La proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur

Bruxelles, le 17 mars 2004

Pour la CES, une condition initiale : un renforcement des garanties sociales des travailleurs

1. La proposition de directive relative aux services dans le marché intérieur présentée par la Commission européenne le 13 janvier 2004[[http://europa.eu.int/eur-lex/fr/com/pdf/2004/com2004_0002fr01.pdf ]] a suscité un vif intérêt de la part des organisations syndicales étant donné qu'elle touche un secteur très important en terme d'emploi, mais également parce que les services sont aujourd'hui essentiels pour la performance de l'économie européenne comme pour le bien-être de la population. La Confédération Européenne des Syndicats (CES) est convaincue que le développement du marché intérieur, outre le fait qu'il est conditionné par de hauts niveaux de sécurités sociales, doit être accompagné d'un renforcement adéquat de la protection sociale, des droits des travailleurs et des conditions du travail afin de maintenir la cohésion sociale de l'UE.

2. La CES a examiné la proposition de directive en reconnaissant le potentiel important de croissance en terme d'emploi de ces secteurs, notamment dans les futurs états membres, qui pourrait contribuer à la réalisation des objectifs de la Stratégie de Lisbonne fixée en 2000, mais également en tenant compte de la pratique croissante des externalisations de services par des entreprises, notamment par des entreprises manufacturières, et de leurs conséquences négatives sur la négociation collective et sur l'intensification du travail.

3. La CES accueille favorablement les mesures visant à améliorer le fonctionnement du marché intérieur ou la libre circulation des services et qui sont dans l'intérêt des travailleurs, des entreprises et des consommateurs. Elle peut soutenir :
- les mesures visant à réduire les frais administratifs et à simplifier les procédures;
- la mise en place de guichets uniques pour aider les prestataires de services dans les procédures d'autorisations et pour ld'autres formalités;
- la mise en place également de procédures transparentes et prévisibles qui ne prennent pas de temps;
les mesures qui ont pour objectif la protection des travailleurs, des consommateurs, des destinataires des services ou de l'environnement urbanistique;
- l'amélioration de la qualité et de la sécurité des services.

La CES préoccupée par le principe « du pays d'origine » 4. Mais les propositions de la directive sont toutefois beaucoup plus complexes et d'une portée beaucoup plus large et importante. Ceci est dû à l'application du «principe du pays d'origine» qui prévoit que les prestataires sont soumis uniquement aux dispositions nationales de leur Etat membre d'origine, dont il est extrêmement difficile de prévoir toutes les conséquences. En particulier, un risque de concurrence abusive devient réel dans les domaines qui ne sont pas harmonisés au niveau européen, avec des conséquences économiques et sociales négatives dans plusieurs secteurs, comme cela s'est révélé être le cas dans le transport maritime à la suite des choix de «pavillons de complaisance». En fait, ce type de mesures encouragerait les fournisseurs de services à déplacer leurs sièges dans les Etats membres où les exigences en matières fiscale, mais aussi sociale et environnementale sont les plus basses. Une pression serait créée sur les autorités des pays aux standards élevés pour les baisser, avec des conséquences néfastes sur la qualité de l'environnement et de la cohésion sociale. Ce danger se trouve accru par le fait que la notion d'État membre d'origine est définie à l'article 4 comme ‘l'État membre sur le territoire duquel le prestataire concerné est établi', sans autre précision. La CES est d'avis que des conditions supplémentaires sont nécessaires pour prévenir les abus, consistant, par exemple, à définir le pays d'origine comme étant le pays où son administration centrale est établie, ou encore le pays où se trouve son principal site d'activité (cf., pour une approche similaire: article 4 de la Convention de Rome de 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles).

5. En plus, les dispositions de cette proposition de directive semblent aller à l'encontre, non seulement de l'article 50 du Traité qui dit que le prestataire peut exercer à titre temporaire son activité dans le pays où la prestation est fournie, dans les mêmes conditions que celles que ce pays impose à ses propres ressortissants, mais aussi à l'article 2 du même Traité qui stipule que la Communauté a pour mission de promouvoir un niveau d'emploi et de protection sociale élevé et à la jurisprudence de la Cour de Justice européenne qui reconnaît le droit des Etats membres d'adopter des mesures restrictives pour des raisons d'intérêt général.

