Réflexion conjointe CES - CSEE sur la proposition concernant le programme Erasmus 2021-27

Réflexion conjointe CES - CSEE sur la proposition concernant le programme Erasmus 2021-27:  Octobre 2018                                                                               

 

 

Contexte

 

Le 30 mai 2018, la Commission européenne a publié sa proposition de règlement établissant «Erasmus», le programme de l’Union pour l’éducation, la formation, la jeunesse et le sport, et abrogeant le règlement (UE) n° 1288/2013.

La proposition présente les grands objectifs politiques de l' avenir du programme Erasmus qui soutiendra la coopération internationale, la mobilité et les projets dans tous les secteurs de l'éducation, sans se limiter à l'enseignement supérieur, pour la période de 2021-2027.

La nouvelle proposition succédera à l'actuel programme Erasmus + (2014-2020) et à l'ancien programme d'apprentissage tout au long de la vie (2007-2014).

La Confédération européenne des syndicats (CES) est la voix des travailleurs et représente 45 millions de membres de 90 organisations syndicales dans 38 pays européens ainsi que 10 fédérations syndicales européennes.

Le Comité Syndical Européen de l'éducation (CSEE) est le défenseur des intérêts du personnel enseignant. Il représente 132 syndicats de l'éducation dans 51 pays, pour un nombre total de 11 millions de membres à travers toute l'Europe.

 

