Discours de Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats (CES) Congrès de la CFDT

 

Discours de Bernadette Ségol, Secrétaire générale de la Confédération européenne des syndicats

[Le texte prononcé fait foi]

 

Présidente, Chères et chers amis,

 

Les résultats des élections du parlement européen sont alarmants. 

 

Presque 60 pour cent des citoyens ne sont pas allés voter.

 

Dans certains pays les europhobes et les extrêmes ont obtenu des résultats considérables.

 

Surtout en France avec la montée du Front National  et au Royaume uni avec l’UKIP.  Même dans les pays nordiques, notamment en Suède, au Danemark mais aussi en Finlande des partis nationalistes et conservateurs ont obtenus des résultats significatifs.

 

Quelques bonnes nouvelles cependant: en Italie, le Parti Démocrate a connu un succès remarquable et cela sur fond de crise.

 

En Grèce, en Espagne et au Portugal – des pays les plus touchés par la crise financière l’extrême droite n’a pas gagné du terrain. C’est encourageant.

 

C’est vrai : les rétrogrades et des nationalistes ont gagné du terrain au Parlement Européen.

 

Leur dénominateur commun c’est le refus de l’Europe et la méthode de l’obstruction. 

 

Que le Front National ait pris la première place en France est alarmant pas seulement pour la France mais pour l’Europe toute entière. La France, deuxième force économique, pays fondateur de la Communauté Européenne, le pays de Robert Schuman de Jean Monnet et de Jacques Delors reste un pays déterminant pour l’avenir européen.

 

Je suis, vous êtes, La CES est atterrée de voir arriver en tête un parti qui prône le retour vers l’état national, qui prône l’abandon de la monnaie unique et le retour au franc, qui veut fermer les frontières et abandonner la libre circulation, qui a comme fonds de commerce la xénophobie et même le racisme. 

 

De très, très douloureuses marques de l’histoire du siècle dernier remontent dans notre mémoire collective.

 

Deux guerres, le fascisme et le totalitarisme ont dévasté notre continent. Les colonialismes des uns et des autres ont laissé des cicatrices jusqu’à nos jours.

 

Soyons clair : l’histoire des Etats-nations est tout sauf glorieuse.

 

L’Union européenne est une réponse heureuse aux malheurs du passé ; cette réponse nous ne la braderons jamais.

 

Mais l’UE c’est aussi une réponse pour le 21ème siècle.  Quel est le poids de la France face à la Chine ou aux USA ?  Par contre le poids de l’UE est tout à fait considérable. La globalisation exige que les états nations européens regroupent leur force.  C’est aussi une condition de la croissance et de l’emploi.

 

L’Union européenne reste un projet en construction permanente.  Elle a connu des hauts et des bas ;  elle est bourrée de contradictions, et sa route est semée d’obstacles. 

 

C’est normal.  Construire un niveau supranational en conciliant les intérêts et diversités nationales et régionales n’est pas un long fleuve tranquille.

 

C’est très compliqué. Il n’y a pas de baguette magique.

 

La Confédération européenne des syndicats est la résultante logique de la construction européenne.

 

Le monde du travail a besoin d’une représentation unie qui défende et promeuve les intérêts de ses membres, et qui dise haut et fort ce qui va et ce qui ne va pas.

 

Qui lève sa voix et mobilise et agisse contre les dérapages du néolibéralisme. 

 

Se lamenter ne sert à rien.  Rester sur le bord de la route et refuser de marcher est contre-productif.  Nous devons travailler à l’intérieur du système européen. Croire que simplement changer la communication sur l’Europe changera l’Europe est une erreur ;  ce qu’il faut c’est  voir le modèle social européen comme un modèle d’avenir, réorienter les politiques européennes, vers une croissance soutenable et des emplois de qualité.

 

Vous CFDT, nous CES, syndicat européen, sommes une force essentielle dans la démocratie européenne. 

 

Nous avons bougé, nous bougeons et nous bougerons.  Nous ne nous tairons pas. 

 

A l’intégration économique il faut répondre par une intégration et une action syndicale coordonnée.  Il reste du chemin à faire ; je suis bien placée pour le savoir.  Mais ne négligeons pas le chemin parcouru.

 

Le système financier doit alimenter l’économie réelle.  C’est sa fonction.  En cela le système financier a une mission de service public.  Qui s’en souvient encore ?

 

Le système s’est dévoyé ; les banques ont spéculé et fait de l’argent sur de l’argent ;  puis le château de carte s’est écroulé, avec le résultat que vous savez.

 

Ce n’est même pas une « économie de casino » car dans un casino il y a des règles. Ceux qui ne les respectent pas reçoivent un carton rouge.