La CES opposée à une remise en cause des SIG et des systèmes nationaux de santé en particulier .
6. Dans ce cadre, la CES rappelle l'importance des Services d'Intérêt Général (SIG) pour le développement du modèle social européen en terme d'égalité des chances pour les citoyens, pour la cohésion sociale et pour la mise en œuvre de la stratégie de Lisbonne. Contrairement à ce que la CES réclamait, la Commission n'a pu se prononcer en faveur d'une directive-cadre sur les SIG. Et paradoxalement, avec ce nouveau projet, elle semble maintenant capable de rédiger une directive d'une large portée et d'une très grande envergure sur les services dans le marché intérieur en général et prévoyant certaines exigences de base, harmonisées et de qualité de niveau européen. En absence d'une définition claire des SIG ce projet est au moins prématuré et risque d'entraver sérieusement leur fonctionnement dans les pays où ils sont les plus dévéloppés. En clair, pour la CES il n'y a pas de bonnes raisons de résister plus longtemps à sa demande d'un cadre législatif, revendication exprimée également par le Parlement européen le 14 janvier 2004.
Si la Commission européenne n'en est pas capable, la CES réclame un moratoire législatif concernant cette libéralisation jusqu'à ce que la Commission soit en mesure de soumettre une proposition de directive-cadre sur les SIG.

7. La proposition contient en particulier des régulations concernant un accès plus facile aux soins de santé, notamment ceux dispensés dans un autre Etat membre, qui devraient constituer une réponse aux arrêts de la Cour de Justice. Mais la relation de service en matière de santé ne fonctionne pas sur le simple mode «clients - fournisseurs» et ne peut se réduire à cette simple relation. Elle fait intervenir l'Etat qui est lui-même payeur et en même temps le «régulateur» de ces services, au nom d'autres priorités fondamentales, comme celle de la santé publique. Si l'on suivait cette proposition de directive, cela reviendrait de fait à déréguler et privatiser les services de santé et à créer plus d'incertitude juridique. La CES demande donc à la Commission de sortir les services des soins de santé de cette proposition et d'en faire l'objet d'une directive-cadre spécifique, confirmant leurs principes de solidarité, accessibilité, universalité, continuité.

La CES revendique que la priorité soit donnée à l'amélioration de la législation du travail
8. Selon le texte de la proposition, tous les ‘sujets couverts par la directive sur le détachement des travailleurs' sont exclus du principe du pays d'origine. De plus, le préambule affirme que la directive ne vise pas à traiter les questions relevant de la législation du travail en tant que telle. Toutefois, la CES estime que ces propositions ont des répercussions dans le domaine de la législation du travail, ainsi que sur la supervision et l'application de cette législation. Il est extrêmement important que la Commission procède à une analyse d'impact supplémentaire, examinant de possibles effets dans différents cas de figure du travail transfrontalier, afin d'être en mesure d'évaluer les problèmes potentiels. Il est particulièrement important d'éclaircir de possibles interactions avec la Convention de Rome de 1980 et avec la directive sur le détachement des travailleurs, ainsi que les liens avec la question des systèmes de relations industrielles et de négociations collectives en vigueur dans le pays où le travailleur effectue habituellement ou temporairement ses travaux, s'il s'agit d'un autre pays que le pays d'origine de l'entreprise.

9. La CES estime que dans le passé il a été nécessaire, et qu'il sera indispensable dans le futur, de permettre aux Etats membres de prendre des mesures raisonnables pour garantir le bon fonctionnement de leur marché du travail et pour empêcher les abus potentiels par l'utilisation d'intermédiaires comme les agences d'intérim. La CES a toujours été en faveur de la stipulation des principes fondamentaux gouvernant ces mesures raisonnables dans une Directive-cadre européenne qui permettrait aux agences intérimaires de fournir leurs services sur base d'une concurrence juste et non pas au détriment des conditions de travail, de rémunération ou de protection sociale des salariés. La CES déplore par conséquent vivement que jusqu'à présent, le projet de directive sur le travail intérimaire reste encore bloqué.

