Position de la CES sur l’évaluation du règlement relatif à la facilité pour la reprise et la résilience. Un premier pas vers une reprise en faveur des personnes (adoptée)

Position de la CES sur l’évaluation du règlement relatif à la facilité pour la reprise et la résilience. Un premier pas vers une reprise en faveur des personnes
Adoptée lors de la réunion virtuelle du Comité exécutif extraordinaire du 09 février 2021

CONTEXTE
Une partie de la réponse de l’Union européenne à la crise dévastatrice résultant de la pandémie du Covid-19 consistait à approuver et à mobiliser des moyens sans précédent pour la reprise économique et sociale de l’Europe.
En mai 2020, la Commission européenne a proposé NextGenerationUE, un instrument temporaire de relance d’un montant de 750 milliards d’euros dans le but de compléter et de renforcer le budget à long terme de l’UE. En juillet 2020, le Conseil est parvenu à un accord politique tant sur le budget que sur le plan de relance.

Enfin, le 18 décembre 2020, le Parlement européen et le Conseil ont approuvé la facilité pour la reprise et la résilience (FRR) en tant que principal instrument du programme NextGenerationUE au bénéfice de la relance économique et sociale des États membres de l’UE. Il s’agit de subventions et de prêts à hauteur de 672,5 milliards d’euros destinés à soutenir réformes et investissements au cours des trois prochaines années.

EVALUATION GÉNÉRALE DE LA FRR ET BRÈVE ANALYSE DES PRINCIPALES PRIORITÉS DE LA CES
Le texte final du règlement établissant la FRR n’est pas aussi ambitieux que ce que la CES espérait et pour lequel elle s’était battue. Malgré certaines inquiétudes, il peut toutefois être considéré comme globalement positif.

La FRR représente la toute première réalisation politique vers une plus grande intégration européenne. Les réformes et investissements entrepris par les États membres sont en effet financés à travers un instrument de dette commun. En outre, la FRR a en grande partie pour but de financer des initiatives consacrées à modeler un avenir plus vert, numérique et plus équitable.

Le texte final améliore fortement les dimensions sociales et environnementales de la proposition de la Commission et du Conseil notamment en incluant la plupart des principales priorités syndicales que la CES a défendues.

Il représente une précieuse opportunité politique de s’éloigner du paradigme économique dominant au sein de l’Union européenne et de se tourner vers une gouvernance économique innovante et plus socialement orientée.

Dès le début du processus législatif, l’action de la CES a été centrée sur des propositions d’amendements mettant l’accent sur quatre priorités clés :

a. Introduction d’une clause de sauvegarde de l’autonomie et de la négociation collective des partenaires sociaux ;
b. Renforcement des dimensions sociales et environnementales des plans nationaux pour la reprise et la résilience ;
c. Assurer l’implication des partenaires sociaux dans l’élaboration, la mise en œuvre et le suivi des plans nationaux pour la reprise et la résilience ;
d. Suppression des conditionnalités macroéconomiques liées à l’utilisation des fonds de la FRR.

La clause de sauvegarde de l’autonomie et de la négociation collective des partenaires sociaux est incluse dans les attendus du texte. L’attendu 33[1] pose que « Les plans nationaux pour la reprise et la résilience ne devraient pas nuire au droit de conclure ou de faire appliquer des conventions collectives ou d’entreprendre une action collective conformément à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi qu’aux législations et pratiques nationales et de l’Union ». De plus, l’attendu 14[2] stipule que les moyens de la FRR peuvent être utilisés pour « favoriser le renforcement du dialogue social ».

Les dimensions sociales et environnementales de la reprise ont été renforcées dans les articles relatifs au champ d’application et aux objectifs de la FRR. Parmi ses objectifs, des références spécifiques sont par exemple faites à la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux et à la loi européenne sur le climat. En outre, les États membres sont tenus d'expliquer comment leurs plans nationaux pour la reprise et la résilience abordent l'égalité des sexes, l'égalité des chances pour tous et l'intégration de ces objectifs. Par ailleurs, un montant d’au moins 37% de chaque plan national devrait être dédié aux questions liées au défi climatique et toutes les actions financées par la FRR devraient respecter le principe consistant à « ne pas causer de préjudice important ». Tous les secteurs, y compris les industries à forte intensité énergétique, tout en respectant ce principe, devraient être des bénéficiaires éligibles des fonds du FRR afin de les soutenir dans leurs efforts pour atteindre les objectifs du « Green Deal » européen liés au climat.

