Renforcer la gouvernance économique et clarifier la mise en oeuvre du pacte de stabilité et de croissance

Bruxelles, les 13-14 octobre 2004

{{Le débat actuel }}

1. Tout en reconnaissant la nécessité de coordonner la politique fiscale au sein de l'Union économique et monétaire (UEM) et de prévenir les politiques fiscales non viables, la CES s'est montrée constamment critique vis-à-vis du pacte de stabilité et de croissance (PSC), instauré en 1997 dans le but de garantir la discipline fiscale dans les conditions spécifiques d'une union monétaire [[Comme récemment encore, dans la résolution sur la stratégie de Lisbonne, Comité exécutif, 4 et 5 décembre 2003]]. . La CES est d'avis - et cette opinion est de plus en plus partagée par les responsables politiques et les milieux universitaires - que, quelle que soit sa contribution à la réduction des déficits, le pacte manque d'une logique économique convaincante et a restreint inutilement la croissance de l'économie européenne. Par conséquent, il constitue une entrave à la réalisation de la stratégie de Lisbonne, et notamment des objectifs en matière d'emploi. En réponse aux critiques, des modifications ont été apportées, fin 2002, à la mise en œuvre du pacte [[Renforcer la coordination des politiques budgétaires, COM(2002) 668 final.]] , notamment pour se concentrer davantage sur les déficits budgétaires adaptés aux variations cycliques, plutôt que sur les déficits budgétaires courants.

2. Le ralentissement économique du début du millénaire se poursuivant, de plus en plus de pays ont dépassé la limite des 3 % de déficit. Compte tenu de la situation économique, les tentatives de la Commission visant à appliquer la procédure concernant les déficits excessifs ont été rejetées par le Conseil. En décembre 2003, les conflits politiques résultant des règles fiscales inappropriées du pacte et l'impossibilité d'assurer une croissance économique adéquate, conforme au potentiel de l'économie européenne, ont finalement débouché sur la suspension de facto du PSC.

3. En réaction à cette crise (et notamment à la demande du Conseil européen de juin), la Commission a publié en septembre 2004 une communication [[Renforcer la gouvernance économique et clarifier la mise en œuvre du pacte de stabilité et de croissance, COM(2004) 581 final, 03.09.2004.]] contenant une série de propositions tendant à réformer la mise en œuvre du pacte. Ces propositions ont été discutées lors de la réunion suivante du conseil ECOFIN, sans qu'aucune initiative politique concrète n'ait été prise. Le débat public sur ces propositions, et, de manière plus générale, sur la réforme du PSC, s'intensifie. Les propositions de la Commission ont été vertement critiquées par la BCE et par certains commentateurs, qui soutiennent qu'elles aboliront la discipline nécessaire des politiques fiscales nationales au sein de l'UEM. Il est temps pour la CES d'affirmer clairement sa position.

La dernière communication de la Commission : un pas dans la bonne direction

4. La communication de la Commission préconise plusieurs mesures pour « recentrer » le PSC dans les domaines suivants :

· Accroître la place accordée à la dette publique et à la viabilité dans la surveillance des positions budgétaires.

· Tenir davantage compte des « circonstances nationales » dans la définition de l'objectif à moyen terme relatif à une position proche de l'équilibre ou excédentaire.

· Tenir davantage compte des « circonstances nationales » dans l'application de la procédure concernant les déficits excessifs (PDE)

· Accroître l'attention portée à l'évolution des budgets pendant les périodes de conjoncture favorable.

· Améliorer la coordination entre le PSC, les grandes orientations de politique économique (GOPE) et les procédures budgétaires nationales.

· Améliorer l'application par le recours aux « alertes rapides » directes, par l'amélioration des statistiques fiscales et le renforcement de la pression des pairs, et par le renforcement du lien avec les calendriers budgétaires nationaux.

5. La Commission n'a pas précisé ces recommandations de manière très détaillée. Plusieurs indications importantes sont toutefois données. Les « périodes de faible croissance » sont explicitement mentionnées en tant que « circonstance exceptionnelle » justifiant un dépassement temporaire de la limite des 3 %. « Les conditions économiques et les niveaux d'endettement » devraient être utilisés pour déterminer la rapidité avec laquelle un déficit de plus de 3 % devrait être corrigé, compte tenu des « raisons à l'origine des déficits excessifs ». Les facteurs mentionnés dans l'évaluation de l'objectif à moyen terme pour chaque pays comprennent « le potentiel de croissance économique, l'inflation, les passifs implicites existants liés au vieillissement démographique, l'impact des réformes structurelles ou la nécessité d'investissements nets supplémentaires ». On notera que la Communication fait référence à plusieurs reprises à la nécessité de se préparer au vieillissement de la population. Ces points sont traités ci-dessous.

