Résolution de la CES pour une politique de concurrence plus durable et inclusive

ETUC Secretariat 2019

Résolution de la CES pour une politique de concurrence plus durable et inclusive

Résolution adoptée par le Comité exécutif de la CES lors de sa réunion des 22-23 mars 2021
et l'addendum concernant les marchés publics, adopté au Comité exécutif de la CES le 4 juin 2021

MESSAGES CLÉS DE LA CES

  • Le cadre juridique de l’UE en matière de concurrence doit contribuer à un développement durable conforme aux valeurs, droits, principes et objectifs fondamentaux de l’Union afin d’assurer la cohérence entre les politiques environnementales, sociales et de concurrence.
  • Le droit européen de la concurrence doit répondre aux défis liés à la numérisation, afin de garantir des marchés numériques équitables, sûrs et ouverts. Il faut garantir des conditions de concurrence équitables entre les marchés en ligne et hors ligne, y compris concernant le respect des droits fondamentaux et des principes démocratiques.
  • Pour faire face aux conséquences de la mondialisation sur la concurrence, l'UE doit identifier les conditions pour l’essor d'entreprises et de partenariats européens forts et durables dans des secteurs stratégiques et des chaînes de valeur d'intérêt commun au niveau de l'UE. La lutte contre les distorsions de concurrence sur le marché intérieur engendrées par des subventions étrangères nécessite une action spécifique.
  • Une définition plus inclusive des intérêts des consommateurs et des marchés pertinents est nécessaire non seulement pour promouvoir le développement durable, mais aussi pour répondre plus efficacement aux concentrations du marché et aux tendances monopolistiques.
  • Les considérations sociales et environnementales doivent jouer un rôle plus important dans le contrôle des fusions exercé par l'UE afin de prévenir les effets néfastes sur le développement durable. Il convient de mettre davantage l'accent sur des mesures correctives de nature comportementale, pour protéger les droits des travailleurs et empêcher que les employeurs ne se retrouvent en situation de monopsone. Les travailleurs et les syndicats doivent être dûment impliqués et consultés tout au long des processus de fusion.
  • Le contrôle antitrust de l’UE doit garantir une concurrence loyale, des pratiques commerciales durables, des marchés inclusifs et la protection des acteurs vulnérables. D’une part, cela nécessite des clarifications sur la portée des accords de durabilité entre concurrents. D’autre part, il convient également de préciser que les conventions collectives en tant que telles ne relèvent absolument pas du contrôle antitrust.
  • Les règles de l’UE relatives aux marchés publics doivent introduire une obligation claire pour les contractants éligibles de respecter le droit fondamental des travailleurs à s’organiser et à négocier collectivement et de garantir le plein respect des conditions de travail telles que définies par convention collective et/ou par la loi. Les critères d'appels d'offres durables doivent être renforcés afin d’appréhender le plein potentiel des achats publics dans l’accélération des transitions vers la neutralité climatique, l’économie circulaire et la convergence sociale vers le haut.

I. UN DROIT DE LA CONCURRENCE FAVORISANT LE DÉVELOPPEMENT DURABLE

Une concurrence loyale, ouverte et bien réglementée permet aux entreprises de rivaliser à armes égales, tout en contribuant à la prospérité et au bon fonctionnement du marché intérieur. Toutefois, des concentrations croissantes de pouvoir économique, de capital, d'innovation et de propriété démontrent que l'approche actuelle de la politique de concurrence de l'UE, et son application, n'a pas répondu aux attentes de tout un chacun. Plutôt que de promouvoir une concurrence inclusive, cette approche a non seulement renforcé les inégalités sociales sous l’effet des concentrations du marché du travail, du pouvoir de monopsone et du manque d'implication des travailleurs, mais a également sapé le processus de négociation collective.[1] Bien que l'UE fixe des objectifs ambitieux en matière de politique sociale et environnementale, son cadre juridique sur la concurrence ne tient pas suffisamment compte des préoccupations liées au développement durable ni du besoin de cohérence entre les différents domaines politiques.

La CES appelle à une révision du cadre juridique européen en matière de concurrence afin de promouvoir des politiques de concurrence plus justes, inclusives et durables dans le cadre de l'économie sociale de marché de l'UE. Le droit de la concurrence doit respecter et protéger les droits sociaux, les droits des travailleurs et des syndicats, et soutenir la création d'emplois de qualité, l'équité, la transition juste ainsi que la convergence sociale vers le haut.

i) Assurer la cohérence avec les valeurs, droits, principes et objectifs fondamentaux

Les valeurs, droits, principes et objectifs fondamentaux inscrits dans les Traités et la Charte des droits fondamentaux revêtent un caractère totalement obligatoire dans le droit de la concurrence comme dans tout autre domaine politique. Au titre de l’article 3 du TUE, l’Union promeut le bien-être de ses peuples et « œuvre pour le développement durable de l’Europe fondé sur une croissance économique équilibrée et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ».

« Dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions, l’Union prend en compte les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé, à la garantie d’une protection sociale adéquate, à la lutte contre l’exclusion sociale ainsi qu’à un niveau élevé d’éducation, de formation et de protection de la santé humaine », comme l’établit l’article 9 du TFUE. De même, l’article 11 du TFUE stipule que « les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable ».

Aux termes de l’article 7 du TFUE, « l’Union veille à la cohérence entre ses politiques et actions, en tenant compte de l’ensemble de ses objectifs ». Conformément au devoir de coopération en vertu de l’article 4(4), paragraphe 3 du TUE, « les États membres facilitent l’accomplissement par l’Union de sa mission et s’abstiennent de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de l’Union ». En d’autres termes, l’UE doit garantir la cohérence entre les différents domaines politiques, y compris entre le droit de l’environnement, le droit du travail et le droit de la concurrence.

ii) Un droit de la concurrence contribuant à des marchés inclusifs et durables

Les initiatives phares telles que le socle européen des droits sociaux, le plan de relance, le Green Deal et les objectifs de développement durable des Nations Unies doivent être intégrées dans les considérations relatives à la politique de concurrence, de la conception et de la mise en œuvre à l'application et au contrôle de la conformité. Ces objectifs de politique horizontale doivent être pris en compte dans le contrôle des fusions, de la législation antitrust et des aides d'État. La politique de concurrence doit non seulement atténuer les externalités négatives, mais également contribuer activement à la réalisation d'objectifs sociaux et environnementaux.

L'intégration du développement durable dans l'élaboration des politiques et les actions de l'UE exige que les considérations économiques, sociales et environnementales soient mises sur un pied d'égalité. Il ne peut y avoir de hiérarchisation des objectifs en matière de durabilité, dans la mesure où les objectifs de développement durable du Programme 2030 des Nations Unies sont indivisibles. En outre, les préoccupations sociales et environnementales ne constituent pas des intérêts opposés. Il ne faut pas considérer le progrès environnemental ou social comme réservé à certains groupes de personnes ou secteurs, mais dans un but d’intérêt général.

