CES Résolution : Feuille de route pour les accords d'entreprise transnationaux : sur la voie d'un cadre juridique optionnel

 

Contexte

Les accords d'entreprise transnationaux (AET) font de plus en plus partie intégrante du paysage de la négociation collective. Dans de nombreux secteurs, les FSE intensifient leur action pour négocier et conclure des AET.  

La CES soutient activement le travail des FSE, notamment depuis 2009, en cherchant à assurer la mise en place d'un cadre juridique et des procédures nécessaires pour soutenir les FSE dans leur action et résoudre tout problème pouvant survenir dans la mise en œuvre des accords. 

Les FSE ont mis en évidence des problèmes d'application liés à l'absence d'un cadre juridique européen reconnaissant l'existence des AET et leur valeur juridique. Le respect de l'accord et son application dépendent encore, dans une large mesure, de la volonté de l'employeur de le mettre en œuvre. Si de nombreux AET prévoient des procédures « internes » pour régler les différends lorsque le conflit perdure, il n'existe en revanche aucune structure de médiation au niveau européen pour aider les parties signataires à régler leurs différends et, par ailleurs, une ambiguïté juridique subsiste quant à la nature même de « l'accord ». 

En 2014, la CES a réalisé, en partenariat avec les FSE, un projet cofinancé par l'UE (« Créer un environnement favorable aux négociations volontaires et autonomes au plan transnational entre les syndicats et les entreprises multinationales »).

Ce projet, qui est issu de résolutions antérieures de la CES, met en perspective l'analyse juridique, y compris celles réalisées dans le cadre de projets antérieurs de la CES, et les pratiques actuelles identifiées par les FSE. Le rapport final du projet s'articule comme suit :
a)    La Ière partie envisage la possibilité d'une proposition de cadre juridique optionnel (CJO) pour les AET à l'aune des grandes politiques communautaires (stratégie Europe 2020, marché unique, économie de marché sociale) et identifie une série d'options politiques en vue d'un CJO.
b)    La IIe partie présente, entre autres choses, la contribution d'un groupe d'experts universitaires sur le sujet et aborde les principaux problèmes qui se posent en termes de négociation et d'application des AET. Elle décrit par ailleurs des solutions possibles et les caractéristiques d'un tel CJO en matière d'AET.
c)    La IIIe partie identifie des options et formulent des idées et des solutions pour la gestion et l'application des AET, susceptibles d'être mises en place au niveau européen.
d)    La IVe partie présente un possible exemple d'un cadre juridique optionnel pour les accords d'entreprise transnationaux.

6.    Le rapport se penche, notamment, sur les questions suivantes :
a)    La légitimation des agents négociateurs 
b)    La validité et l'efficacité juridique d'un AET
c)    L'application de l'accord dans les filiales des multinationales et dans les entreprises contrôlées
d)    La non-ingérence dans les systèmes nationaux de négociation collective et les clauses de non-régression
e)    La gestion des litiges et différends découlant de la mise en œuvre et de l'interprétation des accords
f)    L'enregistrement/dépôt des accords.

Le rapport final vise à asseoir clairement le rôle primordial des FSE dans les négociations, tel que leur reconnaît déjà la résolution du Parlement européen sur les « négociations collectives transfrontalières et le dialogue social transnational (2012/2292(INI)) », adoptée le 15 juillet 2013 (rapporteur : Thomas Händel). Ce rôle moteur devrait être assumé conformément aux règles et procédures internes établies par chaque FSE, en respectant pleinement les prérogatives de négociation des organisations syndicales nationales et le fonctionnement spécifique de chaque système national de relations professionnelles, tout en veillant à se coordonner avec eux.

