Déclaration de la CES sur 2010: Année européenne de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale

Bruxelles, 01-02/2009

1. La Stratégie de Lisbonne devait permettre l’éradication de la pauvreté en Europe à l’horizon 2010, qu’en est-il aujourd’hui ?

L’un des objectifs de la Stratégie de Lisbonne prévoyait au niveau européen l’éradication de la pauvreté à l’horizon 2010. Où en est-on aujourd’hui ?
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1.1 La pauvreté et l’exclusion sociale: un mal ancré dans la société européenne}}

Le 13 mars 2009, dans le Rapport conjoint sur la protection sociale et l’inclusion active, le Conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs » (EPSCO) – dont l’analyse se fonde sur des résultats constatés antérieurement à la crise - relevait que si « la croissance économique moyenne dans l’UE-27 avait atteint 2,1% entre 2001 et 2007, les dernières données disponibles montraient que 16% des Européens – soit près de 80 millions de personnes –étaient toujours exposés au risque de pauvreté ». Cela signifie, très concrètement, que ces personnes doivent vivre avec moins de 60% du revenu moyen des ménages européens.
Et, le rapport d’ajouter que « S’il n’y a pas de meilleure protection contre la pauvreté qu’un travail de qualité, le taux de travailleurs pauvres (8%) prouvait que tous les emplois n’offraient pas cette protection ».

Cette situation ainsi constatée ne saurait être imputée aux conséquences sociales de la crise financière qui a bouleversé l’économie mondiale. Elle est le résultat d’une situation propre à l’Union européenne, au sein de laquelle la priorité a été donnée à la croissance et à l’emploi – on serait tenté d’ajouter - à tout prix, en abandonnant de fait l’un des piliers de la Stratégie de Lisbonne initiale, celui du développement de la protection et de la cohésion sociales.

Cette priorité donnée aux facteurs économiques s’est très concrètement traduite depuis une dizaine d’année, au nom d’une prétendue compétitivité européenne, par un déclin de l’emploi de qualité au sein de l’Union. La CES dénonçait, par exemple, à la veille du sommet européen de printemps 2008, que si 6,5 millions d’emplois nouveaux avaient été créés au cours des années 2005-2007, cette augmentation ne s’était pas traduite par une amélioration de leur qualité. Ainsi
- de 1997 à 2007, le nombre de travailleurs à contrat à durée déterminée a augmenté de 10 millions,
- un grand nombre de ces nouveaux emplois sont à temps partiel et que près d’un cinquième des travailleurs de l’UE étaient employés sur cette base – pour 20% au moins d’entre eux - parce qu’ils n’ont pu trouver un emploi à temps plein,
- et que près de 31 millions de travailleurs ont un salaire de misère,
- et que 17 millions (aujourd’hui 19 millions) vivaient au-dessous du seuil de pauvreté.
Par ailleurs, force est de constater qu’au fil des années, les écarts ont continué de se creuser entre les riches et les pauvres, autrement dit « les riches sont devenus encore plus riches et les pauvres encore plus pauvres ».

1.2 Avec la crise la situation a empiré

La fermeture et la délocalisation des entreprises ont entraîné des hausses de chômage partout en Europe. Ainsi, par exemple, selon l’étude menée dans le cadre du « Bilan social de l’Union européenne 2008 », entre août et octobre 2008, le nombre de chômeurs britanniques a augmenté de 137.000, dont 40% de jeunes. En Irlande le chômage qui était inférieur à 5% depuis 2001, atteignait déjà au mois de novembre de cette même année 7,8%. En Espagne, le chômage passait de moins de 8% en 2007 à 12,5% fin 2008. Et ce n’étaient alors que les premiers signes.

Les coupes claires opérées dans les budgets sociaux des Etats membres se traduisent par des réductions de prestations sociales. Situation aggravée par la pression mise par la Commission, à l’unisson des instances internationales (FMI, OCDE) sur une certaine urgence à réduire les déficits budgétaires, alors que ceux-ci pourraient permettre à certains Etats de « franchir le cap ». C’est par exemple la Lettonie qui se voit contrainte de réduire de 15% les salaires des employés du secteur public et de geler les retraites, tout en augmentant la TVA.

La situation des futurs retraités, surtout pour celles et ceux dont une part non négligeable des revenus de la pension provient des systèmes complémentaires privés et qui se voient menacés de pauvreté, du fait des pertes réalisés à la suite de stratégies financières hasardeuses dans les investissements et/ou renforcées par les moins-values importantes réalisées dans le placement des réserves liées à la chute des cours boursiers.