Malgré les demandes des syndicats, les institutions européennes n’ont pas prévu de règle contraignante pour la consultation des partenaires sociaux à propos des plans nationaux pour la reprise et la résilience. L’article 18 p.4(q)[3] impose aux gouvernements l’obligation de faire rapport de la manière dont les partenaires sociaux ont été consultés plutôt que l’obligation de les consulter. Ceci découle de la réticence tant de la Commission que du Conseil de rendre la participation des partenaires sociaux obligatoire. Pourtant, si on la lie aux lignes directrices de la stratégie annuelle 2021 pour une croissance durable (ASGS), l’inclusion de cette obligation représente un pas en avant. En effet, cette règle repose sur la coopération actuelle entre la Commission, le Conseil et les partenaires sociaux dans le cadre du semestre européen tout en la renforçant encore. La CES continuera à plaider en faveur d’une règle contraignante pour plus de consultations structurées – basées sur l’indice de participation syndicale de la CES – dans la perspective d’une réforme très attendue de la gouvernance économique.

La CES s'oppose fermement aux conditionnalités macroéconomiques car celles-ci pourraient être utilisées comme un moyen de pression sur les États membres en exigeant la mise en œuvre de mesures d'austérité dans l'utilisation des fonds du FRR. Malgré le vigoureux lobby de la CES contre l’imposition de telles conditionnalités dans l’utilisation des fonds de la FRR pouvant aller jusqu’à la suspension du décaissement des moyens alloués, ces conditionnalités sont toujours présentes dans le texte final. Elles constituaient un élément critique de l’accord politique auquel les chefs d’État et de gouvernement européens sont parvenus en juillet 2020. Leur suppression était dès lors un objectif extrêmement difficile. Ceci étant, les négociations interinstitutionnelles ont pu, dans une certaine mesure, diluer les conditionnalités.

L’article 10[4] stipule notamment que les conditionnalités ne peuvent s’appliquer au cas où le Conseil « a déterminé l’existence d’une grave récession économique pour l’Union dans son ensemble » et que « les paiements ne seront suspendus que lorsqu’une action immédiate est requise et en cas de non-conformité significative ». De plus, l’article 9 pose que la suspension « sera proportionnée, respectera l’égalité de traitement entre États membres et tiendra compte des circonstances économiques et sociales de l’État membre concerné, en particulier le niveau de chômage, le niveau de pauvreté ou d’exclusion sociale de l’État membre concerné par rapport à la moyenne de l’Union et l’impact de la suspension sur l’économie de l’État membre concerné ».

L’article 10 accorde également au Parlement une prérogative de contrôle du processus de suspension et charge la Commission de faire rapport au Conseil et au Parlement concernant l’application de ces dispositions dans la perspective d’une possible révision de l’article lui-même.

Enfin, la CES se réjouit de l’inclusion du principe d’additionnalité (Article 5 p.1[5]) – c.-à-d. que le soutien apporté au titre de la FRR ne remplace pas les dépenses budgétaires nationales courantes. Cela devrait permettre une augmentation nette des investissements publics. Selon le règlement, les ressources de la FRR peuvent également être allouées à des incitatifs pour investissements privés. Cela pourrait détourner une partie du financement d’investissements publics bien nécessaires, limiter la transparence et le contrôle public des ressources mobilisées à travers la FRR et engendrer un chevauchement avec le champ d'application d’autres fonds européens tels que l’InvestUE. Toutefois, si de tels incitatifs sont mis en place, la CES et ses organisations membres veilleront à ce qu’ils n’entraînent pas la privatisation de services publics et soient favorables aux objectifs clés de la FRR, y compris les transitions verte et numérique ainsi que la création d’emplois de qualité.

APERÇU DU LOBBY MENÉ PAR LA CES
La CES est intervenue tôt dans le processus législatif en proposant des amendements aux positions des commissions du Parlement européen pour le budget, les affaires économiques et financières, l’emploi et les affaires sociales. La CES est parvenue à ce que ces priorités soient reflétées dans la position de négociation adoptée par le Parlement européen.