II. LA NUMÉRISATION ET LA CONCURRENCE

Une numérisation équitable, durable et inclusive sera essentielle pour garantir les perspectives économiques et le bien-être de la société. La crise du COVID-19 démontre non seulement le potentiel de la numérisation, mais aussi notre dépendance à l’égard des solutions numériques. Cependant, la croissance exponentielle des marchés numériques au cours des dernières décennies met également en évidence la nécessité d'adapter les règles relatives à la concurrence et au marché intérieur pour répondre efficacement aux spécificités de ces marchés caractérisés par des plateformes aux effets de réseau importants et des problèmes structurels en matière de concurrence, tels que des concentrations de marché incontestables et l'aggravation des inégalités existantes.[2]

Les services numériques fournis par des intermédiaires en ligne fonctionnent de plus en plus comme des infrastructures, nécessitant une réglementation similaire à celle d'autres industries de réseau comme l'énergie, les télécommunications, les services postaux et le ferroviaire. L'application et la surveillance à l'échelle de l'UE doivent être assurées par une meilleure coopération et un meilleur partage des informations entre les autorités de contrôle nationales, y compris par la clarification des compétences de la Commission lui permettant d’enquêter sur les écosystèmes des plateformes et d’imposer des sanctions dissuasives. En outre, une initiative spécifique en matière de politique sociale est nécessaire pour relever les défis particuliers liés aux plateformes numériques de travail, ouvrant la voie à de meilleures conditions de travail et à un renforcement des responsabilités des plateformes.[3]

i) Soutenir des marchés numériques équitables et ouverts

L’émergence des plateformes numériques ayant un impact significatif sur le marché intérieur démontre l’importance des données comme source de puissance du marché. Les marchés en ligne monopolistiques avec un ou quelques grands acteurs ont entraîné des problèmes structurels de concurrence tels que le basculement de marchés et des effets de verrouillage pour les consommateurs, les entreprises et les travailleurs. Ces plateformes mutualisent les ressources et unissent leurs forces en matière de concurrence, entraînant un nivellement par le bas, une dévaluation des services et une diminution de la capacité des autres acteurs à déterminer leurs propres conditions et conduite sur le marché.

Dans ce contexte, le paquet législatif DSA-DMA est nécessaire pour préserver les droits de l’homme et les normes de qualité, en garantissant la transparence et une responsabilité accrue des intermédiaires en ligne ainsi qu’en empêchant les pratiques déloyales des grandes plateformes en ligne. Au-delà de leur domination économique, les plateformes de la société de l’information présentent également des risques systémiques de nature plus sociétale, en raison de leur impact sur la démocratie, le discours public, le pluralisme des médias, la protection des données et la logistique. Les plateformes dominantes fonctionnent non seulement comme des « contrôleurs d’accès » sur le plan économique, mais conditionnent également l’exercice des droits fondamentaux dans l’environnement numérique.

La législation sur les services numériques (Digital Services Act, DSA) doit donner plus de moyens d’action aux utilisateurs et garantir le respect de leurs droits en ligne et hors ligne. La censure privée et la suppression par défaut ne doivent pas devenir une stratégie acceptable utilisée par les plateformes pour traiter rapidement les contenus signalés comme potentiellement illégaux ou nuisibles. La suppression d’utilisateurs ou de contenus doit faire l’objet de règles claires et de mécanismes de plaintes, en veillant à ce que les décisions des plateformes soient ouvertes à l’examen des pouvoirs publics. La DSA doit assurer la transparence des algorithmes et la bonne utilisation des données personnelles, en interdisant les pratiques de microciblage et de profilage. Alors que toutes les plateformes de la société de l’information doivent être soumises aux mêmes obligations fondamentales, des exigences supplémentaires en matière de vigilance et un contrôle accru de la part des autorités publiques sont nécessaires pour répondre aux risques systémiques que les asymétries de pouvoir et les pratiques de collecte de données des très grandes plateformes en ligne posent à la sécurité en ligne, à la démocratie et aux droits fondamentaux.

En tant qu’outil ex ante complétant les règles existantes en matière de concurrence, la législation sur les marchés numériques (Digital Markets Act, DMA) doit permettre à la Commission d’empêcher de manière proactive les acteurs dominants de créer des restrictions de concurrence verticales et horizontales entre les plateformes, et au sein de celles-ci, tout en protégeant non seulement les entreprises utilisatrices mais aussi les utilisateurs finaux. Les comportements interdits et prescrits par la législation sur les marchés numériques doivent être pérennes et assurer l’exposition à la concurrence des puissances actuelles du marché. Si des seuils quantitatifs peuvent être nécessaires pour rapidement désigner certaines plateformes comme « contrôleurs d’accès », les évaluations au cas par cas doivent rester une option crédible et efficace. La DMA doit empêcher les plateformes d’avoir des pratiques d’autofavoritisme, de pratiquer des prix abusifs et d’effectuer des acquisitions prédatrices, tout en garantissant l’interopérabilité pour les services de plateformes auxiliaires et de base. La portabilité des données et l’accès sécurisé aux données essentielles rendues anonymes sont tout aussi importants pour garantir une concurrence loyale. En cas d'impossibilité ou de non‑respect systématique de ces obligations, la DMA doit permettre l'application rapide de mesures correctives de nature comportementale ou structurelle, y compris le dégroupement structurel de ces géants du numérique et de leurs écosystèmes en ligne comme une véritable option pour une application a posteriori.

ii) Assurer une concurrence loyale entre les marchés en ligne et hors ligne

Les marchés en ligne et hors ligne étant de plus en plus imbriqués, les protections de l'économie traditionnelle doivent être étendues aux espaces numériques. De nombreux prestataires de services numériques ne se limitent pas aux seuls services de la société de l'information, et la DSA doit veiller à ce que les États membres de destination demeurent compétents pour réglementer les services qui ont lieu concrètement sur leur territoire. Les produits et services qui sont illégaux hors ligne doivent également l’être en ligne. Les législateurs et tribunaux nationaux doivent avoir la compétence pour traiter les infractions et définir ce qui constitue un contenu illégal ou préjudiciable, tout en veillant au respect des droits fondamentaux, de la démocratie et de l’État de droit.

Les plateformes numériques ne peuvent pas développer leur avantage concurrentiel dans un vide juridique. Pour garantir des conditions de concurrence équitables entre l’économie en ligne et hors ligne, la DSA doit concerner uniquement les services de la société de l’information afin de ne pas diminuer le champ d’application de la Directive 2006/123 relative aux services. Tout service numérique intrinsèquement lié à la fourniture d'un service physique doit être assujetti aux règles régissant le secteur hors ligne concerné.[4] Conformément au principe du pays de destination, la législation sectorielle en vigueur, y compris le droit social et le droit du travail ainsi que les conventions collectives pertinentes doivent s'appliquer. Il ne s'agit pas seulement d'une question de sécurité juridique, mais d'équité et de protection des travailleurs, des consommateurs, de l'environnement et de l'intérêt général.

L’innovation numérique ne doit pas être un moyen de contourner les règles en vigueur. La DSA doit clarifier le régime de responsabilité des intermédiaires en ligne, en renforçant les exemptions de responsabilité conditionnelle pour les services de la société de l’information de nature simplement technique, automatique et passive. Toute fonction d’intermédiaire est finalement conçue, déployée et maintenue par une personne physique ou morale. Les plateformes en ligne doivent notamment être tenues responsables des services et de leurs fournisseurs individuels lorsqu’elles exercent un contrôle, une connaissance ou une influence sur les utilisateurs.

III. LA MONDIALISATION ET LA CONCURRENCE

Les défis découlant de la mondialisation doivent être efficacement abordés par les règles européennes en matière de concurrence, en complément des politiques industrielles. En outre, les industries européennes sont en concurrence sur les marchés mondiaux où la réglementation en matière de droit de la concurrence, droits des travailleurs, protection environnementale, fiscalité et sécurité sociale est souvent encore moins développée qu’au sein de l’UE. Par conséquent, le cadre juridique européen en matière de concurrence doit mieux tenir compte des réalités géopolitiques et de la nécessité d'éviter une dépendance stratégique vis-à-vis de pays tiers.

i) Identifier les conditions d'émergence de champions européens

En l’absence de conditions de concurrence équitables à l’échelle mondiale, le droit européen de la concurrence doit être compatible avec l’essor d’entreprises européennes fortes et durables dans des secteurs stratégiques, tout en veillant à ce que l’acquisition ou le maintien d’une position dominante sur le marché n’entraîne pas de comportements anticoncurrentiels ou n’exerce pas une influence négative sur l’innovation, les consommateurs ou les droits des travailleurs. Le cadre juridique de l’Union ne doit pas empêcher les entreprises européennes de tirer parti des économies d’échelle pour devenir des acteurs mondiaux. La mondialisation, la numérisation et la pandémie de COVID-19 soulignent la nécessité pour l’UE de jouir d’une autonomie stratégique sur les marchés mondiaux, afin de favoriser non seulement la compétitivité mondiale, mais aussi les investissements, l’autosuffisance et la relocalisation des chaînes de valeur européennes.