 

Et à la fin de chaque journée, le fisc encaisse les impôts des casinos.

 

Notre système bancaire tire la couverture à soi.  Quand tout va bien il encaisse les profits, quand ça va mal c’est l’Etat qui casque.  Et l’Etat, c’est vous, c’est le citoyen ordinaire. 

 

Ce n’est pas normal. Ce n’est pas acceptable.

 

Nous sommes loin d’avoir rétabli un système bancaire fiable.  On peut le faire au niveau européen.  Au niveau mondial c’est beaucoup plus difficile, même si c’est souhaitable.  De mon point de vue, très loin.  Quelques progrès ont été faits, mais nous ne sommes pas à l’abri d’une autre crise bancaire.  Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est Christine Lagarde.

 

Nous avons aussi un problème de fiscalité.  D’abord un problème de concurrence sur le taux de fiscalité des entreprises – entre 12% et 30%) et ensuite un problème avec la multiplication des techniques d’évitement fiscal, sans parler de la fraude fiscale.

 

De grandes multinationales, d’origine diverses y compris européenne, font leur profit en Europe et évacuent ces profits ailleurs pour échapper au fisc – Amazon est un exemple.  Ça veut dire qu’elles profitent quasi gratuitement des infrastructures, des services publics, transport et autres sans contribuer à les financer. 

 

Il y a un mot pour qualifier cela. C’est le mot : vol. Cela demande une réaction européenne et globale.

 

On nous dit que la crise est finie. 

 

Pourtant, hier l’OIT sortait un rapport.  Il dit essentiellement trois choses: un : la pauvreté et l’exclusion affectent aujourd’hui 123 million de personnes dans l’union européenne, soit 24% de la population. Deux : le coût de l’ajustement a été payé par les populations.  Trois : le modèle social européen a considérablement réduit la pauvreté;  mais les politiques à court terme ont érodé et érodent ce modèle.

 

Alors moi je vous le dis ici,  Je ne veux plus jamais entendre un seul leader européen oser dire que la crise est finie tant que cette situation de chômage, de précarité, de pauvreté perdure.

 

Les leaders européens semblent considérer que chômage, pauvreté, précarité sont un mal, certes, mais un mal nécessaire.  Pourquoi ?  Peut-être parce qu’ils ne savent pas ce que c’est que le chômage, la pauvreté ou la précarité.

 

Nous disons : protection sociale, santé, pension, éducation, transport sont les structures essentielles d’une bonne société.

 

Nous refusons que les victimes de la crise financière soient ceux qui paient la facture.

 

Il faut des investissements pour une croissance soutenable et un emploi de qualité.  Il faut de vrais changements des politiques européennes.  C’est ce que nous attendions avant les élections et ce que nous voulons après.

 

Laurent Berger s’est exprimé récemment dans un quotidien français. Je le cite : « Notre enjeu collectif, c’est le contenu de la croissance, en refusant de réduire nos débats à l’unique approche chiffrée … Construire un avenir de progrès pour tous, c’est affirmer une économie au service de l’intérêt général….Cela nécessite de concevoir le progrès au-delà des seuls indicateurs économiques et financiers ».

 

Je partage l’opinion de votre Secrétaire général.

 

Il y a beaucoup à faire en Europe.  Des investissements dans nos infrastructures, dans l’appareil productif, dans la formation, l’éducation, la santé, dans une ré industrialisation écologique.  La liste est longue.

 

La CES a fait des propositions : pour un contrat social pour l’UE et pour un plan d’investissement à grande échelle.

 

Nous discutons avec les responsables politiques pour qu’ils s’emparent de nos idées et les mettent en pratique.

 

Tout cela est dans l’intérêt de tous, et d’abord des jeunes aujourd’hui sur la touche. 

 

Je reviens vers la fin au début de mon intervention, aux élections européennes.

 

Il y a eu consensus entre les grandes familles politiques pour que les résultats de ces élections déterminent le choix du président de la Commission européenne. C’est dans cette logique que le candidat du Parti Populaire, Jean-Claude Juncker, devrait être le candidat du Conseil européen. Cela était clair avant les élections.

 

Et maintenant, après les élections, la danse du ventre habituelle de nos leaders recommence. Monsieur Juncker déplaît à Monsieur Cameron, à Monsieur Victor Orban et peut-être à d’autres qu’on m’a interdit de nommer ici (Georges Brassens).

 

Une question simple à vous Monsieur Cameron : Qu’est ce qui est le plus démocratique ? Vos réserves et les pions que vous voulez placer sur l’échiquier européen, ou le choix des électeurs ?