Positions de la CES et perspectives de réforme

6. Dans un premier communiqué de presse, la CES a prudemment salué ces propositions, qui reconnaissaient tardivement que le pacte était devenu impraticable et qu'il devait être réformé de toute urgence. Les réformes proposées, qui restent vagues et mériteraient d'être développées de manière plus concrète, remédient aux lacunes principales du pacte. En améliorant la logique économique sous-tendant la coordination des politiques fiscales, les réformes adoptées sur la base de cette communication peuvent en effet, comme la Commission le soutient, renforcer l'adhésion des États membres au pacte et donc améliorer la coordination des politiques fiscales nationales. Dans ces conditions, les « alertes rapides » de la Commission n'auront que plus de poids. La CES rejette l'argument avancé notamment par la BCE selon lequel de telles réformes ne feraient qu'assouplir les règles et qu'elles mettraient en danger les politiques fiscales responsables en Europe. Au contraire, une application plus souple et économiquement rationnelle des principes ne peut que renforcer la crédibilité du cadre macroéconomique, en produisant de meilleurs résultats tant sur le plan de la croissance que de la stabilité. Outre l'idée d'améliorer le lien avec la politique nationale, mise en avant par la Commission - et qui devrait elle aussi être développée -, il y a une réelle occasion d'améliorer et de rendre plus efficace la coordination des politiques.

7. Le plaidoyer de la Commission en faveur d'une politique fiscale symétrique qui s'intéresse aussi aux dépenses et aux politiques d'imposition en période de bonne conjoncture rejoint des exigences de longue date de la CES et doit être salué. La résolution de décembre 2003 de la CES avait demandé l'adoption de mesures visant à garantir que le PSC inflige des sanctions effectives en cas de reprise de l'économie.

8. La CES se réjouit également de l'attention accrue accordée à la viabilité fiscale à long terme, en particulier pour ce qui est de la dette publique. Les niveaux d'endettement public varient considérablement d'un pays à l'autre de l'UEM (ainsi, ils sont en général nettement plus faibles dans les nouveaux États membres, où les besoins en investissements sont tout aussi importants). Toutefois, la CES signale que la prise en compte du passif des retraites dans la détermination de la dette publique requiert une analyse beaucoup plus poussée que celle qui est généralement proposée. Du fait, précisément, du vieillissement de la population, les individus et les fonds de pension veulent détenir des valeurs sûres telles que des obligations d'État. Or, l'application du PSC restreindra puis tarira finalement l'offre d'obligations d'État. Plus fondamentalement, les sociétés dans leur ensemble ne peuvent « épargner pour les pensions » en réduisant le niveau d'endettement actuel. La meilleure contribution de la politique fiscale pour relever les défis démographiques auxquels nos sociétés sont confrontées serait de promouvoir les investissements, la croissance économique et l'emploi en s'attaquant directement aux problèmes causés par des taux de dépendance élevés. La réduction des dépenses publiques dans ces domaines - voyez notamment l'offre de garderies - est non seulement une solution inappropriée : elle exacerbera sérieusement le problème démographique.

9. Ainsi que la Commission l'a désormais reconnu explicitement, toute recommandation politique au titre du PSC doit reposer sur un raisonnement économique sain et sur une connaissance exhaustive du contexte fiscal et économique global du pays concerné. Il convient de tenir compte de plusieurs éléments lorsque lors de l'objectivation des conditions nationales, dont la Commission a donné une idée générale. Les termes d'« investissements nets » doivent se traduire en propositions pratiques reposant sur l'idée fondamentale qu'il n'est pas rationnel de financer les investissements publics - qui produiront des bénéfices pour les générations futures - autrement que par la fiscalité actuelle. L'Europe doit investir davantage dans son capital humain et physique : les dépenses publiques dans ces domaines devraient être traitées différemment des dépenses axées sur la consommation. Les pays ayant un niveau d'endettement soutenable devraient être autorisés à suivre une « règle d'or », selon laquelle les dépenses d'investissements seraient effectivement exclues du déficit. Le pacte doit être rédigé de manière à rendre possibles des programmes coordonnés d'investissements publics tels que l'initiative pour la croissance récemment proposée par la Commission, ou le plaidoyer de la CES en faveur d'un programme d'investissements publics dans l'enseignement, la recherche, l'innovation et les services représentant 1 % du PIB (résolution de décembre 2003).

