposition des banques aux risques, le capital hybride, l’exposition des banques aux fonds d’investissement et la gestion des risques des produits titrisés. Le 13 juillet, la Commission a adopté d'autres amendements à la directive FPR, qui couvrent des secteurs bancaires importants qui sont tenus pour responsables d’une bonne part de l'exubérance irrationnelle des marchés financiers, les exigences de fonds propres pour la titrisation et le portefeuille de négociation, ainsi que la divulgation de la titrisation et la politique de rémunération :

- L'investissement en «produits retitrisés", dans laquelle plusieurs actifs financiers - comme les prêts hypothécaires - ont été regroupés pour former des produits financiers titrisés, destinés à être ensuite vendus à des investisseurs. Des produits déjà titrisés ont encore été combinés et rassemblés en un seul investissement pour la revente, ce qui est finalement devenu impossible à comprendre pour la plupart des acteurs sur le marché. Les banques qui détenaient ces produits très complexes n’avaient pas assez de capitaux pour couvrir les énormes pertes encourues lorsque la valeur des actifs sous-jacents ont chuté. Le fait de ne pas donner d’informations sur les investissements dans des produits titrisés a achevé de saper la confiance, les acteurs du marché ayant des doutes sur les positions financières des banques;

- Les bonus et les salaires des cadres: les politiques de rémunération des banques ont été fondées sur des incitants pervers orientés vers les résultats à court terme au détriment de la rentabilité à long terme et, dans certains cas, ont rétribué une faillite complète. Cela a favorisé une culture de prise de risque excessive.

Cette première partie du processus de révision constitue une étape positive dans la bonne direction. Elle a abouti à un accord sur: - une augmentation (près de doublement) du montant du capital détenu par rapport au portefeuille de négociation; un capital plus élevé (presque triplé) à maintenir face aux retitrisations ; un dispositif plus rigoureux d'adéquation des fonds propres pour les expositions hors bilan ; la création de collèges de superviseurs pour les 40 plus importantes institutions transfrontalières opérant dans l'UE, nonobstant leur marge de manœuvre limitée (voir ci-dessus). Cependant, en plus de renforcer les exigences en matière d'adéquation des fonds propres pour la négociation, la titrisation et les produits structurés, d’expositions hors bilan et de comptabilité ainsi que de régulation des incitants et des plafonds aux bonus des directeurs, de nouvelles révisions de la directive FPR sont nécessaires. Il est important – au moment de réguler les incitants financiers et les structures de rémunération dans ce secteur – que cela ne se fasse pas au détriment du droit des partenaires sociaux à la négociation collective. Il faut que cela soit spécifié dans le corps de la Directive elle-même et pas seulement dans son préambule.

Pour la CES, une réduction forcée de la taille, de la complexité et de la fonctionnalité des institutions financières d'importance systémique – par exemple via des taux variables de taxation ou des exigences en matière de capitalisation - constituerait également des mesures importantes pour stabiliser le secteur financier. Le rétablissement d'une séparation fonctionnelle devrait conduire à un paysage bancaire plus diversifié et à des institutions plus petites et plus proches de leurs clients. Cela permettrait de compenser une partie des pertes d'emplois considérable subies par le secteur bancaire et dans le même temps, de mieux répondre aux besoins de financement des investissements de l'économie réelle que par l’intermédiaire de grands conglomérats qui deviennent facilement « trop grands pour échouer ».

Toutefois, certains Etats membres, et le Royaume-Uni en particulier, ont explicitement rejeté de telles restrictions. Il est donc d’autant plus important d'imposer des limites à l'endettement et aux leviers des institutions financières de manière à en limiter l’appétit pour l’exposition au risque et à augmenter leur capacité d'absorption des risques.
Le renforcement des exigences en capital doit être coordonné au niveau international, au niveau des institutions fondées sur la Convention de Bâle, le Comité de Bâle sur le contrôle bancaire et le Conseil de Stabilité Financière, car de nombreux établissements financiers opèrent au niveau mondial et la concurrence entre les principales places financières rendrait difficile pour un pays de jouer cavalier seul. L'Europe doit parler d'une seule voix dans les négociations.

En outre, il faudrait inclure le montant et la variation du capital de façon à réduire la procyclicité des capitaux, ainsi que la quantité et la qualité des liquidités tampons. L'UE ne devrait pas attendre d’arriver à un accord sur des lignes directrices internationales pour passer à son propre processus législatif.

Tout aussi important que de lever des tampons de capital d’une manière générale, il faut s’assurer qu’ils varient à l’encontre les cycles, afin de réduire la procyclicité des prêts bancaires et de la prise de risques. Permettre aux autorités d’accroître leurs exigences en capital d’une manière spécifique aux actifs, ce serait leur permettre de prendre en mire des bulles dans différents secteurs de classes d’actifs, évitant par là le choix cornélien pour une politique monétaire de devoir décider ou non s’il faut tordre le cou à une bulle en relevant le niveau général des taux d’intérêts, ce qui aurait un impact négatif sur l’ensemble de l’économie. C’est particulièrement intéressant dans la zone euro, qui a une politique monétaire unique pour toutes les économies qui peuvent vivre des conditions cycliques et financières très différentes.