Les ressources des systèmes de protection sociale étaient déjà mises en difficultés du fait des politiques continues d’allègements fiscaux engagés au sein des Etats membres et en particulier en faveur des entreprises (exonérations de cotisations et de taxes sans contreparties réelles en matière de créations d’emplois). Avec la crise, la montée du chômage a aggravé encore la situation des systèmes de protection sociale, dont le financement demeure encore trop dépendant de l’emploi, et sans que soient explorées et mises en œuvre de nouvelles pistes de financement.
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Plus que jamais une mobilisation forte et un engagement déterminé de la CES et de ses organisations pour combattre la pauvreté sont nécessaires.
Cette mobilisation doit être menée simultanément sur deux fronts : la protection sociale et l’emploi
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2. Agir en amont en confortant les systèmes de protection sociale

{{Lutter contre la pauvreté, ce n’est pas seulement fournir des remèdes, mais c’est soigner en amont en confortant et en améliorant les systèmes de protection sociale. Tout d’abord en « réhabilitant » la protection sociale comme agent économique. Elle n’est pas qu’une source de dépenses - fussent-elles sociales - mais elle est un investissement productif.

2.1 Réhabiliter la protection sociale comme un investissement productif}}

Ainsi par exemple, les systèmes de protection sociale doivent garantir aux retraités européens des pensions qui leur fournissent des revenus « adéquats » - pour reprendre la terminologie de l’Union – ou « décents » pour reprendre celle de l’OIT, quel que soient les aléas de leur vie professionnelle en particulier. Ainsi, ils font des retraités des « contributeurs» à l’activité économique.

En développer une bonne politique de santé, notamment avec la prévention et l’accès à des soins de qualité pour tous, c’est à terme réduire de façon substantielles les dépenses de soins.

En assurant la prise en charge des personnes demandant des soins de longue durée, notamment en développant les structures d’accueil ou les services de soins et d’accompagnement à domicile, ce sont de nouveaux emplois créés. Il en va de même, pour le développement des structures d’accueil pour les jeunes enfants, permettant, en outre pour les parents concernés, de concilier leur vie familiale et professionnelle.

En garantissant les périodes de transition professionnelle ceux qui perdent leur emploi, notamment en sécurisant leur revenu, c’est leur permettre de s’inscrire dans une démarche active de recherche d’un nouvel emploi.

2.2 Donner les moyens, financiers notamment, de jouer pleinement son rôle

Toutefois, la protection sociale ne peut se limiter à jouer le rôle de« l’ambulance » d’un système en crise donc de ne venir qu’au secours des plus pauvres ou de ceux qui sont en risque de l’être, car l’on sait que souvent les « politiques pour les pauvres, se révèlent être de pauvres politiques ! ».

Les systèmes de protection sociale ont un rôle universel à jouer, visant notamment à assurer le bien-être de toutes et de tous. Ce rôle se décline par exemple par la fonction redistributive qu’ils assument - via les prestations servies ou les services rendus –. Et si tel n’était pas le cas, ce serait plus de 36% des citoyennes et citoyens européens supplémentaires, qui viendraient grossir le nombre de ceux qui connaissent aujourd’hui la pauvreté et, souvent par voie de conséquence, l’exclusion sociale.

Ainsi, en tenant ce rôle, non seulement les systèmes de protection sociale peuvent prémunir du risque de pauvreté, mais ils contribuent à la création du bien être social, ce qui est, aussi, fondamentalement l’une de leur vocation. En renouant ainsi le lien social, ils participent à la construction d’une société plus cohésive et permettent à chacun d’être un acteur « social », d’occuper sa place et d’être partie prenante dans la société.

Certes, et plusieurs le reconnaissent aujourd’hui : les systèmes de protection sociale jouent un rôle « d’amortisseurs des effets de la crise ». D’où la nécessité qu’ils aient les moyens de remplir cette fonction. Autrement dit, ils doivent bénéficier des moyens financiers pérennes et suffisants.

Mais, la protection sociale, en plus des services de soins de santé, ce sont aussi des services sociaux. Il convient qu’ils aient la sécurité juridique et les garanties économiques de pouvoir permettre aux Européens, surtout à celles et ceux qui en ont le plus besoin, de jouir et d’exercer leurs droits sociaux fondamentaux (revenu, santé, éducation, logement, retraite).
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Autrement dit, lutter contre la pauvreté, c’est, notamment au travers des systèmes de protection sociale et des services d’intérêt général :
- assurer à tous des revenus décents, quelle que soit leur situation sociale, professionnelle, personnelle,
- développer des services sociaux et de santé de qualité, accessibles à tous et abordables financièrement.}}

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3. Lutter contre la pauvreté, c’est parallèlement agir en amont sur la qualité de l’emploi et des salaires}}

La qualité de l’emploi et des salaires, qui est une constante de la mobilisation de la CES, est non seulement une gage, pour l’économie européenne en particulier, d’une meilleur efficacité, mais aussi une garantie de revenu décent des travailleurs et en même temps la meilleur protection contre la pauvreté.