10. De même, le terme d'« inflation » utilisé par la Commission doit être précisé de manière à tenir compte du fait que les pays visés par une PDE sont généralement des pays à faible inflation auxquels la principale finalité du PSC - prévenir que les coûts de politiques expansionnistes se traduisent par une inflation élevée et donc des taux d'intérêt élevés - ne s'applique tout simplement pas. En même temps, le niveau plus élevé de taux d'intérêts découlant d'une moindre inflation ajoute une charge supplémentaire à la dynamique de croissance dans les pays à faible inflation. Par conséquent, un taux d'inflation faible est un indicateur important montrant que la politique fiscale n'est pas excessivement expansionniste et que le pays concerné ne devrait pas être obligé à recourir à une politique pro-cyclique de resserrement.

11. Outre la nécessité de concrétiser davantage les propositions de la Commission, la CES souligne aussi qu'elles laissent sans réponse plusieurs préoccupations sérieuses. Un système de coordination fiscale pleinement opérationnel dans l'UEM, en tant qu'élément d'un système de gouvernance économique qui maximalise la croissance et l'emploi durables et donc contribue pleinement à la réalisation des objectifs de l'Union européenne, devra aussi tenir compte en particulier des domaines suivants, où des réformes sont nécessaires :

· On méconnaît le rôle de l'épargne du secteur privé dans l'évaluation de la politique fiscale. Le pacte ne s'intéresse qu'à la dette publique et ignore l'épargne ou l'endettement du secteur privé. Les pays qui connaissent une épargne élevée, comme l'Allemagne, peuvent non seulement se permettre un déficit budgétaire plus important, mais ils doivent même l'entretenir (ou augmenter l'excédent de leur balance commerciale) pour équilibrer l'épargne globale et les investissements. Dans l'ensemble, ces pays tirent vers le bas le taux d'intérêt commun. Inversement, pendant les années 1990, les États-Unis ont diminué le déficit de leurs finances publiques, mais, dans le même temps, l'endettement du secteur privé a explosé. Le problème des équilibres sectoriels - la nécessité d'un équilibre entre l'épargne et les investissements dans les secteurs privé, public et étranger dans toute économie - est une donnée fondamentale qui est ignorée non seulement par le pacte même, mais aussi par la plupart des contributions au débat portant sur sa réforme.

· Le rôle joué par la politique fiscale dans le réajustement de la compétitivité nationale au sein d'une zone monétaire est une question centrale à laquelle il faut s'atteler si l'on veut que l'UEM fonctionne sans heurts. Les politiques fiscales nationales, qui devraient dans l'idéal être associées étroitement à des stratégies de salaires et de productivité, doivent avoir une portée adéquate pour réaliser les ajustements nécessaires tout en excluant les stratégies du « chacun pour soi » basées sur une dépréciation réelle de la monnaie.

· L'impact d'un déficit des finances publiques sur les autres pays d'une union monétaire - ses « effets externes » - est non seulement négatif, du fait de l'augmentation des taux d'intérêt, comme l'implique l'interprétation du PSC, mais il comporte aussi des effets positifs par le coup de fouet que l'expansion fiscale donne aux exportations des autres pays. De même, le resserrement budgétaire dans un pays a des conséquences négatives pour la demande, en restreignant l'ampleur de la croissance économique dans d'autres pays.

· Ces éléments doivent aussi être pris en compte dans le contexte du déficit budgétaire global de l'UEM (qui est actuellement bien au-dessous de 3 %).

12. À moyen terme, il faudra apporter une réponse aux énumérés sous le point 11. préoccupations. Pour l'heure, la CES appelle à un grand débat public, auquel tous les acteurs politiques concernés devraient participer, sur les dernières propositions de réformes de la Commission. Un tel débat devrait viser à concrétiser plus avant les propositions de réforme pour permettre leur transposition le plus rapidement possible. La CES est intimement convaincue qu'elles représentent une avancée et le mouvement syndical européen est prêt à contribuer au débat en cours. En coopération avec l'Institut syndical européen, une série de propositions plus détaillées seront présentées en temps opportun.