Nos réflexions sur la proposition

  1. La mobilité à des fins d’apprentissage des citoyen·ne·s de l'UE est essentielle pour créer une compréhension mutuelle et un sentiment d'appartenance à l'UE, pour améliorer les qualifications et les compétences, agir en tant que citoyen·ne·s démocratiques et améliorer ses chances sur le marché du travail. Elle est essentielle à la promotion de valeurs européennes communes, de l'intégration sociale, de l'amélioration de la compréhension interculturelle et de la prévention de la radicalisation.
  1. Concernant l'objectif de la politique, nous appuyons pleinement le fait que le règlement se base sur le  Socle européen des droits sociaux, ainsi que sur le 4e  Objectif de développement durable de l’ONU intitulé : « Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie ». Nous exigeons que les futurs programmes Erasmus servent d'outils pour la mise en œuvre du premier principe du socle afin d’assurer que l'éducation, la formation et l'apprentissage tout au long de la vie soient inclusifs, de qualité et constituent des droits pour tou·te·s.
  1. Nous nous félicitons que le programme considère les citoyen·ne·s européen·ne·s comme bénéficiaires futur·e·s de l'objectif du programme : doter les individus des connaissances, aptitudes et compétences nécessaires pour relever les défis sociaux et économiques. Le marché du travail en constante évolution, mais aussi les défis sociaux et économiques exigent une meilleure préparation des apprenant·e·s pour devenir des citoyen·ne·s démocratiquement actif·ve·s et des employé·e·s dans l'emploi de qualité. Nous attendons du futur programme qu’il envisage l'éducation dans une perspective globale où les compétences clés et les aptitudes de base jouent un rôle clé en plus de la qualification continue dans le cadre de l'apprentissage tout au long de la vie. 
  1. Nous soutenons par ailleurs le fait que le Règlement respecte la Charte des droits fondamentaux de l'UE pour le droit à l'égalité. Nous demandons d'identifier dans le règlement l’assurance d’un soutien spécifique aux personnes défavorisées sur le plan socio-économique dans l'allocation budgétaire. Il convient en outre d’assurer l'équilibre entre les genres dans le cadre de l'application et l'octroi de mobilité aux individus.
  1. Nous appelons à davantage d’assistance personnelle et de financement spécifique pour les personnes handicapées dans le cadre du programme. Nous sommes au regret de constater l’absence presque totale dans la proposition de toute explication sur la manière dont élèves à besoins spécifiques ou les étudiant·e·s handicapé·e·s pourront bénéficier de la version révisée du programme Erasmus. Malgré le fait que la proposition aborde la situation des « personnes handicapées, des migrant·e·s et des citoyen·ne·s de l'Union vivant dans les régions éloignées », elle ne précise pas clairement comment elle envisage la prise en charge des étudiant·e·s handicapé·e·s ou à besoins spécifiques. Dans un même ordre d’idées, même si les outils virtuels sont utiles pour les apprenant·e·s handicapé·e·s, nous ne souhaitons pas remplacer l'expérience physique des études à l'étranger.
  1. En plus de soutenir les migrant·e·s, nous demandons de mettre l'accent sur les réfugié·e·s qui ont besoin d'aide dans la reconnaissance de leur éducation et formation et dont l’éducation et la formation continues doivent être intégrées dans les systèmes éducatifs et le marché du travail dans l'UE. Assurer l’équité pour tou·te·s les citoyen·ne·s sans se limiter aux citoyen·ne·s de l'UE figure à la Charte des droits fondamentaux de l'UE, qui sous-tend également la nouvelle proposition Erasmus.
  1. Prodiguer un enseignement sur l’UE et sensibiliser sur les valeurs européennes et la citoyenneté démocratique est de plus en plus important et le prochain budget du programme Erasmus doit être investi dans cette thématique essentielle. Le programme doit également permette d’améliorer le sens d’appartenance à l'Union européenne.  Nous apprécions également que le futur programme se concentre sur la mise en œuvre de la Déclaration de Paris, car la prévention de l'extrémisme et de la radicalisation est plus importante que jamais en Europe.
  1. Si nous sommes d'accord que le futur programme doit être complémentaire à d’autres fonds et programmes de l'union européenne, en particulier au futur FSE +, nous tenons toutefois à souligner l'importance de la complémentarité du programme avec les objectifs politiques et les activités des Etats membres et l'Union. Nous croyons que la mobilité éducative doit également être considérée dans la perspective de la politique sociale et économique. Parmi les objectifs politiques, le programme doit mettre en œuvre la prochaine génération du Cadre stratégique de l’Union européenne pour l'éducation et la formation et mettre l'accent sur la façon dont le programme aidera les Etats Membres, les partenaires sociaux et les parties prenantes à atteindre les indicateurs et les repères des stratégies futures.
  1. Nous sommes d’avis que le nom du nouveau programme doit assurer que le grand public comprenne que celui-ci prend en charge tous les secteurs de l'éducation, sans se limiter à l'enseignement supérieur. Comme le programme Erasmus a célébré son 30e anniversaire en tant que programme de mobilité initialement destiné à l'enseignement supérieur, les citoyen·ne·s confondent encore le concept initial de programme de mobilité Erasmus pour les « étudiant·e·s universitaires » et le « Programme Erasmus + pour la mobilité et les projets dans le secteur de l'éducation ». Par conséquent, même si le signe «  + » disparaît du nom du programme, nous craignons qu’il ne soit pas en mesure d'atteindre acteur·rice·s dans des secteurs autres que celui de l'enseignement supérieur. Par conséquent, nous demandons de ne pas changer à nouveau le nom du programme et même d’envisager d'inclure Erasmus dans le nom d’origine, par exemple : Programme Erasmus d'apprentissage tout au long de le vie 