10. De plus, la CES propose que non seulement les domaines du travail intérimaire et du détachement des travailleurs soient totalement exclus de la portée du projet de Directive (tout comme sont exclus d'autres services ou domaines comme les services financiers en raison de leur particularité et du fait qu'ils sont déjà couverts ou sont en train de l'être par d'autres politiques communautaires) mais encore que la Commission dès lors donne la priorité, en ce qui concerne la réglementation du détachement des travailleurs et le travail intérimaire,
à l'évaluation et l'amélioration de la Directive 96/71/EC existante, demandées aussi par le Parlement européen,
à l'adoption du projet de Directive sur le travail intérimaire
et à la ratification de la Convention 181 de l'OIT sur les agences d'emploi privées.
De cette façon, un cadre général de protection serait développé qui permettrait d'avoir une base adéquate pour discuter des étapes futures en direction de la libéralisation des services.

La CES conteste la limitation excessive du rôle des Etats
11. La CES est vivement préoccupée par l'application du «principe du pays d'origine» lorsqu'il s'agit de l'efficacité de contrôle et de la protection contre les abus, en particulier dans le domaine du droit de travail. Elle appelle donc la Commission à examiner davantage l'impact possible de ses propositions relatives à ce principe. La CES nourrit de sérieux doutes quant à la possibilité de contrôler et de surveiller de manière efficace les prestataires de services transfrontaliers de leur pays d'origine, particulièrement en ce qui concerne les mesures prises par les Etats membres afin de protéger les travailleurs quelle que soit leur origine ou nationalité qui travaillent sur leur territoire, soit directement, soit via des intermédiaires, des sous-traitants ou des prestataires de services. La CES a déjà connu des soucis avec la portée et l'efficacité limitées de la Directive existante sur le détachement. Toutefois, les propositions contenues dans la proposition de directive relative aux services pourraient accentuer les problèmes liés à son application. En ce qui concerne le détachement des travailleurs, la directive reconnaît d'une part explicitement l'obligation, pour l'État membre où les travailleurs sont détachés, de procéder sur son territoire aux vérifications et inspections nécessaires pour faire appliquer les conditions de travail définies dans la directive sur le détachement de travailleurs, et pour pouvoir adopter des mesures à l'encontre d'un prestataire de services qui ne respecterait pas ces conditions. D'autre part, la directive proposée interdit toutefois de soumettre le prestataire ou le travailleur détaché à quelque forme d'autorisation, d'enregistrement ou d'archivage de documents que ce soit, privant ainsi l'État membre de détachement de tout instrument efficace visant à empêcher ou à surveiller les abus potentiels. Même si la directive oblige par ailleurs l'État membre d'origine à aider l'État membre de détachement à garantir le respect des conditions d'emploi et de travail qui doivent être appliquées (ce qui, en soi, est une proposition positive), il est difficile de considérer cela comme une solution de remplacement absolument équivalente.

12. Selon les propositions, c'est le pays d'origine qui devra veiller, si le prestataire de services utilise des ressortissants des pays tiers qu'ils soient ou non des citoyens de l'UE, à ce que ces derniers remplissent les conditions de résidence et légales d'emploi comme stipulé dans la législation du pays d'origine (p. ex.: une agence polonaise qui détache des travailleurs ukrainiens en Belgique). Les Etats membres d'accueil ne peuvent pas imposer au travailleur ou au prestataire un quelconque contrôle préventif! Ces propositions entraveront sérieusement les Etats membres qui veulent prendre des mesures contre les abus relatifs au détachement des travailleurs migrants sans papiers sur leur propre marché du travail. De plus, subsiste l'insuffisance globale des moyens tant financiers que logistiques ou humains octroyés aux services d'inspections du travail.