Ses interventions dans la presse aussi bien que les campagnes de mobilisation qu’elle a menées, dont les dernières en mai dernier – qui par leur ampleur ont montré qu’elles rejoignaient les attentes et les inquiétudes des salariés - montrent la nécessité de maintenir non seulement le cap, mais aussi la pression en ce domaine.

La crise actuelle rend encore plus d’actualité ce double thème de la qualité de l’emploi et des salaires et accroît l’angoisse des travailleurs que la CES représente.

Une enquête « Eurobaromètre » réalisée en septembre de cette année fait apparaître:
- d’une part, que les citoyens européens ont pleinement conscience du problème de la pauvreté et de l’exclusion sociale qui touche la société d’aujourd’hui (73%, soit près de trois Européens sur quatre estiment que la pauvreté est répandue dans leur pays, même si ce résultat doit être modulé en fonction des pays),
- d’autre part, que pour plus de la moitié des Européens (56%), les chômeurs représentent le groupe le plus exposé à la pauvreté, ainsi que les personnes en emploi précaires (31%). 41%, par ailleurs, estiment que les personnes âgées sont les plus vulnérables, notamment en ayant conscience qu’un travailleur pauvre sera forcément un retraité pauvre.
A contrario, cette enquête fait apparaître également que pour 74% des sondés, la pauvreté compromet les chances de trouver un emploi.

L’interaction entre l’emploi, les salaires et la pauvreté est essentielle et justifie la mobilisation et l’action déterminée sur ce terrain.

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4. Saisir l’opportunité de « L’année 2010, année européenne de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale » pour s’inscrire dans la dynamique de la campagne de mobilisation décidée par la CES}}

Le plan d’action de la CES, avec ses spécificités, s’inscrit tout naturellement dans ce cadre. Mais la CES aussi bien au niveau européen qu’au niveau national, en ce qui concerne ses organisations, qui, pour la plupart se sont déjà engagées, entend saisir l’opportunité de cette année 2010 pour développer des actions plus spécifiques avec ses partenaires habituels de la société civile, tels que Réseau européen anti-pauvreté (EAPN) ou le Forum européen des personnes handicapées (FEPH), en ce qui concerne les personne handicapées.

Les organisations membres qui sont déjà mobilisées, agissent en partenariat généralement avec les associations nationales actives et compétentes en ce domaine. Et elles attendent de la CES un soutien tout au long de cette année mais aussi que la CES prenne au cours de cette année 2010 une initiative européenne spécifique sur le thème de la pauvreté et de l’exclusion sociale.

Les rencontres avec ses deux partenaires EAPN et FEPH (pour examiner ensemble quelles initiatives communes pourraient être prises en 2010 : conférences, appels communs, manifestations…) ont déjà permis de clarifier les thèmes autour desquels pourraient se développer cette coopération et cette mobilisation :
- la garantie d’un revenu décent
- le développement des standards sociaux
- l’accès à des services sociaux de qualité
- l’accès à l’emploi, en particulier pour les personnes handicapées.

Ces actions prévues en 2010 s’inscrivent tout logiquement dans le « plan de campagne » de la CES portant sur l’emploi, les systèmes de protection sociale et les services publics de qualité et dans la logique de la négociation engagée dans le cadre du dialogue social entre les partenaires sociaux européen portant sur «un marché du travail inclusif ».

La CES entend également saisir l’opportunité des évènements organisés par la Commission et les présidences espagnoles et belges pour faire passer ces messages et arriver ainsi à un engagement politique fort à la fin de l’année 2010.

Cette mobilisation sera soutenue au niveau de la CES par une campagne de communication accessible sur le site web.

D’ores et déjà, la mobilisation, conjuguée au soutien aux initiatives proposées dans ce sens, est essentielle pour leur réussite.
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Certes, la CES n’a pas attendu cette année pour se mobiliser. Avec ses organisations sur le terrain, cela fait plus de 20 ans qu’elle agit et lutte dans cette direction. Toutefois, l’année 2010, par les initiatives qu’elle va susciter, doit être l’occasion à la fois de renforcer sa détermination et sa mobilisation, tout en développant les synergies nécessaires avec les autres acteurs concernés, afin que la pauvreté et par voie de conséquence, l’exclusion sociale, soient effectivement éradiquées au sein de l’Union européenne. Seule, elle ne peut y arriver mais avec toutes et tous, elle sera plus forte et surtout plus efficace!
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