  1. En outre, nous aimerions que le budget du prochain programme Erasmus soit attribué à des objectifs et activités politiques abordés et adoptés par le Conseil et le Parlement européen, en consultation avec les partenaires sociaux. Nous constatons que le budget Erasmus + est consacré à la mise en œuvre d’initiatives politiques n’ayant pas fait l’objet d’une consultation étendue auprès des institutions de l'UE et que les partenaires sociaux n’ont pas été systématiquement impliqués dans la conception de ces initiatives. Par conséquent, nous demandons davantage de transparence et de participation effective des partenaires sociaux dans la prise de décision sur les priorités politiques en matière d'éducation et de formation et dans la décision de la répartition équitable de l'argent des citoyen·ne·s dans le cadre du futur programme Erasmus. 
  1. Nous sommes tout à fait favorables à l'élargissement des objectifs du programme à l'apprentissage des adultes et à l’EFPC.  Cependant, il est à nouveau prévu d’allouer la plus maigre part du budget à l'apprentissage des adultes et au soutien des adultes peu qualifiés. Nous nous demandons si ce montant combiné au futur  budget FSE + suffira à aider 70 millions d'adultes peu qualifiés à s’intégrer dans le marché du travail, à conserver leurs postes et à réussir leur transition entre les contrats. L'apprentissage des adultes vise également les  personnes socio-économiquement défavorisées, y compris les réfugié·e·s, qui ont besoin d'encore plus de soutien qu'avant.
  1. Nous nous réjouissons de l'augmentation du budget attribué à la mobilité des enseignant·e·s pour soutenir leur formation initiale et leur développement professionnel continu. Cependant, nous tenons à souligner que la proposition doit préciser que les enseignant·e·s ont besoin de l'appui de leurs écoles (employeurs) pour assurer leur remplacement pendant la participation à des périodes de mobilité. Ils·Elles doivent également bénéficier de soutien dans l'apprentissage des langues et leur mobilité doit être considérée comme du temps de travail officiel afin qu'ils·elles n'aient pas à utiliser leurs congés annuels pour des raisons de mobilité professionnelle.
  1. En tant que défenseur des intérêts du personnel enseignant, le CSEE est profondément préoccupé par les conditions de travail des enseignant·e·s qui travaillent avec des étudiant·e·s mobiles : enseigner à des étudiant·e·s étranger·ère·s peut s’avérer difficile et demande beaucoup de temps (car leur parcours éducatif et académique est souvent différent) et exige des compétences linguistiques et culturelles différentes de celles du personnel scolaire ou universitaire. Le CSEE invite la Commission européenne à accorder plus d'attention à la construction d'un environnement de soutien pour les enseignant·e·s et les personnels de l'éducation et à la dimension sociale de l'enseignement et de l'apprentissage des étudiant·e·s d’échange. Nous plaidons pour un soutien financier supplémentaire et un développement professionnel continu suffisant (notamment pour l'obtention des compétences en langue étrangère) à l’attention du personnel scolaire et universitaire et des chercheur·euse·s qui enseignent aux étudiant·e·s internationaux·ales. Sans enseignant·e·s hautement qualifié·e·s et valorisé·e·s, le programme ne serait pas en mesure d'assurer la qualité d’une expérience d'enseignement à l'étranger.
  1. Par ailleurs, les services d'orientation professionnelle dans les écoles et les établissements de formation doivent être bien informés des offres Erasmus. Le programme doit également mettre l'accent sur la validation et la reconnaissance de l'éducation et des périodes de formation à l'étranger et en ligne. Par conséquent, le règlement doit relier l’attribution du budget à des procédures strictes de contrôle qualité et à des descriptions des résultats d'apprentissage, mais aussi au processus de Bologne et à ses valeurs fondamentales ainsi qu’aux systèmes nationaux de crédits et aux outils européens qui contribuent à la reconnaissance des expériences à l'étranger et à l’assurance d’un apprentissage de qualité, comme le Cadre européen des certifications (CEC), le registre européen pour la garantie de la qualité dans l’enseignement supérieur (EQAR), le système européen de crédits pour l'enseignement et la formation professionnels (ECVET) et l'assurance qualité à l’échelle européenne dans l'enseignement et la formation professionnels (EQAVET).
  1. Nous souhaitons par ailleurs que la proposition accentue la sensibilisation concernant l’initiative ErasmusPro, afin de faciliter la mobilité des apprenti·e·s en Europe tout en respectant leur double statut, conformément à la Recommandation du Conseil sur l'efficacité et à la qualité de l'apprentissage. Les conseiller·ère·s d’orientation doivent promouvoir la mobilité de l'apprentissage pour tou·te·s.