Pour ces raisons, le rapport final recommande que la proposition de cadre juridique optionnel en matière d'AET au niveau européen réponde aux caractéristiques suivantes :
a)    Optionnel : L'adhésion au cadre juridique est optionnelle et ne vaut que pour les accords où les parties contractantes ont déclaré par écrit que l'accord est régi par les dispositions dudit cadre
b)    Le rôle primordial des FSE dans le processus. Côté « travailleurs », l'adhésion au CJO devrait être limité aux seules FSE. Cela permettrait de garantir que la négociation collective reste une prérogative exclusive des syndicats et d'éviter, de la sorte, le risque que d'autres intervenants ou instances (tels que les CEE, les comités d'entreprise ou des associations créées sous la pression des entreprises, etc.) ne deviennent des acteurs de la négociation, ce qui irait à l'encontre des dispositions des législations nationales et européenne.
c)    Participation des CEE. Le CEE – lorsqu'il existe – devrait être informé et être associé autant que possible aux négociations, à la gestion et au contrôle des AET conformément aux règles internes établies de manière autonome par chaque FSE.
d)    Publicité du mandat. Au début du cycle de négociation, chacune des deux parties en présence devrait divulguer le mandat qu'elle a reçu de manière à indiquer clairement qui elle représente et être ensuite liée par l'accord. Le mandat est essentiel pour renforcer la nature contraignante des accords qui en découlent, dans la mesure où il définit des méthodes claires de participation des comités d'entreprise et des syndicats nationaux, qui font partie de la représentation syndicale au sein des entreprises multinationales concernées.
e)    Champ d'application de l'AET. Les parties doivent définir clairement le champ d'application et les modalités d'adaptation de l'AET en cas de changements dans la structure de la multinationale.
f)    Contenu formel de l'accord. Afin d'optimiser l'applicabilité de l'accord, chaque AET doit mentionner ou inclure :
•    le nom officiel (dénomination) et la signature de chaque partie signataire ;
•    le lieu où l'accord a été signé ;
•    la date à laquelle l'accord a été signé ;
•    la date d'entrée en vigueur de l'accord ;
•    la date d'expiration ou la durée de l'accord, ou dans le cas d'un accord à durée indéterminée, une procédure permettant à l'une des parties d'y mettre fin ;
•    une procédure pour la résolution, la renégociation et la reconduction de l'accord.
g)    Clause de non-régression. Cette disposition est destinée à éviter que le CJO ne sape l'autonomie des partenaires sociaux au plan national et à protéger les droits des travailleurs en n'autorisant aucun changement péjoratif à cet égard.
h)    Clause de la disposition la plus favorable en cas de conflit entre une disposition d'un AET et une disposition de tout autre accord en vigueur, c'est la disposition la plus favorable qui s'applique aux travailleurs, incluant le droit d’organiser des actions collectives.
i)    Une clause garantissant la protection des travailleurs et des représentants syndicaux impliqués dans les négociations des AET et dans leur mise en application. Cette protection doit jouer notamment pour la participation aux réunions des groupes de négociation ou toute autre activité en rapport avec la mise en œuvre de l'accord, mais aussi pour assurer le paiement des salaires en cas d'absence nécessaire, liée à l'exercice de leur mandat.

De plus, afin de renforcer le caractère autonome des négociations et des AET et, dans le même temps, de régler les problèmes éventuels de compétence juridique liés au droit national applicable, le CJO devrait intégrer les dispositifs suivants :
a)    Un mécanisme de médiation pour le règlement extrajudiciaire des litiges (REL, ou ADR selon l’acronyme anglais) au niveau européen, accessible aux seules parties signataires, lorsque la procédure interne prévue par l'AET ne permet pas de résoudre le différend. Le dispositif de REL doit être un mécanisme de médiation. Les médiateurs ont mission d'aider les parties à trouver une solution et, si les parties en font la demande, de formuler une recommandation et rédiger un rapport.
b)    Un registre des AET régis par le CJO. Cet instrument permettra de garantir l'accès aux textes officiels des accords.

Avec ses affiliés, en l'occurrence les FSE, la CES appuiera nos demandes pour un cadre juridique optionnel en matière d'accords d'entreprise transnationaux au niveau de l'UE, et précisément :
a)    Établir clairement le rôle primordial des FSE dans la négociation, la signature et la gestion des AET, sur la base des procédures définies de manière autonome dans lesdits accords
b)    Instaurer un mécanisme européen de médiation pour la résolution extrajudiciaire des litiges (REL/ADR)
c)    Un registre des AET régis par le CJO.
d)    Clarifier l'interaction et la validité juridique des AET, à l'égard notamment des conventions collectives, des lois, des règles et des pratiques en vigueur au niveau national.

La CES et les FSE veilleront, en tout état de cause, à ce que l'instauration d'un tel cadre juridique optionnel respecte en tout point l'autonomie des partenaires sociaux nationaux ainsi que les conventions collectives et les systèmes de négociation nationaux.

Pour atteindre ces objectifs, la CES œuvrera simultanément dans divers domaines, en étroite collaboration avec ses affiliés, en particulier avec les FSE, afin de mettre à profit l'approche constructive qui a caractérisé son action ces dernières années :
a)    La CES, conjointement avec ses affiliés et les FSE, examinera plus avant et définira les problèmes liés aux AET et à leur application, ainsi que les caractéristiques du CJO.
b)    La CES mettra tout en œuvre pour renforcer le consensus sur cette proposition, en dialoguant et en travaillant avec les interlocuteurs du monde patronal. La CES introduira une demande de financement pour un projet conjoint – dans le cadre de la ligne budgétaire 01 (Dialogue social) – à réaliser en collaboration avec BusinessEurope, le CCEP et/ou avec les organisations patronales désireuses de participer à un tel exercice.
c)    Ce projet conjoint analysera les concepts qui se sont dégagés au cours du projet actuel, dans le but d'élaborer de futures recommandations pour promouvoir l'efficacité des AET.  
d)    Entre-temps, la CES poursuivra son action de dialogue et de persuasion auprès de la Commission européenne. En particulier, la CES s'efforcera de convaincre la Commission d'apporter son soutien à notre travail sur les propositions relatives aux mécanismes de médiation et d'enregistrement/dépôt, comme point de départ pour la mise en place d'un CJO. Nous rappelons, à cet effet, l'intérêt que la Commission elle-même a manifesté lors de la conférence qui s'est tenue le 5 avril 2016 à Amsterdam.