En matière de contrôle des fusions, l’évaluation du caractère licite de champions européens au cas par cas doit mieux tenir compte des perspectives de marché à long terme, de la force potentielle des concurrents étrangers et de conditions plus clémentes pour les entreprises des pays tiers. Il convient de tenir dûment compte des gains d’efficacité possibles résultant d’une fusion ainsi que des impacts négatifs potentiels sur la durabilité ou l’autonomie en cas de fusion interdite. Toutefois, l’évaluation doit accorder toute l’importance nécessaire non seulement à la présence physique de ces entreprises sur le territoire européen, mais aussi à l’emplacement de leur siège social et à la structure de leur actionnariat. De même, les différentes dimensions qu’un tel championnat peut représenter doivent être examinées attentivement, que ce soit en termes de capitalisation, de revenus, d’actifs ou de parts du marché du travail. Une entreprise relativement petite peut également exercer une position dominante sur un marché émergent ou d’intérêt stratégique.

De la même manière, un champion européen n’est pas nécessairement caractérisé par une seule entreprise, mais peut être constitué de partenariats ou de réseaux d’excellence dans des secteurs stratégiques ou des chaînes de valeur ayant un intérêt européen commun. La promotion de champions européens peut également impliquer des actions spécifiques au titre des aides d’État et du contrôle antitrust pour faciliter l’introduction sur le marché d’innovations de rupture dans des domaines stratégiques par des accords de coopération ou le soutien financier de la phase finale d’un processus d’innovation. Par ailleurs, le cadre de l’Union relatif aux projets importants d’intérêt européen commun peut ouvrir la voie à de nouvelles alliances industrielles en vue de stimuler l’innovation et la compétitivité. Ces projets et cette coopération seront essentiels pour canaliser les investissements publics et privés vers des technologies à faible émission de carbone, orienter l’innovation et développer des visions et des stratégies communes pour les chaînes de valeur et les industries européennes.

ii) Les subventions étrangères et la nécessité de conditions de concurrence équitables

Afin de garantir des conditions de concurrence équitables sur le marché intérieur, l’UE doit s’attaquer aux effets de distorsion causés par les subventions étrangères qui se traduisent par des avantages concurrentiels inéquitables pour les entreprises de pays tiers opérant dans l’UE, par l’acquisition facilitée d’entreprises européennes ou par la manipulation des procédures de marchés publics. Préserver l’autonomie politique et économique de l’UE ainsi que des industries et emplois européens exige la mise en œuvre d’instruments ciblés sur les subventions étrangères et les marchés internationaux. La pandémie de COVID-19 souligne la nécessité de prendre des mesures, car la baisse des niveaux de demande globale et l’augmentation des problèmes de liquidité font courir aux entreprises européennes le risque d’être la cible d’acquisitions étrangères soutenues par des subventions.

Une définition globale des subventions étrangères est nécessaire pour inclure les bénéfices découlant non seulement des subventions, des passifs et des avantages fiscaux, mais aussi du non-respect des normes internationales relatives au travail ou à l’environnement. Dans les faits, les concurrents étrangers reçoivent des subventions lorsqu’ils exploitent des travailleurs ou externalisent les coûts liés à la pollution. Les parties prenantes, y compris les partenaires sociaux, doivent être en mesure de présenter de tels cas à la Commission. Pour éviter les effets négatifs de longues enquêtes, une présomption de distorsion de concurrence doit être possible dans certaines conditions, lorsqu’il existe par exemple un historique avéré de pratiques de distorsion ou des signes de sous-enchère significative. La liste des critères d’évaluation doit être non exhaustive et prendre en compte les comportements globaux de l’opérateur sur le marché, le caractère de la subvention et de ses effets sur la concurrence, le développement durable et l’emploi. Pour être efficace, l’instrument doit être couplé à des mesures compensatoires, des sanctions dissuasives et à la possibilité d’interdire ou d’annuler une acquisition.

Si les subventions publiques et les entreprises publiques sont des éléments clés de la politique industrielle et doivent être autorisées, la production nationale doit être protégée contre les pics d’importation et les pratiques de concurrence déloyale. Par conséquent, un seuil élevé d’avantages positifs doit être fixé pour tout « examen de l’intérêt de l’UE » lors de l’évaluation du caractère licite des investissements ou acquisitions subventionnés par des pays étrangers. Elle doit garantir la transparence et ne pas saper les objectifs fondamentaux d'une économie sociale de marché durable et compétitive. Un examen conçu à tort pourrait avoir des effets négatifs sur le marché intérieur, y compris sur le marché du travail. L'évaluation doit avoir pour base les objectifs de politique industrielle de l'UE, le développement durable et la nécessité de créer des emplois de qualité. La procédure doit être inclusive et permettre une participation active des syndicats, en particulier dans l'évaluation des impacts sur l’emploi et les chaînes de valeur industrielles.

IV. LES INTÉRÊTS DES CONSOMMATEURS ET LES DÉFINITIONS DU MARCHÉ

La nécessité de promouvoir le développement durable et de gérer plus efficacement les concentrations du marché et les tendances monopolistiques doit se refléter dans les concepts fondamentaux du droit de la concurrence. Pour pouvoir saisir la pleine réalité des pouvoirs du marché, la politique de concurrence doit adopter des définitions plus inclusives des marchés pertinents et des intérêts des consommateurs.

i) Promouvoir une norme plus inclusive en matière de bien-être des consommateurs

Pour soutenir le développement durable, le droit européen de la concurrence doit adopter une approche plus globale de la « norme en matière de bien-être des consommateurs ». La définition des intérêts des consommateurs ne doit pas se limiter au prix, à la qualité et à la prise en compte des consommateurs individuels en tant que bénéficiaires ultimes de la compétitivité. Une interprétation plus large de son champ d’application personnel doit également inclure les futurs consommateurs ou les travailleurs en tant que consommateurs. Les questions de qualité peuvent être liées, par exemple, à des conditions de travail et des méthodes de production décentes, y compris l'amélioration de la santé publique par un moindre recours aux pesticides toxiques ou dans le but d'assurer un approvisionnement à long terme sur le territoire européen.

Une attention excessive portée aux objectifs d'efficacité ou à l'analyse du « consentement des consommateurs à payer » risque de compromettre l’ouverture et la durabilité des marchés. La promotion d'objectifs tels que les droits de l'homme, des emplois de qualité et une transition juste nécessite, au contraire, une répartition plus équitable des bénéfices. Cependant, tous les bénéfices sur le plan de la durabilité ne sont pas quantifiables en termes monétaires ou non monétaires et l’ensemble des effets positifs ne profitera pas directement à tous. Les bénéfices directs pour les consommateurs individuels ne peuvent pas primer sur les bénéfices plus importants pour la société dans son ensemble dans l'intérêt général, même s'ils peuvent parfois être aussi plus indirects, comme le respect des droits fondamentaux du travail dans un certain secteur ou dans un pays tiers. En promouvant une norme plus inclusive en matière de bien-être des consommateurs, la politique de concurrence de l’UE peut soutenir une production de qualité et une consommation plus éthique et durable.

ii) Garantir des définitions du marché plus inclusives

De même, les préoccupations en matière de développement durable doivent être intégrées dans l’avis de la Commission sur la définition du marché pertinent. Pour répondre aux préoccupations environnementales, les évaluations doivent, par exemple, examiner l’impact que pourrait avoir une éventuelle fusion sur le choix de produits, services ou technologies respectueux de l’environnement. Cette évaluation doit dépasser le cadre de l'évaluation conventionnelle portant sur le choix et l'innovation, pour inclure d’autres paramètres tels que les effets sur les pratiques ou les marchés alternatifs (mais pas nécessairement concurrentiels), les éventuelles mesures dissuasives visant à évoluer vers des méthodes ou des technologies de production écologiques, ou encore les effets sur la biodiversité ou la santé publique.