  1. Nous nous réjouissons que le budget ait doublé et que son objectif consiste à atteindre des groupes cibles plus larges et des personnes avec moins de possibilités. Mais nous aimerions également des budgets nationaux durables pour l'éducation et non des budgets réduits pour combler l’écart creusé par celui du programme Erasmus. La complémentarité du fonds européens avec et des budgets nationaux doit être une obligation permettant aux pays d'accéder à ces ressources. Le processus du Semestre européen doit continuer à jouer un rôle actif pour assurer un investissement adéquat dans l'éducation, la formation et l'apprentissage. 
  1. Nous souhaitons également que l'augmentation du budget soit allouée au soutien complet de la mobilité des étudiant·e·s issu·e·s d'un contexte socio-économiquement défavorisé et qui ne sont pas en mesure d’ajouter leur contribution à la subvention. Le CSEE a déjà demandé[1] à la Commission européenne de rendre le programme Erasmus aussi inclusif que possible. Par exemple, les statistiques montrent actuellement que la majorité des étudiant·e·s de l'enseignement supérieur viennent milieux socio-économiques et familiaux privilégiés.[2] En 2016, 63 % des étudiant·e·s non-mobiles ont désigné l'insuffisance des bourses Erasmus fournies pour étudier à l'étranger et le coût élevé de la vie dans un autre pays comme les principaux obstacles à la participation à des programmes d'échange Erasmus pour les étudiant·e·s universitaires.[3] Par conséquent, l'aide financière limitée offerte par le programme contribue à accentuer l’écart entre les élèves de milieux socio-économiques privilégiés et ceux issus de milieux modestes. Les financements disponibles doivent refléter les véritables coûts de participation au programme Erasmus. De plus, nous rappelons à la Commission européenne qu’un enseignement supérieur de qualité n'est pas une marchandise et doit être accessible par tou·te·s. Par conséquent, nous demandons instamment à la Commission européenne d’augmenter l'aide financière à tou·te·s les étudiant·e·s afin d’offrir à des personnes de milieux défavorisés, notamment aux migrant·e·s primo-arrivant·e·s, davantage de possibilités d'accéder à un enseignement supérieur de qualité et de favoriser leur inclusion dans la société.
  1. La simplification et la rationalisation des demandes de projets dans le cadre du programme Erasmus sont en effet nécessaires. Notre recherche révèle une manque d'inclusion d'organismes de toute taille et de tout type, de toute zone géographique et région de l'UE[4]. Les syndicats nationaux et européens ne disposent pas des éléments administratifs et techniques nécessaires en vue de préparer une candidature. Par exemple, les syndicats n'ont ni l'expertise ni les moyens (contribution propre et ressources humaines) de poser leur candidature pour les subventions dans le cadre d'Erasmus et parfois, ils ne sont pas qualifiés pour demander des subventions.  En outre, nos organisations membres remarquent que les dispositions relatives aux subventions ont tendance à favoriser les candidat·e·s déjà fort·e·s d’une expertise et d’une expérience particulières dans le cadre de l’ancien programme Erasmus + ou du programme d’apprentissage tout au long de la vie. Nous nous réjouissons par conséquent de la bonne intention de la proposition d’ offrir de petites subventions pour soutenir ceux·celles qui n'ont pas encore d'expérience de candidature. Nous insistons également en faveur d’une orientation plus claire pour les candidat·e·s. 
  1. Cependant, la simplification doit faire en sorte d’éviter la mauvaise gestion. Nous apprécions par conséquent que la proposition mette l'accent sur l'importance d'instances de contrôle indépendantes des agences nationales.
  1. Nous demandons toujours qu'une entité juridique ne soit pas obligatoire dans certains cas, par exemple pour les syndicats enregistrés qui souvent ne sont pas dotés d’une entité juridique car certaines législations nationales ne l’exigent pas.
  1. La diffusion et la durabilité des projets sont des éléments essentiels. Nous regrettons de constater que de nombreux bons projets ne se poursuivent pas et nous demandons à la Commission d'assurer une diffusion coordonnée des résultats de projet au niveau de l’UE. 
  1. Nous rappelons à la Commission que le budget Erasmus est finalement la contribution financière de citoyen·ne·s de l’UE que nous représentons et qui ont leur mot à dire sur sa répartition. Par conséquent, en ce qui concerne la gouvernance, nous regrettons que le Comité Erasmus, qui joue un rôle de coordination dans la définition du programme de travail annuel d’Erasmus +, n'ait pas octroyé de sièges aux partenaires sociaux européens pour la période précédente (2014-2020). Nous demandons donc un siège permanent au comité de gouvernance et pas seulement « le statut d'observateur sur une base ad-hoc ».

 

[1] Commentaires du CSEE sur le 30e anniversaire du programme d’échange d'étudiant·e·s Erasmus, 2017 https://www.csee-etuce.org/en/news/archive/2249-etuce-comments-on-the-30th-anniversary-of-the-erasmus-student-exchange-program

 

[2] L’étude d’impact sur le programme Erasmus (2014) a indiqué que près de deux tiers des étudiant·e·s ont au moins un parent travaillant en tant que cadre, professionnel·le ou technicien·ne.

[3] What are the obstacles to student mobility during the decision and planning phase? Intelligence brief No. 02 (2016). http://www.eurostudent.eu/download_files/documents/EV_IB_mobility_obstacles.pdf

[4] CES– CSEE– CEEP – FEEE : Investment in Education, 2017 https://www.etuc.org/sites/default/files/publication/files/investment_in_education_and_training_-etuc_-ceep.pdf