 

Notre réponse ne fait aucun doute : le candidat désigné par le parti qui a gagné les élections doit devenir Président de la Commission. 

 

Un autre choix, une combine dans la kitchenette des chefs, serait un coup bas pour la démocratie européenne.

 

Madame Merkel s’est prononcée vendredi passé, enfin et après certaines hésitations, pour M.Juncker. Reste à voir la suite.

 

Tout au long de son histoire, et dans un contexte de pluralisme culturel et syndical, la CES a prouvé qu’elle était une force de proposition et d’action.

 

La CES doit concilier intérêts nationaux et intérêt européen et supranational. Pas facile mais primordial.

 

J’aime appeler la CES, le syndicat européen, même si je connais la nuance entre confédération syndicale et syndicat.  Vous la connaissez aussi.

 

Mais j’aime appeler la CES le syndicat européen parce que nous avons les même objectifs qu’un syndicat et que nous utilisons les même moyens.

 

Nos moyens sont doubles : opposition quand il faut avoir une parole ou des actions fortes – et c’est très fréquent.  Mais aussi : proposition et négociation.  Car nous devons proposer et négocier.

 

Je crois que la CFDT se retrouve bien dans cette dualité.

 

Le dialogue social au niveau européen est difficile parce que la Commission a cessé d’avoir un véritable agenda social qui soutienne les négociations, et aussi parce que les employeurs, dans le contexte idéologique actuel, ont le vent en poupe.

 

Une question importante se pose et se posera inévitablement de plus en plus dans l’union économique et monétaire.  La question est celle-ci : Quel rôle doit et devra jouer la CES dans la gouvernance économique européenne ?  Quelle complémentarité entre le syndicalisme national et le syndicalisme européen ? 

 

Voilà sans doute un thème pour notre prochain congrès. D’ailleurs fixé à Paris. Et organisé par l’ensemble des confédérations françaises affiliées à la CES. 

 

Une première, et j’en suis certaine, un succès.

 

Un mot sur les négociations entre l’Union et les Etats-Unis avec comme objectif la conclusion d’un partenariat transatlantique. Ces négociations nous concernent tous. 

 

Nous ne sommes pas disposés à sacrifier nos acquis au profit d’un accord de libre échange qui attaquerait les services publics et nos systèmes de protection sociale. 

 

Notre modèle social n’est pas à vendre. 

 

La CES est en contact permanent avec la confédération des syndicats US AFL-CIO.

 

Le fonctionnement d’un axe syndical transatlantique reste essentiel pour consolider notre influence. Encore une fois ici, notre force sera dans notre cohérence et dans notre unité.

 

Je voudrais adresser mes remerciements à la CFDT – et la CFDT c’est vous- pour son infatigable et loyale participation à la vie de la CES.  J’apprécie votre combativité et votre sens du compromis et aussi l’amitié dont beaucoup d’entre vous ont fait preuve à mon égard depuis de nombreuses années.  Je nommerai ici seulement François et Laurent, mais je pourrais en nommer beaucoup d’autres qui sont dans la salle et que je connais depuis longtemps.

 

Je veux consacrer un paragraphe particulier à Marcel Grignard. 

 

Marcel est de ceux qui imposent le silence dans notre comité exécutif quand il parle.

 

Car, lui, quand il parle, il a vraiment quelque chose à dire. 

 

Marcel, tes analyses serrées, tes critiques, questions et propositions ont souvent fendu un brouillard un peu morne, mis des propositions là où il n’y avait que jérémiade. 

 

Tu as un esprit clair et une inquiétude active.  Ça fait du bien. 

 

Merci Marcel pour tout cela et pour la confiance et le soutien amical que tu m’as accordés.

 

Nous n’avons pas la vie facile.  Et beaucoup d’obstacles restent à franchir.  Mais je suis absolument certaine que notre action est utile et indispensable.

 

Je suis convaincue que la CES pourra continuer à compter sur votre engagement et votre force de proposition.

 

Pour votre cinquantième anniversaire je vous souhaite du tonus et un très bel avenir.

 

Mais je le sens ici : nous sommes tous bien vivants.

 

Merci.

 

 

 

 

05.06.2014
Speech
Il y a beaucoup à faire en Europe. Des investissements dans nos infrastructures, dans l’appareil productif, dans la formation, l’éducation, la santé, dans une ré industrialisation écologique. La liste est longue.
La CES doit concilier intérêts nationaux et intérêt européen et supranational. Pas facile mais primordiale.

J’aime appeler la CES le syndicat européen parce que nous avons les même objectifs qu’un syndicat et que nous utilisons les même moyens.