Par ailleurs, la définition des marchés pertinents doit tenir dûment compte des considérations relatives au marché du travail, telles que les effets de la concurrence ou du manque de concurrence sur l'emploi et la qualité de l'emploi. Afin d’identifier le risque qu’un employeur exerce un pouvoir de monopsone, l'évaluation du marché doit examiner des questions telles que la possibilité de changer d'emploi ou de se reconvertir ainsi que la possibilité pour les travailleurs de déménager et/ou de faire la navette (et/ou leur consentement à cet égard). Bien que pour un produit donné le marché géographique puisse être très étendu, le marché du travail peut être restreint, et vice versa. Dans ce contexte, les partenaires sociaux peuvent apporter une valeur ajoutée à la définition des marchés du travail pertinents.

Pour évaluer l’impact de la concurrence mondiale, la définition des marchés pertinents doit adopter une approche plus dynamique et prospective, en tenant davantage compte des marchés mondiaux et de la concurrence provenant de pays tiers, qu’il s’agisse d’une concurrence existante, potentielle ou future. Les évaluations doivent inclure des facteurs tels que la mondialisation actuelle des chaînes de valeur industrielles, la concentration du pouvoir du marché dans ces chaînes de valeur, les politiques industrielles stratégiques des pays tiers, l’existence de surcapacités mondiales et le niveau auquel les prix sont fixés (bien souvent le niveau mondial).

En ce qui concerne les marchés numériques (souvent multifaces), les concentrations de données doivent être étroitement évaluées lors de la détermination des marchés pertinents et des potentielles distorsions de concurrence. Bien que la taille d'une entreprise numérique en termes de couverture géographique, part de marché ou chiffre d’affaires puisse être pertinente s’agissant du pouvoir de marché, les PME peuvent également disposer d’une large clientèle et de grandes quantités de données. C’est notamment le cas des petites entreprises innovantes, pour lesquelles les valeurs des transactions peuvent indiquer des risques de concentration accrue du marché. Bien qu'il s'agisse d'un actif non monétaire, le regroupement de données peut également permettre d'importantes économies d'échelle sur plusieurs segments de marché avec des limites en constante évolution. L’exploitation abusive des données dépasse le cadre de la domination économique, en pouvant potentiellement interférer avec la protection des données, la diversité des médias et les droits fondamentaux.

Pour saisir pleinement l’ampleur des synergies et interdépendances au sein d'écosystèmes plus vastes en ligne et hors ligne, une approche globale et plus structurelle est nécessaire afin d’identifier les effets anticoncurrentiels, en tenant dûment compte également de la propriété du capital et des comportements de maximisation de la rente. La domination potentielle et les abus doivent être évalués en abordant l'ensemble de l'écosystème comme une seule entité plutôt que comme des opérateurs distincts sur différents marchés. Il est possible qu’une société ne soit pas nécessairement dominante dans l'un des secteurs, mais qu’elle exerce, à travers tout son écosystème, une domination et une influence considérables sur les consommateurs, les travailleurs, les entreprises et le secteur public.

V. LE CONTRÔLE DES FUSIONS

Les considérations sociales et environnementales devraient jouer un rôle plus important dans le contrôle des fusions au sein de l’UE. Par le biais de fusions et acquisitions, les entreprises peuvent développer leur activité ou se spécialiser, pénétrer de nouveaux marchés ou renforcer leur pouvoir de gestion. Par conséquent, les avantages concurrentiels découlant d’une fusion peuvent avoir des effets positifs ou négatifs importants en matière de développement durable pour les produits, les services et les marchés du travail.

i) Les évaluations de fusions durables et inclusives

Dans le cas d’une fusion, l'évaluation du progrès économique doit être complétée par une clause de durabilité, introduisant une obligation explicite à l’encontre des autorités de la concurrence d'examiner non seulement les impacts économiques, mais aussi environnementaux et sociaux.[5] L'entreprise qui procède à l’acquisition doit rendre compte des questions environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Elle doit faire des déclarations prospectives claires et prendre des engagements contraignants concernant l'impact sur l'emploi, les investissements et l'environnement. Les critères d'évaluation doivent être élargis pour examiner les répercussions de l'acquisition potentielle sur les conditions d'emploi et la situation du marché du travail dans le secteur.

Les critères d’évaluation sociaux et environnementaux sont particulièrement importants lorsque l’entreprise qui procède à l’acquisition présente un piètre bilan, ainsi que dans le but de prévenir les acquisitions prédatrices qui pourraient avoir un impact négatif sur l’innovation dans le domaine des technologies vertes. L’entreprise acquéreuse doit démontrer le respect de normes telles que l’Accord de Paris, les Principes directeurs de l’OCDE relatifs aux multinationales et les Principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Dans le cas contraire, l’entreprise acquéreuse doit s’engager à suivre une feuille de route pour la mise en conformité de l’entreprise acquise.

Des règles plus durables en matière de contrôle des fusions doivent également garantir des processus de fusion plus inclusifs. Un droit de consultation bien défini doit être introduit pour que les parties prenantes telles que les travailleurs et les syndicats expriment leur opinion au cours du processus et assistent aux diverses auditions relatives aux fusions. De même, les travailleurs et les syndicats doivent être dûment impliqués et consultés lors de l’élaboration de mesures correctives de nature comportementale efficaces et durables. Les fusions devraient être conditionnées au respect des droits des travailleurs en matière d’information, de consultation et de participation en ce qui concerne l’impact de la fusion sur la main d’œuvre. Plus spécifiquement, les fusions ne devraient pas être approuvées avant d’avoir reçu la confirmation que des négociations sur l’information, la consultation et la participation des travailleurs dans l’entité fusionnée ont été menées à bien, et que les droits des travailleurs aux pensions et autres avantages seront protégés après la fusion.

ii) Les conditions et les mesures correctives garantissant l’équité et la durabilité

L’approbation des fusions doit être subordonnée au critère de durabilité. Il convient de mettre davantage l’accent sur les mesures correctives de nature comportementale pour prévenir les effets néfastes sur le développement durable, y compris sur les préoccupations en matière de marché du travail lors de fusions stratégiques. En termes d’emploi et de qualité de l’emploi, les mesures correctives doivent veiller à ce que la sécurité juridique des travailleurs ne soit pas compromise en raison de cessions prescrites entraînant des licenciements massifs dus aux délocalisations. Les droits d’information, de consultation et de participation des travailleurs ainsi que les possibilités de perfectionnement et de reconversion sont essentiels à cet égard. Les entreprises acquéreuses doivent également s'engager à respecter les droits fondamentaux des travailleurs relatifs à la négociation collective et à assurer le plein respect des conventions collectives et conditions de travail applicables. Si l'acquéreur ne respecte pas les engagements pris pour remédier aux effets négatifs de la fusion, il doit être possible d’annuler l'acquisition.