En ce qui concerne les règles comptables, la CES plaide résolument en faveur de changements dans la norme IFRS et les normes américaines GAAP de comptabilité procycliques qui préconisent un régime d’évaluation à la valeur du marché (mark-to-market accounting). En cas de divergence importante entre le prix d'achat d'un actif et sa valeur comptable, les méthodes de comptabilité sur le long terme et durable devraient choisir de préférence la plus faible valeur.

La CES soutient la proposition avancée par UNI-Europa Finance en avril 2009 que les collèges de superviseurs incluent systématiquement dans leurs évaluations du risque les expériences et informations recueillies par les travailleurs des institutions financières sur les effets négatifs et positifs des procédures de fonctionnement interne et les pratiques réelles dans les entreprises. En outre, la CES soutient la proposition de UNI-Europa Finance d’une charte sur la vente responsable de produits financiers. Pour minimiser les risques découlant de pratiques commerciales inappropriées, chaque banque et compagnie d'assurance devrait avoir une charte sur la vente responsable de produits financiers. La charte devrait exposer de façon explicite, publique et vérifiable les principes des entreprises en matière de vente de produits et services ainsi que leurs pratiques de travail pertinentes. Un objectif-clé est de mettre un terme aux pratiques de vente et à la prise de risques excessifs. Au centre de l'activité financière, il devrait y avoir d'excellents services à la clientèle (pour plus de détails voir: UNI-Europa Finance, Contribution à la consultation de la Commission européenne sur la surveillance des marchés financiers, avril 2009).

{{
5. Négoce de produits dérivés et négociés de gré à gré (OTC)
}}

Le 3 juillet, la Commission a adopté une Communication intitulée «Rendre les marchés de produits dérivés plus efficaces, plus sûrs et plus solides ». L'effondrement de grandes banques aux Etats-Unis et l'Europe a mis en lumière le rôle significatif joué par les produits dérivés en général et les swaps sur défaillance (CDS) en particulier. Les risques liés aux CDS sont particulièrement présents dans les «marchés de produits dérivés négociés de gré à gré » (OTC) caractérisés par l’opacité, le caractère privé des contrats avec des informations au public très limitées et d'un entrelacs complexe de dépendances mutuelles. Ils ont largement sapé la stabilité financière et ont contribué à l'incertitude.

Au plus fort de la bulle financière de l'été 2008, le négoce des instruments dérivés de gré à gré était de huit fois plus élevé que le volume des transactions sur produits dérivés sur les marchés boursiers. La négociation des dérivés de devises étrangères, les dérivés de taux d’intérêts, les dérivés de titres, les dérivés de matières premières et les dérivés de crédit, par des agents qui n'ont aucun intérêt pour les actifs, cela ne fait que faciliter la spéculation, la volatilité et l’accumulation de risques dans le système. Cela revient à s’adonner à un jeu sans aucun avantage économique à la clé, à part pour les joueurs qui raflent la mise et cela suscite de sérieux conflits d’intérêts. C'est la raison pour laquelle certains des produits dérivés devraient être purement et simplement interdits. Cependant, certains produits dérivés sont vitaux pour permettre à des entreprises de l’économie réelle de se protéger contre les risques de changements inattendus de prix et de faciliter par là la planification à long terme, par exemple au niveau des taux de change ou des prix des matières premières. Un avantage lié à l’introduction d'une TTF (taxe sur les transactions financières) à l'échelle européenne (voir plus haut) est qu’elle pourrait contribuer à atténuer la spéculation sur les marchés dérivés (impliquant des opérations à haute fréquence) tout en ne pénalisant pas les vraies transactions de couverture (ce qui arrive moins fréquemment).

La Commission, dans sa communication, a annoncé qu'elle allait soumettre des propositions pour une législation détaillée sur les produits dérivés et sur les négociations d’OTC à la fin de cette année. Dans les mois à venir, le CES, en collaboration avec UNI-Europa Finance et en coopération avec des affiliés surveillera cela de près et fera des propositions concrètes une fois la proposition de la Commission sera sur la table. Dans l'intervalle, les principes suivants devraient s'appliquer:

- Normalisation: la CES salue l'engagement de la Commission visant à normaliser tous les produits dérivés OTC. Les produits non normalisés et dérivés, à l'insuffisance de liquidités devraient être interdits d'opérations;

- Les exigences en matière de capitalisation pour la négociation de gré à gré de produits dérivés OTC devraient être plus élevées que celles des marchés réglementés (clearing de change);

- Le clearing devrait avoir lieu au niveau du marché central, suivant l'exemple du clearing de change; des exemptions possibles autorisant les échanges bilatéraux de produits dérivés OTC devraient se limiter à des entités non financières (notamment pour les swaps de change), mais interdite pour les institutions financières;

- Tout négoce de produits dérivés, et en particulier de CDS, doit obligatoirement s’effectuer via une contrepartie centrale (CCP) à mettre en place au niveau européen;

- Les établissements de clearing en Europe devraient accroître considérablement la transparence des marchés dérivés et relever de la régulation bancaire européenne.