13. La CES considère que les régimes d'autorisation ne peuvent pas être discriminatoires et doivent être objectivement justifiés. Mais il est nécessaire de procéder avec précaution à la révision des régimes existants, car leur réduction remettra en cause les activités réglementées et celles qui sont soumises à un agrément ou une licence dans plusieurs pays. En plus, il faut veiller au respect de l'intérêt général et de la santé publique, p.ex. lorsqu'il s'agit de la vente de médicaments via Internet et le fonctionnement des pharmacies.

14. En ce qui concerne la nature des services marchands, en particulier ceux destinés aux consommateurs, la CES souligne le rôle nécessaire des Etats membres pour assurer par le biais de la législation la qualité des services en terme d'accès, de sécurité des contrats et de l'information sur les prix et caractéristiques du service offert. Dans ce cadre, la proposition générale de limitation du rôle des Etats aux aspects d'information n'est pas justifiée. De plus, la CES estime que les instruments volontaires peuvent jouer un rôle de support uniquement par rapport aux exigences législatives et que, pour leur élaboration, on ne peut pas se baser uniquement sur les prestataires mais qu'il faut impérativement tenir compte des besoins de l'ensemble des utilisateurs des services et de l'avis des représentants des travailleurs des secteurs concernés.

La CES favorable à la qualité de l'emploi
15. Par ailleurs, la CES souligne combien la qualité des services dépend de la qualité de l'emploi, non seulement en termes de compétence des travailleurs, mais également en termes de sécurité d'emploi. Une amélioration de la qualité des services pourra aboutir par le développement d'un cadre législatif et conventionnel au niveau européen assurant notamment pour les travailleurs intérimaires l'égalité de traitement avec les travailleurs de l'entreprise utilisatrice.

16. La CES se réjouit que la Commission, dans sa Communication de décembre 2003, reconnaisse l'importance de l'apprentissage continu et de la mise à jour des compétences des travailleurs comme élément essentiel de la compétitivité des entreprises de services. Dans ce cadre, elle attend d'une telle proposition de directive des orientations qui favorisent et stimulent ce processus d'apprentissage et de valorisation de la contribution des travailleurs.

La CES revendique une concertation de qualité et une analyse d'impact plus approfondie
17. Le projet se base sur le potentiel de croissance et de création d'emplois, estimé considérable et possible à atteindre grâce à l'introduction des mesures proposées. Cependant, les conséquences réelles des libéralisations précédentes ont été loin d'atteindre les promesses faites. Les analyses syndicales démontrent au contraire la destruction d'emplois existants et de la cohésion sociale. Il est nécessaire que la Commission prépare, avec la participation des syndicats et avant l'adoption de la directive, une évaluation plus approfondie de l'impact de celle-ci dans ces domaines.

18. La directive entraînera des conséquences socio-économiques importantes pour les employeurs et les salariés dans plusieurs secteurs. Il est extrêmement regrettable que leurs représentants n'aient pas été consultés lors de la préparation du projet, alors que celui-ci se réfère dans plusieurs articles aux «parties intéressées» qui devraient être consultées. La CES demande à ce que les syndicats soient spécifiquement inclus dans ces consultations. Il est inadmissible que le dialogue social soit complètement ignoré dans les domaines particulièrement exposés aux restructurations.

19. L'analyse d'impact de cette proposition de directive ne répond pas suffisamment aux questions soulevées plus haut. En tout état de cause, il reste de nombreux points nécessitant une clarification. Par conséquent, la CES ne peut pas soutenir le projet de directive tel qu'il est proposé. Par ailleurs, cette proposition de directive, de par les conséquences qu'elle implique, dont certaines ont été soulevées ci-dessus, risque de remettre en cause les conventions collectives existantes, y compris sectorielles, ainsi que les dispositions des codes du travail nationaux existants, et donc en résumé, d'engendrer encore plus de «dérégulation» et d'insécurité «sociale» au nom d'un hypothétique profit en termes d'emplois. La CES revendique donc un renforcement des garanties sociales des travailleurs (en particulier à travers les directives concernant les travailleurs détachés ou intérimaires) et de la qualité des services d'intérêt général pour les citoyens européens, avant de continuer le travail sur ce projet. La CES attend une réponse plus claire à ses préoccupations et une prise en compte adéquate de ses revendications.