La probabilité qu’un employeur exerce un pouvoir de monopsone doit également être examinée dans le cadre du contrôle des fusions, en garantissant des résultats socialement équitables sans préjudice de la durabilité du secteur. Si la fusion en question concentrait un pouvoir considérable sur une poignée d’entreprises, il existerait un risque évident de situation de monopsone qui pourrait entraîner une pression à la baisse sur les conditions de travail et les salaires – au sein de l'entreprise comme dans l’ensemble du secteur. Ce risque devrait déjà être pris en compte dans l'évaluation de la fusion et faire l'objet d'un suivi attentif. À cet égard, le respect du droit des travailleurs à négocier collectivement reste déterminant pour toute fusion. Si le droit de la concurrence ne peut à lui seul remédier à la situation de monopsone d’un employeur, ces déséquilibres de pouvoir ne peuvent être efficacement résolus qu'à l'aide de la négociation collective, y compris au niveau sectoriel.

VI. LE CONTRÔLE ANTITRUST

La concurrence peut être un moteur fort du développement durable, notamment lorsque la durabilité constitue un avantage concurrentiel. Toutefois, tout en garantissant un contrôle strict des dominations et des distorsions, les règles européennes en matière de concurrence doivent contribuer à la promotion de pratiques commerciales durables, de marchés inclusifs et de protection des acteurs vulnérables, y compris les travailleurs. Il est nécessaire, d'une part, de clarifier la manière dont les règles antitrust actuelles se rapportent aux accords de durabilité et, d'autre part, de s'assurer que les conventions collectives restent totalement hors du champ d'application du contrôle antitrust.

i) L’évaluation des accords de coopération horizontale en matière de durabilité

La promotion du progrès social et environnemental nécessite une interprétation plus large et plus globale de l'article 101, paragraphe 3, du TFUE dans les lignes directrices de la Commission sur les accords de coopération horizontale.[6] Il convient de prendre davantage en considération les valeurs non monétaires et les gains d’efficacité non liés aux prix, capables de créer un éventail de bénéfices directs ou indirects non seulement pour les consommateurs, mais aussi pour les travailleurs et les citoyens. Ces lignes directrices doivent être mises à jour afin d'assurer la sécurité juridique des accords de coopération entre concurrents visant à atteindre des objectifs politiques durables sur le plan écologique et social et à instaurer l'équité tout au long des chaînes de valeur. Les accords de durabilité peuvent par exemple contribuer à la protection de l'environnement et du climat, à la mise en place de transitions écologiques et socialement justes, au développement des compétences, aux conditions de travail décentes et au respect des droits de l'homme.

Les accords de durabilité publiquement conclus doivent être considérés comme positifs à moins qu'un impact négatif notable ne soit démontré sur le plan de la concurrence, qui l’emporterait sur les avantages conférés en matière de durabilité. Les accords autorisés doivent démontrer que les effets obtenus ne peuvent l’être par aucun des acteurs agissant unilatéralement, ni par les autorités publiques, dans la mesure où cela pourrait nécessiter, par exemple, d'agir en dehors des frontières de l'UE. Avant toute chose, l'autorisation exige que les impacts positifs et les objectifs en question ne puissent être efficacement atteints par une véritable concurrence dans les conditions du marché ou, par exemple, par une législation sectorielle. La coopération doit se limiter au strict nécessaire pour atteindre cet objectif et ne pas ouvrir la porte à un « greenwashing ». À cette fin, l’étroite participation des travailleurs et des syndicats aux accords de durabilité est également essentielle.

ii) Sortir la négociation collective du champ d’application du contrôle antitrust

Dans le cadre des règles européennes en matière de concurrence, la législation antitrust doit se limiter aux seules pratiques commerciales anticoncurrentielles, en excluant les conventions collectives de son champ d’application.[7] Alors que le droit de la concurrence vise à lutter contre les déséquilibres de pouvoir entre les entreprises, le droit du travail et la négociation collective ont quant à eux pour objectif de lutter contre les déséquilibres de pouvoir au sein même des entreprises. Les règles européennes en matière de concurrence ne doivent jamais porter atteinte à la négociation collective, aux droits des travailleurs ni aux conditions de travail décentes.

La CES invite la Commission à émettre des orientations sur l’interprétation de la loi, en précisant que les conventions collectives échappent totalement au champ d'application du droit de la concurrence, qu'elles protègent les employés, les indépendants ou autres travailleurs atypiques, y compris les travailleurs des plateformes numériques. Ces orientations sont nécessaires pour promouvoir une interprétation restrictive et conforme aux droits de l'homme de l'article 101 du TFUE et du concept d'« entreprise ».

Aux fins du droit de la concurrence, les indépendants et autres travailleurs atypiques qui participent à des négociations collectives ne sont pas considérés comme des entreprises. De la même manière, les syndicats ne peuvent pas être qualifiés de cartels, ni les employeurs qui participent conjointement aux négociations collectives. De plus, la détermination des salaires ne vaut pas entente sur les prix. En établissant des normes minimales en matière de conditions de travail, la négociation collective poursuit des objectifs légitimes de politique sociale qui ne doivent pas être mis en péril par le contrôle antitrust.

Adhérer à un syndicat, participer à une négociation collective, mener une action collective et bénéficier d'une protection en vertu de conventions collectives sont des droits de l’homme universels pour tous les travailleurs. Ces droits fondamentaux du travail sont reconnus par les instruments internationaux et européens de défense des droits de l’homme, y compris pour les travailleurs indépendants et autres travailleurs atypiques, et ne doivent pas être subordonnés aux règles relatives à la concurrence. Les motifs d’emploi formel ou d’emploi précaire ne sont pas des éléments décisifs pour déterminer la portée des droits fondamentaux ou du droit de la concurrence.

La négociation collective est la compétence exclusive des partenaires sociaux nationaux, représentant les employeurs/associations d'employeurs et les organisations syndicales. Il n’est pas du ressort du droit de la concurrence de réglementer les conditions de travail, de définir ce qui constitue une négociation ou une convention collective ni de délimiter qui peut participer à de telles négociations ou bénéficier d'une protection en vertu des conventions collectives. Les conventions collectives découlent du dialogue social et de la négociation collective, qui consiste en des négociations entre les forces patronales et syndicales dans le but d'améliorer les conditions de travail.

Conformément à la législation et à la pratique des États membres ainsi qu’aux modèles nationaux du marché du travail, seuls les syndicats organisés, reconnus, représentatifs et indépendants peuvent légitimement entrer dans une négociation collective au nom des employés, indépendants et autres travailleurs atypiques. Le droit de la concurrence ne doit pas favoriser le développement du dumping social en légitimant des acteurs alternatifs de la négociation, comme les syndicats « jaunes », les pratiques de fixation des salaires entre employeurs, et les prétendus « forums de travailleurs » ou « chartes de bonnes pratiques » introduites unilatéralement par les plateformes numériques.

Toute initiative visant à résoudre les tensions entre la négociation collective et le droit de la concurrence doit respecter l'autonomie des partenaires sociaux en ce qui concerne le choix de l'instrument politique, la base juridique éventuelle et la procédure de consultation des partenaires sociaux fondée sur les traités. Une initiative politique en matière de concurrence doit se limiter à définir la portée de l'article 101 du TFUE en clarifiant les concepts du droit de la concurrence, et non en modifiant les concepts fondamentaux de la négociation collective ou des systèmes nationaux de relations du travail.