{{6. Rémunération
}}

La Commission européenne a adopté une recommandation sur la rémunération dans le secteur des services financiers (COM 2009, 211 final). Elle y recommande que les États membres devraient veiller à ce que les institutions financières aient des politiques de rémunération pour le personnel, qui soient conformes à / et qui encouragent une gestion des risques saine et efficace. La recommandation définit des lignes directrices sur la structure de rémunération, sur le processus de conception et de mise en œuvre des politiques de rémunération et sur le rôle des autorités de tutelle de l'examen des politiques de rémunération des institutions financières. La recommandation invite les États membres à adopter des mesures dans quatre domaines: (1) la structure des rémunérations ; 2) la gouvernance ; (3) la divulgation et (4) la supervision. Avec les propositions d’amendements de la Directive 2006/49/CE sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit (CRD), les systèmes de rémunération seront placés dans le cadre de la surveillance prudentielle (voir III.4).

La Commission a également adopté une recommandation sur la rémunération des administrateurs (COM 2009, 3177) La recommandation invite les États membres à:

(1) fixer une limite (2 ans maximum de la composante fixe de la rémunération des administrateurs) sur les indemnités de départ (parachutes dorés) et d'interdire les indemnités de départ en cas d'échec ;

(2) exiger un équilibre entre la rémunération fixe et variable et à lier la rémunération variable à des critères de performance prédéterminés et mesurables afin de renforcer le lien entre performance et rémunération ;

(3) promouvoir la viabilité à long terme des entreprises par un équilibre entre les critères de performance à long et à court terme de la rémunération des administrateurs, l'ajournement de la partie variable de la rémunération, une période minimale d’indisponibilité des stock options et actions (d’au moins trois ans); la rétention d'une partie des actions jusqu'à la fin de l'emploi et

(4) permettre aux entreprises de récupérer la partie variable de la rémunération en fonction d’informations qui se sont manifestement avérées fallacieuses («récupération ou clawback»).

Dans la déclaration du G20 de Pittsburgh, les chefs d’Etats ont réitéré leur engagement en faveur d’une gouvernance qui aligne rémunération sur performances à long terme (paragraphe 13). La CES soutient l'avis de UNI-Europa Finance que l'accent mis sur les structures de rémunération et gestion des risques ne doit pas uniquement concerner la rémunération des cadres supérieurs et les traders. Les structures de rémunération et les incitants pour les salariés des niveaux inférieurs jouent un rôle systémique important dans la gestion des risques et constituent un facteur de déstabilisation potentielle sur les marchés financiers. Des systèmes de rémunération appropriés sont essentiels pour assurer le développement d'un nouveau modèle d’affaires axé sur le long terme et conscient des risques (pour plus de détails, voir: UNI-Europa Finance, Contribution à la recommandation de la Commission sur la rémunération dans le secteur des services financiers du 6 avril 2009). La CES salue par conséquent les deux recommandations et la proposition sur les amendements CRD qui doivent soumettre la rémunération à un contrôle prudentiel.

IV Conclusion – L'Europe risque de manquer l'occasion d'une réelle réforme financière

Le modèle de financiarisation néolibérale débridée a échoué. Les propositions de la Commission pour la réforme financière constituent d'abord des mesures positives dans la bonne direction, même si la politique européenne en matière de régulation du marché financier est loin de fournir une réponse complète et satisfaisante aux failles fondamentales du capitalisme financier et aux déséquilibres macroéconomiques globaux. Le plus grand risque dans le processus législatif qui nous attend est que des changements qui ne seraient que minimes et au coup par coup au régime de régulation ne ramènent l’Europe et le monde au « business as usual », jusqu’à ce que la prochaine grande crise financière ne frappe. Le secteur financier doit prendre en charge une part substantielle des coûts qu’il a engendrés.

L’échec de l'Europe qui n’a pas réussi à faire face à la crise financière avec une énergie suffisante pourrait aussi conduire à terme à son échec politique. Et cela il faut absolument l’éviter. Les syndicats en Europe n'accepteront pas que la réparation superficielle du système financier soit payée par des pertes d'emplois, par un chômage massif et par une augmentation de l’impôt sur le travail. Pour la CES, il faut procéder à une refonte fondamentale du système financier actuel.

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