Lors des négociations interinstitutionnelles, la CES a redoublé ses efforts de lobbying vis-à-vis tant du Parlement que du Conseil, soit directement via des contacts structurés avec les représentations permanentes des États membres, soit indirectement avec les gouvernements grâce à l’aide de ses organisations membres.

En quatre mois, la CES a eu plusieurs contacts avec tous les groupes progressistes et négociateurs parlementaires. Certaines représentations permanentes ont également été approchées avec l’aide des officiers de liaison syndicaux « semestre » (TUSLO) et des cadres nationaux dans le but de créer une alliance pour soutenir les exigences syndicales au sein du Conseil. Durant cette même période, cinq circulaires ainsi que des demandes d’aide de lobbying ont été envoyées aux affiliés. Plusieurs d’entre eux ont été en contact régulier avec la CES et ont tenu le Secrétariat informé de leurs discussions avec leurs gouvernements et eurodéputés respectifs.

Une consultation a eu lieu le 26 janvier 2021. La première session a réuni Gentiloni, commissaire à l'économie, et d'autres hauts fonctionnaires de la DG ECFIN et de la DG RECOVER. La deuxième session a permis aux représentants syndicaux de discuter des PNRR avec les fonctionnaires responsables de la Commission - c'est-à-dire les Country Desks et les responsables du semestre européen. 

L’effort collectif devrait être valorisé et poursuivi durant la mise en œuvre de la FRR. Les décisions futures pourront ainsi pleinement refléter les attentes des travailleurs européens.

PROCHAINES ÉTAPES
La FRR met à disposition des gouvernements de l’UE un montant sans précédent de ressources communes et ouvre dès lors la voie au financement d’un avenir plus juste, plus vert et plus numérique. La CES fera en sorte d’assurer le niveau de coordination le plus élevé possible concernant l’utilisation des ressources européennes disponibles, notamment en veillant à la coordination et à la complémentarité des actions entreprises au titre de la FRR et des initiatives financées par le cadre financier pluriannuel (CFP).

La FRR représente une opportunité politique unique pour les syndicats européens de finalement se débarrasser de l’austérité ayant échouée à remplir ses objectifs. C’est l’occasion de maintenir la pression en faveur de la réforme tant attendue du cadre de gouvernance économique. C’est également un moyen de garantir une « Reprise en faveur des personnes » en participant à l’élaboration et à la mise en œuvre de politiques économiques et sociales pour une reprise différente de celle ayant suivi la crise passée.

Dans cette perspective, le FRR est également une opportunité pour les syndicats européens de continuer à faire pression pour une réforme tant attendue du cadre de gouvernance économique. En outre, il constitue un moyen d'assurer une reprise en faveur des personnes  en participant à la conception et à la mise en œuvre des politiques économiques et sociales pour une reprise différente de celle de la crise passée.

La CES poursuivra son travail afin d’assister les organisations membres tout au long du processus en faisant pression sur la Commission pour contrôler et, le cas échéant, faciliter les consultations des syndicats à propos des plans nationaux pour la reprise et la résilience, tant au niveau européen qu’au niveau national.

La CES et ses organisations membres s'emploieront à garantir que les plans nationaux pour la reprise et la résilience allouent des ressources adéquates à l'investissement dans les services publics contribuant à promouvoir l'égalité des sexes et à lutter contre la violence à l’égard des femmes.

La CES engagera un dialogue avec la Commission européenne afin d’influencer les actes délégués concernant (i) la conception du tableau de bord contrôlant la mise en œuvre des plans de relance et (ii) la méthodologie pour évaluer les dépenses sociales au titre des plans nationaux pour la reprise et la résilience. La CES demandera également à la Commission de réévaluer l'adéquation des ressources du FRR par rapport aux prévisions économiques les plus récentes.


[1] Numérotation à vérifier après publication dans le Journal officiel
[2] Numérotation à vérifier après publication dans le Journal officiel
[3] Numérotation à vérifier après publication dans le Journal officiel
[4] Numérotation à vérifier après publication dans le Journal officiel
[5] Numérotation à vérifier après publication dans le Journal officiel