VII. LE CONTRÔLE DES AIDES D'ÉTAT

En vue de s’assurer que les fonds publics ne sont pas utilisés pour soutenir des entreprises ou des innovations contribuant au dumping environnemental ou social, les règles de l’UE en matière d’aides d’État doivent pleinement respecter et promouvoir le développement durable. Les aides d’État dites durables doivent promouvoir des solutions écologiques, des emplois de qualité et une transition juste. Parallèlement, la réponse politique apportée à la pandémie de COVID-19 montre également l’importance des aides d’État pour soutenir les moyens de subsistance en temps de crise. Bien qu’il soit urgent de soutenir les emplois et les entreprises, la relance au sein de l’UE représente une opportunité de « nivellement par le haut » en termes d’accès à des emplois de qualité et d’industries respectueuses du climat.

i) Investir dans des transitions justes et dans une relance axée sur les peuples

L’objectif de réduction des émissions de GES à hauteur de 55 % d’ici 2030 et de neutralité carbone d’ici 2050 nécessite une évolution substantielle des technologies et des processus industriels. Pour y parvenir, le contrôle des aides d’État doit s’aligner sur les objectifs du Green Deal et de la nouvelle stratégie industrielle pour l’Europe afin de doter les autorités publiques d’un cadre favorable. Les règles de l'UE relatives aux aides d'État doivent aider les États membres à garantir une élimination progressive des subventions dommageables pour l'environnement. La nécessité d'éviter les externalités négatives doit être dûment prise en compte dans l’élaboration des règles de l'UE sur les aides d'État.

Pour pallier les lacunes du système européen d'échange de quotas d'émission, les règles relatives aux aides d'État doivent accorder aux autorités publiques une flexibilité suffisante pour le développement de stratégies industrielles neutres sur le plan climatique. Elles doivent, par exemple, prévoir la mise en place d'outils tels que les « contrats d’écart compensatoire appliqués au carbone » qui permettent aux gouvernements de garantir aux investisseurs œuvrant dans le domaine des technologies et pratiques innovantes respectueuses du climat un prix fixe qui récompense les réductions de CO2 supérieur aux prix actuels du système communautaire d'échange de quotas d'émission.

Néanmoins, les règles relatives aux aides d’État favorisant le soutien aux entreprises durables ne doivent pas creuser le fossé entre les différents États membres en fonction de leurs capacités à générer des financements publics. La transition vers une économie circulaire et neutre pour le climat aura un impact plus important pour certaines régions et certains secteurs. Les régions fortement dépendantes des industries énergivores seront particulièrement touchées. Dans de tels cas, les politiques de concurrence ne doivent pas entraîner de licenciements massifs, mais soutenir les travailleurs en transition. À cette fin, les règles relatives aux aides d’État doivent également tenir compte des différences en termes de développement, de cohésion et de territoire entre les États membres et les régions.

Pour ce faire, le recours aux aides d’État doit être complété par un renforcement de la capacité d’investissement et des mécanismes de solidarité à l’échelle de l’UE. Il convient d’envisager des régimes spéciaux d’octroi d’aides d’État au profit des régions dans le cadre du mécanisme pour une transition juste. Les structures de gouvernance doivent inclure des partenariats impliquant également les partenaires sociaux. Les représentants syndicaux et les comités d'entreprise doivent être informés et consultés afin de s'assurer que les aides d'État reçues par l'entreprise sont utilisées de manière à garantir la préservation et la création d'emplois de qualité, y compris la reconversion, la montée en compétences et le dialogue social en vue de faciliter les transitions justes.

ii) Assurer une évaluation inclusive et des conditions en matière de durabilité

Lors de l'évaluation de la compatibilité d'une aide, il convient de tenir dûment compte des considérations sociales et environnementales par opposition aux effets négatifs potentiels sur le commerce et la concurrence. Les principes « d’innocuité », « de précaution » et « du pollueur-payeur » doivent s'appliquer au contrôle des aides d'État de l'UE, afin d'empêcher l’évasion fiscale ou la compétitivité fondée sur des normes sociales et environnementales médiocres. Le dumping fiscal, environnemental et social sanctionné par l’État au sein du marché intérieur doit constituer une aide d’État illégale et être contesté par un contrôle judiciaire. En cas d’aide illégale, les syndicats doivent également être considérés comme des « parties intéressées » légitimes.

Les conditions d’ordre écologique et social imposées pour les aides d’État doivent être introduites sous la forme d’une obligation de durabilité, évitant ainsi le financement public de projets nuisibles ou contre-productifs. Au-delà des interdictions de préjudice environnemental et social, il doit également être possible de s’assurer que l’aide d’État soutient activement le respect de la législation et des normes environnementales et sociales. Plus l’engagement d’un bénéficiaire d’une aide d’État à prendre des actions positives d’un point de vue environnemental et social est faible, plus cette évaluation de compatibilité doit être rigoureuse.

Pour s’assurer que les aides d’État contribuent à accélérer la transition vers une économie neutre en carbone, ces aides doivent être subordonnées au respect du principe « d’innocuité » et privilégier le financement d’activités durables conformément au Règlement 2020/852, dit « Règlement taxonomie ». Pour éviter tout « greenwashing », les autorités doivent être en mesure de vérifier correctement les réclamations formulées par les entreprises. Dans le même temps, tous les secteurs doivent avoir accès aux ressources dont ils ont besoin pour atteindre la neutralité sur le plan climatique et les objectifs du Green Deal. Ainsi, les secteurs industriels ayant besoin d’investissements massifs pour décarboner leur activité ne doivent pas se voir interdire de recevoir des aides d’État.

Outre les conditions environnementales imposées, les règles en matière d’aides d’État doivent être complétées par des exigences sociales et de gouvernance afin d’orienter les investissements vers des activités qui créent des emplois décents et facilitent la transition des travailleurs. Les conditions d’ordre social pour les aides d’État doivent être alignées sur les clauses sociales des règles européennes sur les marchés publics en vue de promouvoir les droits des travailleurs. Il faut s’assurer que les aides d’État ne sont pas accordées aux opérateurs économiques qui ne respectent pas le droit fondamental à la négociation collective, ignorent les droits à l’information, à la consultation et à la participation ou pratiquent le dumping social. Ces aides doivent être subordonnées à la mise en place par les entreprises de plans en matière de rémunération équitable, d'égalité hommes-femmes et d'emploi par le biais de la reconnaissance syndicale et de conventions collectives.

Dans le contexte de la crise du COVID-19, il est impératif que les aides d'État soutiennent une évolution positive des priorités et pratiques des entreprises. Par conséquent, il est regrettable que l’encadrement temporaire des mesures d’aides d’État mis en place par la Commission et visant à soutenir l'économie pendant la pandémie n'ait pas imposé d'obligations ou de limitations claires sur les aides accordées pour poursuivre les objectifs de durabilité de l'UE. L’octroi du financement public doit être subordonné au respect d’exigences telles que des garanties en matière d'emploi et de localisation de l’activité, des restrictions relatives aux paiements de dividendes ainsi que des restrictions sur le plan des rémunérations liées aux bénéfices pour les directeurs généraux et les membres du conseil d'administration. De même, les renflouements massifs d'entreprises d'intérêt stratégique ou fournissant des services d'intérêt économique général doivent être conditionnés de manière à permettre aux gouvernements d'influencer le comportement des entreprises, par exemple en prenant des parts de capital en échange de son soutien financier, garantissant ainsi une utilisation responsable et équitable des ressources de l'entreprise.

VIII. MARCHÉS PUBLICS [8]

Avec 14 % du PIB européen consacrés aux marchés publics chaque année, les règles de l’UE en matière de marchés publics et de concessions ont un grand potentiel pour accélérer les transitions vers la neutralité climatique, l’économie circulaire, la convergence sociale vers le haut et l’extension de la couverture de la négociation collective. En utilisant leur pouvoir d’achat de façon stratégique, plus de 250.000 acheteurs publics à travers toute l’Europe pourraient stimuler la demande en faveur d’une économie plus verte et plus socialement responsable. Pourtant, 55% des procédures de passation utilisent toujours le prix le plus bas comme seul critère d’attribution des marchés publics.[9] Bien que les directives 2014/23, 2014/24 et 2014/25 sur la passation des marchés publics et l’attribution des contrats de concession aient contribué à ancrer des normes de durabilité sociale et environnementale, leur transposition au niveau national est souvent loin d’assurer la conformité avec ces normes et, singulièrement, avec les normes reprises dans les « clauses sociales » qui, en elles-mêmes, ne suffisent pas non plus à garantir que le droit à la négociation collective soit respecté par toutes les entreprises adjudicataires de marchés publics. De plus, la mise en place d’approches reposant sur l’offre économiquement la plus avantageuse, le coût du cycle de vie, la « meilleure valeur » et les considérations de durabilité a été lente ou parcellaire.

i) Nécessité de mesures contraignantes pour assurer la négociation collective

Les conventions collectives assurent la protection des droits des travailleurs, des conditions de travail décentes et des salaires justes tout en garantissant des conditions équitables entre concurrents pour l’obtention des marchés publics. Un préalable à toute révision future des directives sur les marchés publics est donc l’introduction d’une obligation de reconnaître le droit des travailleurs à s’organiser et à négocier collectivement comme condition fondamentale d’éligibilité des opérateurs économiques à l’attribution d’un marché public. Tous les opérateurs économiques concernés (y compris les sous-traitants et les franchiseurs) doivent être tenus de se conformer aux conditions de travail établies par le droit international, européen et national ainsi que par convention collective pour être adjudicataires de marchés publics respectant donc pleinement l’autonomie des partenaires sociaux. Afin de promouvoir les normes de travail les plus élevées, le cadre juridique européen relatif aux marchés publics et aux concessions doit avoir pour objectif d’assurer que les contrats publics soient adjugés aux entreprises engagées dans la négociation collective. Le plein respect des conditions définies dans la convention C94 de l’OIT sur les clauses de travail (contrats publics) doit être garanti. La CES réclame un engagement politique clair de la part de la Commission européenne sur ce changement particulier suivi rapidement d’une initiative législative.[10]

ii) Des incitants plus forts pour promouvoir le progrès social et environnemental

Le cadre juridique européen actuel permet de prendre en compte des aspects sociaux et environnementaux dans l’ensemble du cycle de passation des marchés et des concessions, allant de la consultation préliminaire du marché, au recours aux réserves, aux exceptions et à une procédure allégée, jusqu’au aux critères d’adjudication et aux conditions de performances des contrats. Toutefois, il ne contient aucune incitation contraignante pour lier activement l’utilisation d’argent public à la durabilité ou à l’amélioration des capacités des partenaires sociaux à négocier collectivement. Il ne fait que décrire comment s’approvisionner de manière durable une fois que (et si) l’autorité contractante le souhaite. De plus, les autorités contractantes semblent encore souvent ne pas avoir conscience de leurs possibilités et obligations en matière de promotion du progrès environnemental et social.

La Commission devrait s’appuyer sur sa communication sur les marchés publics socialement responsables[11] pour encourager les acheteurs publics à promouvoir l’emploi de qualité, le travail décent et l’inclusion sociale. Quoique ce guide reconnaisse les obligations découlant des conventions collectives, il ne promeut pas activement des mesures visant à étendre la couverture de la négociation collective. La Commission devrait agir avec détermination pour s’assurer que les États membres garantissent que les entreprises adjudicataires de contrats publics respectent le droit à la négociation collective. En outre, la préférence devrait être donnée aux entreprises qui s’engagent dans la négociation collective et appliquent les conventions collectives négociées avec les syndicats. De plus, les procédures de passation des marchés publics devraient être utilisées pour promouvoir l’égalité, engager la responsabilité sociale des entreprises et contribuer à la stabilité de l’emploi en favorisant les contrats à durée indéterminée et les opportunités de formation tout au long de la vie, les programmes d’apprentissage de qualité et les initiatives en faveur des personnes handicapées et autres groupes défavorisés, etc.

La Commission devrait aussi préciser que les établissements publics sont toujours obligés de s’assurer que les opérateurs économiques respectent les droits sociaux fondamentaux, y compris le droit à négocier collectivement, ainsi que d’autres normes sociales et environnementales dans l’exécution des marchés publics indépendamment des critères de durabilité inclus dans le processus. Comme l’a confirmé la Cour de justice de l’Union européenne[12], les principes généraux applicables aux marchés publics tels que définis dans l’article 18 de la directive 2014/24[13] constituent des exigences fondamentales que les États membres se doivent en permanence faire respecter. Selon cet article, cette conformité se traduit dans les obligations applicables aux domaines environnemental, social et du travail telles qu’établies dans le droit de l’Union, le droit international[14] ou le droit national et les conventions collectives. Toutefois, il apparaît clairement que ces obligations sont en grande partie ignorées et que plusieurs États membres ne disposent pas d’un environnement propice pour protéger correctement et pratiquement le droit d’organiser et de négocier collectivement. Les partenaires sociaux doivent être effectivement impliqués afin d’assurer une mise en œuvre et une application correctes des clauses sociales des marchés publics.

Les propositions pour une directive relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne[15] et une directive sur la transparence des rémunérations entre hommes et femmes[16] devraient davantage préciser et renforcer l’obligation de conformité aux principes juridiquement contraignants de passation des marchés définis dans l’article 18 de la directive 2014/24, l’article 30 de la directive 2014/23 et l’article 36 de la directive 2014/25, y compris en renforçant leur application. La CES est fermement convaincue que la directive sur des salaires minimaux adéquats doit assurer que les États membres prennent des mesures efficaces pour veiller à ce que les opérateurs économiques qui exécutent des marchés publics ou des contrats de concessions reconnaissent les syndicats, reconnaissent le droit des travailleurs à s’organiser, participent à des négociations collectives et respectent les conditions de rémunérations et autres conditions de travail fixées par la loi ou les conventions collectives pour le secteur et la zone géographique concernés, les salaires minimaux légaux lorsqu’ils existent, ainsi que d’autres conventions collectives et la législation sociale internationale, européenne ou nationale[17]. De même, les opérateurs économiques doivent se conformer aux obligations en matière d’égalité de rémunération entre les hommes et les femmes pour un même travail ou un travail de même valeur. En cas de violations de ces obligations, ils doivent faire face aux exclusions, résiliations et sanctions. Les entités contractantes doivent notamment exclure tout opérateur économique s’il ne respecte pas l’obligation de transparence des salaires ou si l’écart salarial entre les hommes et les femmes dépasse 5%.

La nécessité d’un contrôle et d’une application effectifs des clauses sociales dans les marchés publics demande une révision des directives européennes relatives aux marchés publics et aux concessions tout en veillant au plein respect des modèles nationaux de marché du travail. Afin de faire respecter le principe de l’égalité de traitement envers tous les travailleurs exécutant un travail dans le cadre d’un marché public, les entités contractantes doivent s’assurer que les entreprises se conforment aux obligations relatives à l’égalité de rémunération et de conditions de travail, en particulier comme le prévoit aussi la directive révisée 2018/957 sur le détachement des travailleurs.

De plus, les syndicats devraient être habilités à négocier collectivement en ayant accès aux informations concernant les fournisseurs et les sous-traitants qui doivent être documentés pour pouvoir exécuter des travaux dans le cadre d’un contrat public. Une surveillance renforcée et un système de responsabilités conjointes et individuelles dans l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement, y compris des amendes et des sanctions dissuasives, devraient être introduits pour assurer la conformité avec les normes sociales et environnementales applicables dans les chaînes d’approvisionnement, y compris dans les situations transfrontalières, afin de prévenir le dumping salarial et le contournement de conditions de travail découlant de conventions collectives en recourant à des montages artificiels. Les personnes travaillant côte à côte sur le même lieu de travail et dans la même activité doivent bénéficier des mêmes conditions de travail et de la même protection définies dans la même convention collective en veillant à ce que les modalités les plus favorables soient toujours d’application.

Pour faciliter les exclusions des procédures de passation des marchés, les États membres doivent être en mesure de rendre publique une liste noire d’entreprises reconnues coupables de non-respect de clauses sociales et environnementales. L’obligation des entités contractantes d’exclure les entreprises et sous-traitants qui se livrent à des pratiques abusives et de dumping (telles que le travail non déclaré ou sous déclaré ou le non-paiement des salaires ou des cotisations de sécurité sociale) doit également être clairement affirmée, tout comme doivent l’être les conditions pour la mise en œuvre de mesures internes d’assainissement au sein de ces entreprises.

Afin de garantir le progrès environnemental et social, des considérations de durabilité doivent devenir des éléments obligatoires de l’évaluation de base du « meilleur rapport prix-qualité ». Il faut également dûment tenir compte de la couverture de la négociation collective ainsi que des objectifs environnementaux et d’économie circulaire. Il ne faut cependant pas que des considérations environnementales soient utilisées pour justifier le dumping social ou vice versa. Dans la même veine, des critères d’innovation ne doivent pas conduire à un contournement des normes sociales.

Les syndicats et organisations environnementales doivent être correctement impliqués dans la définition des exigences contractuelles et la sélection des entreprises. Des exigences en matière de transparence devraient également être définies pour assurer la publication des détails concernant les contrats publics et faire en sorte que la préférence soit donnée aux entreprises qui rendent publics leurs bénéfices et leurs paiements d’impôts et qui ne pratiquent pas l’évasion fiscale. Il faudrait en outre qu’il soit possible pour les entreprises concurrentes, les partenaires sociaux et les travailleurs de signaler des irrégularités, y compris en donnant aux syndicats le droit de dénoncer les pratiques abusives à travers les directives sur les mesures correctrices relatives aux marchés publics.

iii) Cohérence des marchés publics avec d’autres politiques et instruments

Dans le contexte de la crise du COVID-19, il est crucial que les marchés publics découlant de programmes nationaux de relance contribuent à la résilience économique et sociale ainsi qu’à une reprise équitable et durable pour tous à travers la négociation collective et la création d’emplois de qualité. A cet égard, les procédures de marchés publics impliquant des ressources issues de fonds européens devraient être conditionnées à leur contribution effective au plein respect des droits des travailleurs et des syndicats, à la mise en œuvre du Green Deal et du socle européen des droits sociaux ainsi que des objectifs de développement durable des Nations unies, des principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et de l’accord de Paris sur le climat.

Pour garantir que l’argent public soit dépensé de manière équitable et durable, les services fournis directement par les autorités ne doivent pas faire l’objet d’un appel d’offres dans le seul but de réduire les coûts de main-d’œuvre ou d’éviter des obligations sociales. Les autorités nationales et locales doivent toujours être en mesure de déterminer elles-mêmes comment assurer des services publics dans le cadre de leurs propres capacités, y compris la meilleure manière d’en garantir l’accessibilité, la qualité et la durabilité. Les marchés publics ne sont qu’une façon parmi d’autres de fournir des services et la fourniture en interne de services publics doit toujours rester une option valable.

Enfin, les règles des marchés publics ne doivent pas empêcher les États membres de poursuivre leurs efforts au plan national pour s’attaquer au dumping social et environnemental et, là où cela s’avère nécessaire, combattre la corruption et les organisations criminelles ainsi que prévenir les accidents de travail graves voire mortels et lutter contre le travail illégal et non déclaré. Les autorités contractantes doivent être en mesure d’introduire des conditionnalités telles que l’application obligatoire des conventions collectives, l’exclusion des offres impliquant des pratiques non conformes ou abusives, la limitation du nombre de sous-traitants y compris au niveau tant horizontal que vertical de la chaîne de sous-traitance, l’application des clauses restrictives pour les entreprises de travail intérimaire (transfrontalier), en particulier concernant le détachement, l’interdiction des paiements en espèces et l’obligation du paiement des salaires sur des comptes bancaires individuels, etc.

 

 

 


[1] Voir par exemple OCDE (2019) : Industry Concentration in Europe and North America (disponible en anglais uniquement), indiquant une augmentation de la concentration dans 77 % des industries européennes, avec 4 à 8 points de pourcentage pour les industries moyennes au cours des années 2000-2014. OCDE (2017) : Inequality – A Hidden Cost of Market Power (disponible en anglais uniquement), estime que le pouvoir de marché augmente la richesse des 10 % les plus riches de la population de 12 % à 21 %, tout en diminuant les revenus des 20 % les plus pauvres de la population de 14 % à 19 %. En ce qui concerne le pouvoir de monopsone des employeurs, voir également par exemple OCDE (2019) : Executive Summary of the Roundtable on Competition issues in labour markets (disponible en anglais uniquement).

[2] Voir par exemple OCDE (2020) : Abuse of Dominance in Digital Markets (disponible en anglais uniquement), indiquant que 7 des 10 plus grandes entreprises au monde fournissent des produits numériques.

[3] Voir la Résolution de la CES sur la protection des droits des travailleurs atypiques et des travailleurs des entreprises de plateforme (y compris les indépendants), adoptée lors de la réunion du Comité Exécutif des 28 et 29 octobre 2020.

[4] Voir par exemple les décisions de la CJUE C-434/15 Elite Taxi et C-320/16 Uber France.

[5] Voir par exemple la décision de la CJUE T-12/93 Vittel.

[6] Voir par exemple les décisions de la CJUE C-26/76 Metro, C-42/84 Remia et T- 86/ 95 Compagnie Générale Maritime.

[7] Voir par exemple les décisions de la CJUE C-67/96 Albany, C-22/98 Becu, C-180/98 à C-184/98 Pavlov, C-309/99 Wouters et C-413/13 FNV Kunsten. Voir également la décision du CEDS 123/2016 ICTU c. Irlande.

[8] Cette partie concernant les marchés publics a été adoptée au Comité exécutif de la CES le 4 juin 2021 en tant qu’addendum à la Résolution pour une Politique de la Concurrence Plus Durable et Inclusive

[9] Communication de la Commission Faire des marchés publics un outil efficace au service de l'Europe, COM(2017) 572 final, 3.10.2017.

[10] La CES exprime son soutien à la campagne d’UNI Europa « Pas de contrats publics pour les entreprises sans convention collective ».

[11] Communication de la Commission « Acheter social –Un guide sur les appels d’offres publics avec clauses de responsabilité sociale (2ème édition), C(2021) 3573 final, 26.5.2021.

[12] Arrêt de la CJUE du 30 janvier 2020 dans l’affaire C-395/18 Tim SpA, § 38-39.

[13] Cette interprétation de l’article 18 de la directive 2014/24 doit être considérée applicable également à l’article 30 correspondant de la directive 2014/23 et à l’article 36 de la directive 2014/25.

[14] Y compris, entre autres, les conventions de l’OIT C87 sur la liberté syndicale et C98 sur le droit d'organisation et de négociation collective.

[15] Proposition de la Commission d’une directive relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne, ,COM(2020) 682 final, 28.10.2020.

[16] Proposition de la Commission d’une directive visant à renforcer l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre hommes et femmes pour un même travail ou un travail de même valeur par la transparence des rémunérations et les mécanismes d’exécution, COM(2021) 93 final, 4.3.2021.

[17] Ceci est conforme aux amendements présentés par les co-rapporteurs du Parlement européen Dennis Radtke et Agnes Jongerius dans leur projet de rapport du 6 avril 2021 sur la proposition de directive relative à des salaires minimaux adéquats dans l’Union européenne.